Mes avis concernant le rôle de la sexualité dans l'étiologie des névroses
22 octobre 2014

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FREUD Sigmund
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Le passage d’une langue à l’autre constitue un exercice particulièrement délicat. Il prend appui sur le rapport que chaque traducteur entretient non seulement à l’égard du petit autre mais aussi au grand Autre, à ce lieu d’où ça nous parle et qui constitue le siège de nos ratages, de nos manquements et du trou introduit par le jeu de la lettre. Guère de doute donc, que chaque traducteur produit sa traduction, marquée par la constellation des lettres tels qu’il les entend. Ainsi cet espace « de nouvelles traductions » se veut un lieu ouvert aux discussions et aux propositions de lectures de textes en nouant une langue à l’Autre.
Mes avis concernant le rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses
« Je suis convaincu qu’on rend mieux compte de ma théorie concernant l’importance étiologique du moment sexuel (sexueller Moment) pour les névroses en retraçant son évolution. Je n’ai, en effet, nullement l’intention de nier qu’elle ait connu une évolution et qu’elle se soit modifiée durant ce laps de temps. Par cet aveu, les collègues pourraient trouver la preuve que cette théorie n’est rien d’autre que le résultat d’expériences suivies et approfondies. Tout ce qui, au contraire de ceci, est issu de spéculations peut, par contre, aisément apparaître d’un seul coup dans sa totalité et dès lors de façon non modifiable.

La théorie ne concernait initialement que la clinique rassemblée sous le terme de neurasthénie dans laquelle j’avais isolé deux formes, qui par moments, se présentaient même sous des aspects purs et que j’ai décrites comme étant la neurasthénie proprement dite et la névrose d’angoisse. Nous savions depuis toujours que des moments sexuels pouvaient jouer un rôle dans la genèse de ces formes mais, non seulement ils n’étaient pas considérés comme régulièrement efficaces, mais de plus, on ne leur accordait pas non plus une prééminence sur les autres facteurs étiologiques. J’ai d’abord été surpris par la fréquence d’importants troubles dans la vie sexuelle -la vita sexualis- du névrosé ; plus je m’appliquais à chercher de tels troubles – en gardant à l’esprit que tout le monde cache la vérité en ce qui concerne les choses sexuelles (die sexuellen Dinge) – plus je devenais habile à poursuivre l’examen clinique malgré une dénégation (Verneinung) initiale et aussi, plus je relevais régulièrement ces moments pathogènes de la vie sexuelle jusqu’à estimer que, pour conclure à leur généralité, il ne me manquait que peu de chose. Mais on devait d’emblée rester averti de l’apparition d’irrégularités sexuelles à une semblable fréquence, produites sous la pression des conditions sociales et on pouvait donc rester dubitatif quant au degré d’écart par rapport à la fonction sexuelle normale susceptible d’être considérée comme étant à l’origine de la pathologie. C’est pourquoi je n’ai pu qu’accorder une valeur moindre aux évocations sexuelles régulièrement mises en évidence qu’à une seconde expérience qui me semblait plus évidente. Il s’avérait que la forme de l’affection, neurasthénie ou névrose d’angoisse, se dévoilait dans un lien constant à la nature de la nocivité sexuelle. Dans les cas typiques de la neurasthénie on pouvait régulièrement mettre en évidence la masturbation ou des pollutions accumulées ; dans la névrose d’angoisse, nous avons pu démontrer, parmi d’autres, la présence du coitus interruptus et de l’excitation frustrante ; ce en quoi le point commun semblerait être le moment d’une insuffisance d’abaissement de la libido produite. C’est seulement depuis cette expérience facile à faire et vérifiable à loisir, que j’ai eu le courage d’affirmer une position prioritaire de la sexualité dans l’étiologie des névroses. S’y ajoutait qu’on ait pu démontrer dans les cas si fréquents des formes composites entre neurasthénie et névrose d’angoisse, le mélange des étiologies supposées pour ces deux aspects cliniques et qu’une telle dichotomie dans la manifestation clinique de la névrose pourrait très bien être en accord avec le caractère polaire de la sexualité (masculine et féminine).

À la même époque, alors que j’attribuais à la sexualité cette importance dans la genèse des névroses simples, en ce qui concernait les psychonévroses (hystérie et représentations de contrainte) je faisais encore allégeance à une théorie purement psychologique dans laquelle le moment sexuel n’était pas considéré comme différent d’autres sources émotionnelles. En association avec J. Breuer et à la suite d’observations qu’il avait faites une bonne dizaine d’années auparavant sur une patiente hystérique, j’avais étudié le mécanisme de la production des symptômes hystériques, grâce à la réminiscence des souvenirs en état d’hypnose et nous étions parvenus à des perspectives qui permettaient le passage de l’hystérie traumatique de Charcot à l’hystérie commune non traumatique. Nous étions parvenus à la conception que les symptômes hystériques sont des effets durables de traumatismes psychiques pour lesquels l’intensité de l’affect associé a été mis à l’écart d’une élaboration consciente par des conditions particulières et a ainsi pu se frayer un chemin anormal dans l’innervation corporelle. Les termes : affect coincé, conversion et abréaction résument les caractéristiques de ce point de vue.

Étant donné les relations de proximité entre les psychonévroses et les névroses simples, qui d’ailleurs sont telles qu’il n’est pas toujours facile pour le praticien peu expérimenté de faire la différence diagnostique, nous ne pouvions pas ignorer que la connaissance que nous avions acquise pour l’une d’elle valait aussi pour l’autre. En outre, indépendamment d’une telle influence, l’approfondissement des mécanismes psychiques des symptômes hystériques nous apportait le même résultat. Car, en poursuivant l’étude des traumatismes qui donnent accès aux symptômes hystériques à l’aide de la méthode cathartique que Breuer et moi-même avions introduite, nous parvenions enfin à des événements vécus qui appartenaient à l’enfance du malade et concernaient sa vie sexuelle et ceci également dans des cas, où une émotion banale de nature non sexuelle avait causé l’éclosion de la maladie. Si nous ne considérions pas ces traumas sexuels de l’enfance, nous ne pouvions, ni élucider les symptômes, ni comprendre leurs déterminismes, ni prévenir leurs réapparitions. Ainsi l’incomparable signification des vécus sexuels pour l’étiologie des psychonévroses semblait être, sans aucun doute, établie et cette donnée est, jusqu’à nos jours, restée un des principaux piliers de la théorie.

Il se peut que, si la théorie est exposée ainsi, la cause de la névrose hystérique de toute une vie se trouverait dans quelques vécus sexuels le plus souvent minimes de l’enfance précoce, ce qui peut finalement paraître assez étrange. Considérons par contre l’évolution historique de cet enseignement, et reportons le contenu principal de celui-ci dans la phrase suivante : l’hystérie constituerait l’expression d’un comportement particulier de la fonction sexuelle de l’individu et ce comportement aurait été fortement déterminé par les premières influences et expériences vécues dans l’enfance. Si nous sommes ainsi privés d’un paradoxe, nous nous enrichissons d’un motif qui est celui de porter notre attention aux effets créés après-coup, jusque-là gravement négligés, bien que fortement significatifs, des empreintes, des traces laissées depuis l’enfance.

En me réservant de traiter plus amplement un peu plus tard dans cet exposé la question de savoir si nous avons le droit de voir dans les vécus sexuels de l’enfance l’étiologie de l’hystérie (et de la névrose obsessionnelle), je reviens à la configuration de la théorie telle qu’elle a été adoptée dans quelques petites publications provisoires des années 1895 et 1896.

Faire ressortir les moments pour lesquels on suspectait un impact étiologique permettait à l’époque d’opposer les névroses communes, comme étant des pathologies avec une étiologie actuelle, aux psychonévroses qui trouvaient leur étiologie principalement dans les événements sexuels de la vie antérieure. Cet enseignement culminait dans la phrase : Vita sexualis normale, névrose impossible.

