Les paranoïas
07 mars 1999

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COLLECTIF
Textes
Psychiatrie

B. Vandermersch – Il y avait beaucoup d’excellentes choses dans l’exposé d’Houchang, mais il y en aurait eu encore beaucoup d’excellentes si tu avais pu tout dire. Il y a tout de même un point sur lequel je ne suis pas vraiment d’accord avec toi ou en tout cas je ne comprends pas très bien l’intérêt que l’on peut avoir à étendre les concepts. Car après tout le concept ce qui compte c’est sa …, c’est la coupure, c’est-à-dire qu’il se boucle parce que, une fois qu’il est bouclé, ce qui l’enserre, topologiquement peut toujours se réduire à rien si l’on est dans un univers sphérique ou alors on est dans un univers torique et alors il ne peut pas se réduire à rien mais il n’enserre plus rien du tout. Alors est-ce que c’est pas plutôt la coupure et le passage, le bon passage c’est-à-dire la coupure qui passe au bon endroit qui peut nous rendre service ? Le terme paranoïaque par exemple je ne suis pas sûre qu’il faille entendre toutes les acceptions du terme paranoïaque comme comprises dans un même ensemble. C’est-à-dire que quand Lacan parle de la personnalité, quand nous parlons de la psychose paranoïaque, quand nous parlons de la paranoïa sociale, est-ce que il faut entendre tout cela comme…, disons la paranoïa sociale, l’extension maximale et puis ensuite la personnalité et puis ensuite la psychose etc. comme des ensembles qui sont pris les uns dans les autres ? Par exemple je ne suis pas sûr, je n’en suis pas sûr, enfin ça c’est un des points, si tu veux, je ne comprenais pas très bien quel intérêt il y a à étendre les concepts alors que il semble que les progrès que nous faisons, c’est plutôt de déceler un trait pertinent. Voilà !

H. G. – Je te remercie. Naturellement pour moi c’est une interrogation. Je ne sais pas si j’étends le concept, je ne sais pas, je suis pris dans un mouvement qui est très au-delà de moi, qui a tendance à étendre ce concept ou ces concepts. Il me semble qu’il s’étend et en fait pourtant j’ai l’impression que là, par exemple, j’ai essayé d’avoir justement quelques points vifs opératoires, de coupure comme tu dis, de le prendre comme amour contredit et quelques points comme ça. Alors je ne sais pas si ça s’étend. C’est-à-dire c’est un concept qui est un petit peu gênant, comme je l’évoquais un peu au début, en cela qu’il insiste sur, il me semble, un aspect symptomatique qui a été développé du côté symptomatique de la psychiatrie donc au XIXe siècle et dans lequel, n’est-ce pas, nous sommes dans la catégorisation d’un sujet, son objectivation et c’est peut-être ça qui est un peu gênant puisque c’est la qualification comme ça des sujets. Or, peut-être que nous aurions intérêt, c’est pour ça que je revenais à Esquirol, à prendre ça par des concepts plus analytiques et par exemple, peut-être pas la mélancolie, mais sur ce sentiment mégalomaniaque. C’est quelque chose, il me semble, d’extrêmement analytique, une référence majeure de la psychanalyse et de Freud et de Lacan sur l’aspect sphérique que cela peut représenter. Je crois, on aurait plutôt, ça serait plus intéressant et je crois que c’est un petit peu comminatoire presque d’employer ce terme. Il nous sert énormément mais il semble que… Voilà, je ne sais pas si…

M. David-Boueilh – Sur le début de l’exposé, tu dis que, au fond, il y a à la fois une forclusion et sur cette forclusion un coup de SA. Alors est-ce que justement on ne peut pas voir que… est-ce qu’on ne peut pas dire ça comme ça, est-ce que le S1 dans ce cas-là, c’est du S1 ou est-ce que ce n’est pas de l’un ? C’est là où bon… c’est de l’un-pair ? Alors qu’est-ce que c’est que cet un-pair ? Est-ce qu’on peut parler en particulier d’un S1 sans un S2 ? Alors qu’est-ce qui se passe dans la paranoïa, quand on réfléchit comme l’a fait …… au passage de l’hystérie à la paranoïa, il me semble que quand l’hystérique commence à douter… alors à ce moment-là le S1 peut devenir de l’un c’est-à-dire on peut passer à l’un. Alors est-ce que tu peux, enfin bon parler là-dessus ?

H.G. – Ça effectivement, c’est une question fondamentale et ce que je pourrais en dire, c’est ça. C’est que il s’agit bien d’un S1 c’est-à-dire quelque chose d’un symbolique surdéterminé avec du signifiant maître du nom du père qui vient la frapper de manière, je disais majeure, pour dire que c’est vraiment radical et incontournable mais le problème c’est que tout ce système est pris dans une gangue, appelons là imaginaire quelque part, elle est quelque part dans le circuit imaginaire qui effectivement du S2 mais du S2 sphérique aussi. Et le problème du S1, là, c’est que il vient effectivement frappé mais qu’il est immédiatement lui-aussi repris presque en totalité, c’est le cas de le dire, dans la totalité d’une manière sphérique. Que à la fois le S2 et le S1 sont présents mais d’une certaine façon perdent leur capacité, leur différentiation et se retrouvent amalgamés dans un tout chacun, quand même avec un reste qui permet heureusement, heureusement qu’il y est un reste mais c’est la totalisation de ce S1 et c’est pour ça que nous avons là effectivement quelque chose d’une coalescence qui donne les holophrases où le S1 et le S2 sont congruents l’un dans l’autre, qui aboutissent à des phrases énigmatiques pour le sujet puisque elles sont incompréhensibles mais aussi bien dans la psychosomatique que dans la paranoïa mais qui correspondent à un entrelacs de S1 et de S2 que théoriquement on pourrait différencier avec un très fort travail. Certains s’y emploient beaucoup … Ce sont donc des néologismes, des mots ou des phrases qui reviennent sans cesse chez ces psychotiques ou ces psychosomatiques dans lequel effectivement sont pris S1, S2. Et le S1 est à la fois donc déficient et déchu.

Marc Caumel – La gentillesse du paranoïaque ?

X – Oui, c’était une question que je voulais poser tout à l’heure mais ça rejoint peut-être un peu… par rapport à la perversion. C’était, par rapport à la question tout à l’heure de M. Guilyardi lorsqu’il évoquait la crudité, l’obscénité de l’autre par rapport à la question du désir et quand il disait que ce qui est important c’était de séparer ce qui est consubstantiel de la perversion et ce qui participe de la destitution du nom du père et je voulais savoir par rapport à ça comment vous entendiez la perversion, si c’était la perversion dans la dimension névrotique ou si c’était la perversion du côté de la structure et ce qui rejoint peut-être la question de la castration du deuxième exposé ?

H. G. – C’est une question très délicate en effet. La perversion, n’est-ce pas, Freud dit que la névrose, c’est l’envers de la perversion c’est-à-dire la perversion, je l’entends comme destitution en effet, effacement ce qui pour rejoindre la question de la paranoïa, en l’occurrence est à l’origine de tout ce qui produit la forclusion du nom du père. C’est-à-dire que là il y a un effacement au moins sur le plan imaginaire, au premier abord, de cette possibilité symbolique et c’est de cette destitution là dont je parle donc j’essaie un petit peu effectivement de voir ce que nous pouvons penser sur la question de… le désir comporte cet aspect pervers de toute façon. Il s’agit de savoir ce que nous pouvons en faire pour lui permettre de se déployer sans obligatoirement faire déchoir ce nom du père. C’est un peu dans cette direction là que je vais…

M. D.B. – Le deuxième exposé m’a beaucoup intéressée parce qu’il rejoint beaucoup de thèmes que je travaille. Je voulais juste faire une petite remarque que quand un rabbin ou quand un prêtre officie, automatiquement il porte un vêtement soit le chasuble donc d’une certaine façon qu’est-ce qui fait qu’un homme marque en allégeance au symbolique par le vêtement et un vêtement informe, je veux dire qui est simplement vêtement, qui est simplement tissu ou bien qu’est-ce qui fait qu’au contraire on peut reconnaître cette enveloppe comme signe d’une psychose ?

Marc Caumel – Oui, vous pouvez déjà remarquer que un vêtement n’est pas fait pour envelopper. La fonction du vêtement c’est pas normalement la fonction de l’enveloppe donc pourquoi faut-il s’envelopper ? Pourquoi quelqu’un décide que, eh bien, d’une certaine façon il a si peu d’enveloppe corporelle qu’il est obligé de s’envelopper ? de s’en faire une autre ? Je dirais que d’autre part que ce qui organise la forme, elle est pas bien entendue sans liens avec le symbolique mais aussi dans son articulation à l’imaginaire c’est-à-dire que quand même dans le vêtement et on a cette façon de procéder chez l’adolescent. Dans le vêtement il y a tentative si vous voulez, de marquer une différence, non pas une différence, mais bon, c’est toujours en fonction de la différence.

J.M. Jeanvoine – Marc, il y a beaucoup de choses très intéressantes dans ton travail et je voudrais te poser………… te poser la question tout au moins la question de leur place. Moi, ce qui me semblerait, c’est une question que je te pose, ces instances, elles sont bien en place mais qu’elles sont en place dans le réel et que justement, semble-t-il, c’est à ce qu’il lui vient donc dans le réel qu’il a affaire et dont il se soutient, semble-t-il. Bon ça, c’est une première question.

La deuxième, c’est à propos donc de l’écriture de i(a). Tu as dit et on l’entend effectivement assez souvent que la parenthèse saute. Mais est-ce que tu ne serais pas là, c’est une deuxième question, en accord avec ceci. Si certes effectivement les parenthèses sautent mais que d’une certaine manière cette écriture elle tente de se réaliser puisque les enveloppes, comme tu l’as très bien dit, dans cet emmaillotage, dans ces enveloppes, est-ce que les enveloppes ne viennent justement pas faire parenthèse ou tenter de faire parenthèse, c’est-à-dire l’écriture même de la parenthèse. C’est-à-dire quand on dit i de petit a les parenthèses sautent, mais c’est-à-dire ces parenthèses sont dans le réel, me semble-t-il, est-ce que tu serais d’accord avec ça ou pas du tout ?

M. Caumel – Je dirais que il ne s’agit plus d’idéal, d’une passion d’idéal, il ne s’agirait plus d’une passion d’idéal, d’une passion de l’idée mais plutôt une passion de l’idée en tant que nous serions là dans la passion de la lettre.

Sur la parenthèse juste un petit mot. Il tente en effet cette écriture de la parenthèse mais ça ne sera jamais une parenthèse. C’est-à-dire que il y aura jamais possibilité de l’écrire i parenthèse de a. C’est-à-dire il y a d’un côté l’image et de l’autre l’objet emmailloté, incarcéré et que là-dessus il y a que éventuellement peut-être par la parole qu’une certaine pacification pourrait avoir lieu. Ça je ne peux pas vous le dire pour l’instant.

BVDM – Bon, dans ton exposé qui a l’air très consistant dans son développement, il y a une chose qui me fait difficulté, c’est comment ferais-tu le partage s’il y en a un à faire entre ce qui est de l’ordre de la psychose paranoïaque et ce qui serait de la schizophrénie parce que jusqu’à présent je me faisais l’idée que dans le fond il y avait une dimension spéculaire qui maintenait la paranoïa dans le rapport au semblable alors que le schizophrène se présentait plutôt dans cette symbolisation, enfin symbolique qui prend un … réel mais qui est justement dans le domaine de l’idée et de tout temps ce discours comme on dit symbolique. Alors c’était donc la question du spéculaire qui maintenait quelque chose d’une différence entre ces deux grands groupes de psychoses. Là ce que tu dis, c’est qu’attention, ce spéculaire, ne croyez pas ça, ce n’est pas du narcissisme, c’est aussi de l’idée qui enveloppe le bonhomme, ce n’est pas de l’image, c’est de l’idée. Alors donc, est-ce que tu peux donner un élément de réponse à ma question ?

M. Caumel – Alors justement je crois qu’on peut pas, en ce qui me concerne je pense que c’est toute la difficulté et toute la critique a été faite à Freud par rapport à la lecture qu’il a faite sur Schreber. Vous savez, il y a cette drôle d’idée chez Freud de dire  » moi, je maintiens quand même la question de l’oedipe dans Schreber « , qu’est-ce que ça veut dire ? Il y a un texte un moment donné où il pose cette question en disant  » ce n’est pas ça mais quand même il faut que je le maintienne « . C’est-à-dire que je crois que nous devons quand même continuer à faire fonctionner pour nous la doctrine en fonction de nos références, à savoir en fonction de ce qui organise et ce qui a organisé le monde jusqu’à aujourd’hui, à savoir le rapport au signifiant phallique. C’est-à-dire que ce signifiant phallique même s’il se trouve forclos va revenir dans le champ de la structure d’une façon particulière mais il va revenir. Moi, j’aurais tendance à considérer que justement quand nous avancions qu’il pourrait y avoir des paranoïas masculines et féminines, on ne serait plus embarrassés par la question de la schizophrénie. C’est-à-dire que dans ce cas-là je veux dire c’est la question de ce rapport à ce signifiant qui n’est pas le même chez un homme et chez une femme en tant qu’il vient d’être forclos qui revient dans la structure d’une façon particulière avec toutes les différentes formes cliniques que ça peut prendre. Moi, j’ai toujours été gêné par ce concept de schizophrénie puisque c’est un concept qui est bleulérien et qu’en même temps qu’il y avait Bleuler qui nous sortait ça, il y avait Freud quelques années plus tard qui parlait de la division du sujet. Freud déjà quand il parle du clivage du moi, c’est la question de la division du sujet. En tant qu’elle est de structure, on voit bien si vous voulez que le sujet peut pas être divisé puisqu’il peut pas avoir un rapport divisé à son image. Dans la psychose, c’est surtout ça qui est problématique. Pour lui, je veux dire que dans son rapport à l’image il est toujours, il sait toujours que ça n’est pas vraiment son image parce qu’il y a quelque chose d’autre qui le garantit mais quand il n’y a rien qui garantit son rapport à l’objet parce que c’est ça au fond derrière tout ça c’est la question du rapport à l’objet. C’est-à-dire comment au fond sa mère s’est occupée de lui en tant que sa mère était référencée ou pas par ce signifiant car dans le cas clinique dont il est question sa mère n’y était pas référencée de façon, je dirais, pacifiée, elle y était référencée de façon crue.  » Qu’est-ce que ton père peut mettre dans le pantalon, moi, j’ai une robe « , voilà ce qu’elle lui dit à son fils, par exemple,  » vous vous rendez compte ce qu’elle dit ma mère « . Alors, il y a cet autre aspect, je veux dire, qui est quand même extraordinaire, c’est cette naïveté. Qu’est-ce qu’on peut dire sur cette naïveté ? Parce qu’il nous en parlait dans une naïveté, je veux dire, ce n’est pas de l’innocence. J’ai essayé de développer que cette naïveté c’était lié à sa constitution enveloppante qui lui donnait un rapport au manque qui était particulier. Alors voilà comment je pourrais prendre les choses, ça je ne sais pas ce que toi, tu en dis ?

