Séminaire d’été 2016 – 27 août.
Marc Nacht : Introduction aux propos de Jean-René Duveau.
Marc Nacht – Je vais me permettre de faire une introduction générale, avant de passer la parole à Jean-René Duveau. Quelques mots qui peuvent paraître redondants par rapport à ce qui été déjà dit au cours de ces journées, mais je n’aborderai pas du tout la théorie. Simplement, quelle est la situation historique de ce séminaire de Lacan qui est, au fond, son premier séminaire avec un large public puisque le Professeur Delay l’avait invité à poursuivre son enseignement, qui était auparavant très privé, à Sainte Anne ? Voilà sa situation. La situation historique générale, c’est qu’en novembre [19]53, nous sommes huit ans après que la France se soit libérée du joug nazi et que la psychanalyse puisse émerger de l’ombre après un long silence. Lacan, qui était fort contesté à l’époque et exclu de l’IPA, obtenait grâce au professeur Delay, de déployer son enseignement à Sainte Anne. C’est d’emblée, car cela fait une suite à la manière dont il entretenait ses élèves précédemment, il introduit son propos par les « Petits écrits » de Freud. Ce sont des articles qui sont destinées à un public de médecins désireux de se consacrer à la psychanalyse. Ce sont finalement des conseils aux médecins, conseils qui les engagent à la plus grande prudence et à la plus grande réserve quant à prendre au pied de la lettre, au ras du sens, ce que lui-même développe dans ses écrits théoriques. Ces textes ont été publiés dans la traduction par Anne Berman, justement en 1953 en France. Vous savez qu’on la critique, mais c’était la première traduction. Quand on lit ces textes de Freud, on est quand même très frappé par les mises en garde qu’il fait, tant sur l’interprétation des rêves que sur la mise en jeu du transfert et la manière dont le praticien peut s’en servir. Par exemple, en ce qui concerne les rêves, il va nous dire que l’interprétation complète d’un rêve est une tâche absolument impossible et qu’une interprétation partielle ne peut que renforcer les résistances du sujet. On retrouve là, déjà, quelque chose qui va être développé, affiné par Jacques Lacan. Notamment en ce qui concerne le transfert. On retrouve donc dans ces « Petits écrits » de Freud des points qui vont être développés par Lacan, affinés par Lacan qui mettra l’accent sur l’expérience intersubjective qui est en jeu dans la psychanalyse. Mise en jeu qui aboutira en boucle au retour du questionnement épuré de ce qui, au départ, a poussé quelqu’un à entreprendre une psychanalyse. Je vous dis cela extrêmement rapidement, et ce n’est pas tellement mon propos de développer. Simplement pour cadrer l’époque où ce travail s’est accompli.
Mais avant de céder la place à Jean-René Duveau qui va plus particulièrement nous parler de la leçon XXI de ce séminaire qui se trouve très largement consacrée à [Saint] Augustin, j’aimerais rappeler quelques traits qui me semblent saillants de celui qui, à la fin de sa vie très mouvementée, devient l’évêque d’Hippone. C’est un homme dont la sagesse a été très profondément reconnue. Par exemple, on retrouve un dire de Maïmonide qui lui est consacré, où il est dit, en reprenant Augustin, que dans les Saints Livres il faut toujours examiner d’abord: la révélation des vérités éternelles, le récit des évènements, la prévision du futur, la pratique selon les préceptes. On a là quelque chose qui est déployé dans une succession d’ analyse des instants qui font appel à l’intelligence et à l’esprit, et qui vont d’une interprétation immédiate, une prise à la lettre, une prise au mot, jusqu’à son déploiement progressif et à travers différents stades à la fois d’approfondissement et d’association avec d’autres éléments du langage ou de la description qui permettent donc d’accéder à ce qui pourrait être un sens secret, mais qui n’est pas un sens secret, qui est simplement le sens de l’intelligence.
