– La proposition de loi sur le nom patronymique, si j’ai bien compris, vise à autoriser la transmission du nom de la mère, aussi bien que celui du père ou les deux accolés ?
– Oui, la réforme vise l’article 57 du Code civil qui dit que « l’acte de naissance » énoncera le jour, l’heure et le lieu de naissance, le sexe de l’enfant, et les prénoms qui lui seront donnés, les prénoms, noms, âges, professions des PÈRE ET MÈRE.
– Mais, dans ce texte, il n’est pas dit que l’enfant doit porter le nom de son père ?
– Tout à fait. Les députés l’ont fort bien noté. En fait la règle était tirée a silentio du texte.
– Au fond, le texte n’abritait-il pas une vieille coutume ?
– C’est exact. Désormais, après les mots « le sexe de l’enfant » seront insérés le mot « nom » et ses différentes possibilités. En cas de désaccord l’enfant acquiert les deux noms dans l’ordre alphabétique !
– On voit tout de suite que le nom patronymique n’est pas un nom comme les autres.
– Oui, un ordre y est impliqué.
– En effet, il y en a deux.
– Tant que le couple n’a pas d’enfant, cela ne trouble personne.
– Vous voulez dire que chacun baise en son nom ? Que le nom serait le masque, la tunique abritant les ébats matrimoniaux ?
– En tout cas, au Canada, le couple peut choisir un nom à chaque enfant survenu.
– C’est au coup par coup alors ?
– Le législateur a voulu abattre la Loi Salique !
– Ou la loi Phallique !
– Je vous assure que ce n’est pas une plaisanterie. Ils ont dit qu’ils abattaient le dernier « bastion » de la prééminence paternelle.
– La vieille loi mérovingienne a servi de repoussoir.
– Les débats parlementaires tournent autour de l’égalité des sexes. Le législateur s’appuie, à cet égard, sur le droit européen.
– Le droit européen pose-t-il cette égalité en termes clairs ?
– Il y a une Résolution de 1978 demandant « d’assurer et de promouvoir l’égalité des époux en ce qui concerne l’attribution du nom de famille aux enfants ».
– Ah, les enfants !
– Il est vrai que ce nouveau droit s’inscrit dans la Convention du 26-1-1990 qui dispose que « L’enfant est enregistré dès sa naissance et a dès celle-ci le DROIT À UN NOM. Mais le législateur s’appuie aussi sur un cas d’espèce jugé par la Cour de Strasbourg et devant lequel il s’incline. C’est le fameux arrêt Burghartz contre la Suisse du 22-2-1994.
– Quelle est cette affaire ?
– C’est celle d’un mariage entre un Suisse, Albert Schnyder et d’une Allemande. Elle se nomme Suzanne Burghartz. Ils se marient en Allemagne. Ils choisissent, selon la loi allemande, le nom de l’épouse comme nom de famille : Burghartz. Le mari déclara qu’il ferait précéder le nom de famille de son propre nom.
– Autrement dit, il accole son propre nom.
– Oui, mais voilà, le droit suisse, à l’époque, ne retenait que le nom du mari comme nom de famille. La femme pouvant conserver le sien suivi du nom de famille.
– Donc, s’ils avaient choisi le nom du mari, elle aurait pu accoler le sien.
– Voilà. Mais en 1988, le code suisse change : il autorise le nom de la femme comme nom de famille.
– Ce sera donc Burghartz ?
– Oui, dit le Tribunal Fédéral, mais le mari ne peut faire précéder ce nom de son ancien nom.
– Elle pouvait s’appeler Burghartz-Schnyder et lui ne pouvait pas s’appeler Schnyder-Burghartz.
– Ça collait plus !
– L’égalité des sexes était bafouée.
– La Cour donna gain de cause aux requérants, sur ce motif.
– Au fond, ils demandèrent que le nom perdu du mari lui fût rendu.
– C’est la situation ancienne inversée : un homme se marie. Il prend le nom de sa femme et ne peut garder « son nom de jeune homme » (dixit la Cour !) C’est comique.
– C’est du Courteline. Elle gardait son nom et, en plus, y accolait celui de son mari.
– Vous pensez qu’il s’est senti féminisé ?
– Tant d’années de procédure pour recouvrer son nom !
– Le patronyme serait-il d’essence masculine ?
– Damourette et Pichon le pensaient mais ils se référaient au droit.
