Les liens entre théories sexuelles infantiles et fantasme
05 septembre 2011

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LACÔTE-DESTRIBATS Christiane
Textes
Concepts psychanalytiques

 

Je vais vous parler (1) de certaines questions préliminaires à l’analyse du fantasme. En particulier, je vais essayer de situer quelques éléments qui rendent possible la constitution du fantasme. Nous interrogerons particulièrement le lien entre l’imaginaire et le symbolique dans le stade du miroir et nous questionnerons les relations entre les théories sexuelles infantiles et le fantasme, telles que nous les entendons de certains enfants et surtout, par bribes, de patients adultes.

Je soulignerai, comme Roland et Bernard, la difficulté de cette question du fantasme, la difficulté, aussi, à l’entendre chez nos patients, parce que même si on repère très bien quelques scénarios érotiques, on a beaucoup plus de mal à repérer ce que nous indique Lacan dans son algorithme $ <> a, c’est-à-dire ce qui permet ces permutations de places et ces situations de l’objet dans le temps de la cure ; et ce qu’on a promu à propos de la passe en parlant de traversée du fantasme m’a souvent paru être une image comique ! Je préfère le terme d’analyse à l’image de traversée.

Nous tentons donc aujourd’hui de parler du fantasme après l’étude du rêve que nous avions entreprise l’an dernier ; et nous en apercevions d’ailleurs sa fonction dans le fait même que le rêve se répète, par exemple. C’est en effet l’une des manières que nous avons d’en saisir quelque chose : la répétition du rêve. Car nous ne faisons pas toujours le même rêve, mais presque. Et l’analyse du rêve permet parfois de situer une certaine fixité du scénario qui assure la stabilité d’un monde qui aurait un sens sexuel : c’est cela la fonction du fantasme. En voilà les grands traits.

Ce qui est déroutant et remarquable, dans le séminaire de Lacan sur La logique du fantasme, c’est que le premier chapitre ne parle pas du tout de l’imaginaire du fantasme, mais s’ouvre, dès les premières phrases, sur la répétition. Le 16 novembre 1966 Lacan nous dit quelque chose qui est fondamental dans son enseignement : « Répéter ce n’est pas retrouver la même chose… et, contrairement à ce qu’on croit ce n’est pas forcément répéter indéfiniment » (p. 11)

Ce terme indéfiniment est très important parce qu’il situe d’emblée la question du fantasme par rapport à celle d’une certaine limite. La répétition est située comme toujours chez Lacan (c’était déjà chez Freud, mais c’est Lacan qui en a apporté le plus d’explicitations et de conséquences) comme une relation à ce qui peut s’inscrire de nouveau. Dès les vingt premières lignes de La logique du fantasme, en effet, Lacan engage la notion d’écriture. L’écriture y est centrale. L’écriture est centrale dans le rapport du sujet au signifiant.

Lacan, dans les Écrits, dans le texte intitulé « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien » (p.793), dit que le fameux poinçon que va expliciter Bernard et dont parlait aussi Roland, est « fait pour permettre vingt et cent lectures différentes, multiplicité admissible aussi loin que le parlé en reste pris à son algèbre. »

Il dit encore, p. 816 des Écrits, « Cet algorithme et ses analogues utilisés dans le graphe ne démentent en effet d’aucune façon ce que nous avons dit de l’impossibilité d’un métalangage. Ce ne sont pas des signifiants transcendants ; ce sont les index d’une signification absolue, notion qui sans autre commentaire, paraîtra, nous l’espérons, appropriée à la condition du fantasme ». Phrase un peu difficile que j’expliciterai au fur et à mesure. Il ne s’agit de rien moins que de la distribution en fait du signifiant, jusqu’à, dit-il « son atome littéral ». Voilà donc la façon dont Lacan d’emblée pose les choses.

