Littoral
13 mai 2010

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CATHELINEAU Pierre-Christophe
Textes

J’ai voulu intituler mon intervention, sur la Méditerranée « Littoral ». Était-ce pour indiquer que l’objet de mon étude serait : le littoral méditerranéen, ces côtes parfumées qui entourent une mer intérieure ? Mais alors, qu’adviendrait-il du discours analytique dans une description qui pourrait s’apparenter à un documentaire géographique?

Donc si j’interroge le littoral, c’est sa racine latine « litus », qui m’intéresse – génitif « litoris » – dont la signification, vous le savez, est celle de rivage, de littoral, de bord. Puis, ce qui est assez curieux – Lacan l’avait noté, vous vous souvenez, dans le texte célèbre « Lituraterre », c’est que quatre mots au-dessus de « litus », dans le dictionnaire latin, vous avez la racine « litura » qui signifie « rature », et qui signifie « reproduction en fac-similé des lettres intactes et des « ratures ». Puis encore un peu plus haut, juste au-dessus, il y a « littera », caractère d’écriture ; « litterae » même, « toute espèce d’écrit : lettre, missive, épître ». Donc il y a une continuité et une contiguïté littérales entre, je dirais, ce « litus », cette rive, ce bord, et cette « littera », cette lettre. Il y a une contiguïté littérale entre le littoral et le littéral comme le dit Lacan dans Lituraterre.

Alors, la question est effectivement : quelles sont les caractéristiques de ce bord ? Je vous parle d’un bord, je vous parle d’une rive, celle de la Méditerranée : quelles sont ses caractéristiques topologiques ? La seule question qui nous intéresse, au-delà des représentations classiques du monde méditerranéen, par exemple au-delà du paradigme philosophique nietzschéen mesure / démesure, c’est au fond, sur quelle surface ce bord peut-il être appréhendé et quelles sont les caractéristiques de cette surface ?

Alors nous savons qu’il y a pour Lacan une manière assez simple de penser ce bord. En l’inscrivant par exemple sur une bande de Möbius. La bande de Möbius unit, en tous points de sa surface, un envers et un endroit. Ce qui veut dire qu’en suivant l’envers, on retourne à l’endroit. Si par exemple l’envers, ce sont les cultures européennes de la Méditerranée, occidentales ; l’endroit, que certains échanges linguistiques et commerciaux – voire religieux – permettraient, serait les cultures issues de l’islam ou du judaïsme.

Ainsi le sujet musulman par exemple aurait accès à son Autre sur la même face de son parcours spirituel, accès à cet Autre, qu’est pour lui le monde juif ou le monde chrétien.

Quelle est cette hypothèse bizarre ? Cette configuration topologique qui permet à un sujet de rencontrer l’altérité sur la même face de son parcours spirituel et qui indique une certaine unité topologique entre l’envers et l’endroit. A-t-elle vraiment eu lieu en Méditerranée ? Est-ce qu’elle a eu lieu ? C’est une question.

Vous voyez, poser cette question, c’est chercher une période de référence où il a été possible de rencontrer l’altérité de telle sorte que cette altérité ne soit pas perçue comme adverse, dans un autre espace, sur une autre face de la bande, d’une bande qui au lieu d’être moebienne serait biface. Cette période a sans doute existé. Cette période a peut-être été celle du Xe siècle, où un philosophe juif, Maïmonide, se servait de références de la philosophie musulmane pour construire une théologie qui s’adressait essentiellement à ses coreligionnaires. Vous savez que Maïmonide a quitté très jeune Cordoue et est allé s’installer en Égypte, et que c’est là qu’il a écrit le Guide des égarés, en prenant appui sur cette altérité islamique pour élaborer ce qui concernait très précisément le sujet juif. Alors cette démarche intellectuelle a également été suivie par un penseur musulman qui est aussi une de nos références classiques désormais à l’Association, Ibn Ruschd, qui dit explicitement s’inspirer des auteurs non chrétiens pour construire sa démonstration rationnelle du Traité décisif. Et ainsi le sujet musulman prend appui sur l’altérité logique grecque, aristotélicienne, pour penser ce qu’il en est de la relation de la raison avec la foi.

