Je voudrais vous proposer aujourd’hui quelques remarques sur le réel et l’enfant. Le réel en tant que sa représentation est exclue de la logique du discours actuel. Le réel en tant que l’enfant se trouve placé lui aussi en ce point exclu du discours. Le réel en tant que le corps de l’enfant en est le support. Le fil que je vous propose de suivre est celui de l’enfant hyperactif.
Un exemple clinique peut nous y introduire. C’est celui d’un enfant hyperactif traité depuis des années et à qui une consultante a récemment affirmé, au vu des tests qu’elle lui avait fait passés, qu’il n’était plus hyperactif et qu’il était guéri. Les parents et lui-même sont interloqués mais se trouvent mis au défi de tirer le meilleur d’eux-mêmes. Je passe rapidement sur les risques de cristallisation de l’identité de l’enfant par le diagnostique médical, ce n’est pas le but de mon propos ici. En dépit de cette annonce, leur fils reste instable en classe, agressif et provoquant à l’égard des professeurs. Je les rencontre ensemble à quelques reprises et je vois leur fils seul, à un rythme un peu espacé qu’il m’impose initialement sans discussion. Avant leur départ en vacances, la mère déclare, de manière inattendue, que quelque chose s’est passé "ici", désignant ainsi le lieu des rendez-vous. Elle répète cette affirmation avec insistance, explicitant ce qui la justifie à ses yeux : En rentrant d’un rendez-vous précédent, elle a demandé à son fils de ranger ses vêtements qu’il laisse en général traîner partout. Il a fait de suite ce qu’elle lui demandait, à son grand étonnement. Nous pourrions sans doute supposer que c’est parce qu’il s’agissait là d’une demande authentique et non d’un impératif habituel que le fils a pu y répondre ainsi. Au retour de vacances, je les revois tardivement, c’est-à-dire après les premiers débordements à l’école, après les premières impertinences à l’égard des professeurs, après les premières sanctions, comme si les parents avaient pu espérer une amélioration miraculeuse. J’impose de le voir chaque semaine et j’apprend, lors d’une séance, qu’il doit partir en week-end chez des cousins de province qui l’ont invité pour son anniversaire, un vendredi après midi, en s’absentant des cours avec la bénédiction des parents. Je l’interroge alors – mi ferme, mi bienveillant – sur la pertinence d’un tel projet, et je suppose qu’il doit être un peu perdu entre les décisions contradictoires des parents qui alternativement se dressent contre son absentéisme scolaire et qui l’incitent à le faire suivant leur convenance. Il se montre sensible à ce que je lui propose, sans en dire beaucoup plus. Le soir, je reçois un appel téléphonique de sa mère qui reprend les propos du fils. Elle rapporte que je lui aurais "passé un savon", que je ne serais pas d’accord avec le départ le vendredi après midi. Les propos de son fils lui ont fait saisir qu’il y avait là un problème. Elle me dit mi-interrogative, mi-affermative qu’elle ne peut organiser le week-end ainsi et que leur fils prendra un train plus tard après l’école.