Je vous rappelle aussi quelque chose qui va être intéressant, parce que ce n’est pas si facile à penser dans notre clinique actuelle : l’importance centrale de la castration dans la formulation du fantasme, dans cette distribution du signifiant. Lacan dit dans les Écrits (p. 826) : « La castration veut dire qu’il faut que la jouissance soit refusée, pour qu’elle puisse être atteinte sur l’échelle renversée de la Loi du désir ». C’est la fin de « Subversion du sujet et dialectique du désir ». Voilà donc les pôles de notre étude puisque le fantasme va être ce qui va distribuer, par les signifiants, une certaine limite à la jouissance. C’est là que se joue la fonction du fantasme.

Je citerai alors une phrase que je ne cesse pas d’interroger et qui va faire le fil de ce que je dirai aujourd’hui et plus tard, p. 826 des Écrits : « A condition qu’elle oscille à alterner de $ à petit a dans le fantasme, la castration fait du fantasme cette chaîne souple et inextensible à la fois par quoi l’arrêt de l’investissement objectal qui ne peut guère outrepasser certaines limites naturelles, prend la fonction transcendantale d’assurer la jouissance de l’Autre qui me passe cette chaîne dans la Loi ». Voilà une phrase sensationnelle, complexe par les reversions que Lacan impose à nos parcours de lecture, et que je vais essayer d’expliquer.

« A condition qu’elle oscille à alterner de $ ◊ a », c’est ce que vous expliquera Bernard avec tout ce qui se lit par le losange décomposable selon plusieurs coupes du poinçon dans le fantasme.

« La castration fait du fantasme cette chaîne souple et inextensible à la fois ». C’est très intéressant parce que cette souplesse, c’est ce qui est en question, c’est ce à quoi nous avons affaire, à en écouter les accidents, les gels, les distorsions chez nos patients, n’est-ce pas ? C’est-à-dire qu’on présente d’abord le fantasme dans son scénario imaginaire fixé, figé, qui donne des conduites répétitives automatiques la plupart du temps très comiques, mais ce qu’il s’agit de trouver, d’inventer peut-être, c’est cette souplesse de la chaîne entre $ et ◊ de petit a, et de faire fonctionner cette souplesse, mais dit-il, « qui est inextensible à la fois », c’est-à-dire limitée.

« Par quoi l’arrêt de l’investissement objectal qui ne peut guère outrepasser certaines limites naturelles… » Vous sentez pourquoi je me suis attachée à cette phrase, c’est parce qu’actuellement nous écoutons beaucoup les dangers des conduites addictives, qui vont jusqu’à outrepasser les limites naturelles. Je suis un peu marquée par la préparation d’un numéro de La Clinique Lacanienne, sur les symptômes comme la boulimie ou l’anorexie, où justement la question se pose d’une impossible limitation naturelle de l’investissement objectal.

Alors par quoi « cette chaîne (du fantasme) souple et inextensible » et qui permet de limiter, pas par la nature, mais de faire limite à la jouissance, permet-elle d’assurer la jouissance du grand Autre dont je peux me faire l’objet, selon cette réversion, à la fin de la phrase de Lacan, « du grand Autre qui me passe cette chaîne dans la Loi » ? C’est-à-dire que nous sommes effets du signifiant et dépendants du trésor des signifiants qui à ce moment de la théorie définit le grand Autre. Voilà un début d’explication de cette phrase dont j’ai retracé des traits un peu schématiquement.

A la jouissance, donc, il ne suffit pas de trouver la limite naturelle qui est la mort, mais le fantasme permet un passage à une limitation d’un autre ordre et la loi du désir passe par le fantasme. Et ici je propose de privilégier cette fonction de limitation dans le fantasme, car nous savons que l’objet petit a n’est pas l’objet partiel décrit par la psychologie, mais en tant qu’objet petit a, il est la limite littérale à une jouissance infinie.

Ces questions-là sont particulièrement intéressantes par rapport à ce dont nous parlons aujourd’hui, par exemple les addictions, certains problèmes alimentaires, etc. C’est là en effet que nous voyons le caractère parfois inopérant du fantasme, même si ces symptomatologies, par exemple la boulimie, l’anorexie, reposent parfois sur des structures névrotiques, c’est-à-dire qui font une part au fantasme.