J.J. Tyszler (?) – Moi, je voulais te remercier parce que tu as apporté sur des questions sur lesquelles on bosse à Sainte-Anne effectivement depuis un certain temps et qu’on peut quand même synthétiser ainsi c’est-à-dire que à notre idée est de dire qu’il y a des phénomènes psychotiques mal connus et caractérisés qui touchent à la surface, à la forme, à la peau, à l’enveloppe. Ces phénomènes sont repérés ben classiquement, chez Clérambault effectivement encore que…bon, dans le transsexualisme on s’est appuyés énormément sur ces questions, chez l’homme aux loups, il y a déjà à l’endroit du lien entre cette forclusion et ces phénomènes d’enveloppement et sur la peau propre des choses assez particulières, donc je crois, tu mets l’accent sur cette forme qui comme enveloppe fait irruption et en quelque sorte tente de se substituer ou fait donc alternative à ce qui fait objet usuellement dans la psychose. Je crois qu’on peut le concentrer ainsi, à savoir comment penser la question de l’enveloppe à l’endroit ou d’habitude on pense objet, est-ce une alternative, est-ce que c’est un autre objet, est-ce que c’est autre chose, voilà je crois la question que tu poses, elle me semble extrêmement importante pour nous. C’est une nouvelle entrée au sein des paranoïas et des psychoses en général, il faut le dire.

Voilà, et je crois qu’en plus tu as fait une boucle extrêmement précise et je crois étant efficace qui est la question de i de a c’est-à-dire qu’à l’endroit dans les psychoses où un type de défection là radical est porté sur i de a, il semble y avoir un passage, je vais le dire comme ça, du discret au continu, du discret à savoir ce qui est l’étoffe du symbolique même au continu qui est tout autre chose. Voilà.

M. C. – Oui, Clérambault n’avait pas la passion de l’enveloppe, il avait la passion de l’étoffe, c’est quand même différent.

X – Marc, juste pour compléter ce que disait Jean-Jacques, l’enveloppe, tu la situe comme enveloppe de l’objet, comme i ou comme l’objet lui-même ?

M.C. – C’est justement ça qui se passe qui est très particulier, c’est que l’enveloppe enveloppe l’objet et le constitue en même temps. Je veux dire que c’est ça qui fait que… c’est pour ça il n’y a pas de i et qu’il n’y a pas de parenthèse, c’est une drôle d’affaire. Je sais pas si ça s’écrit, comment ça pourrait s’écrire mais bon, on sait qu’il met beaucoup de points de suspension, alors, quand il écrit mais bon, qui ne supporte pas la suspension maintenant ?

Nicole Anquetil – Le parano

H. Guilyardi – Un style clinique tout à fait reconnaissable de N. Anquetil. Juste un mot comme ça. Je ne sais pas si c’est plus facile en étant une femme, je crois, si je peux me permettre, c’est plutôt les conditions des qualités professionnelles. En revanche, je poserais une question donc pas pour embêter non plus mais je crois que c’est la difficulté de notre élaboration là théorique. Alors tu as dit satisfactions perverses on peut comprendre mais qu’est-ce que tu entends par justification paranoïaque ?

N. Anquetil – C’est l’autre qui le persécute, quand il avance c’est la persécution de l’autre, quand il est dans une position où effectivement l’objet néantisé fait retour par une néantisation de lui-même. Il se sent persécuté par la personne qui a été finalement en mesure de néantiser l’objet. Cette histoire de néantisation que tu as amené, toi aussi tout à l’heure, moi il me semble qu’elle est extrêmement importante dans cette finalement dialectique subjective où cette relation de moi à moi se fait pas par un objet qui est fichu d’emblée, qui n’est pas mis en place et que la subjectivité finalement ne peut pas se constituer avec un objet qui aurait sa consistance, une consistance qui viendrait de l’autre, dans la propre image, l’objet qui est là, image constitutive du sujet.

M. Caumel – Moi, ce que je trouve intéressant, c’est dans l’observation clinique ce moment où il dit :  » quand il le tenait, il ne tirait pas « . Je crois que si nous on le tient pas, eh bien ils vont tirer. Si nous, on le tient pas, ils vont tirer c’est-à-dire que je pense, moi, en ce qui me concerne que c’est pas une justification paranoïaque de la perversion, c’est que la perversion justifierait là et conditionnerait un certain nombre de comportements dans la paranoïa tout à fait problématiques c’est-à-dire que les moyens qu’il y avait dans la société pour arrêter quelque chose de… en tant qu’elle aussi humaniser ces personnes puisque quand même il y a les deux éléments, eh bien, dans la mesure où on justifie de façon perverse pour les raisons que je vous ai avancées en ce qui me concerne, comme ça je le vois, je veux dire cette enveloppement paranoïaque qui est quand même en bout du compte quelque chose qui va détruire le sujet, au bout du compte ça entraîne quand même, je veux dire, des catatonies par exemple pour certains, là où nous on fait pas un arrêt, eh bien la réponse perverse est de dire  » vas-y mon vieux, et puis voilà et après on tire « . Alors si on le tient pas, comme vous l’avez très bien dit, si vous, vous ne tenez pas votre fonction, je veux dire que lui, il est pour nous qu’un homme bâclé à la six, quatre deux c’est-à-dire il n’existe pas dans aucune référence, c’est comme ça que je vois les choses.

– Tout à fait

– Heureusement qu’il le tenait un peu parce que comme ça il n’a pas tiré. Tu serais d’accord avec ça ?

– Oui, oui complètement.

C. Dorgeuille – Moi, je voudrais faire une petite remarque clinique parce qu’il a été question dans l’exposé de Guilyardi de catatonie et Caumel vient de reprendre le terme. Or justement puisqu’une des questions importantes qui nous sont posées ces deux jours, c’est celle d’une délimitation, premièrement y -t-il une paranoïa ou des paranoïas. S’il y a des paranoïas, alors qu’est-ce qui les distingue, et qu’est-ce qui les délimite ? Or la catatonie est quand même une pathologie tout à fait particulière dans Lacan, d’une façon d’ailleurs qui m’a sidéré et très audacieuse, a pu dire dans les dernières années de ses présentations, la catatonie, c’est une maladie organique. Et je ne crois pas qu’on puisse confondre la catatonie en particulier avec ce que vous évoquiez de la mélancolie qui dans la clinique traditionnelle s’appelle inhibition mélancolique, n’est-ce pas, le caractère figé de la mimique qui n’a pas du tout les caractères de la catatonie. Le mélancolique ne maintient pas la position, n’est-ce pas, un élément caractéristique, vous prenez le bras du malade, il bouge pas, c’est comme ça pendant une heure, deux heures. Je me souviens d’un malade dans le couloir de consultation du service de Delay que j’avais aperçu le matin en arrivant à neuf heures, il était debout au milieu du couloir les deux bras en l’air, je suis redescendu à midi parce qu’il n’avait pas été vu par son médecin, il était à la même place avec toujours les deux bras en l’air, dans la même posture. Les mélancolique en effet sont figés, ils ont une mimique inexpressive douloureuse mais c’est pas la même chose. Bon, c’était un petit point simplement.

Il resterait à dire bien sûr qu’elle est la condition d’origine, n’est-ce pas, qui, alors l’allusion, la remarque de Lacan qui était comme il en faisait volontiers à l’emporte-pièce, comme ça mais il peut pas la négliger compte-tenu de l’importance de l’expérience qui était la sienne et de l’imputer à la catatonie ce qui d’ailleurs impliquer aussi de la distinguer des formes simples telles que peut les répartir Bleuler dans son travail de schizophrénie.

H. G. – Oui juste un mot sur la catatonie. C’est justement ce qui est décrit, qui est vu en dehors de la paranoïa et de la mélancolie justement, typiquement schizophrénique, là c’est quelque chose de l’ordre d’une délimitation et d’une corrélation qui concerne l’ensemble des questions psychotiques qui est la fixation. Effectivement la fixation des membres précisément, c’est plutôt ce qui se voit ni dans les paranoïas, ni dans la mélancolie.

J.J. Tyszler – La paranoïa invisible

N. Anquetil – Pour ma part j’aimerais poser la question de la transparence. En fait il y a deux façons de poser cette question. Ou bien l’autre est complètement transparent, on ne le voit pas, il n’existe pas ou bien alors il est tancé d’être transparent parce qu’il faudrait tout savoir sur lui. Or ça a effectivement des effets cliniques et sociaux un petit peu différents. Qu’est-ce que tu vois, donc, toi, puisque tu poses cette question qui est finalement la question actuelle de cette transparence absolue c’est-à-dire du tout savoir sur l’autre, qu’est-ce que ça apporte finalement d’autre, là, maintenant cliniquement pour ce qui était le discours antérieur de la psychose qui était finalement cette espèce de transparence de ne rien savoir sur celui qui était en face, puisque bon, c’était un petit peu le cheval de bataille antérieurement de la psychose, quelqu’un de parfaitement invisible.

J.-J. Tyszler – Oui, tout à fait mais je ne peux le dire mieux que tu le résume. Moi, ce qui m’intéresse, c’est les liens de passage, de continuité, de connexion. A savoir que dans une famille où la transparence – une famille pour être simple où la mère ou le père estiment que l’enfant n’a aucun jardin secret, ça va créer de la folie, ça c’est une conception structurale avérée de la psychose. Ce que dit cette fille sur Clinton, c’est la même chose mais dans un registre où elle nous convaînt d’office en quelque sorte, c’est ça qui est intéressant c’est-à-dire c’est le passage en continuité à un bout d’une question que nous savons folle et qui nous fait donc retour en exigeant que la division du sujet et sa division, là, fantasmatique soit mise comme telle en permanence sur la table. Tu vois, c’est donc cette boucle là qui fait intérêt donc tu l’as dit aussi bien. Ce ne sont pas deux questions qui s’opposent, c’est la même qui se continue et nous enveloppe, ce n’est pas tout à fait pareil.

X – Ce qui était intéressant, je pense que d’une certaine manière tu réponds à cette question aussi, puisque dans le jeu qu’il met en place avec les trois personnages qui d’abord sont un homme, un interrogateur qui doit interroger un homme et une femme pour savoir si il peut à travers le langage entendre si c’est un homme ou si c’est une femme et qu’on va remplacer l’homme par une machine et où l’interrogateur n’y verra que du feu et où le postulat de départ c’est : la femme dit toujours la vérité alors l’homme qu’est-ce qui lui reste ? à mentir c’est-à-dire à imiter la femme disant la vérité, alors vous voyez ce qu’il faut faire avec la machine c’est-à-dire que la machine doit faire l’homme c’est-à-dire faire la femme, c’est absolument effroyable ?

J.-J. Tyszler – Tout à fait. Il y a le jeu de l’imitation, comme il dit. Ça c’est formidable, il faut lire à tout prix, ça je n’en ai pas parlé. Il y a tout un rapport entre ce jeu de l’imitation, la théorie des jeux, elle-même. C’est très compliqué à développer par Turing et dont certaines choses restent secrètes encore maintenant. C’est secret-défense c’est-à-dire ce que Turing a travaillé par certains côtés est encore secret-défense et l’interface que constitue la peau dans ces questions, ça c’est formidable. C’est très avancé sur la théorie de la paranoïa.

J.-P Hiltenbrand – Je souhaitais, Jean-Jacques, te faire une autre remarque car fort opportunément tu as engagé la question avec Turing et illustrait ton propos par les tatouages, il me semble et tout en interrogeant précisément la connection entre, je dirais, la question de la paranoïa et la question du discours de la science. Alors (rires)… ça aussi a un effet de la science, ça constitue d’où ça vient… donc je reprends ma question en t’interrogeant sur cette connexion entre ce qui se passe, je dirais d’une part dans la paranoïa et d’autre part ce qui se passe autour du discours de la science, c’est cette difficulté que nous avons à introduire une discrimination précise dans ce qui se passe. Eh bien, je crois que l’histoire du tatouage persing etc semblerait indiquer que dans la paranoïa nous avons affaire à une pathologie qui n’est pas de celle du signifiant comme dans la névrose mais une pathologie de la lettre. C’est-à-dire que il y a là l’intervention de quelque chose jusque sur les signes ou l’identité marquée sur l’enveloppe c’est-à-dire véritablement le non-sens. Je veux dire, on ne peut pas lire ce qui est inscrit au niveau du tatouage. C’est simplement un signe, un signe qui vaut essentiellement par son non-sens. Et justement ce type, comment dirai-je, ce type d’inscription va également se séparer totalement de ce qui se passe dans la métaphore qui est un jeu de signifiants et pas un jeu de lettres. C’est-à-dire que où que nous nous tournions dans la question de la paranoïa, nous retrouvons les phénomènes qui sont la propriété même de la science, c’est-à-dire l’usage ou la succession de lettres et la question qu’on peut se poser, je sais pas si historiquement la paranoïa s’est toujours inscrite de ce côté là, mais en tout les cas aujourd’hui telle qu’elle se présente et d’une manière tout à fait floue et insidieuse, les diagnostics de paranoïa sont de plus en plus difficiles, à part quelques cas cliniques qui sont tout à fait patents, nous retrouvons régulièrement dans notre clinique des petites parenthèses paranoïaques, on ne sait pas très bien si le type est carrément engagé là-dedans ou bien si c’est simplement un petit secteur qui le concerne. Mais chaque fois, moi ce qui me surprend, chaque fois que nous avons affaire à ce type de phénomènes, c’est toujours un phénomène en rapport avec la lettre et pas avec le signifiant. Si bien que évidemment la lettre, qu’est-ce qu’elle a ? Elle a un caractère univoque et pas du tout équivoque comme le signifiant. Voilà ces quelques remarques que je ne suis pas en état d’exploiter totalement pour en faire un exposé aussi bien ficelé que le tien mais il me semble que par divers aspects que tu as abordé cet après-midi, c’est cela qui est concerné chaque fois.