La même démarche est suivie à Paris un siècle plus tard par saint Thomas d’Aquin illustrant un type de relation à l’altérité culturelle qui mérite le nom de relation moebienne. La manière dont chacun de ces auteurs s’appuie sur l’altérité, aristotélicienne d’abord, puis selon leur civilisation juive, chrétienne ou musulmane, pour construire leur démonstration nous montre ainsi qu’il passe sans changer de face, d’un endroit à un envers et ce mode de raisonnement est indicatif de cette unité topologique auquel fait référence le titre de ces journées. Ce n’est pas celle du cercle ou de la sphère, de quelqu’Un englobant, mais c’est l’unité topologique d’une bande de Moebius entre un endroit qui est également un envers. Certes cette unité topologique qui fut une unité de courte période et réservée certainement à une élite : c’est une unité de type moebien. L’unité spirituelle de la Méditerranée est plus essentielle que l’évidence de sa diversité, c’est en tout cas ce que suggère le maniement de la bande de Moebius à propos de la Méditerranée.

Et pourtant, il y a une diversité des monothéismes. Cette diversité des monothéismes fait que ce bord peut se comporter comme un bord qui n’est pas moebien. Car cet espace n’est que très rarement moebien. Le sujet est accoutumé en Méditerranée à rencontrer son altérité que sur un mode où l’envers ne communique pas avec l’endroit. De quelle structure s’agit-t-il, puisque ce n’est pas une bande de Moebius ?

La structure qui évidemment vient à l’esprit, c’est une bande biface. Une bande biface, de telle sorte que ce littoral délimite une frontière entre un endroit et un envers, entre par exemple le monde chrétien et le monde musulman. Et que l’endroit et l’envers se comportent l’un par rapport à l’autre comme un dedans et un dehors, un mur mitoyen derrière lequel vit l’adversaire. Car c’est une chose d’être structuré comme un espace à une seule face, et c’est une autre chose d’être structuré comme un espace biface. Je crois que si Braudel avait disposé de cet objet topologique, un certain nombre de paradoxes de l’histoire méditerranéenne – qu’il souligne dans son ouvrage sur la Méditerranée – lui seraient certainement apparus, car je crois qu’il y a une certaine pertinence à penser la topologie de la Méditerranée sur le mode du bord.

Ainsi à partir du VIIe siècle ap. J-C, il y a ces guerres de conquête qui permettent à l’islam de s’étendre autour du pourtour oriental de la Méditerranée au détriment du christianisme et engagent un mouvement de colonisation territoriale et politique tout à fait remarquable ; puis, les croisades et la tentative jamais réussie d’une reconquête des territoires annexés par l’islam avec ce long vis-à-vis à la période moderne entre l’Europe et l’empire ottoman, fait de batailles navales, Lépante en particulier, et de négociations. Vous connaissez la place très particulière de Venise dans cet échange méditerranéen où Venise a été effectivement tentée par l’empire ottoman et a hésité très souvent dans ses alliances entre, je dirais, l’alliance avec le saint empire romain germanique et l’alliance avec l’empire turc.

Alors Braudel décrit l’histoire de la Méditerranée et des monothéismes comme une histoire faite – il le dit – d’affrontements et de guerres sans merci. Et c’est ce trait structural que je souhaiterais retenir pour indiquer qu’il est précisément celui de la bande biface où l’autre, celui qui est de l’autre côté du littoral, est l’ennemi à vaincre ou à conquérir à coups de textes révélés et d’expéditions militaires. Il n’est pas certain que nous soyons sortis de cette structure topologique de la bande biface.

Une remarque topologique doit être faite ici, qui concerne la propriété de la bande de Moebius.

