Les dépressions de l'enfant (Éditorial JFP n°26)
08 mars 2007

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Marika BERGÈS BOUNES, Jean BERGÈS, Christiane LACÔTE-DESTRIBATS
Billets



Comment se fait-il qu’on ne veuille pas croire à une dépression chez l’enfant ? L’enfant peut-il se déprimer ? De fait, qui le constate ? A-t-on l’oreille au juste moment ? Quelles en sont les traductions cliniques ? Questions d’importance puisque, passée inaperçue, non traitée, elle ne manquera pas d’affecter la vie de celui ou celle qui en a fait l’épreuve.

Il se trouve que l’enfant n’est pas bavard sur cette sorte de chute, sur ce qui apparaît discrètement comme un manque d’enthousiasme. Ceux qui ont affaire à lui le créditent plutôt d’être vivant, actif et de venir prouver que sa naissance est bien le contraire du calme de la mort.

Mais, c’est sans doute dans cette articulation étroite des différents termes qui permettent l’émergence de la vie, de ce qui donne accès à la scène du monde que se posent les questions. Ceux qui ont déjà pu aborder l’état dépressif de l’enfant sont toujours passés par des considérations sur les relations entre l’enfant et la mère. Songeons aux descriptions de Mélanie Klein, à l’abandon évoqué par Spitz, à la perte d’objet, à l’absence d’un regard… Ces états dépressifs seraient alors directement liés à une insuffisance maternelle.

Ne serait-il pas plus éclairant, en contestant un système explicatif uniquement fondé sur une dyade imaginaire, d’interroger les relations entre trois termes que sont la mère, l’enfant mais aussi le phallus en tant que la dimension symbolique qu’il introduit renvoie à la question du père ?

Cela permettrait de prendre en considération comment un enfant n’est pas seulement confronté à l’absence de sa mère mais surtout à ce qui le mène, lui, à savoir qu’il tient à être ce que désire sa mère. C’est sans doute dans les aléas de l’impuissance imaginaire qu’il éprouve dans cet effort, que la dépression produit cet éboulement autour d’un trou dont l’enfant s’épuise à défendre tragiquement et silencieusement les bords où il est alors laissé, la pensée en panne.