En ce que concerne les psychoses, cela a été le plus souvent remarqué et lorsque je lisais le séminaire de Jean-Jacques Tyszler sur le fantasme, il parlait effectivement de cette phrase qui était apparue au président Schreber dans son demi-sommeil : « qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement », et il disait à juste titre que ce n’était pas un fantasme et que cela n’avait pas cette fonction de limitation de la jouissance. En effet en ce qui concerne les psychoses, le caractère régulateur du fantasme semble avoir disparu. Je n’entreprendrai pas ici la question du fantasme dans la psychose. Mais en ce que concerne par exemple l’anorexie, la boulimie, l’alcoolisme, les addictions diverses, que s’est-il donc passé ? C’est là qu’apparaît l’importance de la façon dont Lacan a pris la question du fantasme, c’est-à-dire en évacuant son aspect imaginaire, parce qu’on ne peut pas se fier au caractère de scénario imaginaire, au caractère de mise en scène que certains patients peuvent emprunter. C’est très intéressant de déceler ça. C’est de la même façon que nous ne nous sommes pas trop attachés au problème des figures du rêve l’année dernière. En revanche, la figurabilité, c’est-à-dire la condition de possibilité de la figuration, est une question intéressante. Interroger non les figures en elles-mêmes, mais la possibilité de la figuration ; c’est là que je retrouve les éléments d’image et de regard très importantes dans le fantasme, et c’est pour cela là j’ai repris le texte très connu de nous tous, c’est-à-dire « Le stade du miroir, comme formateur de la fonction du Je telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique » (1949), le stade du miroir dont Lacan dit que, pour l’enfant « c’est le seuil du monde visible », et qui pose en même temps, vous le remarquez, la question de la jouissance d’une toute nouvelle façon pour le petit enfant de huit à dix mois. Nous pouvons reprendre la question du fantasme à partir de ce « seuil du monde visible ».

Or à ce moment là, il y a, dit Lacan, une sorte « d’affairement jubilatoire ». C’est une formulation non seulement attrayante, mais surtout exacte. Tout de même « l’affairement jubilatoire » indique bien que lorsqu’on s’affaire, c’est qu’on a rapport à quelque chose, c’est-à-dire que c’est une manière très subtile de parler d’un rapport à un objet pris dans la jouissance, c’est comme le seuil lumineux d’un rapport à l’objet et à l’image. Mais on ne sait pas à quel objet. Et c’est une jouissance – si vous observez un enfant de cet âge-là devant un miroir, après, il va aller chercher partout dans la maison un de ses jouets – une jouissance très différente des caresses liées à la toilette, des baisers, des biberons ou du sein, ou du jouir des couleurs et des formes par le regard.

Et Lacan dit ceci, page 94 et suivantes : « Cette forme qu’il aperçoit dans le miroir situe l’instance du moi, dès avant sa détermination sociale, dans une ligne de fiction » (je reprendrai ce terme de fiction), « qui ne rejoindra qu’asymptotiquement le devenir du sujet, quel que soit le succès des synthèses dialectiques par quoi il doit résoudre en tant que Je, sa discordance par rapport à sa propre réalité », discordance due au désordre moteur de cet âge.

Il me semble important de noter ces moments et leur caractère symbolique inaugural dans la mesure où il y a quelque chose qui se rejoue, dans le fantasme, de cette apparition, de ce « seuil du visible » qui s’ouvre en même temps que la question de la limitation de cette jouissance projetée dans une image et ses contours spatiaux qui ne correspondent pas d’ailleurs à ce qui est vécu dans le corps qui gigote de façon assez désordonnée à ce moment. Dans « Le stade du miroir », il s’agit d’autre chose que de l’imaginaire pur, l’imaginaire spéculaire, puisque il y a toujours, et c’est cela l’important, le rapport à l’autre et à sa parole. La situation de l’image qu’on montre, et la situation par la parole de l’autre d’une fiction puisque il y a discordance entre la perfection de l’image et la discordance motrice.