Voici une petite séquence qui nous apporte plusieurs enseignements :
L’hyperactivité réelle d’un enfant doit être mise en regard de l’inactivité symbolique de ses parents, de l’inactivité de l’Autre, du discours de l’Autre, qui n’est pas marqué d’une dé complétude symbolique où l’enfant puisse trouver une place symbolique, ou une adresse signifiante pour articuler sa parole. Ce n’est pas que les parents soient réellement inactifs. Au contraire, ils peuvent être actifs tous azimuts, s’occuper de leur enfant de manière très active – et d’autant plus active que cette hyperactivité leur semble incompréhensible – et ils présentent au praticien cette activité comme un signe de bonne volonté. Mais ils sont inactifs dans ce qu’ils n’assignent pas à leur enfant une place qui lui soit désignée comme telle. Ils sont pris dans ce que j’ai formulé comme un "discours sans contradiction" dont on voit bien dans cet exemple la logique : sécher les cours est alternativement sanctionné et commandé. La parole de l’Autre considère alternativement ce terme comme un impératif ou comme un élément à bannir. Cet élément décomplète le discours quand il est interdit et obture cette dé complétude quand il est commandé. A ce titre, c’est un élément fétichisé. La place du sujet dépend donc du caprice de l’Autre et d’un discours qui exclut la référence à la perte et la représentation de la perte. L’enfant est alors privé de représentation de la perte dans le discours de l’Autre – mais ce n’est pas à proprement parler un discours puisqu’il n’y a pas de restriction de jouissance consentie par l’Autre – et il est tributaire de l’Autre, il est objet réel de l’Autre. Comme objet réel il est happé par le vide de l’Autre, comme Marcel Czermak nous incitait à saisir les mouvements du sujet maniaque lors de son intervention à l’E.P.E.P. l’an passé. Nous voyons donc la stratégie inconsciente à laquelle se livre l’enfant hyperactif dans son rapport à l’Autre. Il s’éjecte d’une situation insupportable d’être objet réel de l’Autre, d’être happé par le manque de l’Autre, pour susciter dans le réel un espace, un écart qui fasse allusion à la représentation d’un manque, qui fait défaut dans le discours de l’Autre. C’est ici que nous pouvons apporter une nuance à ce que développe Jean Bergès dans son travail sur l’enfant hyperkinétique (1). Il souligne à juste titre que l’enfant hyperactif réitère des passages à l’acte, du fait de ne pas être entendu, du fait que l’adulte donne du sens, interprète à tord un passage à l’acte comme le geste d’un acting-out. Mais il élude le temps premier qui fait que si l’enfant n’est pas entendu, c’est qu’il ne peut pas parler, c’est que les conditions de sa parole sont exclues, c’est que la dé complétude du discours de l’Autre est exclue. Ce n’est pas simplement que la parole de l’enfant n’est pas entendue, c’est que les conditions de sa parole sont exclues. C’est justement cette dé complétude qu’il s’agit de réintroduire dans le discours de l’Autre. Dans l’exemple clinique précédent, c’est la marque de cette dé complétude qu’évoque la mère quand elle mentionne "quelque chose qui s’est passé ici", "ici" désignant le lieu du transfert et le transfert comme un lieu. Ceci illustre ce fait de structure, où souvent, le consentement de parents à des entretiens communs, même s’ils sont espacés, a comme effet d’introduire un tiers dans le discours des parents, d’introduire une dé complétude dans leur discours et dans la relation à leur enfant. Ils consentent à n’être pas "tout" pour lui, ni à ce qu’il soit "tout" pour eux. C’est d’ailleurs ce que souligne J. Bergès dans ce travail quand il précise qu’il ne s’agit pas d’examiner l’enfant mais "d’écouter la demande qui n’est jamais celle de l’enfant"(1). C’est dire l’importance d’être vigilants à l’égard du discours de l’Autre. De même l’importance que prend le regard scrutateur de la mère à l’égard de l’enfant qu’elle surveille incessamment ne doit pas nous leurrer sur l’importance de ce regard. Il témoigne avant tout que ce regard est désintriqué d’un discours qui fasse référence à la perte. Nous devons aussi nous garder de supposer que l’enfant puisse faire signe au praticien car nous risquons de nous trouver entraînés dans les même travers que les proches, à interpréter un sens qui n’est pas encore là.