J.-J. Tyszler – Deux choses enfin Jean-Paul, l’une peut-être sur la lettre mais peut-être qu’on le fera plus tard dans le groupe de Cordoue. Moi, je soutiendrais que dans la lettre elle-même, il y a les deux faces, c’est-à-dire , je pense qu’une lettre peut se soutenir du trait, de sa balance phallique ou de sa balance autre, en quelque sorte mais ça… c’est plus…

J’avais aussi souhaité répondre à une question que tu avais eu la gentillesse de me poser après mon truc sur l’infini auquel je n’avais pas pu répondre dans le moment même qui était le fait, en gros je synthétise – tu te demandais si notre enracinement comme névrosé dans le champ de la parole, pas du langage mais de la parole comme telle, on n’avait quand même pas tendance à avoir intérêt à dire qu’on était quand même là prémunis de ce type là de continuité et d’infini que je décrivais là par ailleurs dans le champ des psychoses, c’était un peu ça ta remarque – que j’ai tout à fait entendue parce que je pense qu’il y a encore à distinguer structure et structure, cela ne fait aucun doute mais pourtant ce qui m’intéresse néanmoins, une fois que les structures sont établies, là, solidement, c’est de faire remarquer que par des phénomènes peu regardés habituellement qui sont donc les phénomènes de surface, curieusement s’inscrivent dans des champs connexes où nous sommes des questions de continu, de continuité, de trouage inusités et donc ça rejoint le débat maintenant un peu ancien sur la pulsion qu’on avait déjà amené avec Marcel à Grenoble c’est-à-dire que, moi, je soutiendrais : oui, la desplicification de la pulsion comme le côté paranoïaque pris dans la parole concerne, maintenant, curieusement le champ propre du névrosé, oui… Je ne sous-entends pas qu’il devienne une psychose de la paranoïa, ça veut dire qu’il a affaire dans sa subjectivité avec des phénomènes qui lui sont absolument invisibles et qui cependant l’enveloppent, nous enveloppe. Tu vois aussi, je ne sais si c’est en quelque sorte un désaccord, je ne suis pas sûr que ce soit un désaccord enfin clinique ça, il se peut que pour des raisons, moi qui me sont sensibles, peut-être parce que m’intéressant aux choses des toxicomanies, je suis quand même très surpris qu’à des phénomènes aussi massifs on ne réponde pas en clinicien. Qu’est-ce qui vaut quand même que tous ces produits passent obligatoirement par cette voie-là ? Tu vois, ça c’est des choses comme ça. Qu’est-ce qui vaut qu’un trait donc identificatoire se transforme en des objets mis quand même sous la peau, parce que les trucs américains, ce n’est pas que des scarifications, ce sont des objets sous le cutané. Alors, ça, qu’est-ce qu’on va en dire ? Je veux dire, c’est le témoignage de quoi ? Moi, il me semble que ça peut se relier avec la façon dont la parole est désormais traitée c’est-à-dire que maintenant la toute parole, peu ou prou, est traitée comme les petites vignettes de la clinique que j’ai indiquée. Parole à toi, c’est… sur la lettre on y reviendra, c’est une question assez complexe.

Alain Dufour – Puisque tu relance la question de savoir pourquoi les toxicomanes se un trou, c’est un article de Patrick Muller auquel je te renvoie éventuellement, je pense que la réponse n’est malheureusement pas univoque. Il y a longtemps qu’on s’intéresse à la question de savoir pourquoi il y a cet attachement à l’injection. Je crois qu’aujourd’hui l’interdit même ou du moins la dissuasion qui a été promulguée par les autorités sanitaires n’a fait que renforcer le recours à ce type d’usage. Bon, ça s’est assez trivial à part ça les témoignages que l’on peut avoir de toxicomanes qui privilégient le perçage de la peau, y compris en ignorant le produit c’est-à-dire je me souviens très bien comment un type me disait, qui se faisait des injections avec de l’eau distillée, c’était un type propre, et il disait  » quand j’approche l’aiguille de la peau, ça me fait bander « . Si je réunis comme ça un certain nombre de témoignages de cette nature suffisamment purs, je dirais que d’abord ce sont pas des cas majoritaires, c’est quand même pas si fréquent mais que dans ces cas-là il y a comme la création d’une béance artificielle susceptible de relancer la machine pulsionnelle, susceptible de faire en sorte que la jouissance, ça puisse avoir encore sens. C’est ça que je peux te raconter sur le vif dans la mesure où ta conclusion m’a beaucoup intéressée sur cette hypothèse de voir l’enveloppe se substituer à l’objet. Je crois en effet que s’agissant de ces cas, encore une fois j’insiste qui ne sont pas majoritaires, je crois que c’est une vraie question.

J;-J. Tyszler – Ça serait plutôt à vous qui bossaient… Moi, j’ai quand même une collègue qui est quand même une copine qui bosse dans le Val d’Oise dans un centre de toxicomanies, à tel point alors je ne sais pas si c’est majoritaire, mais ce qui est curieux, c’est que ce centre se demande même en quelque sorte s’ils ne vont pas être obligés de traiter en injectable eux-mêmes ces patients.

Ah, oui, toi c’est dire, moi c’est ça qui m’intéresse, moi ce qui m’intéresse dans ces questions, c’est le partenaire, le compagnon parce que je crois qu’on est trop axés sur la clinique du visible c’est-à-dire l’autre qu’on décrit. Or ce qui est intéressant dans ces phénomènes là c’est que nous sommes enveloppés c’est-à-dire nous sommes le compagnon de ces questions. C’est nous l’objet de cette étude aujourd’hui pour moi, c’est nous-mêmes, c’est-à-dire le compagnon que nous sommes de ces phénomènes de continuité de paranoïa et je suis quand même très surpris que des soignants en viennent même à anticiper sur ces nouvelles formes de mutation dans la jouissance et dans l’enveloppe en se proposant… oui mais voilà pourquoi j’attends de ces collègues qu’ils nous disent enfin ce qu’il y a à penser de ces questions même si elles restent marginales, il faudrait voir… c’est le compagnon du paranoïa qui m’intéresse ou le compagnon de la continuité parce que si nous sommes compagnon de la continuité, c’est que nous sommes comme le noeud de trèfle, dans le noeud de trèfle.

A. Dufour – C’est un phénomène de plus en plus massif le recours à l’injection…

J.J. T – oui, oui t’es d’accord avec ça…

A. D – On est bien d’accord là-dessus mais ce à quoi ça répondrait à une clinique différentielle telle que tu l’évoques dans la fin de ton exposé, c’est ça qui me semble pas…

J.J. T- établi

A. D – établi comme prépondérant chez les toxicomanes. Alors quant à ce que tu relèves de cette idée de venir à favoriser l’injection chez les toxicomanes, ça, ça s’inscrit malheureusement dans une histoire du traitement des toxicomanies qui n’a rien de neuf, il y a toujours eu cette pente à la surenchère et je t’apprendrai surement rien si je te dis qu’il y a aussi des programmes, non plus de substitution mais des programmes de proposition, d’injection d’héroïne. C’est également d’actualité.

J.J. T – Non, on peut dire ça mais on peut dire comme pour ce patient que je décrivais,  » il ne sait plus là quoi répondre  » c’est-à-dire que… tu vois c’est mieux de dire comme ça, au sens propre il ne sait pas…

P.C. Cathelineau – Jean-Jacques, je voulais aborder une question connexe pour employer tes termes qui reste un fil dans ton intervention et te poser la question suivante concernant l’affinité du discours, de ce qu’on pourrait appeler un discours paranoïaque avec la problématique du nombre. Le fait que tu es évoqué d’une part la machine de Turing fondatrice de la logiques des ordinatures, je dis des ordinatures puisque c’est ce nom qui s’impose, surtout à partir de Turing, la logique des ordinatures s’apparente dans le fil de ton propos avec cet appel à la sommation du père et donc est-ce qu’il n’y a pas à ajouter à ces vignettes cliniques, comme tu disais, une problématique de la paranoïa qui s’articulerait au nombre, pas tant à la lettre qu’à la question du traitement du nombre, à cause du comptage, du comptage raté initial et de la continuité que tu évoquais à propos de l’infini ?

J.J. Tyszler – Mais ça en plus je suis d’accord puisque c’est ce que j’avais essayé d’amener aux journées sur l’infini des mathématiques c’est-à-dire que… si j’ai commencé là par l’espace, ce n’est pas pour rien, c’est que la représentation, chez Lacan, de l’espace inconscient, elle n’est pas simplement donc articulée par le nombre, elle est pas quantitative, elle n’est pas que quantitative en tout cas, c’est une surface topologique nodale. Il n’y a que lui, je veux dire ça on n’en tient pas assez compte, il n’y a que lui qui essaye pour nous, ça veut pas dire qu’on y accède, il n’y a que lui qui essaye pour nous de nous faire valoir que nous ne sommes pas obligés d’être soumis à un espace euclidien, là, quantitatif. Si nous nous le rappelons pas tous nos propos restent dans cet espace quantitatif et euclidien c’est-à-dire que nous parlons d’une place de fou.

Je veux dire, c’est une façon donc de te répondre. Lui tout l’effort qu’il a fait pour trouver un type de topologie qui nous extrait alors on en est où ? Je n’en sais rien. On en est où de cette façon de nous extraire de ce sac fou, je ne sais pas, en tout cas il semble que c’était son voeu de dire que notre espace psychique n’était pas euclidien. S’il était euclidien, il resterait dingue et deuxièmement il était évident qu’il considérait qu’il n’y avait pas que du quantitatif. Et je crois, puisque tu en parles, c’était peut-être là ce qui nous disjoint des… donc des études talmudistes, cabalistiques qui sont quand même pris par un jeu du nombre comme tel, bon. Or la psychanalyse, c’est un peu aussi autre chose, un peu autre chose.

J.M. Faucher – Je vais essayer de dire ça brièvement. J’étais intéressé par cette question de l’identification, ce Ziegerzug (?) et ce que tu disais de cet ersatz de trait que devenait l’objet, et je me demandais en t’entendant si il n’était pas de la nature même du trait unaire que de participer de la nature de l’objet c’est-à-dire d’une certaine façon de n’être pas un signifiant et que il y avait peut-être justement une distinction à faire selon que l’objet en question avait à voir avec l’objet voix ou avait avoir avec l’objet scopique. Hein, c’est pas la même chose qu’une moustache par exemple qui préside à la constitution d’une foule là éventuellement comme objet fétiche et que soit adopté comme Ziegerzug d’une certaine façon de scander sa respiration ou une certaine façon de soupirer, c’est-à-dire ce qui fait à ce moment là valoir peut-être le père comme muet, et on peut dire que ce n’est pas du même registre.

J.J. Tyszler – Je pourrais là conclure d’une phrase, ça ne va pas être long. Si on distingue et Marcel y insiste souvent, identification et unification, si en doctrine on distingue sans arrêt ce qui relève de l’identification et tous les phénomènes qui relèvent de l’unification, ça n’est pas la même chose, ça ne sous-entend pas qu’une autre forme de l’identification soit à ce point stable. Moi, je prétends qu’en nous même à bien des choses poussent à l’unification. Voilà.

Josiane Quilichini – Le paranoïaque n’y croit pas

N. Anquetil – Est-ce que cette question de la croyance et de l’incroyance, ça interroge aussi finalement celui qui est, comme disait Jean-Jacques, pris dans cette enveloppe parce que là aussi il n’y a finalement pas de dedans, ni de dehors, face à cette croyance et cette non-croyance dans le sens de celui qui est comme ça en mesure d’assurer une fonction thérapeutique, eh bien, il y est aussi là-dedans dans l’incroyance et la croyance par rapport à ce qu’avance le paranoïaque, celui qu’on appelle le paranoïaque. Effectivement il me semble qu’à certain moment il n’y croit pas du tout et puis même il le dit ,  » vous savez ces histoires en fait je n’y crois pas, on m’a sollicité, mais bon, c’est complètement extérieur à moi  » mais en fait il demande au thérapeute d’en rendre compte et à la limite où est-ce qu’il est, lui, là-dedans, aussi ?

J.J. Tyszler – Il les croit.

N. Anquetil – Il les croit, oui.

J.J. Tyszler – Double posture…

Il y a une troisième question, Josiane, par rapport à Freud. Ce qui est amusant dans la correspondance de Freud, c’est qu’il donne au fond toute son…, il donne toute sa traversée de sa notion de la paranoïa. Quand tu lis le début du travail de Freud sur la paranoïa, il raconte des cas cliniques et il se montre assez optimiste, hein, il dit  » eh bien, voilà, je me suis engagé avec tel patient, untel déliré, plus des hallucinations  » et ce qui est drôle on a un premier temps où effectivement, c’est ça qui me paraît intéressant, c’est que Freud traite tout le matériel au même niveau c’est-à-dire il traite les hallucinations en particulier comme des phénomènes imaginaires, comme le délire. Après le temps passe et on s’aperçoit qu’en bout de course, Freud écrit à Fliess, à un autre et lui dit  » j’ai reçu encore une paranoïa au bout de quinze jours, on a arrêté  » c’est-à-dire déception, si c’est une paranoïa, on ne fera rien. Donc, c’est la question, je crois que J. Lacan dans le séminaire III a dit  » tant que nous n’aurons pas réglé la place de la question de l’objet dans les psychoses, nous n’avancerons pas « . C’est là ma question, est-ce que tu penses quand même que chez Freud, semble-t-il, il y a cet embarras. Freud traite au même plan toute chose comme compensation imaginaire, enfin défensive. Il me semble que J. Lacan indique là qu’il faut traiter les choses dans des registres séparés que tout n’est pas affaire de sac intérieur, extérieur, bon ou mauvais mais qu’il y a trois registres que le délire s’il est imaginaire, l’allucination, elle, est réelle, c’est la voie comme réel parce que sinon nous en avons toute la continuité dans toute l’école américaine de psychanalyse. Comme tu le sais, c’est-à-dire S… Karl Burle (?) et compagnie continuent dans les grandes psychoses à considérer, il est vrai, que l’allucination se traite comme un symptôme hystérique. D’ailleurs, c’est le même matériel, tu vois, c’est ça ma question, dans Freud, il y a déjà cet embarras ?

J. Quilichini – Tout à fait. Tu as raison de rappeler que Freud les traiter comme des névrosés, il y a des choses aberrantes et même il les aggrave. Je me souviens, je ne sais plus laquelle parmi tous les cas, c’est ahurissant puisque il ne cherche des scènes sexuelles, …, il l’a fait parler, il l’a fait parler et quand elle ne changeront pas fort heureusement avant, malheureusement elle s’aggrave. C’est vrai que de ce côté là il n’était pas bien repéré.

Mais l’intérêt là quand même de cette question de (l’Anglebahn), cette croyance dans laquelle nous serions enveloppés c’est que quand même ça définit des registres. Cet Angelbahn dont il s’agit c’est une question d’une frappe symbolique qui a lieu ou qui n’a pas lieu et en ce qui concerne la question de l’objet, là c’est vrai c’est une question qui n’apparaît pas du tout dans ce travail… Moi, ce qui m’avait frappée dans le séminaire sur l’Angoisse où la question de l’objet était donc amenée, cet objet a, c’est que cette angoisse, donc, qui ne trompe pas, qui est là pour pour indiquer que l’objet cet autre il est là, l’objet proche dans ce désir là, qu’est-ce qui fait que ça… quelque chose peut s’apaiser de l’angoisse c’est quand même qu’il y a une nomination. Kirkegart, lui, éradique carrément, c’est la nomination de Dieu qui fait tomber l’angoisse mais Lacan dit la même chose mais autrement en faisant justement référence à cette question encore une fois du nom du père. Toute cette question du chauffard qui avait été apportée, que d’ailleurs il reprendra à propos dans la question d’Abraham dans les Noms-du-Père en disant au fond qu’est-ce qu’il va sacrifier Abraham au lieu de cet enfant, qui pourrait être cet objet a qu’il aurait là à sacrifier, ce qu’il va sacrifier, c’est l’ancêtre puisqu’il va sacrifier le bélier faisant référence à ce qui a été dit dans les textes de Lacan disant que le bélier, c’est l’ancêtre de l’homme. Donc qu’est-ce qui nous sauve enfin qu’est-ce qui sauverait de cette question de l’angoisse et de cette proximité de l’objet, c’est effectivement la question de cette foi ou du père parce que justement c’est très difficile, moi, je trouve cette question de l’objet paranoïaque bien que ce matin et puis toi-même tu aies apporté cette idée de l’enveloppe, donc ce matin il était question de l’emmaillotage carrément de l’objet, c’est justement, je dirais très important ces avancées là parce qu’il est très difficile de se repérer avec l’objet chez un paranoïaque, moi, je le saisis mieux dans le travail avec des schizophrènes ou même dans ses moments de passage à l’acte où ils sont là identifiés à cet objet a mais chez le paranoïaque qui est justement du côté de cette surface du spéculaire malgré tout c’est-à-dire de la rivalité du complexe d’intrusion comme a dit Lacan à un moment donné, la question de l’objet a pour moi reste très problématique. Voilà.

C. Dorgeuille – Je voudrais juste faire deux petites remarques. Je suis d’accord avec ce que vous avez dit concernant Freud mais c’est quand même Freud au tout début c’est-à-dire tout au long de sa vie, il n’a jamais cessé de se poser la question, en effet de ce qui pouvait se distinguer, différencier la névrose de la psychose et comme vous le savez, l’introduction au narcissisme est la résultante des discussions avec Jung et des embarras qu’il a rencontrés dans l’analyse du cas Schreber. Bon, c’est-à-dire que même si les réponses qu’il donne sont évidemment pour nous moins satisfaisantes que l’élaboration que fait Lacan à partir de la petite remarque tout à fait discrète qu’on trouve dans l’observation de  » L’homme aux loups « , on ne peut pas considérer qu’il en soit resté là et son attitude en face de ses malades dans la pratique en témoignait bien d’ailleurs.

La deuxième petite remarque c’est celle que vous avez faite concernant l’athéisme disons garanti, si je puis dire, du … du névrosé. Ça ne me paraît pas aussi évident que cela, j’aurais plutôt tendance à dire le contraire et en m’appuyant sur cette remarque de Lacan que les seuls vrais athées, c’étaient les théologiens.

M. Caumel – Alors pour aller dans le sens de M. Dorgeuille, le patient dont je vous parlais ce matin, chaque fois que je lui dis quelque chose, il a cette phrase  » vous croyez  » c’est-à-dire vous croyez. Je lui dis quelque chose, il me dit  » vous croyez « . Alors moi la question que je poserais par rapport à ce que dit J.J. Tyszler, c’est  » quelles sont les capacités d’un psychotique pour lire ce qu’il en est de sa structure ?  » car il a en effet une difficulté pour lire sa structure puisqu’il lit toutes les lettres. Ce qui fait qu’il peut comme ça dans le transfert nous mettre mal à l’aise. Alors est-ce que c’est possible d’envisager pour lui lorsque nous avons dégagé sa structure d’enveloppe de lire quelque chose de sa structure ? C’est comme ça que je poserais la question.

J. Quilichini – C’est une question ou une remarque ?

M. Caumel – Une question (simultané) J. Quilichini – Une remarque ?

M. Caumel – Question, remarque, comme vous voulez !

J. Quilichini – J’entends rien ajouter de particulier, là, à votre remarque.

Louis Sciara – Bascule paranoïaque chez un hypochondriaque

X – Tout à l’heure nous évoquions discours paranoïaque et nombre. Alors au risque de passer moi-même pour être paranoïaque il y a trois chiffres que vous nous avez donnés. Alors je me demandais si 11 + 4 cela ne faisait pas 15 puisque 11 c’est le propos fou de sa mère, 11 c’est misérable, 4 c’est ce qu’il mesure de son pénis et 15 c’est lâche, c’est là quand son père meurt.

L. Sciara – J’avoue que je n’avais pas penser à cela. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il y a eu une symbolisation quelconque autour de cela. Je ne crois pas qu’on puisse le déduire ou du moins qu’on puisse le… parce que là ça laisserait supposer qu’il y a un repérage, effectivement il m’a dit que son père était décédé à 15 ans mais ça laisserait supposer quelque chose qui aurait plutôt trait au refoulement et qui viendrait prendre… ça laisserait supposer que tout ce langage corporel serait pris dans un type de symptôme névrotique or moi, j’en sais rien a priori c’est pas du tout ce que j’ai entendu de ce patient. Ce qui m’intéresse dans votre question, c’est surtout le fait que pendant quelques mois je ne savais pas à quel type de structure j’avais affaire c’est-à-dire qu’il y avait quelque chose qui me paraissait inaudible de sa paranoïa parce que sa mégalomanie, elle est allée crescendo et par ailleurs il y avait aussi un certain nombre de propos qui me semblaient pouvoir être ceux d’un pervers ou d’une perversité comme ça qui me… voilà mais je ne sais pas, je ne sais pas si cette numérologie… au fond on peut dire que c’est une construction qui peut être faite comme ça à partir de l’écoute même de l’analyse du praticien… je ne sais pas … oui, et il y avait aussi cette façon de dire 4 cm, 3 ou 5, moi, je n’ai retenu qu’un, c’est vrai…

J.J. Tyszler – Je voulais te remercier parce qu’au fond sur le terme hypocondrie même parce que ton exposé réhabilite d’abord un signifiant, un signifiant qui est celui de l’hypocondrie qui était trop souvent exclu du champ des psychoses et de la paranoïa, alors ce cas qui est intéressant et marrant par certain côté il fait valoir que ce mot hypocondrie est un des mots, une des portes d’entrée au coeur de la psychose et ça je crois que toute l’histoire de ce mot est intéressant puisque c’est un mot extrêmement ancien, l’hypocondrie, comme on le sait, le h enfin le second h se perd en route pour des raisons qu’il faudrait mieux expliquer. Chez les psychiatres classiques, les grands psychiatres que tu sites enfin comme Cotard ou Ballé ou Falré etc. eux savaient que l’hypocondrie était au coeur de la psychose ensuite on ne sait plus, ça disparaît, c’est employé comme trouble somatophore ou que sais-je. Chez Freud lui-même dans son itinéraire, donc au début c’est pas si claire ensuite il le remet au coeur de la paranoïa avec Schreber. Je veux dire le mot même vaut comme tel et qu’on y réfléchisse avec ce que tu dis qui est très juste, ça nous donne quand même une typologie de l’objet, comme tu le signales très bien, particulier en tant qu’incarcéré, je veux dire donc, ça ouvre toute une topologie de ce qui est la surface et l’incarcération de l’objet, ce que tu dis à ta façon dans le cas clinique, pour d’autre cas, ça serait donc autre chose, peut-être une remarque qui serait à discuter, c’est hypocondrie du corps et de la langue, on peut quand même dire que c’est surement pareil enfin par certains côtés, ça, ça serait quand même une chose à établir et chez beaucoup d’hypocondries, la langue elle-même se transforme, peut-être pas initialement mais en cours, c’est manifeste. Troisième, là, petite chose, il faut relire le complément à l’histoire de l’homme aux loups, quand Rüd Brunswick raconte ce qui se passe pour l’homme aux loups concernant ses dents puis son nez et que sur son nez il y a un trou qui ne se comblera pas et que ça c’est le ferment de sa revendication, c’est quand même extrêmement intéressant.

Jean-Marc Faucher – L’érotomanie

X – Je voulais demander par rapport à ton terme d’inertie dialectique si au contraire on ne pouvait pas penser aussi bien que la construction délirante de ce que peut en être d’une conduite de la cure en s’appuyant sur le signifiant n’était pas quelque chose qui allait dans le sens un petit peu contraire de celui d’une nouvelle nomination ?

J.M. Faucher – J’ai pas très bien compris ta question…

X – Ce que j’ai essayé de dire c’est que si on quitte le domaine d’un imaginaire qui lui serait complètement plein au niveau du sens pour effectivement s’appuyer aussi bien dans la cure comme le parfois certains délirants eux-mêmes dans ce qui est leur propre système signifiant c’est-à-dire où ils peuvent être amenés à partir d’un incident à quitter le domaine de l’imaginaire, à ce moment là il y a toute une dialectique qui se met en place, dont on peut espérer qu’effectivement il puisse y avoir quelque chose d’une autre stabilité que cette stagnation imaginaire du débat.

J.M. Faucher – Pour qu’un progrès dialectique soit possible, il suffit pas simplement de quitter le champ de l’imaginaire puisque… je peux reprendre ce que j’ai laissé passé tout à l’heure sur la question, justement la question… On ne peut pas interroger le réel directement, il faut un symbole pour pouvoir interroger le réel et justement ce qu’on constate avec le paranoïaque, c’est qu’il n’interroge pas, il ne pose pas de question. Donc il y a… quand je disais que entre l’aveu d’une ignorance et une question, il y avait tout un chemin encore, c’est que l’ignorance quand elle n’est pas guidée par une question c’est-à-dire quand elle est sans adresse, elle est… enfin si Lacan disait que quand on pose une question, c’est qu’on a déjà la réponse, quand on n’en pose pas, quand on est dans l’ignorance sans justement la perspective de questions, eh bien, on se rend compte que l’ignorance est également grosse de savoir, de savoir virtuel prêt à se développer et je veux dire il s’agit donc pas de quitter le champ de l’imaginaire mais au contraire d’essayer de remplir par l’imaginaire, par l’injection comme ça d’une intersubjectivité quelque chose qui est un trou.

Quitter le champ de l’imaginaire, c’est plutôt traumatique c’est-à-dire que dans ces conditions là c’est plutôt traumatique puisque ça confronte le psychotique, le paranoïaque en l’occurrence à quelque chose qui est au delà de l’intersubjectivité. Quand je parlais du jeu avec une machine, c’est ça.

X – Oui, j’aurais ajouter cette affaire sur la perversion et l’érotomane qui m’est apparue, moi, sur un cas clinique que je suis depuis quelque temps, à savoir une érotomane qui a dû renoncer à son ami et amant après procès, plein de choses comme ça et qui a quand même dans l’idée toujours depuis cette chose curieuse que dans le fond elle souhaiterait bien que son ex meurt, qu’elle puisse récupérer les cendres, mettre ses cendres dans une amphore et passait sa journée à l’acheminer pour contempler cette amphore. Alors oui, cette question me rapproche de la perversion, on rencontre bien des pervers qui jouissent aussi comme ça de la mise à mort lente de l’autre, je ne sais pas comment prendre cette question… voilà ce que je voulais dire.

