Georges Lopez, instituteur modèle est le personnage central du documentaire Être et Avoir. Il poursuit en Justice le réalisateur Nicolas Philibert pour utilisation de son image et contrefaçon de ses méthodes pédagogiques. Il revendique des droits sur le film et sollicite 25 000 Euros. Au succès phénoménal du film (un million huit cent mille entrées) et à ses recettes s’ajouteront celles de la vente des DVD et des cassettes. Il y a de quoi tourner la tête à un instituteur à la retraite dont la prime accordée à titre de frais s’élève à une fois et demi son salaire annuel.
L’affaire va être jugée. Les avis sont fort variés. Le documentaliste Daniel Karlin prend la défense de Georges Lopez en estimant qu’il aurait pu partager les droits d’auteur avec le réalisateur, déclarant que lui-même avait parfois payé les protagonistes de ses films.
Ce droit à l’image, cette propriété que nous aurions à faire valoir de notre propre image a de quoi surprendre. À qui appartient l’image de cinéma ? Le cinéaste la saisit, la met en scène l’organise. Appartient-elle à celui qui est filmé ?
Nous connaissons les conditions symboliques auxquelles Lacan subordonne l’identification à l’image spéculaire. L’image se produit là où le sujet est anticipé par les relations qui l’inscrivent dans l’ordre du langage : ce que Lacan a appelé le lieu de l’Autre. Le sujet est représenté dans ce lieu par une place vide. Cette image est donc dans un premier temps virtuelle : quelque chose va prendre forme que la psychanalyse désigne comme moi idéal.
Avant la présentation de ce film sur un écran de cinéma, Georges Lopez ne savait rien de l’image de lui qui a été produite à la suite d’une longue et minutieuse observation par le cinéaste de l’instituteur au travail avec ses petits élèves. Le montage a organisé des successions d’images qui relatent la vie dans cette petite école et les rendent cohérentes. Et ce indépendamment du fait que Georges Lopez soit un excellent instituteur et que son travail auprès des enfants fasse notre admiration.
Nous pouvons dire que ces images créeront le modèle des représentations que Georges Lopez pourra intégrer dans l’après coup comme étant les siennes et auxquelles il pourra s’identifier. Dans ces images de cinéma créées par Nicolas Philibert, Georges Lopez va pouvoir se reconnaître et s’identifier. Il n’est pour rien dans leur création.
Le cinéaste lui aura fait don de son regard qui lui offre une image idéale pour autant qu’il l’a rendue visible à lui et à tous les spectateurs qui voient le film. La distinction de ces deux plans, reconnaissance et identification permet peut-être de mieux distinguer à qui appartient l’image de cinéma : à celui qui regarde et non à celui qui est regardé.
Et imaginons un instant que Chirac, Bush ou le Pape se mettent à réclamer des droits sur leurs images démultipliées à travers le monde. Aller au cinéma ou regarder la TV finirait par nous coûter très cher…