Au cas où l’on ne saurait pas ce que c’est que de rater sa cible, on pourrait l’apprendre en s’intéressant à la polémique qui divise actuellement le monde des adultes au sujet du film "le baiser de la lune", film en cours de réalisation,initialement destiné aux élèves du primaire CM1-CM2 , qui ne devrait pas les atteindre après la prise de position de Luc Chatel, et dont l’intention, lisible sur le site www.le-baiser-de-la-lune.fr s’annonce comme suit : Ce film d’animation s’adresse à un public enfant, afin de lutter contre l’homophobie survenant à l’adolescence. Au-delà de la problématique homosexuelle, ce film est une lutte contre les discriminations, par un apprentissage du respect de l’autre et de sa différence.
Et c’est là que commence l’enfer qui, comme nul ne l’ignore, est bien souvent pavé de bonnes intentions, à commencer par le concept d’une éducation comportementale basée sur le conditionnement de jeunes enfants. Ce concept n’est pas nouveau. D’autres régimes totalitaires l’ont utilisé dans des temps pas si lointains. Sans doute assistons nous à un nouvel avatar du scientisme tout puissant qui, comme l’indique Melman dans son dernier éditorial, détermine les pensées et les conduites de l’homme comme chez l’animal par les réactions d’un organisme habité par la mémoire de ses expériences.
Alors, voici donc revenue la mode de la propagande, parfaitement adaptée aux techniques audio-visuelles, et qui leur ouvre un champ nouveau : l’éducation des enfants. Il faut bien dire que le marché est tentant et promet de nombreuses applications ; ainsi on pourrait imaginer de charmants mobiles qui accrocheraient le regard de nos nourrissons en diffusant une comptine du genre "tu ne seras pas… homophobe. Le premier qui est homophobe on le man-ge-rat"… et puis, on pourrait changer de thème, de temps en temps, et leur diffuser les nouvelles lois des nouveaux commandements au sujet de tout ce que l’on voudrait prévenir, par exemple "tu ne fabriqueras pas de mines anti personnelles". Pourquoi pas ? Et comme il y a pléthore de comportements désagréables, on assisterait à une inflation des thèmes à faire valoir et l’on aurait bientôt une jolie guerre des discriminations analogue à la guerre des mémoires dont parlait Henry Rousso lors des journées sur les mémoires. Mais enfin, cela ferait vendre des mobiles!!!! La propagande fait marcher le business.
Voilà pour le concept.
Voyons ensuite la forme.
Dans le séminaire VII, Lacan souligne que depuis deux mille ans , nous sommes soumis à la loi chrétienne et , il n’est pas impossible que sans même s’en rendre compte, les auteurs de cette animation n’aient fait usage de cette loi, d’une façon bien spéciale.
Lisez le synopsis et visualisez la bande-annonce et vous pourrez constater, qu’en fait, sous couvert de vouloir apprendre "le respect de l’autre et de sa différence" il ne s’agit de rien de moins dans cette animation que de donner une valeur particulière au terme de prochain du commandement "tu aimeras ton prochain comme toi même", la valeur de semblable imaginaire, transformant ainsi ce commandement en "tu aimeras ton semblable comme toi même". Mais pour ce faire, et promouvoir ce qui se voudrait être l’avènement d’une sexualité enfin heureuse, il est nécessaire de dévaloriser l’hétérosexualité en qualifiant de vision étroite et de château d’illusions le point de vue de la grand-mère à abandonner absolument.
Il s’agit donc d’une propagande paranoïaque dans la mesure où ceux qui dénoncent une vision étroite sont ceux-là même qui rétrécissent la portée du commandement, d’une part, pour faire croire à une nouvelle illusion, d’autre part – car qui aurait la naïveté de croire à la perfection de l’idylle homosexuelle ?
D’ailleurs, c’est un peu dans le même sens que va la jolie faute d’orthographe lisible dans l’édition DVD du film avec son livret pédagogique : "…Une troisième partie donnera des informations simples mais juste sur les relations amoureuses entre personnes de même sexe". Effectivement, c’est déjà bien assez ambitieux de trouver des explications simples sur l’homosexualité mais pour l’hétérosexualité, c’est beaucoup trop compliqué ! Laissez tomber.
On arrive donc à cette situation ahurissante où pour, apprendre à respecter l’autre, il convient de dénigrer l’hétérosexualité.
On appréciera ou pas les métaphores sexuelles (et ce sont peut-être elles qui viennent susciter des réactions passionnelles sur le net), forcément hommo-sexuelles et plutôt conventionnelles (cf. le traité de la concupiscence de Bossuet où la question des amours de la lune et du soleil est largement développée) :
"Baiser de la lune" ça ne concerne pas que les homos, "la vieille chatte Agathe" (qui parle grec sait qu’Agathe dérive d’ Agathos qui signifie bon et traduira cette "bonne vieille chatte"), franchement, c’est plutôt grossier.