J.M. Faucher – Les rapports entre la psychose en général et la perversion et la paranoïa en particulier sont vraiment très difficiles à articuler. Avec la cas qui nous a porté tout à l’heure, on voit bien comment derrière la figure de l’escroc, la psychose peut se dissimuler c’est-à-dire ce sont pas des catégories homogènes. Dès lors que justement la dialectique est celle de l’autre si le paranoïaque comme ça se saisit d’une dialectique perverse eh bien, il s’en saisit de la même façon, c’est vrai qu’en disant ça je me rend compte que je ne fais que répéter mon propos et je ne réponds pas à ta question. La question que tu soulèves est différente de celle de l’objet, l’objet pervers.

B. Vandermersch – Le cas dont vous parliez à l’instant me fait penser à ce que l’on parlait ce matin de la question de l’enveloppe et de la réalisation finale de cet enfoiré parfait… dans son amphore l’objet enfin emballé et donc d’un néonarcissisme qui tendrait à alimenter un peu l’eau de ce qui avait été dit ce matin d’un défaut du narcissisme et que dans la démarche surotomane(?) c’est que l’autre a toute l’enveloppe et moi je suis toujours… enfin toujours nu par rapport à l’autre, je ne suis jamais comme il faudrait, quoi, c’est à moi de… et que peut-être cette… la solution de retrouver enfin une enveloppe présentable et de pouvoir me mirer définitivement dans cette réalisation, dans cette unification mortelle, enfin…

L. Sciara – Je pensais à ce que tu racontais… La question pour la perversion ce qui me vient… sur le fait que tu dis finalement il y aurait quelque chose de symétrique entre la question de la perversion et enfin, bon… Peut-être ce qui pourrait affiner la question, c’est au fond autour de la question de l’instrumentation du partenaire c’est-à-dire que dans la clinique ça peut, il me semble que ça peut se lire différemment, voilà ce qui m’est venu c’est-à-dire autour de cette question de l’instrumentation de l’autre et du petit autre. Et d’ailleurs c’est une question que je m’étais aussi posée pour mon cas clinique puisque, quand j’évoquais l’emboîtement il me semble que ce n’est pas tout à fait le même type de registre que la question du pervers qui va… enfin là je veux dire il y a quelque chose d’un collage des parties génitales en question, la question du pervers, c’est la façon d’utiliser la jouissance, enfin de parvenir à la jouissance en instrumentant l’autre et alors il me semble que c’est très différent effectivement de la question de l’érotomanie, enfin je ne sais pas mais en tout cas c’est ce qui m’a paru le plus pointu dans la question de ton exposé, c’est-à-dire quel type… l’inertie dialectique, il me semble qu’il y a certainement un type \ »d’intentionnalité\ » qui pourrait être supposé pour le pervers mais qu’on ne pouvait pas supposer pour le patient paranoïaque même si ça pouvait revêtir cette question de la perversité etc.

J.M. Faucher – Oui, puisque pour lui l’intention est de l’autre côté.

L. Sciara – Voilà !

Jean Périn – Avec virgule ou sans virgule

M. Caumel – J. Périn, nous te remercions beaucoup puisque tu remets à l’ordre du jour ce que nous disions des paranoïaque à savoir qu’ils perdent la raison et donc je vais vous laisser faire des remarques mais je poserais la question : est-ce que le paranoïaque ne nous apprend pas que avec la science nous perdons la raison ?

J. Périn – Oui, on peut dire cela.

X – Moi, je vais poser une petite question subsidiaire, est-ce que ce M. G. était le second fils ?

J. Périn – Ah ça je ne peux pas dire, je ne me suis pas renseigné mais peut-être quelqu’un dans la salle pourrait donner ce renseignement car C. Dorgeuille, il se trouve que C. Dorgeuille a connu ce personnage et comme je l’ai dit tout à l’heure c’est Claude qui m’a passé le bouquin. D’ailleurs il est mort en 93 après avoir épuisé toutes les voies de recours, après avoir publié son bouquin. Il n’a pas pu lire la nouvelle loi mais il l’aurait critiquée…

C. Dorgeuille – Premièrement, il est mort après la publication de son livre en 94… Je ne sais si il était deuxième fils…

M.G. Dorgeuille – Je ne sais pas, je crois qu’il y avait effectivement plusieurs enfants mais je ne sais pas…

J. Périn – Il parle de ses enfants dans le livre… oui je m’excuse, je parle, on ne m’a pas posé de question, il faut suivre la procédure…

J. Cacho – Moi, j’aurais intérêt à demander à Catherine, qu’elle est pour elle l’intérêt de cette question ? puisqu’elle la pose, qu’est-ce qui pourrait y avoir pour nous dans le cas dont tu me parles d’incidences sur le fait qu’il soit le premier ou le deuxième ?

Catherine – D’une part parce que c’est le second qui passe en justice à la place du capitaine, et le second qui n’a pas désobéi, voilà ! Donc dans les familles…

J. Périn – C’est son histoire…

Catherine – Oui, c’est son histoire, c’est le sentiment que ça donne en tout cas et dans les familles qu’on reçoit on voit bien l’importance des places, quand c’est un second qui arrive… quel numéro il est dans sa fratrie…

J. Périn – Mais le capitaine peut être le père aussi… forcément le maître… et le second… ça pourrait être le fils…

M. Caumel – Est-ce qu’il peut être le premier quelque soient ses places dans la fratrie, le paranoïaque ? puisque par exemple dans le film Toto, le héros, je veux dire où on a le déploiement d’une paranoïa, il estime que c’est l’enfant qui était en face et qui a réussi, qui a pris sa place c’est-à-dire qu’il y en a toujours un qui a pris sa place. Je me demande s’il n’est pas toujours le second…

X – … A propos de la théorie de la …, vous avez parlé de personnalité d’emprunt or c’est criminalité d’emprunt dans la théorie juridique ?

J. Périn – Oui, criminalité d’emprunt, j’ai dit \ »personnalité\ », c’est un beau lapsus… on est en plein dans la théorie de la personnalité et si vous me permettez d’ajouter quelque chose, c’est que ce brave homme s’est appuyé sur les droits de l’homme pour aller à Strasbourg. Tout le monde a le droit à un procès équitable. Voilà, donc si vous n’avez pas un procès équitable en Italie, en Espagne ou en France, vous allez à la correction et puis vous dites au tribunal des Droits de l’Homme :  » Je n’ai pas eu un procès équitable « . Ils vont refaire le procès. Ça se sont les droits de l’Homme et droits de la personnalité. Je vous en donne un très beau cas, je n’ai pas voulu développé cette question là, bien sûr mais il y a plein de questions. C’est le transsexualisme qui confond le fait et le droit, bien sûr.

A. Dufour – Oui, Jean, je voulais te demander qu’elle était ta réponse sur une lecture possible du texte qui est écrit au tableau, les virgules ça permet l’élision logique dans un tronçon de phrase, on peut se permettre ça…

J. Périn – C’est ce qu’il dit, lui, carrément…

A. Dufour – … et il y a une lecture possible, et c’est là-dessus que je voudrais ton avis, donc, qui pourrait apporter un éclairage supplémentaire sur l’intérêt pris par cette homme à ce texte, la lecture est la suivante : la procédure définie ci-dessus leur est applicable contre la sûreté de l’Etat…

J. Périn – dans le cas de complot, oui…

A. Dufour – Non, mais c’est-à-dire que, lu ainsi, je suppose que tu as réfléchi à ces différentes combinaisons mais lu ainsi, on peut entendre que c’est l’application même d’une procédure qui permet de compromettre la sûreté de l’Etat  » la procédure définie ci-dessus leur est applicable contre la sûreté de l’Etat « ? N’était-ce pas à travers cette virulence de 20 ans le voeu secret à l’insu même du procédurier que d’atteindre la sûreté de l’Etat, tu vois, enfin c’est une question ?

J. Périn – Qu’est-ce que lui comme procédurier il voulait atteindre ? Il voulait atteindre une sûreté comme Schreber dans son procès c’est-à-dire 20 ans de procès laisserait supposer qu’il y aurait quand même du sujet quelque part et que ce qu’il recherche, c’est pas voulu, je n’ai pas voulu en parler, là parce que qu’elle est l’essence même de la procédure ? Mais il recherchait quelque chose, ça c’est certain. Il est mort après.

M. Jeanvoine – Jean, tu nous as apporté une très jolie histoire avec le capitaine et le second et il me semble que cette petite histoire est tout à fait lisible et on la retrouve dans toute la suite, je crois, de ce que tu évoques. Elle se propose comme une séquence qui vient organiser l’ensemble de son propos et que cette séquence, me semble-t-il, a une structure tout à fait particulière. Je crois qu’elle a la structure, ce que je vous propose en l’entendant, la structure du paradoxe, ça a la structure d’un paradoxe logique et que plutôt de dire, comme tu disais, que S1 S2 sont là dénoués, assurément ils le sont mais que dans cette séquence ce dont il s’agirait, c’est plutôt sur ce versant là que j’ai tendance en général à prendre les choses qu’avec cette séquence il noue S1 S2, il tente de nouer ce qui est dénoué.

J. P. – Oui, je suis d’accord.

M. Jeanvoine – … c’est-à-dire qu’il y a une structure topologique qui fait nouer dans la continuité quelque chose et qui lui permet d’organiser sa plainte et dont il se soutient. Alors voilà ce que je voulais dire c’est-à-dire il a peut-être perdu la raison mais que par cette séquence il tente de s’en découper une nouvelle.

J. Périn – Tout à fait. C’est quelque chose que je n’ai pas développé, je suis très content que…

M. Caumel – … surtout qu’il s’agit d’un texte sur la raison d’Etat

J. Périn – … sur la raison d’état, ah oui, en plus, tiens ! Ça n’est pas de la tarte cette affaire là…

M. Caumel – Moi, je voulais en plus puisque, vous savez, je suis travaillé par les bords, tu dis à un moment donné dans son souvenir d’enfance, au fond il n’y a plus de capitaine à bord et puis il nous met à bord avec une virgule et puis en plus il y a le guillemet dont tu n’as pas parlé qui est très utilisé chez lui, qui est un double bord, et qui est une double virgule, alors je me demandais la chose suivante et je voulais poser cette question puisque pour lui au fond le problème c’est comme il n’y a plus de capitaine à bord comment on peut border la raison d’Etat puisque c’est toute sa question pour qu’il puisse exister en tant que sujet, puisque s’il n’y a plus de bord comment il peut s’inscrire dans une logique qui ne l’exclut pas comme sujet, puisque c’est tout aussi la deuxième question, alors je voulais te demander quels étaient les effets qu’avait eu – parce que tu as travaillé sur Bentham – quels effets ont d’après toi la science sur la raison, je veux dire, au niveau du droit et comment la deuxième question, éventuellement nous pourrions entendre la revendication paranoïaque comme quelque chose qui s’inscrit en ce lieu et place où à ce qui organisait la loi à savoir le père, est venu se substituer la science ? Voilà.

J. Périn – T’as répondu en même temps, eh oui, que veux-tu que je dise maintenant.

M. Caumel – Tu es d’accord ?

J. Périn – Oui, tout à fait. Ce que j’ai montré récemment dans des articles, c’est que le droit s’aligne sur la science parce que le droit n’a jamais été une science, jamais, jamais ce serait plutôt une poétique, ça vous paraît drôle mais c’est comme ça, une esthétique même. Mais il n’a jamais été une science bien qu’on l’ai appelé science, justement c’est ce que le droit est en train de perdre en ce moment, c’est ce côté un peu scientifique,  » un peu bizarre à rabouter les trucs « , tiens au fond le droit, c’est un petit peu comme la topologie, on prend des trucs, des cas, on les met ensemble, on les met là, on les raboute, ça c’est comme ça et puis on crée un espace comme ça, c’est pas du tout une logique comme on le pense, le droit, bon… Et à l’heure actuelle le droit s’aligne sur la science. On l’a vu pour le transsexualisme…

M. Caumel – Je précise la question. Est-ce que tu penses que ça ne rend pas fou encore plus qu’auparavant les sujets ?

J. Périn – Tout à fait.

M. Caumel – … c’est-à-dire qu’il y aurait cette sorte de pente ou au fond quelqu’un qui se borde comme il peut même s’il est dans la psychose, ce genre d’ambiance ne fait que flamber sa paranoïa. Si vous voulez c’est pour essayer d’éclairer les 20 ans de procédure c’est-à-dire ça ne s’arrête jamais pour lui.

J. Périn – On peut dire les deux. On peut reprendre ce qu’a dit J.J. Tyszler hier qui a parlé non pas d’une folie à deux mais d’un couple – voilà ce n’est pas une folie à deux, c’est un couple où l’un s’appuie sur ce droit là que je suis en train de définir et s’appuyant sur ce discours là va en faire partir l’autre de son couple qui lui va se demander tout d’un coup s’il n’est pas fou. Alors autrement dit cela peut engendrer, ça je l’avais montré à Marseille que nos législations actuelles engendraient de la paranoïa, ça c’est sûr, tout le monde est d’accord maintenant là-dessus, mais je pense que dans certains cas cela peut être thérapeutique, si tout le monde est comme ça, si tout le monde peut saisir le Conseil constitutionnel, si tout le monde est fou, plus personne est fou…

M. Caumel – Oui, c’est ça…

J. Périn – Malheureusement, on ne rigolera pas… plus y a de fous, on rigole…

Michel Daudin – Les incidences paranoïaques et direction de la cure

J.J. Tyszler – Je trouve le cas passionnant alors j’aurais aimer juste des précisions à Michel. D’ailleurs il y a une chose que j’ai mal compris c’est il y’a deux épisodes, la crépusculaire un peu bizarre que tu décris sur dix ans – Oui. – Et j’ai mal perçu ce qui se passait entre les dix ans à savoir quel type de structure était chez toi en clinique, qu’est-ce qui se passait entre ces épisodes, rien du tout ou bien est-ce que tu repérais quand même enfin des choses. Bon, ça c’est ma première question.

