L'objet de la psychiatrie par rapport à l'objet de la psychanalyse
06 octobre 2003

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LANTERI-LAURA Georges
Textes
Psychoses-Névroses-Perversions



Pré-rapport pour le Colloque d’Evolution Psychiatrique « Psychanalyse, psychiatrie : objets perdus, objets présents » Samedi 18 et Dimanche 19 Octobre 2003 Auditorium St Germain 4 rue Félibien, 75006 PARIS

Introduction

Afin de comparer avec l’objet de la psychanalyse, tel qu’il ressort des exposés de nos amis D. Wildöcher et Ch. Melman, et des discussions qui les ont suivis, nous allons essayer de préciser comment nous pouvons situer l’objet de la psychiatrie tel qu’il apparaît au début du XXI° siècle. Par objet de la psychiatrie nous entendons, d’une manière un peu conventionnelle, ce dont s’occupe concrètement la pathologie mentale contemporaine, à la fois en tant que clinique, comme thérapeutique, mais aussi à titre de réflexion psychopathologique concernant cette thérapeutique et cette clinique. Nous tâcherons d’abord de repérer la psychiatrie elle-même, afin de savoir ce que nous entendons par ce terme ; puis nous essayerons de le replacer dans une évolution historique que nous ferons débuter à la fin du Siècle des Lumières et nous tenterons d’élucider ses liens éventuels avec quelques disciplines voisines. Peut-être pourrons nous alors nous interroger sur les relations possibles de l’objet de la psychiatrie avec l’objet de la psychanalyse.

1. Repérage de la psychiatrie

Quels que puissent être les rapports légitimes de la psychiatrie avec la médecine, nous ne pouvons pas nous représenter cette psychiatrie comme la lésion d’un organe ou comme l’atteinte d’une fonction. Nous aurons peut être à revenir sur les relations de la psychiatrie avec le système nerveux central, depuis les spéculations de G. Cabanis et d’E. Georget, jusqu’à la neuropsychologie contemporaine, mais nous ne saurions prétendre que la psychiatrie s’identifiât purement et simplement à l’atteinte du cortex cérébral, sans commettre une pétition de principe et l’assimiler hâtivement à la neurologie. De la même manière, et alors sous les auspices de X. Bichat, nous ne pourrions soutenir que la psychiatrie correspondît à une atteinte de certaines fonctions de la vie de relation, sans nous placer ainsi à un niveau tel de généralité qu’il n’en pût alors plus rien signifier de positif ni de précis.

La quête d’une définition se révèle tout aussi illusoire. Avant ce mot de psychiatrie l’on usait des locutions de pathologie mentale et de médecine mentale, et l’on sait que psychiatrie est un emprunt à la langue allemande, qui l’avait forgé à partir d’une étymologie polysémique, car si Médizin signifie bien « médecin », qui pourrait savoir si Seele veut dire « âme » dans l’acceptation d’Aristote, qui en distinguait d’ailleurs trois, ou de cette âme immortelle et pécheresse, créée par Dieu, depuis le péché originel, ou encore celle que Luther ne justifiait que par la foi, sans parler du mens sive animus des cartésiens.

Nous nous trouvons ainsi réduits à ce que nous pourrions nommer un empirisme historique a posteriori. Remarquons à ce propos que s’il existe de nombreuses cultures dépourvues de tout ce qui pourrait ressembler à quelque chose comme la psychiatrie, par contre nous n’en connaissons pas qui ne possède une ou plusieurs représentations de quelque chose comme la folie, avec ou sans références au surnaturel.

Or, dans la civilisation grecque, puis hellénistique et enfin romaine, la folie tient une place assez définie, le plus souvent envisagée comme l’effet de la vengeance, voire du caprice, exercé par les dieux. Ainsi, Héra, jalouse des innombrables infidélités de Zeus, déteste Héraklès, produit des amours de son divin époux avec Alcmène, d’ailleurs à l’insu de cette dernière. Pour frapper durement Héraklès, elle le rend fou, si bien qu’il confond ses propres enfants avec ceux de son ennemi et qu’il les tue, ne les identifiant pas pour les siens. Dans un autre contexte, Apollon et Artémis, protecteurs de Troie, assiégée par les grecs coalisés, rendent fou Ajax qui, du fait même de cette folie, massacre les boeuufs et les moutons qui servaient de vivres pour nourrir l’armée des grecs. Dès lors, la chute d’Ilion s’en trouve longtemps retardée.