– Pas à la langue ?
– D’une certaine façon aussi, car ils ressortent un vieux mot de la langue juridique : « casuel ». Les femmes, disent-ils, ne possèdent le nom de famille qu’à titre casuel, le tenant soit de leur père, soit de leur mari.
– Casuel vient de casus qui traduit le grec ptosis[…] qui veut dire « chute » ?
– Oui, c’est ce qui tombe. Selon Littré, c’est un terme du droit des fiefs. C’est un profit fortuit. Par exemple, le droit d’aubaine des étrangers.
– Donc, il relèverait du contingent.
– Ils disent que la femme n’a sur le nom de son mari « qu’une sorte de droit d’usage.
– Encore une coutume phallique !
– Vous savez comme moi que la disparité se trouve dans la langue.
– Le droit fut, en effet, pétri par la langue latine.
– Oui. Benveniste nous apprend que si mater existait en latin, matrius, n’existait pas. Il manque partout, alors qu’existait un dérivé du nom du père : patrius qui renvoie à pater. Mais, existait maternus, dérivé du nom mère; issu de materius (matière). Alors, fut refait paternus, littéralement de la même matière que la mère (donc le père physique) qui l’emporta sur patrius (père légal de la classification), invoqué comme Jupiter tandis que paternus devenait le père propre, l’ancêtre personnel. Et vous voyez la suite : Jupiter qui devient Jus-Pater.
– Dites, votre façon de raconter la langue revêt un petit air de genèse.
– La disparité est dans la langue et notre patronyme se ressent de son origine génitive.
– Le père, comme lien matériel (paternus), n’est-il pas celui du Code civil ?
– Celui de l’article 312 : l’enfant a pour père le mari, soit la célèbre formule du jurisconsulte Paul (IIe siècle).
– Pater is est quaem nuptiae demonstrant.
– Me Dekeuwer-Defossez, dans son rapport au Garde des Sceaux, s’était référée à ce texte fondateur, en disant que, pour la mère le lien est certain (mater certa est) alors que pour le père, le lien est incertain (incertus). Elle ajoute, partant de ce texte cette formulation d’une très grande portée que la paternité est MATÉRIALISÉE par le nom du père.
– Que répondent les députés ?
– A côté ! Si, disent-ils, le lien est incertain, il suffit d’opter pour le double nom.
– Et le tour est joué.
– Ils constatent que les pères, de nos jours, « sont souvent plus épanouis, plus libres, plus proches de leurs enfants que ne l’étaient leurs propres pères ». L’analphabétisme est navrante.
– La psychanalyse est sûrement présentée comme réactionnaire ?
– Oui, mais les mânes de Jacques Lacan sont évoqués dans l’hémicycle avec « le Nom-du-Père qui vient représenter dans l’inconscient de l’enfant, le père symbolique ». Je continue de citer : « Convenons que celui-ci, quand cette proposition de loi aura été votée, aura un peu laissé la place au père en chair et en os souvent évoqué par le Dr Dolto » (applaudissements sur le banc du groupe socialiste).
– On applaudit Mme Dolto ?
– Je suppose. La farce toutefois aurait pu avoir un côté fécond puisque « le père en chair et en os » fait songer à l’opposition patris/paternus.
– Le Nom-du-Père de la psychanalyse est différent du nom du père de la loi civile. Le patronyme (les enfants sans père ont nécessairement un nom porté à l’état civil) a toujours, pour le droit, une fonction d’identité ; il serait difficile d’élaborer une loi en fonction du concept lacanien. En psychanalyse, le Nom-du-Père a comme référent, dit Charles Melman, l’instance phallique qui nous a générés. Il désigne l’opération par laquelle un manque a généré notre lignée. Comment inscrire cela dans la loi ? L’inscription, depuis l’Edit de Villers-Cotterets donne aux mentions de l’état civil un caractère de Réel.
– Il est vrai qu’une instance symbolique a présidé à ces inscriptions. Quelque chose s’écrit sur ces registres.
– En effet je pense au nom comme matricule.
– Le numéro de Sécurité Sociale ?
– Oui, mais surtout au fait que nous avons été incorporés sur ces registres matriciels des curés. Ces registres ayant été officialisés par les Édits Royaux et par notre État Civil. Tous fils et filles de notre Sainte Mère l’Eglise.