M. Daudin – …les deux épisodes, c’est deux épisodes aigus avec à bas bruit se maintenant toujours la même alternative tout le long des dix ans c’est-à-dire comme je le disais à un moment où elle se posait elle même en place d’espions pour ne pas avoir à être troublée par le discours ou découverte par le discours des autres. C’est-à-dire qu’effectivement cette jonction réel-symbolique donnait une interprétation quasiment paranoïaque permanente à son état.

J.J. Tyszler – Donc elle gardait ce que … à bas bruit. La seconde question c’est sur ces extincteurs et le terme de signification enfin personnelle à savoir est-ce qu’on peut pas dire quand même que cet extincteur, il lui parlait à elle en quelque sorte. Je veux dire il est peut-être là du côté de la signification qui, tu le sais, est si importante dans le séminaire III. Bon, enfin c’est une question.

La troisième aurait été sur le terme que tu n’as pas utilisé de sensitivité, le Krechmer, est-ce que pour toi la question du sensitif, là du Krechmer parce que il y a des éléments donc à l’intérieur de ce que tu as apporté, le phallus pouvait être vécu comme excluant le sens là réel, enfin, bon… le troisième point, c’est la sensitivité et ses tableaux assez compliqués avec Krechmer qui évolue un peu par aspérité comme tu l’indiquais, explosion puis ensuite chose un peu plus torpide.

Et la quatrième question, c’est ce que tu appelles le fantasme parce que j’ai mal perçu ce que tu dis, c’est-à-dire quelle lecture tu donnes de son fantasme ?

Michel Daudin – Alors, la lecture de son fantasme c’est moi qui l’ai ramassée effectivement, comment je l’ai écrit exactement… Je l’ai écrit comme ça  » restaurer la défaillance du père c’est-à-dire son incapacité à calmer son angoisse « , je crois que c’est la façon dont elle-même après le deuxième épisode, après cet effet où elle a pu citer l’extincteur comme servant… c’est pas évident comme réponse : à quoi ça sert un extincteur ? ça sert à calmer l’angoisse c’est-à-dire qu’il y a eu un effet pour elle effectivement de dénonciation de son fantasme et qu’effectivement à partir de là elle a pu considérer à quel point elle-même avait toujours fantasmé, qu’elle avait besoin de rester près de son père pour que lui-même puisse faire valoir sa propre question. Ce qu’elle avait donc effectivement dans toutes ses démarches, elle avait toujours quitté des petits autres pour rester auprès de son grand Autre paternel, j’ai envie de dire. C’est un peu pour ça que j’ai ramassé ce fantasme que je considère comme un fantasme sous cette forme là et moins donc comme une sensitivité permanente d’une maladie de Krechmer, y avait d’ailleurs pas de notes dépressives, c’était même plutôt parfois sur un mode un peu ludique, d’un ludisme qui n’était pas non plus de la manie, y avait beaucoup de ludisme, beaucoup de ludisme avec peut-être également une façon quand elle trouvait, que je signale comme ça par… en annexe que j’ai envie de dire, c’est que quand elle trouvait pas des choses du côté de la lettre, elle allait interroger les nombres et elle allait voir des numérologues qui lui permettaient effectivement d’avoir une certaine sédation, elle m’a d’ailleurs fait écouter une bande, une interprétation par une numérologue chez qui elle était allée et je crois qu’il y avait là effectivement quelque chose qui lui permettait de réouvrir en permanence la question de la lettre, de ce qui pouvait être le chiffre final. Et je crois que la question de l’interrogation de son chiffrage, c’était quelque chose d’important pour elle et que vraiment il y a eu une transformation de son état interprétatif permanent à partir du moment où sur une énonciation il y a eu de sa propre énonciation, interprétation.

……………

Alors les lettres en caractères arabes lui étaient adressées effectivement à elle, et les autres, elle se posait la question de savoir à qui elles étaient adressées. Elles les avait trouvées mais elle se demandait si c’était à sa mère, à une autre enfin ça restait… elle restait très en suspens pour savoir à qui étaient adressées ses lettres mais elles étaient très belles.

X. – C’était effectivement des lettres codées, donc ?

M. Daudin – C’était des lettres du style… J V, L I É, bon comme ça… J’en ferais pas un poème parce que ça serait vraiment un exercice difficile et que j’ai pas pu garder comme ça de mémoire mais il y avait des pages entières formées uniquement par le phonétisme de chaque lettre.

Marc Caumel – Ça, tu l’authentifie ?

M. Daudin – Oui.

Jorge Cacho – L’enjeu du débat

M. Caumel – Je suis très content de ce que tu as amené, dans le sens suivant c’est que tu nous amènes quelque chose qui est très actuel à savoir la question du sentiment d’intelligence et je me suis demandé, mais bon, je laisserai aussi la salle répondre là dessus, puisque Lacan nous dit que aussi l’intelligence est un affect, or là, il s’agit d’un sentiment et que cette question de l’intelligence quand on se balade et qu’on voit les journaux, on nous en parle toute la journée et puis il paraît même qu’elle serait artificielle, alors je me demande, si vous voulez, si l’intelligence c’est pas la maladie du paranoïaque, en tant que pour le coup, si tu veux, cette intelligence viendrait lui donner une signification personnelle. Bon, à vous les amis…

J.J. Tyszler – Jorge ! Là ça serait plutôt avant l’intelligence que tu exposes ?

J. Cacho – Ça dépend comment nous entendons ce mot puisque ta question, Marc, parce que la signification personnelle telle que Lacan la ramène et que finalement il la subsume au mécanisme de l’interprétation comme telle, ce qui me semble très curieux dans ces phénomènes de signification personnelle, c’est que le patient se sent concerné, il y a de la signification, ça le rend intelligent, ce que nous savons que souvent ça le rend très inquiet, peut-être que ça c’est un signe d’intelligence

M. Caumel – Ça oui (rires). C’est inquiet. Je te disais ça, si tu veux, parce que dernièrement il y a quelqu’un qui s’est mis à délirer après… il lui arrive de délirer de temps en temps et chaque fois qu’il délire il est simple pour lui, la vie devient simple c’est qu’il est très intelligent et chaque fois qu’il devient très intelligent, il va à l’hôpital psychiatrique.

J. Cacho – Peut-être qu’il a pas tort…

M. Caumel – Il a pas tort… mais si tu veux, moi, je reprendrai la question parce que souvent l’intelligence on la met du côté de la rationalité…

J. Cacho – Oui, ça c’est vrai

M. Caumel – … or il semblerait que ce soit pas si évident que ça, cette affaire là, et je reposerais la question par rapport à l’enjeu du débat est ce que c’est quand même une rationalité, est-ce que c’est toujours une rationalité telle qu’on l’entend nous même ce développement là ?

J. Cacho – C’est une rationalité particulière sûrement et je crois comme tu l’as évoqué au début de la matinée la question, mais ça serait nous engager dans un long débat qu’on avait déjà commencé il y a quelques années…

M. Caumel – … pas très intelligent

J. Cacho – Je vois que tu es très attaché à … (rires) pourquoi pas, c’est pas un mauvais signe… nécessairement…

J.M. Faucher – Oui, Jorge, j’ai été très intéressé par ta relecture de ces textes et ta question comment est-ce qu’on peut distinguer une interprétation pathologique d’une interprétation normale, c’est une question qui a toujours traversé… et notamment c’est pas évidemment pas à partir du fait qu’elle serait juste ou fausse et est-ce qu’au fond ça n’est pas en voyant comment Freud dans l’article Interprétation et construction de l’analyse, comment Freud traite de cette question de la justesse ou de la fausseté de l’interprétation qu’on peut effectivement voir en quoi l’interprétativité freudienne n’est pas pathologique mais je trouve que là tu soulignes dans ta lecture de ces textes des choses tout à fait intéressantes c’est-à-dire ce serait en ce que l’interprétation est entendue comme témoignant du fait que ce qui nous est dit nous concerne qu’elle serait pathologique, ce qui nous est dit, témoigne d’un intérêt et alors c’est à cet égard que c’est intéressant d’interroger la vie sociale c’est-à-dire comment par exemple effectivement qu’est-ce qui fait la normalité de la vie sociale, en quoi est-ce que… quel savant mélange fait cette… comment dire…  cette faculté qu’on peut avoir de vivre socialement, convenablement c’est-à-dire par exemple les questions qui nous sont adressées régulièrement comme ça  » Ça va  » ? si on prend cette question comme le témoignage d’un intérêt effectivement nous visant personnellement et qu’on se met à y répondre d’une façon un peu trop… on se rend compte qu’effectivement ça commence à ne plus aller mais en même temps on ne peut pas non plus être complètement absent et considérer que ce qui nous est adressé ne nous concerne jamais… je veux dire, il y a là…

J. Cacho – Tout à fait. Je voulais seulement poursuivre ta remarque c’est qu’effectivement… enfin de quel critère analytique pouvons-nous nous réclamer pour établir une différence entre l’interprétation dite normale et l’interprétation dite pathologique ou délirante. A partir du concept de la signification personnelle c’est-à-dire qui n’est pas un sentiment justement mais qui c’est un phénomène où le sujet se sent concerné alors effectivement à quel place se sent-il concerné, ça pose me semble-t-il parmi d’autres la question qu’est-ce que c’est qu’être concerné, comment un analyste, à quel titre, à quelle place il est concerné et par quoi il est concerné mais effectivement si nous partons de ce phénomène de la signification personnelle, Freud a des remarques tout à fait curieuses et qui posent la question de manière si aiguë et ce n’est pas par hasard qu’il en parle non seulement quand il examine la question de la paranoïa dans ses premiers textes sur les psychonévroses de défense ou encore dans le, je crois, le… comment il s’appelle… le manuscrit Kapka mais surtout il y a une remarque étonnante dans la psychopathologie de la vie quotidienne et très particulièrement dans l’oubli des noms donc quelque chose qui a affaire à la nomination. Et il prend des exemples de sa propre expérience, de sa propre oubli des noms et il fait une remarque tout à fait curieuse, il ne peut pas retrouvé les noms supposés par lui étant celui qu’il cherchait et qu’en passant par une autre référence à lui et il emploie les termes et il dit, n’est-ce pas, ce terme qui a été attribué par les cliniciens à la paranoïa. Et il se pose la question en quoi la référence personnelle serait, n’est-ce pas, un mécanisme pathologique puisque, dit-il, je suis convaincu que ce n’est pas seulement une méthode qui est la mienne de passer toujours par moi, par mon histoire, par mes souvenirs etc. pour reconstituer, retrouver les noms oubliés mais que c’est une expérience commune. On se pose effectivement en quoi un analyste est concerné. Enfin, c’est une des questions.

Là où me semble-t-il les critères, enfin plus que les critères est développé par Lacan d’une manière si … comment dire… si consistante dans le séminaire III où effectivement de ces significations personnelles, il va souligner l’aspect non dialectisable, l’évacuation comment ces significations elle n’est pas apte à être soumise à la dialectisation…

B. Vandermersch – Oui, enfin, c’est déjà beaucoup de choses ont été dites sur ce que je voulais dire. C’est vrai que la première chose qui se pose pour quelqu’un, c’est de se demander pourquoi nous ne sommes pas toujours concernés, pourquoi on ne pense pas, puisque nous sommes ce qu’un signifiant représente pour un autre signifiant, alors c’est peut-être là où justement arrive l’intelligence qui est entre les deux c’est-à-dire nous sommes représentés par un signifiant mais pour un autre et au dernier terme y a la mise en place de ce référent dernier et nous ne sommes pas habituellement à cette place là de ce référent dernier. Or ce qui se passe dans ce sentiment de signification personnelle, c’est que la signification n’est pas donnée, il n’y a que la référence mais la référence est immédiate. Alors il y a un échec plutôt de la signification que le délire, lui, va essayer plutôt à s’employer à résoudre donc l’intelligence n’est pas la maladie du paranoïaque au sens stricte, elle serait plutôt sa tentative de tamponner son rapport au signifiant qui est, lui, un rapport absolument d’une cruauté, d’une immédiateté. C’est-à-dire c’est le problème de la façon dont le névrosé a une possibilité d’immunité par rapport à l’impact signifiant…

J. Cacho – Lacan parle de signifiant pur…

M. Caumel – C’est pour ça que, moi, je parlais de la maladie en tant que là l’intelligence serait une passion parce que une passion, c’est-à-dire que Jorge nous dit : Moi, je n’ai rien contre les signes d’intelligence mais ça ne fait pas signification personnelle pour lui ?

J. Cacho – Pas nécessairement…

M. Caumel – Pas nécessairement ?

J. Cacho – Je ne pense pas…

M. Caumel – Eh bien, voilà

J. Cacho – Mais l’intelligence, si nous l’entendons comme le mot l’indique, c’est une forme de lecture…

M. Caumel – Eh bien, justement, est-ce qu’il y a encore possibilité de lecture à ce moment là, c’est ce que dit Bernard, d’une certaine façon il n’y a plus lecture…

J. Cacho -Oui, Tyszler, tu as travaillé beaucoup cette question, donc sûrement, tu as même écrit là-dessus

J.J. Tyszler – Oui, juste deux petites choses. Il y a le temps de la perplexité ce que tu as très bien indiqué où le signifiant, où la signification comme complète tombe sans qu’on sache à quoi elle renvoie, ensuite il y a le temps du pourquoi, y a quand même une paranoïa, c’est quand même toute l’élaboration de les pourquoi, donc moi je pense que tout ce que tu as amené extrêmement soigneux et précis est le fait que J. Lacan essaie de saisir ce temps premier qui est que le type voit une auto rouge et ça peut être dans le champ du regard, il voit une auto rouge, il dit mais c’est pour moi, elle est là pour moi ou bien ils l’ont amenée pour moi ou on l’a amenée pour moi, enfin bref. Alors ce temps énigmatique premier, enfin la signification qui tombe et ensuite il y aura tout le temps du pourquoi et là il y a peut-être le temps de l’intelligence, du débat que vous meniez là. Alors tu vois c’est peut-être ce double échafaudage, qu’il faut même peut-être la garder en construction…

J. Cacho – Mais tu ne penses pas, parce qu’effectivement tu distingues ces deux temps, ils sont tout à fait à distinguer mais à mon sens, tu vas me dire comment tu as entendu ce texte de Lacan. Moi, j’ai cru comprendre que l’intérêt pour Lacan ce n’est pas justement tellement l’examen du passage d’un moment à un autre même dans le sens logique du terme  » moment  » mais c’est que le phénomène lui-même est interprétatif c’est-à-dire autrement dit qu’il ne distingue point les phénomènes de la structure. Voilà qui me semble les moments génial de la découverte de Lacan c’est-à-dire que pour lui c’est exactement la même chose la forme et le contenu d’un point de vue clinique.