Le second enseignement que nous pouvons tirer de tout cela est que l’enfant sollicite les parents pour qu’ils lui assignent une place symbolique. Nous pouvons quand même être surpris de ce que l’enfant de mon exemple, qui habituellement multiplie les conflits avec l’autorité et sèche l’école, vient rapporter à ses parents mes propos avec suffisamment de précisions et de discernement pour que ceux-ci y entendent un appel à affirmer leur position symbolique. Il aurait pu faire bien autrement : ne rien dire ; se plaindre de moi ; utiliser mes propos comme une disqualification des parents… Il n’en a rien fait. Nous voyons donc son appel implicite à une sanction symbolique, sa quête d’enfant hyperactif d’une place symbolique de sujet de parole. Je vous rappelle, dans le même genre d’insistance, l’exemple d’un adolescent qui insistait en présence de son père pour rappeler comment ce dernier avait pu lui refuser ce qu’il lui avait demandé, comment il avait pu lui dire enfin "non", alors que le père récusait avoir dit ce non, trop apeuré des réactions de son fils qu’il imaginait en retour de ce non.
Nous voyons aussi l’éclairage que nous pouvons apporter à ce qu’introduit J. Bergès concernant la référence à la mort. S’il s’agit pour un enfant de ménager sa place de sujet, de sujet de la parole, c’est de son passage de l’être à la subjectivité dont il s’agit, c’est de son passage de la mort de l’être et à l’avènement du sujet dont il s’agit. La mort de l’être est corrélative de la vie du sujet, pour l’enfant, mais aussi pour ceux qui sont ses proches, et qui incarnent l’Autre pour lui. Cet enjeu de la mort est lié à un effet de structure, il est lié à ce que cet enfant est au seuil de la parole. Si l’enfant se lance comme sujet dans l’élan de sa parole, il quête une adresse pour anticiper un tel élan ; si l’autre fuit l’exigence d’une telle adresse, l’enfant est coupé dans l’élan de sa subjectivité et se trouve pétrifié dans l’être alors que la parole lui promettait d’ex-sister. C’est pour les mêmes raisons que l’enfant hyperactif trouve le sommeil dès qu’il est cadré par l’attente structurée de l’Autre – que ce soit des électrodes de l’E.E.G., ou le protocole de la relaxation – , puisqu’il peut alors se reposer sur les signifiants introduits par l’Autre. Il peut dormir sans crainte de la mort. De même la référence à la pulsion de mort correspond aux conditions d’inscriptions des coordonnées symboliques de la place que quête l’enfant pour rendre possible sa parole. Nous pouvons rappeler comment J. Lacan, dans son commentaire de "L’au-delà du principe de plaisir" (2) souligne comment l’instinct de mort est à l’oeuvre dans l’inscription des marques symboliques de l’identité du sujet qui meurt à lui-même comme être et qui en est divisé. Qu’il s’agisse de l’être éclaire aussi ce que rappelle J. Bergès, que l’enfant ne souffre pas, mais que c’est l’autre qui souffre, dans le meilleur des cas, ce qui manifeste que le sujet se structure dans le rapport à l’Autre, et dans cet "entre deux".
Il est un dernier point qui nous ramène au réel du corps. C’est le constat que l’hyperactivité est une affaire de sexe, plus précisément une affaire de garçons. C’est un point qui semble être partagé par ceux qui sont familiers de cette clinique. L’objection qui m’est venu est le cas de certaines petites filles que j’ai rencontrées. L’une posait justement problème à sa mère en ce qu’elle disait être un garçon ; l’autre m’a imposé de la rencontrer tout un temps avec sa mère pour la dégager de l’insistance érotisée de l’attente de la mère. Ce sont là des cas particuliers à reprendre à part.
Pour éclairer ceci, nous pouvons faire un détour par la structuration de la motricité de l’enfant et par le temps de la marche.
Nous pouvons pour cela nous rapporter aux remarques lumineuses de Jean Bergès (3) et à la manière dont il aborde la motricité comme objet a et en approfondir ce qu’il nous apporte. Son abord est que le fonctionnement de l’enfant, ses mouvements tous azimuts débordent la fonction encore immature. De fait, la fonction n’étant pas mature, le débordement dérive le fonctionnement dans une autre direction. C’est la mère qui assure, dans le prolongement de l’enfant, la garantie de la fonction substitutive dans l’attente de la maturité de la fonction. Mais ce qui répond à l’immaturité de la fonction de l’enfant, c’est le symbolique de la mère : "Le cri, les états de tension, la respiration, les poussées, etc. c’est-à-dire ce qu’on peut appeler la mise en jeu de ce qu’on peut appeler la cénesthésie, c’est l’objet du discours de la mère"(1).
A ce défaut de la fonction, la mère apporte sa substitution comme mère. Elle est en complément, en prolongement du corps de l’enfant. A l’immaturité de la fonction elle apporte des signifiants, "dans un forçage symbolique, dans une introduction du symbolique dans la parole"(1), dans une anticipation.
La motricité, la posture, souligne Jean Bergès, se trouvent instituées, données comme symbolique "par la mère qui n’est pas nourricière, mais agissante, portante". Elle réalise ce que le symbolique a d’anticipé. "L’image mentale deviendrait possible, la pensée tiendrait non pas à la mise en jeu de l’action, de la motricité, mais bien plutôt de son impossible"(1).
Nous voyons donc que la réponse réparatrice de cette immaturité motrice est ordonnée par des signifiants, par les signifiants de la mère. "La nomination des effets de ce dépassement vient situer dans le symbolique ce dépassement"(1).
Mais en ce temps, les mouvements désordonnés de l’enfant font partie de ce qui n’est pas spécularisable. La motricité apparaît ainsi en son essence non spécularisée, et de l’ordre du "petit a". Il est précieux pour nous sur ce point de ne pas rapporter trop vite les questions de la motricité à ce qui l’habille dans le stade du miroir et dans i(a). Nous constatons comment l’écart que formalise Jean Bergès entre le fonctionnement et la fonction illustre très logiquement l’évidement de l’objet perdu dans le rapport de l’enfant à l’Autre, qui suggère la motricité comme objet a. Et nous voyons aussi le forçage symbolique du discours de l’Autre. Il suscite la métaphore en substituant les signifiants de l’Autre au débordement que le fonctionnement impose à la fonction immature et du coup en rendant possible que des lettres choient de la chaîne signifiante. De même, on peut situer dans ce temps logique l’incidence du Nom du Père, dans une forme particulière de débordement suscité chez le nourrisson par la "grosse voix du père" qui suscite "un orage vasomoteur et tonique en flexion"(1). Je passe rapidement sur ce point ici, qui n’est pas directement notre sujet.
Nous voyons donc comment cet évidement qui se réalise par le bornage symbolique de l’écart entre le fonctionnement et la fonction immature par les signifiants de l’Autre correspond à l’évidement de l’Autre que désigne S. Freud quand il développe les différents temps d’allers et retours de la pulsion (4). C’est d’ailleurs un temps où le sujet prend en compte à la fois le manque de l’Autre et la possibilité de s’identifier transitivement à cet Autre barré.
Nous pouvons rapporter la motricité à un temps logique premier d’évidement de l’objet perdu, qui se creuse dans l’écart que formalise Jean Bergès entre le fonctionnement et la fonction.
Nous pouvons rappeler que la motricité mobilise le corps du nouveau-né dans une recherche d’équilibration précoce, où l’extension des membres répond au déséquilibre postural.
Les réflexes moteurs du nouveau-né s’associent à une motricité volontaire immature et témoignent d’une mobilisation du corps qui cède au bout de quelques jours et fait place à une hypotonie généralisée. Ces ébauches transitoires de la motricité se distinguent de la mobilisation du corps de l’enfant par le besoin, notamment alimentaire, et par les discontinuités imposées par le rythme des fonctions dans des crises tonico-émotionnelle qui sidèrent les autres données perceptives et sensorielles. Ces réflexes moteurs du nouveau-né sont :
Il est tentant de rapporter ces réflexes du nouveau-né à une tentative de l’enfant de réintégrer le corps de la mère après la séparation de la naissance. La suspension des réflexes moteurs va donc conduire l’enfant, immature dans ses fonctions à ce que la mère supporte le fonctionnement et à ce que la mère propose, par son babil avec l’enfant, l’appui de son savoir inconscient. Ce qui se joue dans les bras de la mère est l’impossible de la motricité de l’enfant qui se borne par des lettres réelles du forçage de la mère et qui mérite ce statut d’objet perdu et d’objet a.
Il est d’ailleurs intéressant de considérer cet impossible de la motricité comme la prise en compte par l’enfant et la mère de leur séparation et de la rapporter à la séparation entre l’enfant et ses enveloppes. C’est cette coupure qui correspond, pour J. Lacan, à la constitution du cross cap et à la structure symbolique qui préside à la séparation d’un "objet a" énigmatique (5).
Nous voyons de fait comment la motricité de l’enfant prend le statut d’une pulsion.
La poussée est constante au même titre que les autres pulsions.
Elle fait le tour de l’objet évidé, dans les trois temps grammatical de la pulsion : actif "je bouge", je gigote ; passive: "je suis bougé", je suis "entortillé" comme dit Jean Bergès1, et réfléchie : "je me fais bouger".
Nous voyons toutefois deux difficultés à situer l’origine de la pulsion, à la fois en ce qui touche l’orifice de la pulsion chez le sujet et en ce qui tient à l’articulation avec l’orifice de l’Autre avec qui se jouent les allers et retours pulsionnels. Nous retrouvons ici la difficulté que j’ai rencontré pour rendre compte de la pulsion d’invocation où l’articulation grammaticale – j’appelle, je suis appelé, je me fais appeler – implique de faire référence dans le rapport à l’autre à un orifice "bouche-oreille", puisque l’appel de l’enfant se fait vers l’oreille de la mère et qu’il faut la traversée de sa structure d’être de parole, du "j’ouïs" à sa parole pour que l’enfant soit appelé dans sa propre oreille. Le bouclage de la pulsion autour de l’évidement dans l’Autre et dans le sujet, de l’objet a comme voix, s’associe à l’expérience du trait de la division subjective de l’Autre, de la parole de l’Autre, et de ce qu’il fait qu’il est sous l’autorité du signifiant.
La question de l’orifice du côté du corps de l’enfant est à situer dans l’écart entre les bras, plus exactement entre les extrémités des membres, qui sont initialement le siège des réflexes moteurs qui vont s’estomper. On peut plus précisément se représenter les extrémités des membres orientés dans une visée d’agrippement à la mère dont l’enfant est arraché par sa naissance et les situer sur la base d’un cône tronqué dont le fond serait le corps de l’enfant : On y représente plus clairement ce que peut être cet orifice de la pulsion motrice :
L’adresse en est le centre de gravité de la mère, la référence à son propre équilibre à son propre centre de gravité. La mère tient compte de son propre équilibre pour assurer l’assise de son enfant. Nous savons bien la difficulté rencontrée avec les mères narcissiques qui, à un moment ou à un autre, laissent leur enfant tomber, du fait de leur difficulté de traiter pour elles même la perte de l’objet.
En retour, la motricité volontaire de la mère, à partir de ses bras, va vectoriser le second temps de la pulsion "je suis bougé", pour que l’enfant expérimentant son propre équilibre, à partir de son centre de gravité, puisse en un troisième temps "se faire bouger". Nous pourrions représenter le circuit pulsionnel ainsi :
Nous voyons donc un circuit pulsionnel qui se situe pour le sujet entre ses bras, entre ses membres et le centre de gravité de sa mère, puis qui fait retour des bras de sa mère, où il fait l’expérience dans les mains de celle-ci du : "je suis bougé" et de sa propre gravité. C’est cette gravité qu’il expérimente progressivement, en ce point dont il en avait déjà l’intuition dans les réflexes moteurs archaïques, en se lançant dans la motricité volontaire "je me fais bouger".