Même si je considère encore aujourd’hui que ces phrases* n’étaient pas tout à fait fausses, il n’y a pourtant pas lieu de s’étonner que j’aie largement dépassé ma position d’antan en dix ans d’efforts poursuivis consacrés aux connaissances de ces données, et je me considère aujourd’hui capable de corriger, à l’aide d’une expérience plus élaborée, le caractère incomplet, les déplacements et les malentendus dont souffrait cette théorie à l’époque. Un hasard portant sur le matériel jadis encore très restreint, m’avait apporté un nombre démesurément grand de cas comportant des histoires infantiles au cours desquelles la séduction sexuelle par des adultes, ou par des enfants plus âgés, venait occuper une place principale. Je surestimais la fréquence de ces événements (par ailleurs indubitables), ceci d’autant plus, qu’à cette époque, je n’étais pas en mesure de distinguer avec certitude les traces des déroulements réels (wirklich) des faits, des souvenirs d’enfance trompeurs des hystériques, tandis que depuis, j’ai appris à considérer un certain nombre de fantasmes de séduction (Verführungsphantasie) comme étant une tentative de défense contre le souvenir de leurs propres activités sexuelles (masturbation infantile). Avec cet éclaircissement, cédait l’insistance sur l’élément traumatique dans le vécu sexuel infantile et restait alors l’idée que l’activité infantile sexuelle (peu importe si elle est spontanée ou provoquée) indiquerait la direction que prendrait la vie sexuelle future après la maturité. Le même éclaircissement, qui corrigeait d’ailleurs la plus significative de mes erreurs initiales, devait aussi changer la conception du mécanisme des symptômes hystériques. Ceux-ci n’apparaissaient plus maintenant comme des résurgences directes des souvenirs refoulés des vécus sexuels infantiles, mais entre le symptôme et les impressions infantiles se glissaient maintenant les fantasmes, (condensations des souvenirs, produits pour la plupart d’entre eux, durant la puberté) des malades, construits d’une part à partir et avec les souvenirs infantiles et d’autre part se transposant directement sous forme de symptômes. Ce n’était qu’en introduisant la notion du fantasme hystérique (hysterische Phantasien) que la structure de la névrose (das Gefüge) et sa relation à la vie du malade devenaient transparentes ; il se révélait aussi une analogie

tout à fait surprenante entre ces fantasmes inconscients de l’hystérique et les fictions

*En pluriel dans le texte d’origine. Ce pluriel se rapportant à l ‘ensemble des propositions précédentes, nous l’avons maintenu.

devenues conscientes sous des formes délirantes dans la paranoïa.

Après cette correction, les « traumatismes sexuels infantiles » se trouvaient d’une certaine façon remplacés par l’infantilisme de la sexualité. Nous n’étions pas loin d’une deuxième modification de la théorie d’origine. Lâchant prise sur l’idée d’une supposée fréquence de séduction dans l’enfance, l’accentuation exagérée de l’influence accidentelle de la sexualité à laquelle je souhaitais donner le rôle déterminant dans la genèse de la pathologie, sans pourtant nier des moments constitutionnels et héréditaires, n’avait plus lieu d’être. J’avais même espéré résoudre le problème du choix névrotique, de la décision concernant la forme de la psychonévrose à laquelle le malade allait succomber, par la référence aux détails des vécus sexuels infantiles et jadis -bien qu’avec modération- j’avais pensé qu’une attitude passive face à ces scènes donnerait plutôt la disposition spécifique de l’hystérique alors qu’une attitude active déboucherait plutôt sur une névrose obsessionnelle. Il a fallu, plus tard, que je renonce totalement à cette conception, même si quelques réalités (Tatsächliche) m’avaient imposé, d’une certaine façon, le maintien de ce supposé rapport entre, d’une part, passivité et hystérie et d’autre part, activité et névrose obsessionnelle. En retirant les influences accidentelles du vécu, les moments constitutifs et héréditaires reprenaient le dessus, mais ceci avec cette différence, par rapport au point de vue habituellement présent, que chez moi, la constitution sexuelle se confond avec la disposition à une pathologie névrotique commune. Dans mes « Trois essais sur la théorie sexuelle » récemment publiés (1905), j’essayais de décrire les multiplicités de cette constitution sexuelle, ainsi que le caractère composé de la pulsion sexuelle en général et sa provenance à partir de différentes sources participantes dans l’organisme.

Toujours en rapport avec cette compréhension transformée des « traumatismes sexuels infantiles », la théorie se développait dès lors dans une direction, qui avait auparavant été indiquée dans les publications des années 1894-96. Déjà à cette époque, et avant même que la sexualité ait pu être positionnée à l’emplacement qui lui était dû dans l’étiologie, j’avais indiqué comme condition nécessaire à l’effet pathogène d’un événement que ce dernier devait paraître insupportable au Moi et tende à susciter une réaction de défense. C’est à cette défense que j’avais ramené la « psychische Spaltung », le clivage psychique ou, comme on disait à l’époque : le clivage du conscient (die Bewusstseinsspaltung) de l’hystérie. Une défense réussie aurait pour effet de chasser l’événement désagréable et ses conséquences affectives du conscient et des souvenirs du Moi ; mais, dans certaines circonstances, le produit chassé déployait alors, sous forme inconsciente, sa force et revenait dans le conscient grâce aux symptômes et aux affects associés, si bien que la maladie correspondait à un ratage de la défense. Cette conception avait le mérite de s’accorder avec le jeu des forces psychiques et de rapprocher ainsi les processus relevant des états d’âme de l’hystérie des processus normaux, au lieu de reléguer les caractéristiques de la névrose dans un trouble énigmatique et inaccessible à une analyse plus approfondie.

Lorsque d’autres enquêtes auprès de personnes restées normales apportaient le résultat inattendu, que leur histoire sexuelle infantile n’avait pas besoin de se distinguer de façon signifiante de la vie infantile du névrosé et que, tout particulièrement, le rôle de la séduction était le même chez ces premiers, les influences d’événements accidentels cédaient davantage de terrain au refoulement (comme je commençais à l’appeler, de préférence à défense).

Ce qui importait, ce n’était donc pas ce qu’un individu avait vécu comme excitation sexuelle dans son enfance, mais c’était d’abord et essentiellement sa réaction face à ces vécus, le fait, qu’il avait, ou pas, répondu à ces impressions par le refoulement. En cas d’activité sexuelle infantile spontanée, on pouvait montrer qu’elle avait fréquemment été interrompue au cours du développement, au moyen d’un acte de refoulement. De cette manière, l’individu névrosé, ayant atteint la maturité sexuée, apportait régulièrement une part du refoulement sexuel de son enfance qui se manifestait lors des exigences de la vie réelle, et les psychanalyses d’hystériques montraient que leur maladie était constituée par le succès du conflit entre la libido et le refoulement sexuel et que leurs symptômes ont valeur de compromis entre ces deux courants psychiques.

Je ne pourrais pas continuer à éclairer davantage cette partie de la théorie sans une explication détaillée de mes idées sur le refoulement. Il me suffirait d’indiquer ici mes « Trois essais sur la théorie sexuelle » (1905) dans lesquels j’ai tenté de jeter une lumière -pourtant d’abord très modeste- sur les processus somatiques au sein desquels l’essence de la sexualité est à chercher. J’y ai développé que la prédisposition sexuelle constitutionnelle de l’enfant est incomparablement plus colorée qu’on ne pourrait s’y attendre, qu’elle mérite bien que nous l’appelions « perverse polymorphe » et que, de cette prédisposition, du fait du refoulement de certaines composantes, provient ce que nous appelons le comportement normal de la fonction sexuelle. Ayant indiqué les caractéristiques infantiles de la sexualité, je pouvais constituer un nouage simple (eine einfache Verknüpfung) entre santé, perversion et névrose. La norme résultait du refoulement de certaines pulsions partielles et de certaines composantes des prédispositions infantiles et de la subordination de toutes les autres au primat des zones génitales mises au service de la fonction de reproduction ; les perversions correspondaient aux dérangements de cette organisation par l’évolution excessivement puissante et obsédante de quelques-unes de ces pulsions partielles et la névrose se résumait à un refoulement trop important des tendances libidineuses. Dans la mesure où presque toutes les pulsions perverses de la prédisposition infantile peuvent être mises en évidence dans la névrose comme forces actives dans la formation des symptômes, mais qu’elles se trouvent alors en état de refoulement, je pouvais désigner la névrose comme « le négatif » de la perversion.

Je tiens à souligner que mes avis concernant l’étiologie des psychonévroses n’ont jamais, malgré toutes les transformations, ni renié, ni abandonné deux aspects : la valeur accordée à la sexualité et à l’infantilisme. Par ailleurs, à la place des influences accidentelles sont venus des moments constitutifs (konstitutionelle Momente) et au lieu de la défense d’aspect purement psychologique, le « refoulement sexuel » organique. (Die organische « Sexualverdrängung »).

Maintenant, si quelqu’un venait à demander où trouver une preuve absolue de la valeur étiologique des facteurs sexuels dans les psychonévroses, telle que je l’affirme, et d’autant plus qu’on peut voir éclore ces pathologies à la suite des émotions les plus banales et même lors de certaines atteintes somatiques et qu’il faut renoncer à une étiologie spécifique sous la forme d’événements particuliers dans l’enfance, alors, je cite l’expérience psychanalytique auprès des névrosés comme étant une source d’où nous vient la conviction controversée.