Alors, bien sur, il y a la phase de latence des enfants dont on sait qu’elle est propice aux apprentissages ; pendant cette période, un bon nombre d’entre eux pourront refouler ces métaphores sexuelles, tant que leur corps ne sera pas mis en jeu – mais là aussi, on peut s’interroger sur ce qui est programmé dans le DVD à savoir : "développer des exercices ludiques amenant les élèves à réfléchir sur les relations amoureuses : norme, stéréotypes, relations amoureuses entre personnes du même sexe", comme si, au motif que l’on apprend mieux si l’exercice est ludique, tout ce qui est ludique devrait être instructif !
Mais quel intérêt y a-t-il pour les enfants à mettre à l’épreuve cette phase de latence pour promouvoir une forme de sexualité dont on ne peut pas dire qu’elle soit équivalente à une autre chez l’humain qui n’a pas comme les poissons la possibilité de changer de sexe, pas tant pour se faire plaisir, soit dit en passant, mais pour assurer sa reproduction ? N’est-il pas dangereux d’exploiter l’intérêt que portent les enfants aux documentaires animaliers et de les amener à confondre la physiologie de la reproduction animale avec les variantes de la sexualité humaine ? Il fut un temps où c’était honorable pour l’homme de se distinguer de l’animal ; on assiste aujourd’hui à une mise en scène animalière des activités humaines pour le moins lassante et trompeuse.
Sans compter qu’il y a dans cette représentation une erreur logique car si la grand-mère chatte a eu des petits enfants poissons, il faut bien qu’elle ait eu des enfants ? Mais à quelle espèce appartenaient-ils ? Darwin se retournerait dans sa tombe en voyant ce film !
Et puis, autre erreur logique, si vous allez dans la rubrique "actualités", vous trouverez au chapitre "musique" , un projet de mariage forcé où le pauvre poisson mâle serait obligé d ‘épouser un poisson femelle . Alors là, c’est pour le moins affligeant car c’est méconnaitre le fait que si ce poisson mâle n’éprouve pas de désir pour cette femelle, et si cette dernière a elle une physiologie sexuelle conforme à son sexe, ce mariage ne durera pas longtemps, et si le poisson mâle trouve sa femelle désirable, alors où est le problème ? Dans ces conditions, n’est-il pas choquant de risquer de présenter ainsi les choses à un public enfantin tout venant, comprenant peut-être des gamines qui pourraient être concernées par la question du mariage forcé et du viol éventuel auquel, elles, elles ne pourront pas se soustraire ? A vouloir absolument nier la différence sexuelle, on arrive à des situations grotesques.
Pour autant, l’école primaire est-elle un lieu où tout ce qui a trait au sexuel doit être mis de côté ? La question se pose à l’heure où, comme le souligne Catherine Ferron en reprenant les propos de C. Melman, "l’inceste est une modalité du lien social qui se généralise."
Les enfants, comme les adultes restent concernés par la question de l’inceste. Et si l’on tient à utiliser le monde animal intelligemment pour faire passer des messages un peu sérieux ( La Fontaine n’a pas fait autre chose en son temps), on peut facilement transformer ce film en privilégiant cette question : il pourrait y avoir un prédateur des poissons mâles et femelles d’ailleurs : par exemple un pêcheur ou bien encore mieux un requin… marteau de préférence (il y en a qui sont fous des enfants) qui pourrait leur proposer une forme d’appât trompeur, comme une crevette, avant de les manger.
Pour autant, la question de la souffrance des adolescents homosexuels, doit-on l’exclure des débats de l’éducation nationale ? A partir du moment où la différence sexuelle fonde notre identité, si l’on souhaitait vraiment comme l’énonce l’intention du film, au-delà de la problématique homosexuelle, lutter contre les discriminations, par un apprentissage du respect de l’autre et de sa différence, il y aurait une action possible à envisager au niveau des collèges et des lycées et l’état pourrait se fédérer avec bien des associations (et les homosexuels sont aussi bien concernés) pour financer le déplacement des élèves dans des lieux de pèlerinage comme Auschwitz , histoire que les générations à venir prennent la mesure de ce où mène une discrimination réelle autrement que par des images de films, parce que c’est une chose de recevoir des images dans son fauteuil et c’est tout autre chose que de faire le voyage et de marcher entre les baraquements dans ces lieux qui ont laissé tant de défunts supporter l’anonyme égalité d’une mort sans sépulture et les survivants tellement réifiés qu’il ne pouvaient pas détacher d’eux-mêmes une voix, pour témoigner de ce dont ils s’étaient sortis.