Ma vie et la psychanalyse (Freud 150 ans), suite
20 juin 2013

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FREUD Sigmund



Comment se faisait-il que les malades eussent oublié tant de faits de leur vie extérieure et intérieure et qu'ils pussent cependant se les rappeler lorsqu'on leur appliquait la méthode décrite plus haut (l'hypnose). L'observation répondit à ces questions d'une façon complète. Tout ce qui avait été oublié avait été pénible ou bien effrayant ou bien douloureux ou bien honteux au regard des prétentions qu'avait la personnalité. L'idée s'imposait d'elle-même : c'est justement pourquoi cela avait été oublié, c'est-à-dire n'était pas demeuré conscient. Afin de le faire redevenir conscient, il fallait surmonter quelque chose chez le malade, quelque chose qui se défendait, il fallait déployer soi-même des efforts, afin de faire pression sur celui-ci et de le contraindre. L'effort exigé du médecin était différent suivant les cas, il croissait en proportion directe de la difficulté du ressouvenir…

La doctrine du refoulement devint la pierre angulaire de la compréhension des névroses. La tache thérapeutique devait maintenant être conçue autrement, son but n'était plus l'abréaction de l'affect engagé dans des voies fausses, mais la découverte des refoulements et leur résolution par des actes de jugement, qui pouvait consister en l'acceptation ou en la condamnation de ce qui avait été autrefois repoussé. Je tins compte du nouvel état des choses en appelant cette méthode d'investigation et de guérison non plus catharsis mais psychanalyse…

La psychanalyse cependant fut contrainte, par l'étude des refoulements pathogènes et d'autres phénomènes encore qui nous restent à mentionner, à prendre au sérieux le concept d'inconscient…

L'investigation relative aux causes occasionnelles et à la motivation de la névrose révélait, avec une fréquence croissante, l'existence de conflit entre les émois sexuels de l'être et ses résistances contre la sexualité. En recherchant les causes pathogènes au sujet desquelles les refoulements de la sexualité avaient eu lieu; et dont les symptômes émanaient comme des formations substitutives du refoulé, on était ramené à des périodes toujours précoces de la vie du malade et l'on aboutissait enfin aux premières années de son enfance. Et il se révéla – ce que d'ailleurs les romanciers et les connaisseurs du coeur humain savaient depuis longtemps – que les impressions de cette toute première période de la vie, bien que pour la plupart tombées sous le coup de l'amnésie, laissaient des traces ineffaçables dans le développement de l'individu, en particulier fondaient la disposition à la névrose ultérieure. Mais comme, dans ces évènements, il était toujours question d'excitations sexuelles et des réactions contre celles-ci, on se trouvait en présence du fait de la sexualité infantile, ce qui était encore une fois une nouveauté, en contradiction avec l'un des plus forts préjugés des hommes. L'enfance doit être ‘innocente’, libre de convoitises sexuelles, et le combat contre le démon ‘sensualité’, ne commencer qu'avec la poussée de l'orage de la puberté…

Je tirai de mon expérience les conclusions justes : les symptômes névrotiques ne se reliaient pas directement à des évènements réels, mais à des fantasmes de désir; pour la névrose, la réalité psychique avait plus d'importance que la matérielle…

La fonction sexuelle était présente dès le début, elle prenait d'abord appui sur les autres fonctions vitales et s'en rendait ensuite indépendante; elle avait à accomplir une évolution longue et compliquée avant de devenir la vie sexuelle normale de l'adulte telle qu'elle nous est connue. Elle se manifestait d'abord par l'activité de toute une série de composantes de l'instinct dépendantes de zones somatiques érogènes, elle se présentait en partie par paires contrastées (sadisme-masochisme, voyeurisme-exhibitionnisme) aspirant à se satisfaire dans une indépendance réciproque, et trouvant pour la plupart leur objet dans le corps propre du sujet. Elles n'étaient ainsi d'abord pas centrées, mais principalement auto érotiques. Plus tard se produisaient des sortes de synthèses; un premier stade d'organisation était sous la primauté des composantes orales, ensuite venait une phase sadique-anale et ce n'est que la troisième phase, tard atteinte, qui donnait la primauté aux organes génitaux, ce par quoi la fonction sexuelle entrait au service de la reproduction…

Parallèlement à l'organisation de la libido progresse le processus de la recherche de l'objet, à qui un grand rôle dans la vie psychique est réservé. Le premier objet d'amour après le stade de l'auto-érotisme est pour les deux sexes la mère, dont l'organe destiné à la nutrition de l'enfant n'était sans doute pas différencié par celui-ci de son propre corps. Plus tard, mais encore dans les premières années de l'enfance, s'établit la relation du complexe d'Oedipe au cours de laquelle le petit garçon concentre ses désirs sexuels sur la personne de sa mère et voit se développer en lui les sentiments hostiles vis-à-vis de son père, qui est son rival. La petite fille prend une position analogue, toutes les variations et dérivations du complexe d'Oedipe deviennent des plus significatives, la constitution bisexuelle innée se fait jour et multiplie le nombre de tendances concomitantes. Il faut un certain temps pour que l'enfant acquière des clartés sur la différence des sexes; c'est pendant cette période d'investigation sexuelle qu'il se crée des théories sexuelles typiques, naturellement dépendantes de l'imperfection de sa propre organisation corporelle, théories qui mêlent le vrai avec le faux et ne peuvent parvenir à résoudre le problème de la vie sexuelle : l'énigme du sphinx : d'où viennent les enfants ?…

(à suivre)

Sigmund Freud