À l’aide de cette méthode clinique irremplaçable, nous apprenons que les symptômes correspondent à l’activité sexuelle totale ou partielle des malades et qu’ils trouvent leurs sources dans les pulsions partielles normales ou perverses de la sexualité. Non seulement une bonne part de la symptomatologie hystérique découle directement des manifestations de l’excitation sexuelle, non seulement un certain nombre de zones érogènes renforcées par les singularités infantiles s’élèvent, dans la névrose, au rang d’organes génitaux ; mais encore, les symptômes les plus compliqués se révèlent eux-mêmes être des représentations de fantasmes ayant pour contenu une situation sexuelle. Celui qui sait interpréter le langage de l’hystérie peut entendre que la névrose ne s’occupe que de la sexualité refoulée des malades. Il faut que l’on veuille seulement comprendre la fonction sexuelle dans sa véritable étendue et dans la limite de sa condition infantile. Dans les cas où une émotion banale semblerait être à l’origine du trouble, l’analyse démontre régulièrement que c’est bien la composante sexuelle de l’événement traumatique, toujours présente, qui a entraîné l’effet pathogène.

Nous sommes directement passés de la question de l’origine des psychonévroses au problème de leur nature. Si nous tenons compte de ce que nous avons appris par la psychanalyse, nous pouvons seulement dire que la nature de ces pathologies se trouve dans des perturbations des processus sexuels, de ces processus qui dans l’organisme déterminent la formation et l’utilisation de la libido sexuée. On ne peut guère éviter d’imaginer ces processus, en fin de compte, comme étant chimiques, si bien qu’on serait en droit de reconnaître, dans ce qu’on appelle les névroses actuelles, les effets somatiques auxquelles s’ajoutent dans les psychonévroses, les effets psychiques des perturbations du métabolisme sexuel. Cliniquement, nous sommes indiscutablement confrontés à la ressemblance des névroses avec les phénomènes d’intoxications et de manque après l’usage de certains alcaloïdes, ainsi qu’à la maladie de Basedow et la maladie d’Addison. Dans la limite où nous ne pouvons plus décrire ces derniers phénomènes comme étant des pathologies nerveuses, les « névroses » authentiques vont probablement devoir bientôt, elles aussi, être enlevées de cette classe, en dépit de leur dénomination.

Tout ce qui peut avoir une influence nuisible sur les processus au service de la fonction sexuelle appartient alors à l’étiologie des névroses. Au premier plan, se trouvent les éléments nocifs qui concernent la fonction sexuelle elle-même, mais seulement dans la limite où ces derniers sont considérés comme affectant une constitution sexuelle, elle-même variable en fonction de la culture et de l’éducation. Au second plan, se trouvent tous les autres éléments nocifs et traumatiques qui peuvent, secondairement, du fait d’une affection généralisée de l’organisme, porter atteinte aux processus sexuels en cours. N’oublions pourtant pas que la problématique étiologique de la névrose est au moins aussi compliquée que l’est, d’habitude, la causalité des pathologies. Il est presque toujours insuffisant de lui attribuer une seule et unique influence pathogène ; dans la plupart des cas, il nous faut une majorité de moments étiologiques qui se soutiennent l’un par rapport à l’autre et que nous ne devons pas alors opposer l’un à l’autre. C’est pourquoi d’ailleurs il n’y a pas de franche séparation entre l’état de la maladie névrotique et la santé. La maladie est le résultat d’une sommation et la mesure des conditions étiologiques ; le contenant qui peut se remplir de multiples côtés. Il serait tout aussi partial de chercher l’étiologie des névroses exclusivement dans l’hérédité ou dans la constitution, que de vouloir élever de façon isolée les influences accidentelles sur la sexualité au rang étiologique, alors qu’en définitive il résulte que la nature de ces pathologies réside simplement dans une perturbation des processus sexuels dans l’organisme».

Vienne, juin 1905


[1] s – Dr. Leopold Löwenfeld , médecin spécialiste des maladies nerveuses à Munich.
page 241 à 251 de la quatrième édition, Wiesbaden, 1906, édition J. F. Bergmann
Quelques remarques concernant cette traduction

En mai 2010 à la recherche de ce que Freud pouvait déjà laisser entendre quant à la distinction entre la réalité et le réel, nous avons trouvé l’article : « Meine Ansichten über die Rolle der Sexualität in der Äthiologie der Neurosen » de 1905 dans un livre de Leopold Löwenfeld et -qui sait pourquoi ?- dans un premier temps nous n’avons pas vérifié si il avait déjà été traduit ou pas. Nous l’avons traduit, pas sans difficultés.

