Comment une (ou un) hystérique peut-elle présenter les traits apparemment authentiques d’une paranoïa et pourquoi sommes-nous légitimés à la ranger dans la catégorie du pseudos ; c’est ce que nous nous attacherons à analyser dans ce texte.
Les traits cliniques concernés sont indubitablement paranoïaques et ne se laissent pas réduire par l’hypothèse, traditionnelle en France, d’une constitution ou d’un caractère, qui résout le problème en l’obscurcissant : méfiance, susceptibilité, orgueil, jalousie, rigidité sont en effet des conduites d’une assez grande généralité et qui ne peuvent être épinglées comme pathologiques que par un observateur assez idéal pour avoir oublié sa propre humanité. Au point que la qualification d’un semblable par le fait qu’il aurait du "caractère", consiste le plus souvent à lui attribuer de tels traits, mais valorisés cette fois. Ceux que nous retiendrons sont moins discutables d’être représentés essentiellement par une activité proprement interprétative et le refus de participer au commerce social.
L’activité interprétative consiste à tenir que les propos de l’entourage sont orientés par une adresse ad hominem. Leur caractère normalement aléatoire, ou bien la ratiocination qui conduit le locuteur à ne faire que répéter égoïstement la singularité de son réel, sont ici systématiquement oubliés au profit d’une systématisation générale dont la patient occupe le centre unique : on parle d’elle ou plutôt pour elle. Ce qui est dit la concerne.
Cette locution n’est pas nécessairement hostile mais laisse planer une menace vague et volontiers énigmatique quoique son sens, quand il se conclut, soit habituellement péjoratif. C’ est une surprise de constater que dans les cas les moins fréquents, l’intention est interprétée comme amoureuse, déclenchant des déclarations en retour qui peuvent surprendre le partenaire, ou, plus fondamentalement, une tonalité hypomane de l’humeur associée à un grand contentement de soi et liée à la conviction inébranlable d’être aimé. Dans la mesure où cette connaissance exaltée de soi ne peut, ne serait-ce que pour des raisons physiologiques invoquées par Freud, dès son Esquisse, qu’alterner avec des phases de sédation, s’ébauche un cycle périodique dont on notera, au détour, qu’il n’est pas moins pseudos par rapport à la psychose maniaco-dépressive.
Cette attitude interprétative, le sentiment d’être la visée des divers propos de l’entourage, nous informe sur le lieu occupé par l’hystérique : celui qu’investit un objet qui assure la signifiance de la chaîne signifiante et dont le caractère un donne à celle-ci cette vectorisation privilégiée, ce monoÏdéisme radical qui ont fait accuser Freud parce qu’il l’avait découvert, de pansexualisme.
Qu’une femme ainsi ne vaille, ne prenne son attrait Autre, que d’occuper ce lieu ; le réel, et qu’elle ne soit investie du désir sexuel que parce qu’elle est la représentante de l’objet phallique qui s’y loge, lui vaut normalement d’être interprétative. D’avoir à représenter le phallus rend légitime en effet le sentiment de son rapport avec l’objet dont se fonde le sens unique sexuel de la chaîne signifiante quels qu’en soient l’émetteur, la circonstance ou l’alibi : par sa fonction de représentation elle vient bien au centre d’un système. Cette sensitivité ne devient proprement pathologique, hystérique, que lorsque la fonction de représentation est niée au profit d’une affirmation de l’essence. Être le phallus, on devine comment l’affirmation ne se développe qu’à rencontrer la complicité perverse de l’entourage mâle mais ne résiste pas, cas le plus général, à la conviction intime de l’hystérique elle-même.
Quoi qu’il en soit, les moeurs ou la religion suffisent et sont exemplaires pour faire valoir comme idéale une telle idéalisation de l’être, dans l’accomplissement et la préservation de la virginité par exemple. Qu’elle soit frappée d’un interdit, devienne inatteignable, renonce à tout souci de représentation et ne conserve que l’aube pour vêtement, ces traits font de la vierge, l’Etre, la phallus par excellence.
Cette excellence une telle sublimation, induit une participation sociale sous le mode du retrait. L’extériorité peut trouver son accomplissement avec le choix d’une vie monastique. Mais il n’est pas rare qu’elle coexiste avec une vie sociale strictement réduite à la maternité, seul engagement compatible avec l’idéal, voire condition de sa réalisation, au détriment de tout autre investissement. Cette disposition s’illustre cliniquement par le fait que la relation à l’autre, au semblable, est régulièrement vécue comme une menace puisque la réciprocité qu’elle stipule risquerait d’entraîner dans une mondanité précisément interdite, salissante. La participation au monde peut se faire par le biais des relations sociales (civilité, politesse, amour du prochain, etc.) assez strictes pour épargner tout engagement subjectif, être pur jeu ou bien être carrément évitée. Elle suppose une référence privilégiée au savoir inné, insu, intérieur (S2) défendu impérativement contre toute intrusion et tentative de subordination par un savoir "extérieur", officiel, légal (S1) porteur d’une prétention à la maîtrise qu’il s’agit précisément de récuser.
Cette sensitivité égotiste et le sentiment de menaces intrusives, imaginaire aussi bien que symbolique, constituent bien un tableau paranoïaque.
Nous n’éprouvons pas cependant de difficulté à diagnostiquer et à juste titre une névrose. Le lieu Autre qui donne son assiette à ce tableau subsiste en effet d’avoir été mis en place par le nom du Père ; la migration qui y conduit l’hystérique s’effectue après qu’elle a, comme le garçon, passé par la castration. Les éléments du tableau eux-mêmes, telle la préservation de la virginité, sont impensables sans l’intervention du Père symbolique, qui dans ce cas lui donne le sens d’une sublimation.
La référence au nom du Père est ainsi permanente dans l’organisation d’un état, comme tentative d’accomplir, d’aller au terme de ses exigences. Cet accomplissement réussi certes réaliserait la folie. Mais celle-ci n’est jamais que tentative de faire aboutir l’être de la femme, là où malheureusement il ne peut s’agir que de réaliser le phallus. À un changement de signe près, la sainteté visée peut ainsi se transformer en perversité. Mais là encore, elle serait névrotique de se vouloir au service du Père, illustrant une fois encore l’impasse de la relation qu’il instaure.