– Nous retrouvons matris, et matrice…
– Oui, mais les termes de patronyme et de matronyme sont faussement symétriques.
– Il est bon de rappeler ce que Jacques Lacan disait du nom propre en 1965 : que ce n’est pas en tant qu’individu que je m’appelle Untel mais « en tant que quelque chose qui peut manquer, moyennant quoi ce nom ira recouvrir un autre manque ».
– Malheureusement c’est bien au niveau de l’individu que le droit se situe. Le nom se décroche de l’état civil, comme le sexe, pour devenir un DROIT à la vie privée (art.9 du Code civil). La Cour de Strasbourg a fondé son arrêt sur l’article 9 de la Convention qui proclame le droit au respect de la vie privée et familiale, combiné avec l’article 14 qui interdit toute discrimination. La valeur génitive du nom s’efface.
– Le DROIT AU nom, par rapport au DROIT DU nom, semble plus axé sur l’image que je veux donner de moi-même. Le nom propre devient de plus en plus un bien. Non un nom dont on a jouissance mais un bien qu’on échange. Les marques de commerce font nom du père pour certains enfants.
– Vous m’avez dit que nos députés avaient motivé la réforme de ce que les patronymes étaient appelés à disparaître. Qu’avec l’exclusive du nom du père tout le monde finirait par s’appeler Martin. La transmission maternelle renouvellerait le stock.
– C’est tout à fait sérieux. Ils pensent que la PAIRE DE NOM freinera l’hémorragie.
– Mais, au fil des générations, ça risque de bouchonner.
– Il en faudra supprimer. Il faudra régler la circulation. Déjà, la loi du 2 juillet 1923, après l’hécatombe de 14-18, avait essayé de relever le nom des morts.
– Que dit cette loi ?
– Elle permet au plus proche parent dans l’ordre de la descendance, de relever le nom du dernier représentant MÂLE d’une famille, mort à l’ennemi sans laisser de descendance.
– La réforme consiste en quoi ?
– A supprimer le mot MÂLE de la loi.
– Le dernier représentant pourra donc être une femme. De même qu’une femme pourra relever.
– Le père glorieux est mort. Il faudra modifier les monuments de nos campagnes. Les bandes molletières des poilus.
– Établir la parité des plaques commémoratives !
– Le nom du mort était en quelque sorte un père de nom puisqu’il était susceptible de transmettre son nom à un descendant dont il n’avait pas été le géniteur. Voilà pour la garde descendante.
– C’est le Chemin des Dames !
– Les poilus sont adamisés, sans indamnité.
– Et la garde montante ?
– C’est de pouvoir choisir comme patronyme le nom d’un ou d’une ascendante. Cette proposition n’a pas, je crois, été retenue. On ne peut sans risque grave remonter les générations.
– Il vaut mieux laisser le père mort tranquille où il est.
– Cela m’évoque le petit Hans qui se demande si la généalogie monte ou descend.
– La coutume de porter le nom du père comme patronyme est sentie comme juridique. Elle est de l’ordre de l’opinio necessitatis. Sa force obligatoire reste très présente même là où les lois permettent le libre choix.
– Peut-on dire que les droits ont essayé d’écrire ce qui est du NDP, l’informulé ?
– C’est une idée. En tout cas la loi ancienne avait l’avantage d’être simple ; avec le nom du père, tout est dit. La loi nouvelle n’est plus impérative. Elle permet le choix. A travers les vicissitudes de rédaction – pas moins de huit lois, décret et ordonnance ont retouché l’article 57 – on s’aperçoit que quelque chose résiste à l’écriture.
– Pourtant, l’enfant naturel portait le nom de sa mère, à défaut de reconnaissance du père ? Relevait-il le nom du père de sa mère.
– C’est une idée qui semble juste. Seul, en effet, l’homme peut transmettre le nom.
– Alors, cela correspondrait assez bien à la remarque faite par Lacan dans Les Formations de l’inconscient (29-01-1958) « qu’en tant qu’il est viril un homme est toujours plus ou moins sa propre métaphore ».
– Cette loi bâtarde ne favoriserait-elle pas l’homosexualité ?
– Sans doute. En tout cas : l’unisexe
– Que conclure ?
– Les lois changent, la coutume restera.
– Dans ce cas, les lois du langage seront plus fortes que les lois civiles ?
– Il faut l’espérer.