La fiction, notons-le, est soutenue par la parole de la mère, ou du père, ou de la personne qui soutient le petit enfant et lui parle, et de lui, et de son image. C’est là le point où le visible s’ouvre au signifiant, où le monde s’ouvre comme tel, et se cadre comme monde visible par la parole et en relation avec cette image ; or cette relation est problématique. C’est le point où le visible s’ouvre au signifiant d’une manière qui est toute à fait déterminante et dont le fantasme gardera trace, bien sûr. C’est là que le jeu entre TOI, MOI, IL et l’opposition passif et actif – remarquons l’activité frénétique du petit enfant à ce moment-là – se joue. Cela s’est déjà joué bien sûr, à d’autres moments, ne serait-ce que par la présence d’autres petits enfants, à la maison ou à la crèche. Mais ce qui m’intéresse aujourd’hui pour mon propos, c’est cette remarque de Lacan sur cet instantané de l’image : le moment de jubilation, l’affairement jubilatoire est lié à l’instantané de cette image qui est rythmé par, vous le savez – cela été aussi admirablement commenté par Jean Bergès – les moments où l’enfant se retourne, questionne sa mère, se retourne vers son image, etc. Le caractère instantané de cette image, cet éclair, je le reprendrai dans un cas clinique à la fin de ce propos.

Je voudrais faire remarquer à propos de la grammaticalité que Freud et Lacan notent et font jouer dans le fantasme, que cette séparation entre l’imaginaire d’une scène et le jeu langagier qui fait varier les places, se fonde sur la trouvaille pleine de jouissance du stade du miroir. C’est une hypothèse que je fais, et qui interroge la fiction qui soutient cette image. Et cette fiction – c’est le cas de toute fiction – c’est cela qui va s’écrire, s’inscrire, et qui, de la parole exige l’écriture. Je le fais remarquer souvent : une fiction, c’est-à-dire quelque chose qui n’est pas tellement vrai mais qui a un sens, c’est quelque chose qu’on écrit et qui tient uniquement de ce qu’on l’écrive. Le subjonctif français l’indique assez bien. L’enfant qui perd son image pour interroger l’autre qui acquiesce dans ce jeu, qui perd en même temps l’image de la mère, comme le dit Jean Bergès, qui retourne au miroir etc., tout cela constitue un jeu de places, de paroles et d’images qui ne sont pas autre chose que les nécessaires conjugaisons du fantasme. Il y a une question clinique que nous pouvons nous poser, si mon hypothèse est juste, lorsque nous constatons quelque fois une certaine infirmité du fantasme incapable de limiter et distribuer la jouissance dans certaines addictions, et nous pouvons penser que c’est peut-être en relation avec ce qui s’est passé, ou pas trop mal passé, ou pas trop bien passé, à ces moments de seuils de la première enfance.

Le deuxième pôle sur lequel on pourrait parler des questions préliminaires à la possibilité du fantasme, c’est le pôle de l’objet, et là je reprends des choses qui m’intéressent toujours beaucoup, à propos du « doudou », de l’objet dit transitionnel et puis à propos des fables sur la naissance des enfants et le sexe, bref, à propos des mythes de l’origine du sujet dont les fragments fabriquent quelquefois les théories sexuelles infantiles.

Alors le « doudou » à la différence du sein-biberon, des fèces, de la voix, du regard, est une sorte d’échangeur préliminaire entre ces objets et représente, comme vous le savez tous, une sorte de permanence exigée. Quel drame en effet quand on le perd ! Mais c’est toujours un objet qu’on peut perdre, c’est-à-dire que ce n’est pas seulement un objet perdu. On « peut » le perdre, c’est subtil, c’est un début de pensée de la modalité, il y a déjà la possibilité n’est-ce pas, qu’on « puisse » le perdre. Et si on écoute les tous petits enfants ou si on les observe, on sait qu’ils ont cette idée de la possibilité de la perte. Alors ce « doudou » il est là, le plus souvent dès le début, avant même la parole de l’enfant, c’est un objet qui a été dans le berceau, pas toujours depuis l’origine, mais souvent. Et puis il devient indispensable au sommeil et aux séparations. Ce que dit Jean Bergès et qui me semble fondamental, c’est que radicalement le « doudou » est ce dont on parle, c’est-à-dire « Où est-il ? Où est il passé ? Est-ce qu’il est propre ? L’a-t-on oublié ? », etc. Il est caché, retrouvé, il est ce dont on parle. Bref, ce « doudou » a des aventures, il y a des histoires à son propos, c’est-à-dire qu’il y a des ordres, des récits, un déploiement de l’espace et du temps, il est sous une armoire, on va le chercher, il va se déplacer ailleurs, il est jeté, il est repris. J’ajouterai la tonalité modale qui fait l’inscription de la fiction dans l’affaire : il est le carrefour des possibles.