Il est possible de penser ce littoral comme un littoral moebien. C’est peu ou prou ce qu’il a été pendant la période de l’empire romain. Mais ce littoral moebien partage avec la bande de Moebius la propriété de se transformer en une bande de Moebius nouée, olympiquement, à une bande biface, pour peu que l’on fasse passer la coupure sur la bande de moebius initiale à proximité de ce bord. Si vous découpez la bande de Moebius de cette manière, vous avez une bande de Moebius et une bande biface. Pour le dire autrement, le littoral méditerranéen a su allier les propriétés d’un bord moebien avec les propriétés d’une bande biface en une alternance d’échanges dialectiques d’une civilisation à l’autre, sans rupture entre l’endroit et l’envers, et d’affrontements avec rupture. De ce point de vue le destin de Venise est exemplaire, qui durant plusieurs siècles hésita entre l’allégeance pure et simple à l’Europe et ses liens privilégiés avec l’empire ottoman. La question est donc de savoir ce qui a légitimé cette topologie du bord et il est facile de répondre que la nature de cette bande biface ou moebienne a essentiellement – et c’est pour ça que je commençais par là – dépendu de la lettre. C’est à la lettre précisément, que la structure biface ou moebienne a dû sa configuration.

En effet : « La lettre – vous vous en souvenez – est littorale plus proprement, soit figurant qu’un domaine tout entier fait pour l’autre frontière, de ce qu’ils sont étrangers, jusqu’à n’être pas réciproques ». C’est une citation de Lacan (1). En tout cas il n’est pas indifférent que ce soit précisément sur le pourtour méditerranéen, avec cette structure de bord agonistique que j’ai évoquée, que soit née l’écriture alphabétique phénicienne ou sémitique. Et il y a plus qu’une parenté entre cette structure de bord et l’émergence du littéral sur le littoral. Ajoutons que cette littéralité a revêtu une dimension monothéiste lorsque la Torah fut rédigée en hébreu, les Évangiles en grec et le Coran en arabe, rendant ainsi le Dieu Un dans le Réel redevable à une lettre diffractée de sa transmission. C’est pour ça que j’utilisais le terme de « diffraction » de l’Un, car la diffraction de l’Un, elle est liée à la lettre, au texte littéral. Il y a cette propriété remarquable de la lettre soulignée par Lacan, de rendre l’altérité étrangère au bord qu’elle délimite, et pour peu que l’altérité de l’endroit ne rejoigne pas son envers, il y a donc de fortes chances pour que le texte délimite les frontières infranchissables de ce bord. Et le bord, c’est tout simplement le bord qui s’établit entre une culture et une autre. C’est ce qui est advenu entre l’islam et la chrétienté, et entre la chrétienté et le judaïsme, durant des périodes où l’altérité de l’autre civilisation n’était pas reconnue comme étant du même bord. Bien cette structure n’est pas nécessaire, mais elle a prévalu.

Est-ce un trait monothéiste ? En tout cas, l’un des traits du monothéisme, c’est la délimitation de frontières symboliques, fortes, entre les religions, qui se traduit – comme l’avait rappelé lors de précédentes journées de Fès, Ali Magoudi – par le fait que l’appartenance à une religion donnée – là, j’arrive à un point qui concerne le lien de la lettre au sexe- implique une stricte endogamie. C’est-à-dire : à l’intérieur de cette religion, il n’y a pas d’échange de femmes entre musulmans et chrétiens, entre juifs et musulmans, entre juifs et chrétiens. C’est une stricte endogamie religieuse. Il y a même interdiction à mariage, au moins dans ce qu’atteste la tradition récente, puisque vous le savez, dans la Bible, il est fréquent qu’un tel personnage essentiel épouse une non juive, mais qu’en tout cas les trois traditions s’accordent sur la durée pour refuser avec l’autre civilisation l’échange des femmes. Sauf, vous le savez, conversion – et ça n’est pas sans poser des problèmes – de l’un ou l’autre membre du couple. C’est encore là l’une des conséquences de cette topologie particulière du littoral, l’envers et l’endroit ne se rejoignent pas.

Est-ce spécifique des monothéismes en Méditerranée ? Pas nécessairement. Si par exemple nous nous penchons sur ce texte magnifique qu’est l’Iliade, il est on ne peut plus clair que la question de l’échange des femmes est une problématique centrale de l’Iliade. C’est même la problématique de l’Iliade.

L’Iliade commence par cette question en son Chant I : Agamemnon, chef des Achéens, retient prisonnière la fille d’un prêtre troyen d’Apollon et le dieu envoie la peste sur l’armée. Le devin Calchas révèle la cause du mal et Achille adjure de rendre la prisonnière. Agamemnon finit par y consentir mais prend en dédommagement Briséïs, la captive d’Achille. Furieux, celui-ci se retire sous sa tente et invoque sa mère, la déesse Thétis. Celle-ci obtient de Zeus la promesse d’une victoire troyenne.

Au chant III, il y a un habile rappel du motif de la guerre de Troie, qui est effectivement le fait que Pâris est pris de frayeur à la vue de Ménélas dont il a enlevé l’épouse, Hélène. Il propose de régler le conflit par un duel qui l’oppose à Ménélas.

Dans ces deux chants c’est la circulation des femmes entre les cités qui est en cause et qui est à l’origine de la guerre. L’enjeu de ces chants est en tout cas de montrer que le passage d’une femme d’une cité vers l’autre, d’un clan vers l’autre, entraîne la guerre, comme si le modèle des structures élémentaires de la parenté en Méditerranée, depuis Homère, devait être endogame. Comme si l’exogamie ne pouvait en aucun cas être la règle et qu’elle entraînait nécessairement l’affrontement. Il y a donc cette question, à l’orée de l’antiquité grecque, de la pertinence des échanges exogamiques. Mais cette question de l’Iliade renvoie à une ancestrale problématique de l’espace méditerranéen rappelé par Braudel à la fin de son ouvrage, dans un chapitre intitulé d’ailleurs « Espace », de son livre sur la Méditerranée L’Espace et l’Histoire. Que nous dit-il à propos des femmes ?

« En Méditerranée la double valorisation de la chasteté et de la fécondité renforce le caractère sacré de la maison, dont les limites géographiques se confondent avec celles de l’honneur ». Ce n’est pas exactement l’honneur aristocratique dont il parle. En Méditerranée, l’honneur a le même prix pour l’ensemble de la société, pour les pauvres et pour les riches. Il y prend un sens concret, objectif, lié à un certain nombre de critères matériels bien définis, comme la chasteté. À l’image des murs de la maison, il est perçu comme une cloison, une barrière qui met l’individu et le groupe à l’abri des attaques extérieures. Il est vrai, que comme celle de la Rome antique, la société musulmane reproduit, d’une certaine manière, la structure patrilinéaire des lignages agnatiques, liée à ses origines bédouines. Il s’agit de ce qui caractérise une famille descendant d’un même ancêtre masculin. Le lignage est dit agnatique et patrilinéaire quand il suppose un ancêtre masculin. Et l’échange des femmes, entre ces espaces fermés, obéit à des règles rigoureuses, dans un espace clos. Dans la forme la plus réservée, c’est la plus stricte endogamie dans l’islam qui donne la préférence aux cousines parallèles patrilatérales – les filles de l’oncle paternel – et permet d’empêcher le morcellement et la dispersion des biens du groupe. Prendre des femmes au lignage voisin par la violence ou l’autorité renforce l’honneur du groupe, en céder la diminue.

La question que ne pose pas Braudel est de savoir si cette transmission patrilinéaire est compatible avec le rôle d’une mère toute-puissante à l’intérieur de son foyer. Notons que la fécondité maternelle se trouve reconnue, valorisée, exaltée, comme une puissance mystérieuse et magique, tour à tour protégée par un ensemble de rites destinés à la défendre ou à l’abolir. Braudel rappelle avec pertinence que c’est même l’enjeu d’un culte dans toutes les vieilles religions méditerranéennes polythéistes de la Terre mère, Artémis d’Éphèse aux seins multiples, la Déméter grecque et sa fille Proserpine épousée par Hadès, la Cérès romaine, qui adjoignent à celles-ci un parèdre normalement masculin, divinité de second rôle condamnée à mourir et à renaître chaque année comme la végétation. Maîtresse du cycle, et de la naissance, et de la mort, la femme entretient un rapport privilégié avec les puissances souterraines. Il est en tout cas remarquable que dans cet environnement patrilinéaire subsiste une menace qui prend également une dimension de mythe dans le judaïsme et dans l’islam.

Ici, je n’évoque que très rapidement Lilith qui incarne très précisément cette dimension maternelle maléfique. En tout cas, ce qui est intéressant c’est que le judaïsme n’ignore rien des méfaits de la toute-puissance maternelle, par ce mythe. Et il est curieux de constater que la culture kabyle elle-même identifie des femmes de maternité abusive, appelées « terriels »…, qui sont ces ogresses menaçant leurs propres enfants.