J.J. Tyszler – Oui, mais ça je suis tout à fait d’accord que le point central est génial. Il dit que donc cette nervure là c’est la feuille elle-même, c’est la même chose mais je crois quand même pour le dire il en passe par toute la construction que tu as fait, ce n’est pas que pour en arriver à dire, c’est la même chose la personnalité et la paranoïa, encore faut-il en passer par la construction de ses auteurs. Je veux dire, c’est ça le tour de génie mais ça vient pas d’office, ça.

J. Cacho – Je me suis demandé si c’était un plus d’un signe d’intelligence de Lacan mais si ce n’était pas quelque chose qui concernait la possession éthique de Lacan et qui serait impossible lecture de ce que Freud nous recommande c’est-à-dire la question de la neutralité bienveillante c’est-à-dire que c’est une disposition qui concerne non seulement l’écoute du patient mais aussi le travail intellectuel, dit intellectuel. C’est-à-dire de pouvoir examiner avec beaucoup de neutralité des textes dont il va s’en écarter, c’est-à-dire des conceptions théoriques mais qu’il va les examiner avec cette neutralité bienveillante dont il témoigne dans sa thèse d’une manière si éclatante.

M. Jeanvoine – Un mot peut-être pour poursuivre la discussion. L’interprétation vient au psychotique directement de l’autre, et je dirais, peut-être un petit peu plus loin que Jean-Jacques c’est-à-dire c’est pas tellement pourquoi la question du psychotique lorsqu’il reçoit cette interprétation parce qu’il est pris par l’autre, par son message direct, c’est pourquoi moi parce que cette perplexité elle existe et je me demandais si c’était pas justement ce que tu nous as apporté ce matin grâce à ce pourquoi moi, cette perplexité qui fait demander au psychotique pourquoi s’adresse-t-on à moi ? qui met en place les modalités différentes du rapport au petit autre dans la névrose et dans la psychose c’est-à-dire que finalement ce qui va peut-être authentifier l’interprétation ce sera la présence des petits autres, cette nécessité qu’aura le psychotique de toujours vérifier que des petits autres confirment l’interprétation ou la signification et c’est pourquoi dans la clinique de la psychose c’est toujours des petits autres qui sont présents pour, je dirais, accompagner cette signification personnelle alors qu’il est bien clair que dans la névrose nous nous adressons au grand Autre par l’intermédiaire du petit autre. Alors on pourra presque dire que ce qui va finir par éventuellement stabiliser le délire c’est lorsque cette signification personnelle effectivement irréductible et non dialectisable, le psychotique va pouvoir en témoigner et la faire reconnaître authentifiée par des petits autres dans le meilleur des cas.

M. Jeanvoine – Le mythe, le rêve et le délire

X – Je me posais la question suivante, Michel, à propos de Schreber, qui est une question que Lacan s’est posée et qui concerne ce que tu évoquais à la fin de ton exposé c’est-à-dire comment dirigé la cure avec des patients psychotiques à savoir quelle est la part de la position de Flessig, la part de la position que Flessig a adoptée vis à vis de Schreber c’est-à-dire une position de maître ce qui interdisait du même coup à Schreber, plus exactement qui venait pointer l’impossibilité qu’avait Schreber de s’autoriser de ses propres signifiants maîtres, je me posais donc la question de la part que pouvait avoir la position de Flessig dans le déclenchement de la psychose et du délire de Schreber ce qui n’est pas sans rappeler la séquence que Jean Périn nous a amenée ce matin c’est-à-dire que finalement ce qui était insupportable à M. G. c’est que le second pouvait être puni, condamné de ne pas avoir eu le courage de s’autoriser de ses signifiants maîtres. Or un psychotique pour des raisons de structure ne peut pas s’autoriser de ses signifiants maîtres et que cela, me semble-t-il, implique un travail concernant les modalités de la direction de la cure avec un psychotique, y a qu’à se poser à la place du maître, c’est peut-être aussi ce que Lacan évoquait quand il parlait du déclenchement de la paranoïa dans une conception de direction de la cure d’égaux à égaux, que il faut être tout à fait attentif, me semble-t-il, à éviter de se mettre à cette place avec un sujet psychotique puisque ça ne peut que montrer du doigt, accentuer cette faille qui est que pour des raisons de structure il ne peut pas faire valoir lui … ou son S1, il ne peut pas autoriser sa parole de ce lieu là, de ces signifiants là. Alors est-ce un paradoxe à partir de là la séquence que nous apportait ce matin Jean Périn concernant ce souvenir d’enfance, ou de lecture d’enfance qui l’avait autant marqué, est-ce que c’est pas justement… enfin le psychotique ne prend pas là n’interprète pas là comme un manque de courage, comme une lâcheté ce qui en réalité lui est impossible pour des raisons de structure. C’est un petit peu aussi ce que Kräpelin disait c’est qu’au fond le paranoïaque fuit le combat c’est-à-dire que dans la relation à l’autre, dans la relation spéculaire il baisse les bras, les armes, il l’évite. Donc je me posais la question de savoir si on peut à proprement parler faire coïncider à partir de ce repérage que je te propose le mythe et, peut-être pas le délire, mais en tout cas le délire comme tentative de construction d’un mythe à partir d’un défaut mais d’un défaut, je dirais, de structure ?

M. Jeanvoine – Hier il était question justement de ce qui n’était pas dialectisable et ce qui, semble-t-il, n’est pas dialectisable pour Schreber c’est le dispositif qu’il nous propose dans le Zeben… (?) c’est-à-dire que le fait que pour Schreber dans le Z… dans cette première faille, sur les bords de cette première faille, il vienne y faire jouer tout un certain nombre de substitutions terme à terme, le principe de cette faille n’est pas dialectisable c’est-à-dire c’est une fausse dialectique, semble-t-il, c’est quelque chose de l’ordre d’une fausse dialectique. A propos de… tu parlais de la position de Flessig comme étant très certainement, la position de Flessig donc identifiée au maître, comme étant très vraisemblablement un des éléments donc causale du déclenchement peut-être du délire de Schreber, l’entrée comme ça dans cette aventure, ce que repère très bien Schreber, c’est ceci ; ce qu’il demande à Flessig c’est tout simplement ceci : y a une lettre de Schreber tout à fait, moi que je trouve tout à fait émouvante à Flessig, il lui dit tout simplement  » reconnaissez que vous aussi comme moi vous avez affaire à ces questions  » c’est ce qu’il lui dit reconnaissez tout simplement que vous êtes un être parlant. Voilà. C’est-à-dire il vient effectivement solliciter Flessig pour exactement l’endroit de sa castration. Alors peut-être que sur cette question là Flessig s’est trouvé dans une position un peu différente, Schreber en aurait-il été changé, je n’en sais rien, en tout cas quelque chose aurait pu peut-être s’engager pour Schreber avec Flessig dans la mesure où cet espace, la question de la castration comme espace aussi aurait pu se trouver au travail. Je ne sais pas si c’est quelques éléments de réponse qui me viennent à ta question.

J. Périn – A propos des mythes, je me souviens lorsque j’ai fait l’étude de textes de Schreber sur la séquestration, sur l’étude de droit, texte qu’il a fait valoir dans son procès pour que soit levée la tutelle, il a d’ailleurs réussi, et le jugement a été thérapeutique pendant un certain temps, il semble bien dire  » j’ai moi-même à ce moment là indiqué en filigrane les personnages du mythe dans cette étude juridique. Bien sûr le droit aussi s’origine de ses …, des personnages qui sont disposés sur cette scène juridique et justement, bon, le texte n’est pas délirant du tout là mais il se trouve que c’est au point du flagrant délit que tout ça pouvait justement basculer. C’est pourquoi on avait appelé ça le flagrant délire et c’est à ce moment là qu’effectivement tous ces personnages là pouvaient valoir comme ça l’un pour l’autre dans une danse sans fin autour d’un trou, d’ailleurs je crois que c’est Landman qui avait fait un petit texte d’introduction, mais j’avais retrouvé effectivement tous ces personnages mythiques. Donc c’est très, très intéressant comme point de vue. Alors on retrouverait chez Pope (?) et Calman le personnage principal qui est appelé le héros qui serait porteur du désir et puis alors un autre personnage, second et qu’il appelle l’adjuvant, y a toujours effectivement un plus ou moins double qui vient là pour faire que le désir soit réalisé et il l’appelle l’adjuvant mais ça a été fait également pour le théâtre puisque … c’est un homme de théâtre qui a dirigé la Comédie française, P.A Touchard qui avait repris tout cela, E. Souriau aussi, professeur à la Sorbonne qui avait repris toutes ces questions et Touchard avait montré que comment Souriau il y avait cent mille, deux cent mille situations dramatiques mais qu’elles pouvaient se réduire à quelques unes. C’était aussi une étude structuraliste et Touchard avait montré qu’après tout un vaudeville de Feydeau avait la même structure qu’une tragédie de Racine. … le comique et le tragique pourraient là se côtoyer et Lacan a repris lui-même ces questions puisque à propos du comique et du tragique, il disait que ça se disposait sur la même courbe qui était une courbe de gosse d’ailleurs. Voilà.

C. Veken – A propos du rêve, du mythe et du délire ta référence à Pope me fait penser à ce que ça a de commun, c’est d’un point de vue structuraliste, je dirais dans lequel ce que Lacan est quand même différent des autres structuralistes c’est-à-dire c’est la structure du signifiant si bien que c’est pas si étonnant si on trouve des points communs au rêve, au mythe, au délire dans la mesure où nous n’avons accès à ces trois choses que sous leur forme mise en mots, mise en langage, autrement dit en le parlant c’est du récit de rêve, du récit de mythe, et du récit de délire. Alors à partir de ce moment là les structures communes nous disent pas grand chose sur rêve, mythe ou délire mais sur ce que c’est un récit donc ça me fait penser à ce mot de Lacan que la réalité a structure de fiction et si la réalité a structure de fiction c’est parce que la réalité est un discours, je crois bien. Alors ce que je voulais dire par là c’est que cette structuration commune en fin la référence structurale, la formule que tu mets au tableau est une formule qui n’est pas facile à lire parce qu’elle suppose une interprétation en entité psychique, si je peux dire or l’intérêt pour moi de ce que Lacan amène c’est que ce n’est pas du tout d’entité psychique qu’il s’agit mais de signifiants et d’enchaînement de signifiants, enfin voilà ce que me suggérait cette référence à Pope mais Pope c’est pas du tout ça, lui, Pope il cherche des personnages, plutôt des entités, des… donc il cherche un universel beaucoup trop dans la signification, c’est pas dans le signifiant. Or quand on raconte une histoire, alors c’est peut-être intéressant de se rappeler de ce point de vue là que conter et raconter c’est la même origine et qui se retrouve dans énormément de langues c’est-à-dire raconter c’est forcément énumérer, c’est faire passer dans un récit, c’est le linéariser avec un début, une continuation des événements etc. Alors je me demande si dans cette structure commune c’est pas tout simplement la structure commune à tout ce qui est l’objet d’un récit.

M. Jeanvoine – Oui, tout à fait Cyril mais ce qui me semblait tout à fait intéressant c’est que des personnes qui n’appartiennent pas au champ de l’analyse comme Claude Lévi Strauss et d’autres, pour rendre compte de la réalité mythique, du mythe, mettent la main sur un certain nombre d’équations, de formules, prennent leurs repères, s’orientent dans ces questions là à partir de quoi, à partir du jeu d’impossibilité dans une séquence comme propre c’est-à-dire voilà pour qu’il y ait séquence il faut que cette séquence soit rythmée par des impossibilités, par deux impossibilités. Ça, ça me paraît important. Pour Claude Lévi-Strauss qui n’est pas analyste, lui, il dit voilà : pour qu’il y ait du mythe, qu’on puisse dire voilà à quel mythe, il faut que cette première opposition originelle soit redoublée d’une certaine manière une deuxième fois c’est-à-dire que là aussi cette séquence soit rythmée par quelque chose, c’est ça qui m’intéresse c’est-à-dire que d’une certaine manière le travail de Pope sur les contes, le travail de Claude Lévi-Strauss sur les contes on ne peut pas en rendre compte sans effectivement en passer par une logique du signifiant qui habite, qui rend compte de ce tissu de la réalité mythique. Sans prendre appui sur cette logique du signifiant effectivement on s’égare ou c’est très difficile. Les ethnologues, les anthropologues effectivement ont beaucoup de difficultés et que le dialogue de C. Lévi-Strauss avec Lacan a dû beaucoup aider C. Lévi-Strauss dans la prise de ses repères vraisemblablement mais que C. Lévi-Strauss n’en a pas tiré toutes les conséquences parce que on pourrait reprendre les travaux de C. Lévi-Strauss à partir aussi des élaborations, borroméennes par exemple, pourquoi pas dans l’autre sens, cette fois-ci et qu’assurément, très certainement cette topologie borroméenne s’avérerait tout à fait conséquente dans le champ de l’anthropologie, c’est fort probable. Ça, je ne sais pas si ces travaux là ont été faits ou pas du tout, je n’en sais rien.

Thierry Jean – Y a-t-il une actualité de la paranoïa ?