Et ce que je voulais vous dire en préliminaire à ce que dira Bernard : le « doudou » est le premier opérateur topologique, car il peut prendre toutes les formes, et le plus souvent, c’est un tissu, une étoffe, il est même, c’est très lacanien, troué ou tordu, l’enfant y passe le doigt, ou la main et les pieds. C’est-à-dire qu’il y a une complexité, osons dire, topologique très intéressante dans le « doudou » ; et cela, c’est en opposition avec l’instantané de  la forme spéculaire où le Je se projette ; il y a donc, en face de cette forme de l’image, ce tissu qui prend toutes les formes dans le continu de l’espace. L’objet transitionnel représente sans doute une dimension très abstraite de l’objet, très subtilement mobile et qui ne devrait pas être oubliée dans ce que fige parfois le fantasme.

Quant aux théories sexuelles infantiles, elles ont presque ce même rôle topologique. Ce sont les premières façons selon lesquelles un enfant se situe par rapport à sa propre origine sexuelle, ce sont de vraies théories comme fait remarquer Freud parce qu’elles établissent une réalité, dira Lacan, et un monde, et il me semble qu’elles seront peu ou prou reprises dans le fantasme adulte. Elles sont mêlées d’histoires, de légendes, qui donnent une structure narrative – c’est là qu’on retrouve un certain continu – où le jeu grammatical des places dont parle Freud et que l’on perçoit déjà dans ce qui s’origine dans le stade du miroir, trouve là une continuité de fiction. C’est la fonction que je trouve essentielle aux théories sexuelles infantiles, d’offrir à la permutation des places une continuité de fiction. Et comme le « doudou », les théories sexuelles infantiles vont prendre toutes les formes.

Par exemple, le conte du Petit Chaperon Rouge est très important chez certaines jeunes femmes, il est quasi international, et distribue tout ce qui concerne la dévoration. Alors la petite fille ou la patiente se demande « Suis-je dans ces contes le loup ou la petite fille ? » Vous savez bien que cela permute. Quant au mythe de la naissance, il s’agit d’ouvrir le ventre du loup, à la fin du conte, et certains désordres intestinaux se résolvent assez bien quand on a décelé ce fantasme, non seulement de grossesse orale, mais aussi d’ouverture cruelle du ventre, sans parler de tout ce qu’il y a autour de la castration féminine. Qui dévore, dans Le Petit Chaperon Rouge ? Quelles sont les places ? Comment se situe – c’est une question que nous aborderons – comment se situe le symptôme par rapport à cela ? Comment se situe le symptôme par rapport au fantasme ? Ce n’est pas automatique ! Tout cela construit un sens multiple, flexible. Ce qui se construit, ce n’est pas seulement un monde de réalité, mais, du même mouvement, des possibilités de jouir et de répartir selon des mots – le Chaperon Rouge, le loup etc. – un sens sexuel.

Je voudrais brièvement essayer de situer les enjeux de l’insistance de Lacan sur l’écriture dans ce qu’il appelle « La logique du fantasme ». Cette insistance à ce que nous rejoignions dans l’analyse, dans le déchiffrage d’un fantasme, le niveau de l’écriture, et, avec le poinçon, la pluralité de ce qu’il déchiffre, pluralité que nous devons entendre comme cette chaîne souple dont je vous parlais tout au départ. Ce qui, remarquons-le, mobilise le fantasme souvent figé de façon secondaire dans un scénario répétitif. Seul le niveau de l’écriture mobilise, à condition que l’on conçoive l’écriture comme autre chose que la gravure sur une tombe, sur une pierre tombale, que l’on conçoive une écriture qui pose en même temps sa propre mobilité. L’écriture, c’est ce qui permet plusieurs déchiffrages possibles, pas à l’infini cependant, elle joint toujours le nécessaire au possible. Elle seule peut poser la nécessité d’un leurre, comme celui de l’image dans le miroir, ou comme la fiction des théories sexuelles infantiles, elle seule, cette écriture, peut poser la nécessité du leurre pour, au bout d’un certain compte ou comptage, arriver à ce que certaines chaînes signifiantes apprivoisent la jouissance, la permettent tout en la limitant.

