Névrose et perversion dans le séminaire VI
27 février 2000

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VANDERMERSCH Bernard
Textes
Psychoses-Névroses-Perversions

Névrose et perversion sont deux types de réponse à un
même problème, celui de tout sujet de la parole : comment soutenir
son désir face au désir de l’Autre.

En découle une conséquence immédiate : considérer
les difficultés de ces deux types de solution comme anomalies au regard
d’un désir génital, normal, qui tiendrait compte de la réalité
est sans doute une des principales façons de conduire la cure dans une
impasse.

L’articulation du désir du sujet avec le désir de l’Autre se
fait par la médiation du phallus. Mais qu’est-ce que le phallus ?

Dans le réel est-ce que c’est l’organe ou est-ce sa jouissance ? est-ce
plutôt la structure mise en place par disons l’interdit ?

Dans l’imaginaire c’est le sens sexuel ce qui n’a aucun sens sinon la différence
pure mais grâce à quoi tous les sens existent s(A).

Dans le symbolique est-ce que c’est I, le trait fondateur du Un, du tout ou
est-ce que c’est plutôt le signifiant qui vient en trop, lapsus etc. ou
en manque dans la chaîne signifiante ?

Lacan s’oblige dans Subversion du sujet et dialectique du désir à
une longue et difficile explication :

– c’est la prise dans le langage qui interdit la jouissance qu’en même
temps elle instaure comme étape perdue, mythique.

– En fait le principe de plaisir fait de toute façon barrière
à la joissance.

– Cependant sans jouissance l’univers est vain.

– Comment rendre la jouissance apte au désir ?

– En la marquant d’un interdit symbolique qui, du même coup, préserve
la parole.

– Pour cela un sacrifice qui consiste dans l’opération même qui
constitue le symbole : l’élévation d’un organe au rang de symbole
de l’interdit.

Cet organe est le phallus

– parce qu’il manque déjà à l’image spéculaire
(pour raison d’autoérotisme il reste  » attaché  » au
corps)

– il est ainsi prédestiné par son absence de l’image spéculaire
à donner corps à la jouissance dans la dialectique du désir
– notamment à constituer l’horizon métonymique d’une série
d’objets vectorisés vers lui.

Le phallus intervient au titre d’un interdit à valeur délinéatrice
introduisant une disjonction entre être et avoir.  » S’il l’est
il ne l’a pas, il est défendu qu’il l’est
1« .Cet interdit
est patent dans le conflit oedipien :

s’il est l’objet de sa mère, il ne l’a pas (d’où
la menace de castration)

– s’il l’a, c’est-à-dire s’il s’est identifié au père,
il n’est plus l’objet de sa mère.

Mais est-ce un interdit ou un impossible ?

Pour introduire cette fonction disjonctive du phallus Lacan reprend la problématique
du mauvais objet intériorisé de M. Klein.

Cet objet est un objet incorporé au moi par identification au stade
sadique oral (pénis du père, fèces, enfant etc. tous objets
contenus dans la mère). Une fois incorporé il persécute
le sujet. Pourquoi ? C’est paradoxal parce que le sujet n’incorpore que ce qui
est bon et rejette ce qui est mauvais.

Pour Lacan la question ne se pose que lorsque l’image spéculaire s’est
constituée et que la distinction intérieur-extérieur a
pris un sens puisque le sujet  » possède  » dès lors un
corps.

Voici comment Lacan réinterprète les données kleiniennes
: les premières identifications du sujet, à partir du discours
de la mère, aux « objets » qui sont en fait des signifiants,
débordent ce que peut contenir l’image spéculaire.  » Le
discours qui organise réellement le monde des objets selon l’être
du sujet déborde celui où il se reconnaît lui-même
[…] dans le stade du miroir […] comme maîtrise d’un moi
2« .

D’où l’existence d’une frange de désirs, d’objets que le sujet
ne sait pas s’il doit se les approprier ou non. Autrement dit tout ce qui se
propose comme signifiant à être déborde ce que le
sujet peut avoir. D’où l’énigme anxiogène.
Tous les objets incorporés sont persécutifs parce qu’ils ne sont
pas situables par rapport à la demande d’amour, demande d’être
dans un tout. L’enfant éprouverait ainsi la servitude de la maîtrise
: l’avoir impose la renonciaton à l’être.

Autrement dit tous les signifiants ou plutôt traits unaires, racines
de l’Idéal du moi, écrits I semblent déjà tomber
pour Lacan dans cette dialectique de l’être et de l’avoir avant que le
phallus ne vienne signifier l’interdit.

Remarquons : cette dialectique sera reprise sous le nom d’aliénation
entre l’être et le sens :  » ou je ne suis pas ou je ne pense pas
 » où l’avoir est plus justement situé comme sens c’est-à-dire
dans le registre de l’imaginaire alors que l’être est une pure maladie
du parlêtre, du symbolique.

Pourquoi cet effort de Lacan à réinterpréter M. Klein
? A cause du pervers.

A partir de là deux formules discriminantes.

– Le névrosé soucieux avant tout de préserver son désir
est celui qui  » tient compte  » de cet interdit et choisit : pour l’être
… il ne l’aura pas – il renoncera à l’avoir

 » Pas d’avoir sans être « .

– Le pervers lui garde tout : il l’est et il l’a au prix de quelques
divisions dans ses identifications imaginaires, transpositions du il.
On retrouve une structure comparable à celle que Freud met en place pour
le fétichisme : le fétichiste ne renonce ni à la satisfaction
ni à la réalité mais au prix de l’Ichspaltung.

Le névrosé donc reconnaît l’alternative au titre d’un interdit
ce qui l’inscrit dans une temporalité de l’alternance : en tant qu’il
l’est il ne l’a pas, en tant qu’il l’a il ne l’est pas.  » Le problème
(pour lui) passe par la métaphore paternelle, par la fiction, réelle
ou pas, de celui qui jouit en paix de l’objet, au prix de quelque chose de pervers
3
« 
.

C’est pervers parce que cette métaphore masque une métonymie
: celle de la castration.

C’est-à-dire le fait que dans le mythe oedipien la castration du
fils prend la suite de la castration du père et on remonte ainsi de père
en père au père de la horde… celui qui forcément l’a
eu. Dans la structure névrotique ce qu’il s’agit de voiler, ce qui reste
 » pervers « , c’est la castration du père.

 » En effet le névrosé qui veut être le phallus ne
peut l’être qu’au nom du père. S’il n’y a personne à l’avoir,
le névrosé l’a encore bien moins « .

D’où cette phrase un peu « dense » : « le désir
du névrosé est ce qui naît quand il n’y a pas de Dieu…
C’est au niveau de cette suspension du garant suprême (ce que cache en
lui le névrosé) que se situe, s’arrête et se suspend le
désir du névrosé ».

Cela veut dire c’est un désir qui attendra … « c’est un désir
à l’horizon. Le névrosé est toujours occupé à
faire ses bagages pour un voyage qu’il ne fait jamais
4« .

C’est donc pour être le phallus que le névrosé
ne l’a pas « à condition qu’un autre l’ait pendant
que lui l’
est de façon inconsciente5« .