Nous voyons donc comment nous pourrions désigner cet objet a comme "la gravité". Cette nomination évoque que la dimension métaphorique est corrélée à ce bouclage pulsionnel, comme je l’ai souligné. Nous voyons la livre de chair perdu dans cet évidement de l’objet, qui tient à l’écart entre le nombril, comme lieu d’un lien "naturel" perdu à la mère, et le centre de gravité, comme lien de ce qui anime désormais sa motricité vers elle. C’est le "ventre", ce lieu investi par l’imaginaire de la mère et de l’enfant.
Nous voyons donc comment la motricité du sujet consiste dans un bouclage pulsionnel lié au recours à la parole chez l’Autre. Nous pouvons donc supposer que ce qui se joue dans l’hyperactivité de l’enfant associe à la dimension du passage à l’acte une tentative de bouclage d’une pulsion motrice autour de l’évidement de l’Autre, alors que le discours de l’Autre n’offre pas au sujet la décomplétude qu’il y quête dans son adresse. C’est là une lecture concomitante et complémentaire de ce qui est structurellement en jeu dans l’hyperactivité. Nous pouvons y trouver un éclairage sur l’insistance du regard de la mère à l’égard du mouvement brownien de son enfant, si nous la rapportons au spectacle qu’offre ce dernier à se précipiter de toutes parts, comme si après un trébuchement, il courrait après son centre de gravité.
Nous pourrions tirer une autre conséquence de ce circuit pulsionnel. La mère propose en réponse aux débordements de la fonction ses propres signifiants et donc ce qui ordonne sa chaîne signifiante. Nous avons vu que le circuit de la pulsion motrice traverse la structure de son identité, entre le centre de gravité et les bras. "C’est un discours, je cite Jean Bergès, qui sait ce que c’est que pousser, crier, se raidir, notamment dans ce que le désir de la mère a de phallique." (6). Nous voyons donc que c’est par le trait de division qui structure l’identité de l’Autre que passe le circuit pulsionnel et puis par le trait de la division du sujet. La motricité apparaît très directement articulée au trait de la parole et de l’énonciation. Nous pouvons donc nous attendre à ce que les manifestations liées à la motricité se rapportent à un temps d’identification lié à l’affirmation de la parole, à un temps d’identification du côté de la l’énonciation si nous nous rapportons aux formules de la sexuation, au côté homme. Cette caractéristique nous permettrait de comprendre pourquoi les manifestations de l’hyperactivité concerneraient en priorité les garçons. Elles peuvent aussi bien concerner des filles, dans un temps d’affirmation où elles se trouvent du côté de l’énonciation, et comme je le mentionnais précédemment, je l’ai rencontré chez des filles affirmant pour un temps être des garçons.
Pour conclure, il me semble que l’insistance de l’hyperactivité des enfants et des adolescents dans le monde actuel révèle que si le sujet est privé dans le champ de la parole d’une adresse possible et d’un interlocuteur symboliquement fiable, il rabat dans le champ de la pulsion – ici dans la pulsion motrice et dans les passages à l’acte réitérés, mais aussi autrement dans la pulsion scopique et les acting-out – la recherche de la décomplétude du discours de l’Autre.
Notes :
(1) Bergès J., "Les enfants hyperkinétiques", in Le corps dans la neurologie et la psychanalyse, Eres, Ramonville Ste Agne, 2005, pp.85-99.
(2) Lacan J., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Le Seuil, Paris, 1973, 254 p.
(3) Bergès Jean, Le corps dans la neurologie et dans la psychanalyse, Eres, Ramonville Ste Agne, 2005, 398 p.
(4) Freud S., "Pulsions et destins des pulsions", in Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1977, coll. Idées, pp. 11-44.
(5) Lacan J., Leçon du 23 Janvier 1963, L’angoisse, séminaire de l’année 1962-1963.
(6) Bergès Jean, Le corps dans la neurologie et dans la psychanalyse, Eres, Ramonville Ste Agne, 2005, 398 p.