Or, dès l’époque impériale, des penseurs, comme Cicéron, et des médecins comme Celse ou Sextus Empiricus, font remarquer, sans rien ôter aux pouvoirs présumés des dieux, que certains malades, victimes d’intoxications exogènes ou à l’acmé d’une affection hyperpyrétique, peuvent ressentir des illusions sensorielles, prendre des ovins pour des militaires et des proches pour des ennemis. Dès lors, tout en respectant des légendes vénérables, l’homme de science peut se demander si et alors sans intervention divine, la médecine ne pourrait pas rendre compte, au moins dans certaines occurrences, de certains cas où la culture repère traditionnellement la folie. C’est, estimons-nous, le début de la psychiatrie dans la civilisation classique, et, grâce aux byzantins, aux juifs et aux arabes, elle se retrouve à plusieurs reprises, durant le Moyen Âge, la Renaissance, l’Âge classique, l’Aufklärung, le positivisme et l’Époque moderne. La médecine, à chacune de ces périodes, prétend pouvoir rendre compte, de façon partielle ou totale, de ce que la culture tient alors pour folie. Nous pourrions dire que ce mouvement, à la fois laïque et rationnel, utilise la connaissance de la phusis, pour interpréter le nomos, si bien que, dans une certaine perspective, la psychiatrie en arrive à constituer la vérité de tout ce que la folie comprend comme préjugés et comme erreurs.

L’on peut d’ailleurs estimer qu’une partie de la folie échappe à cette réduction et que la discipline qui explique la folie comme phénomène naturel doit se dégager de la médecine ; mais il n’en reste pas moins qu’à ses origines c’est bien de la médecine qu’elle relève. Cette longue démarche ne nous a point fourni quelque chose comme la définition authentique de la psychiatrie, mais elle nous permet maintenant de la situer dans l’histoire des connaissances comme cet effort renouvelé de fournir un savoir et un savoir-faire autonomes et objectifs sur ce que la culture désigne par le terme de folie.

2. Un abord historique

Nous allons donc maintenant préciser cet objet de la psychiatrie grâce à une démarche qui en situe l’apparition dans la culture et la pratique scientifiques modernes, à partir de la fin du siècle des Lumières, jusqu’à la période actuelle, avec une date charnière, novembre 1977, celle de la mort d’Henri Ey, à qui nous devons l’ultime tentative rationnelle pour fournir, avec l’organo-dynamisme, une conception globalisante de la psychiatrie.

Nous allons d’abord éclaircir la nature exacte de notre démarche. Puis nous rappellerons de façon cursive l’évolution récente de notre discipline, selon l’enchaînement de trois paradigmes assez significatifs. Enfin, nous devrons envisager le sens et la portée de l’hétérogénéité radicale et irréductible du champ actuel de la psychiatrie, tel qu’il apparaît au bout de cette évolution.

2.1. Nulle philosophie de l’histoire légitime

Nous devons commencer par une mise en garde à laquelle nous tenons beaucoup. Nous allons nous guider sur une certaine périodisation qui nous a déjà servi dans d’autres travaux, et qui nous semble commode pour introduire une certaine chronologie différentielle, depuis la nomination de Ph. Pinel à Bicêtre, à l’automne 1793, jusqu’à la date du présent Colloque. Sans autre prétention, il s’agit de reconnaître que l’ensemble de la psychiatrie de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord peut s’étudier comme la succession de trois périodes marquées chacune par le paradigme qui régit toute la pathologie mentale correspondante : l’aliénation mentale, maladie unique résumant toute la psychiatrie sous une seule espèce (1793-1854) ; les maladies mentales, caractérisées par une pluralité irréductible d’espèces naturelles (1854-1926) ; les grandes structures psychopathologiques, réorganisant la multiplicité par l’usage du concept opératoire de structure (1926-1977) ; jusqu’à l’ère actuelle de la psychiatrie post-moderne.

Mais il ne saurait s’agir ainsi que d’une périodisation pratique, permettant de subsumer plusieurs notions sous une référence simple et opératoire. Il nous semble essentiel, en suivant sur ce point l’oeuuvre de notre maître B. Croce, de bien saisir qu’il ne pourrait à cet égard être question d’une philosophie de l’histoire de la psychiatrie, mais d’un simple procédé d’exposition. Aucune histoire ne saurait dépendre d’un point de vue a priori, mais seulement résulter des données effectives d’une érudition critique.

2.2. Les paradigmes de la psychiatrie moderne

À la suite des travaux de T.S. Kuhn, nous entendons par paradigme non pas une doctrine particulière, opposable à d’autres doctrines, mais une conception d’ensemble de la pathologie mentale, qui la règle pendant toute une période et permet que des théories s’y manifestent.