J. Quilichini – Merci T. Jean mais est-ce que ce pessimisme que vous évoquez irait jusqu’à ce que vous indiquez au niveau de la clinique sociale de l’emprise paranoïaque nous ferait verser vers la mélancolie ? Je ne sais pas vous parlez d’une inversion possible…

T. Jean – Dans la clinique il y a des reversions fréquentes entre mélancolie et paranoïa, c’est tout… je ne faisais là que reprendre les constats, les constatations que l’on peut faire en clinique… Maintenant si je suis mélancolique…

J.M. Faucher – J’ai beaucoup apprécié Thierry, ce que tu nous as apporté là et la question que cela m’évoquait, porte sur le fait de savoir si il y a toujours la même validité aujourd’hui compte tenu de ce que tu nous dis de cette distinction par exemple entre deux pôles dans la psychose, c’est le pôle paranoïaque et le pôle schizophrène parce que si… à prendre la définition de Marcel que tu nous indiquais, le négativisme a donc été de tout temps reconnu chez le schizophrène mais peut-être pas dans cette action de refus de dire que non mais je crois que Lacan l’avait distingué en le connotant de l’ironie. Et donc je me demandais si la forme littéraire que tu évoquais pour nous et si cette forme de froideur et en même temps de traitement de ceux contre quoi il aurait s’agi de se protéger sur le mode que tu nous as indiqué… voilà, je te laisse poursuivre…

T. Jean – Je ne sais pas si j’ai très bien compris la question, Jean-Marc, à vrai dire…

J.M. Faucher – Est-ce que donc ce mode de traitement de ceux contre quoi il y aurait à se protéger donc c’est là la question de la contingence, est-ce que ce mode de traitement là reléverait plutôt d’un pôle schizophrène ou bien est-ce qu’effectivement cette bipolarisation du champ de la psychose aujourd’hui est moins pertinente qu’il ne le fût.

T. Jean – Mais je n’évoque pas dans mon propos la schizophrénie, j’évoque la façon dont Marcel indique que la paranoïa se constitue d’une certaine manière comme une défense par rapport à ce qui est l’absence de contingence dans l’autre et que curieusement que fait valoir ce roman de Michel Houelbec montre que on peut se soutenir de cette absence de contingence dès lors qu’elle emprunte l’algèbre scientifique. Mais sur un mode qui a bien évidemment des effets au niveau de ce que Jean-Jacques, Marc Caumel ont évoqué hier que je n’ai pas repris là mais sur le mode des spécifications pulsionnelles, d’exclusion radicale de la jouissance, de l’absence, de la perte également… enfin je ne réponds peut-être pas à ta question là mais la perte de sens… c’est un roman qui préfigure un monde… je n’ai pas évoqué ce qui pourrait constitué l’idéal du roman puisque ça en est sa ponctuation, c’est donc la… comment dire, c’est donc la création c’est-à-dire qu’il y a une néocréation d’un homme nouveau sur le mode d’une séquence génétique minimale avec donc l’autosacrifice d’une humanité entachée de sa faille c’est-à-dire de la vie, hein ! c’est-à-dire de ses pulsions etc. etc.

Donc il y a là une réussite paranoïaque c’est-à-dire on pourrait considérer ce roman, c’est celui de la réussite paranoïaque.

X (Jeanvoine ?) – Bon, je crois que tu viens de reprendre là dans tes commentaires quelque chose effectivement d’un peu différent qui correspond à l’épilogue de ce livre de M. Houelbec. Les deux personnages effectivement Michel et Bruno terminent effectivement que ce soit du côté du tout sexuel ou du tout scientifique dans la mort, dans une sorte de folie abyssale, l’un dans l’hôpital psychiatrique et l’autre sur les pointes de l’océan atlantique mais effectivement les conséquences, ça, c’est les conséquences pour les… ou bien la fin d’une génération ou bien pour le premier découvreur c’est-à-dire qu’effectivement c’est ce qu’il en est pour la fin d’une génération sexuelle et ce qu’il en est pour le premier découvreur d’une nouvelle rationalité scientifique. Les conséquences que tu as rappelées ensuite étaient celles peut-être en ayant la reduplication plutôt que la fonction du père au niveau de la transmission serait celle effectivement où la question de la pulsion de mort serait de ce fait là je dirais mise de côté, je crois qu’il dirait même, que la pulsion de mort, tout de qui est désagrégation, tout ce qui est haine ne serait à ce moment là que erreur de jugement. Donc il y aurait effectivement la dénonciation là du côté de l’erreur de jugement sur tout ce qui ne serait pas calculable et effectivement dans des variétés infinies mais calculables et pourquoi pas préétablies mais qui également donnerait un nombre de variétés mais ça c’est la fantaisie du roman et je crois que ce qui me paraissait important c’était que l’assomption aussi bien du côté sexuel que du côté scientifique, que ce soit le cas de Bruno, que ce soit le côté de Michel, aboutit à la mort.

J.J. Tyszler – C’est juste une remarque clinique sur les phénomènes de réversion. Moi, je crois que ce n’est pas tant dans la schizophrénie parce que à l’évidence pour un clinicien le  » pôle des schizophrénies  » est tout de même assez hétérogène au pôle des paranoïas et Jean Marc le sait bien à savoir il y a peu de chances qu’une schizophrénie évolue en paranoïa et vice et versa et je crois que la question de l’i de a, que Stéphane a traitée, qui est la matrice, une des matrices, une des entrées dans toute paranoïa je crois, peut le démontrer. Peut-être en parlera-t-il après. Par contre ce que Thierry amène et je crois qu’on n’y a pas pensé avant au sein de ces journées, c’est des reversions comme il l’indique et qui sont plus intrigantes pour nous et je rappellerais que cette patiente sur le Cotard a commencé par un Krechmer, un Krechmer se transforme en Cotard, on n’est pas habitué à ce type de réversion, là tu parles de sortie de paranoïa dans la mélancolie ou l’inverse, je crois que c’est vrai, c’est des choses auxquelles on réfléchit peu parce que apparemment en psychiatrie ce sont des tableaux très opposés or ils ont des modes de connexion et de passage, des types de continuité auxquels on a encore du mal à réfléchir. Je crois que ce n’est pas du tout en rien le rapport entre la schizophrénie et la paranoïa. Une dernière note, on oublie toujours qu’on est très faible sur le pôle des paraphrénies. Il y a quand même un mot classique en doctrine qui sont les paraphrénies et qui à mon sens supportent un certain socle clinique et théoriques qu’on gagnerait à travailler.

M. Czermak – Je voudrais aller dans le sens de Jean-Jacques d’une part en faisant remarquer ceci. Tout d’abord il faut rendre à César ce qui appartient à César, c’est Charles qui à l’occasion d’une conférence à l’évolution psychiatrique, il y a maintenant longtemps avait mis l’accent sur la question de ceci que le paranoïaque voudrait un monde sans contingences, que j’ai repris à ma façon à partir de cette histoire de l’ana… et pour des raisons extrêmement précises. La mélancolie c’est ce que j’ai récemment essayé de faire sentir à mes camarades à Poitiers, la mélancolie est … ou en tout cas on n’a jamais repéré les choses aussi crûment que je vais le faire maintenant, la mélancolie, c’est très précisément ceci c’est que curieusement l’objet dit a il énumère ses caractéristiques, je suis une infection, une plaie universelle, je fais le malheur de tout le monde, débarrassez-vous de moi etc. En d’autres termes que la mélancolie c’est l’énumération claire et nette des caractères de l’objet et que la fameuse expression freudienne selon laquelle qui a tellement embarrassé des générations d’analystes et Lacan y croyait, selon laquelle l’ombre de l’objet tomberait sur le moi dans la mélancolie, nous pouvons probablement actuellement dire qu’il y a là peut-être l’une des difficultés freudienne voire là ses fourvoiements qu’on va pas lui impliquer car il avait des difficultés qui lui étaient propres comme nous avons les nôtres. On peut dire que la mélancolie, il y a nulle ombre de l’objet puisque c’est l’objet qui parle en clair et qu’à beaucoup d’égards le moi a disparu ce qui signifie aussi bien que l’objet vous pouvez toujours vous brosser pour essayer de le soigner puisque c’est lui qui s’occupe de vous et que devant vous êtes comme des gosses et que c’est votre petit moi qui dit  » mais enfin t’a pas du tout accusé, t’es pas si méchant que ça etc.  » Il dit  » si, j’aurai ta peau  »  » Nonnon, nonnon etc. « .

A l’envers, ce en quoi je suis extrêmement sensible parce que également Thierry rapportait, les analystes les malins au regard de ce que serait la psychose dite maniaco-dépressive, ils ont oublié ceci, c’est que les réversions de la mélancolie en paranoïa sont autrement plus fréquentes et pourquoi ? Dans la paranoïa, le sujet il dit quoi : regardez, tous me disent que je suis une infection, un salopard, une ordure et bien, moi, je veux pas. Donc c’est très exactement l’envers de la mélancolie puisque ce sujet qui considère, enfin cet homme… on veut lui faire occuper cette place d’objet pur etc. il dit  » nonnon, nonon, je ne suis pas aussi dégueulasse qu’on veut me le faire accroire « . Et comme topologiquement on veut le développer l’avers et le revers des choses et bien davantage entre paranoïa et mélancolie cependant que je voudrais attirer l’attention de ces pourquois, je vais aborder en son temps la question de la manie, la manie n’est pas du tout l’envers de la mélancolie puisque ce que dit le mélancolique, le maniaque il l’est puisque c’est lui qui est prodigue, c’est lui qui est obscène, c’est lui qui se fout à poil, c’est lui qui fout pas la paix au monde en d’autres termes ce que dit le mélancolique, le maniaque il l’est. Donc vous voyez je fais là des distinctions un peu schématiques, un peu grossières, un peu cursives mais elles devraient peut-être nous permettre dans le paranoïaque dans le sens que nous disait Thierry d’avancer un peu. Quand Lacan faisait son séminaires sur les psychoses il opposait, lui, le pôle des paranoïas shizophréniques, je suppose que Lacan il a fait comme tout le monde il avait hélas ce terme fâcheux entre les pattes dont aucun d’entre nous ne peut se dépatouiller puisqu’il court les rues maintenant. Mais les schizophrénies nous ne savons pas ce que c’est puisqu’on peut les décrire de dix façons hétérogènes et que chacun d’entre nous a des cas qu’il peut calibrer de façon radicalement différente mais qui en tout cas se distingue en ceci c’est qu’elle ou il semble échapper aux questions des cristallisations que nous pose la paranoïa, je le dis cursivement et schématiquement et quand Jean-Jacques dit évidemment il reste le pôle dit des paraphrénies très étrangement les analystes dans leur méconnaissance de notre chère littérature classique vous voyez c’est très étrange ces gens qui ne sont pas en train de fabuler, quiconque fabule, au point qu’on puisse les prendre pour des hystériques. Il y a au moins trois grands pôles si ce n’est plus s’agissant de la paranoïa il semblerait qu’on puisse tout à fait bien prendre de la graine à partir effectivement de la mélancolie et de la manie pour autant que topologiquement il s’agit de structure proche mais néanmoins différente.

Stéphane Thibierge – Les singulières paranoïas

M. Caumel – Ces écrits ils sont quand même adressés à d’autres, à des semblables, les écrits des paranoïaques…

S. Thibierge – Oui tout à fait, ils sont adressés enfin…

M. Caumel – Ils ne sont pas sans adresse, et sans aspiration à une reconnaissance ?

S. Thibierge – Non tout à fait mais je ne pense pas que ce soit…

M. Caumel – Je veux dire que ça implique une tentative de reconstituer un semblable dans la représentation

S. Thibierge – Tout à fait, c’est pour ça que je parlais de raccommodage…

M. Caumel – Ça n’est pas l’écrit en lui-même…

S. Thibierge – Non, bien sûr…

C. Veken – Juste une petite chose, ce que tu appelle l’être maintenant, je ne suis pas convaincu que ça soit nécessairement réservé à ce qui s’écrit au sens graphique. Je pense qu’il y en a de cette lettre aussi dans ce qui se dit parce que le même effet d’étrangeté que tu dis de non reconnaissance vis à vis du signe écrit on les a tout aussi bien vis à vis de choses dites ou entendues. On connaît tous ce moment de… comment appeler ça, de fading ou de umrälich (?) devant des sons qui deviennent comme ça non identifiables. Bon c’est la dimension qui m’intéresse dans ce petit angle là c’est celui lorsqu’on parle de l’être on parle pas forcément d’écrit.

S. Thibierge – Tout à fait, c’est la question du rapport entre la lettre et le signifiant, c’est une question que l’on ne peut aborder maintenant.

B. Vandermersch – Oui, une question stupide. Si je suis bien, est-ce qu’il ne faut pas changer la dénomination de méconnaissance paranoïaque puisque ce que nous si j’ai bien suivi, c’est que le névrosé lui il souffre de cette méconnaissance paranoïaque mais le paranoïaque lui l’identifierait vraiment le discors et le montage, ce qui fait qu’est-ce qui nous justifie encore de parler de méconnaissance paranoïaque pour la structure spéculaire…

S. Thibierge – C’est connaissance paranoïaque…

B. Vandermersch – …oui connaissance paranoïaque, mais cette connaissance paranoïaque justement le paranoïaque dans ce que tu sembles dire c’est que lui il ne serait pas à cet égard dans la connaissance dite paranoïaque puisque quelque chose du spéculaire échouerait enfin pas échouerait mais lui verrait quelque part le fait que c’est un montage et que il identifierait ce que le névrosé lui…

S. Thibierge – Tout à fait mais Lacan a épinglé la connaissance comme paranoïaque mais comme nécessairement méconnue comme telle puisque je crois que je reconnais des objets évidemment je méconnais que c’est toujours le même objet enfin je veux dire la même forme princeps avec laquelle je bouche mon rapport au réel. C’est une connaissance qui est paranoïaque dans sa structure mais elle est méconnue comme telle régulièrement.