Il en existe une traduction dans les œuvres complètes. En effet, dans le volume no.VI vous pouvez trouver la traduction faite en 1984 par J. Altounian, A. et O. Bourguignon, G. Goran, J. Laplanche et A. Rauzy : « Mes vues sur le rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses ». Les différences entres ces deux traductions ne nous sont pas étrangères et ont été soumises, pour la plupart d’entre elles, à une réflexion, que nous allons partager avec vous.

Le premier problème de cette traduction a été celui du mot : « Phantasieren : Phantasien ».

Depuis Lacan, il se laisse sans soucis traduire par « fantasme » mais en ouvrant un dictionnaire, nous lisons : fantasme : Wahnvorstellungen : idées délirantes. Phantasien cela concerne des idées, des représentations imaginaires, des constructions imaginaires, des rêveries diurnes. Le fantasme, nous le savons depuis Lacan, nous renvoie à la question du désir et de l’objet cause de notre désir. Il nous renvoie à la manière dont nous traitons cet objet, nous l’abordons. Alors faut-il traduire Freud avec un vocabulaire respectant la chronologie de nos progrès, c’est-à-dire en traduisant Phantasie par fantaisie ou serions-nous autorisées à utiliser les avancés lacaniennes en traduisant « fantasme » tout en sachant que ceci posera d’autres questions ?

Dans les traductions habituelles de Lacan en allemand, le fantasme se traduit par : das Phantasma, die Phantasmen. Il ne s’agit pourtant pas d’un mot populaire de la langue allemande.

Enfin, la confrontation avec la traduction existante nous a fait hésiter quant au mot : « der Moment », le moment. Freud utilise à plusieurs reprises le mot « Moment » qui peut aussi se traduire par facteur. (cf. Altounian et coll). Nous avons gardé le mot « moment » qui apporte une note dynamique et temporelle au texte et à sa compréhension, mais qui peut être un peu perturbant dans son usage ici.

D’autres questions ont été moins perturbantes : « das Wesen » : la nature de … ou l’essence de … ? « Die Zwangsneurose » : la névrose de contrainte (cf. Altounian et coll.) ou bien la névrose obsessionnelle ? ….

Mais, toute lecture est d’abord subjective. La transformation en une écriture « neutre » est probablement de l’ordre de l’impossible. (Traductore, traditore : traduire, c’est trahir). Certains passages sont difficiles et ne se laissent qu’aborder. Le réel d’une langue ne correspond pas forcément avec celui d’une autre. Ceci constitue des difficultés qui ne peuvent que s’amplifier au cours une traduction qui exige, non seulement le passage d’un mot à un autre par le biais de la traduction mais aussi celui d’une structure linguistique à une autre et celui du signifiant et ce qui en découle : ses signifiés, variables selon les cultures et les influences culturelles auxquelles les langues sont soumises. Comme vous le savez, chaque langue a ses propres arrangements, ses variantes quant aux probabilités de répétition et de juxtaposition des lettres. Dans deux langues différentes, ce qui est perdu dans le passage d’un signifiant à un autre, c’est toujours une lettre et cette perte est invariablement soumise à une loi, mais nous ne sommes guère capables de superposer les successions de coups d’une langue à une autre. Utilisez un clavier d’ordinateur allemand : les lettres n’y ont pas la même place que chez nous. Voilà donc une aventure qui vous déplace.

L’aventure que représente une traduction effectuée à un moment précis de l’histoire humaine, captive et passionne car elle permet de replacer la langue dans un contexte temporel nouveau et pose le problème du « vieillissement » de la langue en rapport avec celui de la jeunesse des traductions. Si traduire, c’est trahir, redonner de la vivacité à un texte ancien en lui proposant une vision plus active, ne serait-ce pas respecter non seulement le texte freudien, mais aussi lui faire traverser les ans en l’amenant à nos jours ?

Nous espérons que ce texte puisse être aussi lisible dans sa traduction que dans son origine ; le texte allemand étant fluide et agréable à lire, témoigne de la « Durcharbeitung », de la « perlaboration » freudienne avec une extrême justesse.

Patricia Le Coat-Kreissig, juin 2013