À la fin du siècle des Lumières le premier paradigme qui se présente à l’historien de la psychiatrie, aussi bien avec les travaux de V. Chiarugi à Florence qu’avec ceux de Ph. Pinel à Bicêtre, c’est celui de l’aliénation mentale. Il concerne ce que la médecine de l’Aufklärung peut expliquer de la folie : c’est une maladie, mais une maladie unique, en dépit de ses variétés (manie, mélancolie, idiotisme et démence) ; cette maladie, radicalement distincte de toutes les autres maladies que comporte alors la médecine, constitue à elle seule l’ensemble d’une spécialité ; elle doit être traitée dans une institution spécifique qu’il faudra créer et qui ne recevra pas d’autres malades que des aliénés ; seul s’y trouvera mis en oeuuvre le traitement moral de la folie, qui s’adressera à ce qu’il reste toujours de non-aliéné dans le plus aliéné de ces malades. De plus, et quelle qu’ait pu être sa conduite, l’aliéné ne doit jamais relever de la justice pénale : c’est un malade à traiter et à guérir, et non un malfaiteur à sanctionner.

Trois remarques doivent compléter ces précisions. D’une part, nos illustres prédécesseurs étaient fort optimistes et considéraient que si la maladie ne remontait pas à plus de six mois et si le patient n’avait pas subi les traitements physiques, malfaisants et absurdes qu’on infligeait dans les Hôtels-Dieu, la guérison était acquise dans au moins 90 % des cas. D’autre part, l’opposition de l’acuité à la chronicité, qui deviendra cardinale par la suite, ne paraissait pas pertinente à l’époque et la durée ne semblait pas une caractéristique significative. D’autre part, enfin, comme il n’y avait pas de types cliniques à différencier les uns des autres, il n’existait pas, à proprement parler, de sémiologie (une combinatoire de signes), mais seulement des vignettes cliniques vivantes et originales. Notons aussi que la question d’une étiologie éventuelle n’y tenait guère de place. On se souciait davantage de facteurs favorisant, physiques ou moraux, comme les coups sur la tête, l’abus des plaisirs vénériens ou une éducation trop rigide. Quant au cerveau, on n’en savait, à vrai dire, pas grand chose, les uns en usaient avec discrétion, tandis que d’autres, comme E. Georget, en attendaient tout.

Ce paradigme domina toute la pathologie mentale de la première moitié du XIXe siècle, en pratique de 1793 à 1854. Il subissait peu à peu les critiques dirimantes, dont J.P. Falret a été l’auteur le plus intelligent, mais aussi le plus acharné. Il reprochait à cette aliénation mentale d’éloigner définitivement la psychiatrie de l’évolution positive que l’École de Paris avait su donner à la médecine, depuis le Consulat, avec la méthode anatomo-clinique, la création d’une sémiologie active, fondée surtout sur les signes physiques et permettant de séparer les unes des autres ces espèces morbides naturelles que constituaient les maladies ; J.P. Falret, et bien d’autres, y voyaient un modèle à suivre, et rejetaient ainsi l’unicité de la pathologie mentale qu’imposait la notion d’aliénation. En 1854 il publia à la fois « De la non existence de la monomanie », où il rompt définitivement avec le paradigme de l’aliénation mentale, et « La folie circulaire », où il fournit au monde médical européen un premier exemple de maladie mentale, individualisée par sa sémiologie, par sa clinique et par son évolution.

De 1854 à 1926, la psychiatrie va se trouver dominée par le paradigme des maladies mentales, envisagées dès lors au pluriel. L’élément spécifique de ce nouveau paradigme tient à la pluralité irréductible des diverses affections qui constituent alors ce que la médecine repère dans le domaine de la folie. Il en résulte nécessairement l’exigence d’un système original de signes spécifiques, en partie au moins organisés dans une structure sémiologique ; cette structure permet alors de caractériser des espèces morbides irréductibles les unes aux autres, spécifiées chacune pour son compte par un groupement original de signes, par une évolution propre et, au moins dans certains cas, par une étiologie définie. Il en résulte alors trois modifications significatives.

D’une part, l’on commence, de façon parfois maladroite, à s’intéresser aux étiologies et c’est durant ce paradigme que l’on sépare les organogenèses des psychogenèses, bien que les plus prudents, comme Ph. Chaslin, sachent faire une large part aux maladies mentales, de cause inconnue. D’autre part, l’on doit introduire un certain ordonnancement dans la diversité de ces maladies mentales, et c’est pourquoi l’on cherche à élaborer une bonne nosologie, à mi-chemin entre une simple table des matières et une taxinomie systématique. D’autre part, enfin abandonnant l’unité du traitement moral de la folie, l’on tente de mettre au point certaines pratiques thérapeutiques codifiées, et c’est de ce second paradigme que date l’opposition pertinente des thérapies physiques et biologiques et des psychothérapies. Observons à ce propos que, si nous reconnaissons une place singulière à l’impaludation dans la paralysie générale, cette opposition pertinente revient à celle de la cure de Sakel et de la sismothérapie, d’une part, et de la psychanalyse de l’autre.

1926 marque, à notre modeste avis, le passage au paradigme des structures psychopathologiques, car c’est l’année où, au Congrès de Génève-Lausanne, E. Bleuler vient exposer en français sa conception de la schizophrénie, qui s’inspire de la Théorie de la Forme et de la pensée globaliste de K. Goldstein, et cherche, en se référant aussi à la phénoménologie, à concevoir l’ensemble de la psychiatrie comme organisé par quelques structures psychopathologiques fondamentales : opposition assez rigoureuse des structures névrotiques aux structures psychotiques, complétée par les démences et les oligophrénies. Il s’agit alors d’une conception de la totalité du champ de la pathologie mentale qui, tout en reconnaissant une diversité légitime, mais secondaire, des espèces morbides, fait porter tout l’accent sur l’unité psychopathologique du domaine en cause. Nous croyons pouvoir dater son terme de l’automne 1977, quand meurt Henri Ey, dont tous les travaux illustrent parfaitement ce paradigme.

Ensuite, nous ne savons plus si l’on peut encore parler de paradigme, et c’est pourquoi, non sans une facilité peut-être discutable, nous avons fini, pour notre propre compte, par employer cette locution bien malencontreuse de psychiatrie post-moderne.

2.3. Une hétérogénéité irréductible

Jusqu’à ce point de nos réflexions, nous avons éludé un peu trop facilement deux questions bien malaisées à résoudre, celle de savoir si le champ de la psychiatrie s’avère homogène ou non, et celle de préciser, dans l’une ou l’autre occurrence, comment il convient de le délimiter avec des frontières qui constituent le moins possible des zones franches et des condominia. Envisageons d’abord la question de l’homogénéité ou de l’hétérogénéité du champ de la psychiatrie. Durant le paradigme de l’aliénation mentale, pareille interrogation ne peut avoir de sens, puisque tout le champ considéré relève d’une seule catégorie, celle de l’aliénation mentale, catégorie dont les quatre aspects : manie, mélancolie, idiotisme et démence, n’entament en rien l’unité consubstantielle. Une par essence, cette aliénation ne saurait être qu’homogène. La question commence à poindre, puis à se développer, avec le passage au paradigme des maladies mentales au pluriel, et V. Magnan avait tenté de s’en sortir en distinguant ce qu’il appelle les états mixtes de ce qu’il nomme les folies proprement dites. Les secondes résultent, au moins en partie, d’un démembrement de l’aliénation mentale en maladies ou syndrome, tenus plus pour irréductibles que pour apparentés, comme la mélancolie stuporeuse et les états confusionnels, tandis que les premiers relèvent des maladies mentales parce que, à l’exemple du delirium tremens, elles ne peuvent pas être traités en dehors des établissements réservés aux malades mentaux, en raison de la compétence des personnels et de la gestion des troubles du comportement ó c’est-à-dire pour des raisons extrinsèques. Néanmoins, le domaine de la psychiatrie durant le paradigme des maladies mentales se délimite à peu près, d’une façon plutôt empirique, qui aboutit à une taxinomie pratique, toujours en usage, où l’on distingue les névroses, les psychoses, les démences et les états d’arriération. Le centre du domaine est bien défini par son contenu, mais sa périphérie reste inévitablement floue, selon ce dont la culture demande au psychiatre de s’occuper ou de négliger.

Avec le paradigme des grandes structures, une certaine unité et une certaine spécificité se rétablissent, et l’oeuuvre de H. Ey en constitue la dernière et la plus grandiose synthèse, celle qui définit la psychiatrie, sans métaphore, comme pathologie de la liberté.

La psychiatrie post-moderne restera incertaine sur la délimitation légitime de son champ et la demande sociale se fera de plus en plus étendue et de plus en plus exigeante, sans véritable principe d’inclusion ni d’exclusion.

Nous devons d’ailleurs reconnaître que depuis le passage de l’aliénation mentale aux maladies mentales ce champ apparaît comme de moins en moins homogène, sauf peut-être pour la sémiologie et la clinique, car c’est avec les mêmes repères sémiologiques et cliniques que nous étudions une amnésie, même si, dans certains cas, nous aboutissons au diagnostic d’amnésie psychogène, et dans d’autres à celui d’amnésie par lésions temporales. Pour le reste : pathogénie, physiopathologie, psychopathologie, étiologie et thérapeutique, tout se révèle d’une hétérogénéité radicale et irréductible.

Dans la même perspective, il ne nous paraît plus possible de soutenir l’hypothèse d’une unité du champ de la psychiatrie car que trouverions-nous de commun entre un état dépressif réactionnel et un état d’arriération profonde d’origine génétique ? C’est pourquoi nous avons parlé à plusieurs reprises d’épistémologies régionales, sans qu’il existe effectivement une épistémologie englobante, qui deviendrait capable de subsumer toute la psychiatrie.

3. Rapports avec d’autres disciplines

Chacun sait depuis longtemps que la psychiatrie entretient de nombreux rapports avec des disciplines voisines, comme, à l’évidence, la psychanalyse et la neurologie clinique, mais aussi l’anthropologie, la linguistique, la psychologie génétique, l’éthologie comparée, la génétique biologique, la criminologie et bien d’autres domaines de recherche et de praxis. Nous n’avons pas ici à en faire la liste exhaustive, mais nous tenons à proposer deux remarques significatives.

D’une part, ces diverses pertinences peuvent se classer en intrinsèques et extrinsèques, selon qu’elles aient pris leur origine dans la psychiatrie ou ailleurs. La première occurrence est, nous semble-t-il, le cas de la psychanalyse, dont les débuts à Vienne, ont consisté d’abord dans la mise au point d’une thérapeutique de l’hystérie renonçant à l’emploi de l’hypnose ; il en est résulté plus tard de tout autres développements, mais c’est bien ainsi que tout y a pris son origine. La seconde est, par exemple, la réflexologie d’I.P. Pavlov, dont l’importance se trouve stupidement méconnue en psychiatrie, mais qui prend sa source dans l’étude des réflexes conditionnés chez le chien. Nous pourrions faire une remarque voisine à propos de la théorie de l’information.

D’autre part, les relations de la psychiatrie avec ces diverses connaissances ne réalisent jamais un rapport de subordination. Il ne peut y avoir de connaissance des états démentiels sans anatomie pathologique du cortex, mais l’anatomie pathologique du cortex ne fonde pas la clinique et la pathologie des états démentiels. On ne saurait pas plus étudier la pathologie psychiatrique du langage sans recours à la linguistique, et, en particulier, à la linguistique structurale, mais la linguistique structurale, si elle éclaire de telles investigations, ne saurait leur servir de fondement.

Pareils liens ressemblent un peu à ceux qui se tissent entre l’histoire et ce que, depuis longtemps, et sans que l’épithète fasse illusion, on nomme les sciences auxiliaires de l’histoire. La numismatique, par exemple, ou encore l’héraldique rendent de grands services à l’établissement d’une connaissance historique rigoureuse, en particulier pour ce qui concerne la période médiévale dans l’Europe de l’Ouest. Cependant, l’une comme l’autre constituent des disciplines tout à fait autonomes, en grande partie indépendantes de l’histoire elle-même, mais ne prétendent à aucun moment fonder la connaissance historique.

Epilogue

Nous avons ainsi proposé une élucidation de l’objet de la psychiatrie, par une démarche empirique, a posteriori et sans présupposé initial. Nous avons alors compris que ce que nous entendons actuellement par psychiatrie résulte d’une longue histoire, où la médecine s’est beaucoup compromise, et de plusieurs manières, mais sans que la psychiatrie soit entièrement réductible à la médecine. Depuis plus de cent dix ans la psychiatrie entretient des rapports à la fois de conflits et d’alliances avec la psychanalyse et avec la neurologie, et nous avons essayé de les éclaircir.

Nos efforts pour situer l’objet de la psychiatrie par rapport à l’objet de la psychanalyse nous ont permis de comprendre ainsi que nous ne pouvions y apporter de réponse simple et tranchée, mais que nous devions essayer de montrer en quoi ces objets se montraient à un premier regard comme des objets très différents, et à un second regard comme des objets apparentés, mais d’une parenté complexe et subtile.

Georges Lanteri-Laura – Chef de Service honoraire à l’Hôpital Esquirol, Ancien Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, Ancien Président de l’Evolution psychiatrique