Cette toute-puissance menaçante évoquée par les contes permet de mettre en perspective une autre caractéristique de la mère dans le monde méditerranéen, en islam en particulier, mais sans doute ailleurs. Il existe du fait de cette patrilinéarité agnatique une stricte séparation entre les hommes et les femmes et y compris à l’intérieur du couple. Il n’y a pas d’idéologie du couple à proprement parler dans le monde méditerranéen, comme l’évoque Braudel.

Cependant, à cette règle de ségrégation entre les sexes, échappe une remarquable exception, celle de l’amour maternel et filial qui lie alors plus particulièrement une mère et son fils, seul autorisé d’expression, et je dirais, unanimement célébré. Cette relation qui permet la transmission du phallus par donation apparaît comme seule apte à combler les femmes, pourvu qu’elles mettent au monde des garçons. Leur dignité sociale est honorée. Elles prennent place au royaume des mères. La relation mère / fils est alors exaltée, célébrée et cultivée. C’est vrai de l’islam. C’est aussi vrai du judaïsme. Et je pense que cela se vérifie aussi pour en le monde chrétien en Méditerranée. Ainsi est-il intéressant de constater que ce littoral est plutôt endogamique et développe dans un contexte agnatique une forme de matriarcat qui nous avait semblé spécifique du monde méditerranéen au moment où nous préparions ces journées. Ainsi, s’il est vrai que l’échange des femmes est fortement limité entre les cultures, la mère n’est pas sans détenir un pouvoir que la culture célèbre et qui a aussi le mérite de relancer la question de la permanence d’un matriarcat, dans le cadre d’une transmission patrilinéaire. La bande biface confère à cette organisation sa dimension proprement adverse, même si la mise en continuité de l’envers et de l’endroit de cultures apparemment antagonistes, peut parfois permettre à l’échange des femmes et des textes d’être moebien. C’est en tout cas ce que la modernité ouvre peut-être comme perspective.

Jean-Jacques Tyszler – Bon, eh bien voilà une thèse forte, étayée, et à mon sens effectivement pleine d’appuis, à la fois sur la topologie lacanienne et en même temps sur des faits de la clinique, là, que tu as mis là en covariance. Je ne sais pas si c’est nécessaire de discuter tout de suite, puisque c’est la thèse au fond qui irrigue quasiment tout le week-end. C’est-à-dire : si des cultures ne cèdent pas quelque objet en commun, si cela ça n’existe pas, pourquoi aurait-il affaire à un voisinage qui ne serait pas paranoïaque effectivement ? Donc, c’est ce que tu dis. Ce n’est pas que ça n’a pas existé dans l’histoire…, il semble qu’il y ait eu…, enfin c’est un peu mythique l’histoire : il y a Cordoue, il y a peut-être des moments plus paradisiaques que d’autres, mais habituellement le voisinage comme le dit Lacan est paranoïaque…, parce que pour franchir cette structure euclidienne de la représentation de l’Autre, il faut céder quelque chose. Si rien ne se cède, si tout reste endogame… : pas de cession, pas d’échange autrement que ce que tu rapportes. Moi ça me paraît une thèse essentielle.

Jean-François Mattei – J’ai toujours un mot pour rajouter une pierre à votre édifice ou un texte. Je citais tout à l’heure L’envers et l’endroit de Camus, qui correspond exactement à ce que vous venez de dire, puisque dans L’envers et l’endroit, il étudie l’image de la mère méditerranéenne et dans son rapport psychanalytique – alors là je ne suis pas compétent, ou lacanien – le rapport à la mère qui est justement bordé de littoralité ou de littéralité, et le fait qu’il ait choisi comme titre à son premier ouvrage L’envers et l’endroit, dépeint superbement, par rapport à votre exposé, ce que vous avez appelé effectivement l’envers et l’endroit de la bande de Moebius. Alors, je ne sais pas si chez Camus ça se résout en monoface ou biface… (rires), chacun pourra aller le lire directement dans le texte !

Notes :

(1) J.Lacan, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Annexe I, Lituraterre, p.180, Éd. ALI 2001.