Notes de lecture à propos du livre Attaquer la terre et le soleil""
05 juin 2023

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BON Norbert
Notes de lecture
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Attaquer la terre et le soleil

Mathieu Belezi, Le Tripode, 2022

Norbert Bon

Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers.

Claude Lévi-Strauss

 

Après s’être vu décerner le prix du journal Le Monde en 2022, Mathieu Belezi vient de recevoir, selon mon vœu, le prix Inter 2023 pour ce court mais formidable roman Attaquer la terre et le soleil, paru aux éditions Le Tripode, l’automne dernier. Il relate le destin funeste de soldats embarqués dans l’enfer de la colonisation algérienne au 19ème siècle et des familles à qui l’on avait promis un eldorado. La narration alterne l’épopée des premiers à qui l’on répète « vous n’êtes pas des anges » et que l’on tente de convaincre qu’ils sont là pour pacifier et civiliser ce pays de vermines à grands coups de sabre et de baïonnettes : embrocher, décapiter ces fils de Mahomet qui ne pensent qu’à couper les couilles à nos braves soldats ; et la lamentable aventure des familles, naïfs migrants, qui, après avoir vomi tous leurs boyaux pendant la traversée découvrent, non la colonie agricole paradisiaque promise par le gouvernement mais une terre rude à cultiver, « des broussailles, de la rocaille et des nuages si bas qu’ils donnaient envie de disparaître sous terre. » Trois mois de pluie, de boue, de vent, de fièvre et de désespoir, à quoi viendra s’ajouter le choléra et la crainte de se voir soudain attaquer et étriper par « ces chiens de barbares. » Désarroi de la narratrice anonyme, juste une mère : « j’essuyais mon visage noyé de pluie, rouvrais les yeux, et instinctivement tendais les bras à mes enfants, les serrais contre moi aussi fort que j’en avais la force

qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? »

Alors, rester en espérant s’en sortir en se battant contre la terre revêche et le soleil revenu ou renoncer à la concession où commencent à pousser le blé et les tomates, pour quitter cet enfer ?

Placé sous l’exergue de Claude Lévi-Strauss, le roman se clôt sur cette phrase sans majuscule ni point final : « un matin, la gueule rageuse de l’enfer qui nous avalait depuis des semaines s’est brusquement refermée »

Ecrit dans un style personnel vif et d’une poésie sauvage, cette épopée inspirée et bouleversante sur la folie des hommes vous prend, vous emporte d’une seule traite et vous laisse le souffle coupé. Waouh !

Nancy, le 6 juin 2023.