En ce qui concerne la vie d’Augustin, elle est tout à fait remarquable. Vous savez, sans doute, qu’il est né en Algérie dans un municipe d’Afrique romaine qui est aujourd’hui Souk-Ahras, mais qui s’appelait Thagaste. Il n’est pas fils unique, il a un frère. Ce qui est assez frappant, c’est qu’on nous apprend que son père avait fait beaucoup de sacrifices pour lui permettre de faire de bonnes études à Carthage – ce devait être très couteux à l’époque d’envoyer son fils faire des études à Carthage. Mais Augustin ne lui marque jamais beaucoup de reconnaissance. En tout cas elle n’apparait pas dans ce que j’ai pu parcourir, rapidement bien sûr. Il apparaît par contre, avant tout comme le fils de sa mère, Monica, qui était une Berbère chrétienne et très pieuse. Berbère et chrétienne… à l’époque. Il ne faut pas oublier que cela se passe en l’an trois cent et quelques, c’est le début du christianisme. C’était donc un engagement assez fort, assez militant, assez particulier, comprenant ses risques aussi.
Donc, il serait beaucoup le fils de sa mère dont certains disent qu’elle lui vouait non seulement un amour dévorant, mais trop charnel. Si dévorant que, on peut en faire l’hypothèse, le nom de la compagne avec laquelle il vécut pourtant 15 ans, est resté inconnu. Et c’est avec elle que, très tôt, il a eu ce fils nommé Adéodat « donné par Dieu ». Qu’est-ce que c’est que nommer ainsi son fils : « donné par Dieu »? Etait-ce de la part d’Augustin lui transmettre ce qui aurait pu être, au fond, le nom secret que lui aurait donné sa propre mère, « donné par Dieu » ? Ou, le nom que sa compagne aurait donné à cet enfant, puisqu’en tant que concubine elle était privée de droits, dans la législation romaine de l’époque. Enfin, on peut interroger cet « Adéodat ». Alors, laissez-moi fantasmer un petit peu… Ces mères quand même, qui ont quelqu’importance dans la destinée de leurs enfants qui sont conçus avec l’esprit du grand Autre… C’est Ève qui dit « j’ai acquis (…) un homme avec l’éternel », d’où le nom qu’elle lui donne : Caïn. Et Marie, Myriam qui peut-être après tout n’en pensait pas moins. Il y a quelque chose comme ça qui fait un peu appel du côté d’Augustin et de sa mère. Est-ce qu’il a cherché à se libérer de cet imaginaire-là ? Oui, probablement. Parce qu’il a eu une vie tumultueuse. Il essayé d’embêter sa mère, il s’est rapproché des Manichéens, il s’est enfui à Rome, sans le dire à sa mère où finalement cette dernière le rejoint. Et toujours l’agrippant, lui fait épouser une femme de bonne famille. Toujours est-il que c’est en Italie, comme il était un latiniste éminent, qu’il va se convertir au christianisme. Hors de l’attrait intellectuel exercé sur lui par Origène, j’ai trouvé que c’était la lecture de Plaute, qu’il aurait traduit en latin parce qu’il n’aimait pas le grec, qui aurait provoqué sa première extase, en 386. Je vous cite :
« En répandant en lui les parfums d’Arabie, en y allumant un incroyable incendie », « En lui faisant faire l’expérience de la transcendance » « avant qu’il ne découvre dans la Foi chrétienne l’humilité qui a amené Dieu à naître d’une femme et à mourir pour tous les hommes ».
Si je vous cite ce passage, qui est extrait d’un chapitre d’une certaine Francine Culdaut, dans un ouvrage collectif de référence qui s’intitule Aux origines du Christianisme, si je vous le cite, c’est pour la raison que le côté hallucinatoire dont il témoigne n’est pas sans analogie avec l’expérience que fit Paul de Tarse sur le chemin de Damas. Analogie aussi entre Paul, qui commença par persécuter les premiers juifs chrétiens, et Augustin qui fut proche de la police secrète du municipe romain dont il était le sujet. Mais bien sûr « comparaison n’est pas raison », surtout en ce domaine. De retour d’Italie – il a été baptisé à Milan- sa mère meurt Il va prendre très rapidement une place contemplative dans l’Église Numide. En 395, soit quatre ans après la mort d’Adéodat qui l’accompagnait dans sa foi, il sera élu par les fidèles de cette Église, Évêque d’Hippone. Augustin transmet à son fils, un texte en témoigne au plus vif, celui relevé par Lacan intitulé « De locutionis significatione discussio » – un texte admirable qui anticipe tout ce que les linguistes ont pu élaborer depuis et sur le développement de cela…Je passe la parole à Jean-René Duveau.
Transcription : Brigitte Mauboussin.
Relecture : Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour.