Les lois de la famille", film argentin de Daniel Burman
29 septembre 2006

-

VINCENT Denise
Billets



Les lois de la famille, de Daniel Burman, vient après Le fils d’Elias, sorti en 2004 qui utilisait la même thématique : comment être père, comment assurer la transmission des valeurs familiales, comment trouver les mots à travers une construction narrative qui est celle du film qui fasse sentir aux spectateurs la nécessite de ce passage symbolique ?

Ce film m’a paru beaucoup plus apte que beaucoup d’autres (la production cinématographique américaine est abondante qui dénonce la mise à mal des traditions familiales et le naufrage des couples parentaux) à évoquer tout ce que Lacan a apporté avec le séminaire D’un Autre à l’autre que nous avons travaillé cet été. Je reprends sous une forme très abrégée ce que Lacan nous a apporté dans les leçons du 14 et 21 mai 1969.

Daniel Burman met en scène une famille, le père et la mère et leur petit fils qui doit avoir 2 ou 3ans et aussi le grand père. Les Perelman, père et fils sont tous les deux avocats. Ils s’appellent réciproquement par leur patronyme Perelman et quand au tribunal on appelle "Perelman" ils ne savent pas très bien qui est sollicité. La relation entre eux semble condamnée à un non-dit jusqu’à que devant l’enfant qui grandit s’éveille la nécessité de traduire en mots ce qui fait le fondement de leur relation affective.

Père et fils ont des préoccupations éthiques en ce qui concerne leur métier d’avocat. Le fils et professeur de droit. Il utilise un subterfuge pour sensibiliser ses élèves à ce qui fait la valeur toute relative des témoignages. Un comparse de ses amis interrompt le cours en lui faisant de violents reproches pour avoir abandonné les idéaux révolutionnaires qu’ils partageaient durant leurs études. Le comparse à peine disparu, Perelman demande à ses élèves non pas ce que l’interrupteur est venu dire mais pose des questions qui permettraient d’identifier le personnage s’ils avaient à témoigner. L’éthique du père est plus simpliste. Le rôle de l’avocat pour lui se fonde sur l’empathie avec le client. Il connaît le métier de chacun d’eux, même les plus modestes. Il est reconnu pour sa familiarité avec les plus simples et les plus fragiles de la société. On sent Perelman fils assez réticent devant cette attitude par trop démagogique à son goût.

Comment va se faire la transmission du père au fils ? Lacan nous rappelle que "pour l’homme qui a à remplir l’identification à cette fonction du père symbolique (la seule à satisfaire et c’est pour cela qu’elle est mythique) la position de la jouissance virile dans ce qu’il en est de la jouissance sexuelle, ce qui s’offre au niveau du naturel est précisément ce qui s’appelle "être le maître". "Et en effet ça a été et ça reste encore très suffisamment à la portée de quelqu’un", ajoute-t-il.

Lacan écrivait cela en 1969. Sommes-nous certains que dans notre société actuellement les hommes dans la relation de couple peuvent aisément être en position de maître ? Lacan toujours dans cette même leçon du 21 mai fait cette remarque que l’obsessionnel refuse de se prendre pour un maître, car au regard de ce savoir de la jouissance, de ce savoir qu’il sait, c’est le rapport de ce savoir à la jouissance, insiste-t-il. Et de ce savoir ce qu’il sait, c’est qu’il n’a rien d’autre de ce qui reste de l’instance première de son interdiction, à savoir l’objet a.

Dans le cas des Perelman, cette remarque est d’autant plus pertinente que l’avocat est précisément celui qu’on appelle maître, que ce soit auprès de sa clientèle ou auprès de ses partenaires au Tribunal. À rester enseignant Perelman-fils retarde ce moment où il aura à occuper la place de maître.

D’où Perelman-père tient-il son autorité ? À l’inverse de son fils, il se situe plutôt du côté de l’hystérie. Il cherche à séduire, à s’identifier à ses clients. Il va au bistrot avec eux. Son fils le connaît à peine. Son gamin, il l’écoute d’une oreille distraite malgré les sollicitations du personnel de la crèche. Perelman-fils aime aussi sans doute sa femme, son fils, son père, mais il ne sait pas le leur dire. Sa femme est très préoccupée de "rapport naturel à son corps", elle a des patients auquel elle enseigne la relaxation. Perelman dit dans le film qu’il est juif comme l’est Daniel Burman lui-même. Il a choisi une femme, ancienne élève de son cours à la Faculté, qui n’est pas juive et qui a initié leur relation dans une attitude docile d’élève à maître. Cela tombe bien…

Lacan nous dit que "cette fonction du père symbolique dépend étroitement de ce point d’impossibilité, ce point d’infini qui est toujours introduit par l’approche de la conjonction sexuelle. Ce point d’infini de tout ce qui s’ordonne des combinaisons signifiantes, ce point d’infini irréductible en tant qu’il concerne une certaine jouissance, ce signifiant exclu c’est le signifiant phallique". Lacan dans ce séminaire ne cesse d’interroger le rapport du savoir à la jouissance chez un homme, chez une femme, chez l’obsessionnel, chez l’hystérique et le caractère tout particulièrement clinique de ces deux leçons nous a été particulièrement précieux.