Comment atteindre ce niveau-là ? On peut peut-être le saisir en déchiffrant certains échecs. Reprenons par exemple la question des addictions. Il faudrait pour cela trouver le point où le fantasme ne s’inscrit pas, ou pas bien. Et en même temps, ce qui ne s’inscrit pas là, c’est la castration, certes. Mais on ne peut pas tout articuler en une leçon. De toutes manières, l’abord par un défaut de l’inscription me semble préalable, en tout cas aujourd’hui, et un mode d’approche intéressant de ces pathologies.

Je dirai très brièvement quelque chose qui m’a interrogée il y a quelque temps. Une personne boulimique, par exemple, fait une avancée spectaculaire et extraordinaire quand un jour, elle aperçoit son image de belle jeune fille dans l’éclair d’une vitrine – c’est cela qui m’a fait repérer dans le texte de Lacan l’instantané de l’image spéculaire, image qui fait penser à ce renouvellement du jeu, à l’adolescence, où sont rebattues les cartes. C’est à dessein que je prends ce terme de ‘rebattre les cartes’, en relation avec « Un enfant est battu », ce sont toujours des cartes qui sont battues, pour ne pas accentuer là une signification qui serait la signification masochiste de l’exemple choisi par Freud, repris par Lacan, mais qui, comme signification se présente toujours comme le fin mot ou le mot de la fin ! Je préfère donc dire « des cartes sont rebattues ».

Pour écouter cela, pour déchiffrer cela, je me réfère à ce que j’ai pu lire du stade du miroir, et je relie cette excitation qu’a eue cette patiente à l’éclair du miroir, comme le petit enfant, à cette image où je dois l’aider à se reconnaître dans ce jeu instantané, fugitif. Ce qui est intéressant c’est qu’il n’était pas évident de l’aider à s’y reconnaître ; allait-elle supporter, dans l’éclair d’une vitrine d’une image instantanée, de se reconnaître elle-même, et aussi, ensuite, comme belle jeune femme ? Comment cet instantané, suivi de quelques interventions de ma part, allait-il lui permettre de dire, mais après-coup, qu’elle était auparavant un « tas » ? Comment cet instantané allait-il se lier à un récit fondateur d’une distribution réglée et conjugable de la jouissance ? Les sujets qui sont boulimiques se vivent dans un état de malaise, se sentent toujours à côté de la plaque, et, même si elle se vivait comme un tas, elle ne pouvait pas le dire à ce moment-là, il a fallu que ce soit l’après-coup de cette image très fugitive qui lui permette de passer à l’imparfait – avec ou sans jeu de mots – et de dire « j’étais un tas », c’est-à-dire même pas un ensemble, un tas de n’importe quoi.

Mais cet après-coup est fragile, car cet instantané n’est pas relié à un récit qui fasse continuité avec la permutation des places ; il lui manque le « doudou » des théories sexuelles infantiles, des histoires qui pourraient peu à peu inscrire cette boulimie dans un fantasme, qui est peut être à découvrir, je ne sais pas, mais dont l’inscription ne sera assurée que par le déchiffrage de la cure, c’est-à-dire la continuité de l’analyse et le récit qui peut en être fait, de cette analyse. C’est la fonction de la passe, souvent, de dire cela, et c’est seul ce récit de l’analyse qui va établir peut-être une certaine continuité pour cette permutation des places, et permettre de situer et d’inscrire cet instantané qui a surgi comme cela, j’allais dire, un jour de chance.