Résumé JFP N° 26

  1. Jean Bergès : Deuil et mélancolie revisités
    L’évolution actuelle modifie la structure même des états dépressifs de l’enfant. Quelques exemples cliniques suffisent à illustrer les déplacements en cours. Ainsi les états dépressifs liés à la mort d’un parent nécessitent aujourd’hui que soit prise en compte non seulement la perte de l’objet mais tout autant la haine à l’égard de celui qui a fait à cet enfant le pire, c’est-à-dire mourir. Ceci est lié aux modifications de notre rapport à la mort : fin de l’idée de la providence, multiplication des accidents liés à la jouissance. Un autre exemple est celui des effets des prédictions scientifiques qui pervertissent la fonction anticipatoire des parents, fonction qui est pour l"enfant le ressort de son articulation symbolique.
  2. Christiane Lacôte : Les traces d’une dépression infantile à l’âge adulte
    Quelles traces laissent une dépression de l’enfance dans la vie adulte ? Quels sont les mécanismes de défense rencontrés dans les cures d’adulte au moment où cette question est abordée ? Quelles incidences sur le raccord complexe entre amour et sexe ? Quelle écriture ou invention est-elle possible en ce point de réel ? Dans la chute de toute anticipation symbolique, l’image n’est plus symbolique, elle en revient à une image imaginaire avec son corollaire de négation des fonctions, de déni sur le corps, en effet, les dépressions de l’enfance engagent la symbolisation du phallus.
  3. Graciela Crespin-Cabassu : État dépressif ou état préautistique ? L’histoire de Julien
    Comment penser une absence ou une insuffisance maternelle autrement qu’en référence non pas à la mère en tant que personne mais à la mère en tant que petit autre, tenant lieu pour l’enfant de grand Autre barré, autrement dit en faisant appel à la question du désir. La question est donc celle de la place phallique désignée par le désir inconscient maternel qui assure à l’enfant cette place symbolique à partir de laquelle son existence semble être fondée. L’histoire de Julien illustre les aléas de cette question. Dans ce cas, si la place phallique dans le désir de la mère existe mais elle est ailleurs et de ce fait semble inaccessible à l’enfant. C’est-à-dire que le désir de la mère vise là un autre objet que l’enfant. Il a affaire à un décalage. Cette inadéquation dans ce qui lui est proposé comme image de soi-même, à la différence de l’autisme qui se heurte à une absence de représentation. À ce titre, l’enfant déprimé expérimente son impossibilité à venir à la place de la satisfaction tant convoitée par l’Autre ; C’est ce ratage qui détermine son état.
  4. Nazir Hamad : L’enfant séparé et son état dépressif
    Comment comprendre les manifestations somatiques graves de la sphère ORL ou digestives qui affectent les enfants ayant vécu des séparations précoces ? En référence au travail de Françoise Dolto et à celui de Jean Berges, l’auteur reprend en quelque sorte ce que Lacan évoquait dans le texte "Télévision" de Jacques Lacan, à savoir la nécessité d’un discours qui lie les organes en fonction. Pour Françoise Dolto, la dépression apparaît comme un retour au corps quand la parole de l’Autre maternel ne vient plus soutenir l’hypothèse du sujet, anticiper sur son désir et médiatiser ce que la pulsion est à entendre comme trésor des signifiants. Cette question s’articule tout autant dans ce qu’avance Jean Berges entre la question de la fonction et du fonctionnement.
  5. Sadegh Nashat : Quelques éléments de réflexion sur la dépression chez l’enfant : à partir et au-delà de la position dépressive
    Le travail de Mélanie Klein, en rupture avec l’orthodoxie représentée par Anna Freud, a permis de mieux comprendre les mécanismes dépressifs. Ses avancées ont été obtenues par le développement d’une pratique thérapeutique basée sur le jeu et permettant de laisser libre cours aux phantasmes et pulsions de l’enfant. À ce titre, le cas clinique d’Emma est exemplaire qui situe l’angoisse dépressive comme la tristesse issue du rapport de l’amour et de la haine pour l’objet. Elle établit donc un mouvement de maturation dont la position dépressive est une étape après le sadisme primaire. L’angoisse dépressive est pour elle représentée par la peur de perdre la mère aimée. La position dépressive est ainsi vue comme l’achèvement d’une intégration. Toute fois persiste chez Mélanie Klein la difficulté de distinguer ce qui participe du développement normal et ce qui relève du pathologique. Ses successeurs, notamment Bion et Waddel, s’attacheront à le préciser.
  6. Lionel Bailly : Le groupe des indépendants
    Le groupe des indépendants se constitue des psychanalystes anglais à l’exception de Mélanie Klein et Anna Freud. Que ce soit Spitz, Winnicott ou Bolwby, chacun se réclamera d’une démarche scientifique. On doit à Spitz, après l’observation d’une population d’enfants hospitalisés, le terme de dépression anaclitique dont il liera l’origine au fait que la mère "a été enlevée de l’enfant" entre 6 et 8 mois pour une période excédant 3 mois. Il y infère la faiblesse du moi pour expliquer la vulnérabilité qui, s’il était muni d’un surmoi, le conduirait à la mélancolie. Winnicott s’attachera à l’exploration de la relation mère-enfant dégageant le lien entre dépression maternelle et celle de l’enfant sur fond de sentiment de culpabilité. Bolwby utilise plus encore que les précédents une démarche scientifique s’appuyant sur le concept de recherche prospective. C’est en étudiant la réponse de l’enfant à la séparation qu’il forge le concept d’attachement. C’est ici la séparation en tant que telle qui est déclencheur de la dépression et de l’angoisse.
  7. Hervé Bentata : À propos de la "mélancolie de l’enfant"
    Les éléments cliniques développé ici poussent à voir dans les épisodes mélancoliques ou maniaques des modes possibles de décompensation d’une psychose préexistante. Le cas de dépression anaclitique tel que le présente le cas clinique de Sammy met à l’inverse l’accent sur l’effet déclencheur d’une perte réelle dans le développement de la mélancolie. Cette perte réelle qui a cet effet néantisant a le plus souvent trait à quelque chose de maternel. Il peut, toutefois, s’agir d’une perte apparemment mineure qui n’a un effet dévastateur que par ricochet et qui, du fait d’une défaillance symbolique, peut conduire à une impasse dans la structure psychique.
  8. Jean Bergès : Formes actuelles du deuil chez l’enfant
    L’identification première qui se produit entre la mère et l’enfant prend fin lorsque l’enfant n’occupe plus toute la place du désir de la mère. Elle cesse comme dit Lacan de lui obéir. C’est le premier point de la position dépressive. Le deuxième point est celui de la mort. L’enfant a avec la mort une position logique, c’est ce que l’on peut constater avec les enfants hyperkinétiques : "tant que je remue, je ne suis pas mort". Peut-être que la dépression de l’enfant apparaît quand un enfant se trouverait défini par le signifiant maître de la mort, lui-même se situant en position de savoir. Dans "deuil et mélancolie", Freud articule les deux états à la question du savoir. Dans la mélancolie, je ne sais pas ce que j’ai perdu. Pour qu’il y ait perte et travail de deuil, il faut que l’objet de la perte soit réel, faute de quoi il n’y a ni perte ni deuil. La dépression est un effet de l’incapacité à lire ce qui est inscrit, enkystement autour d’une lettre illisible. Quand l’enfant est dépressif ou agressif, il s’agit d’un appel pour que se fasse réentendre quelque chose de l’objet, de la voix maternelle perdue.
  9. Gabriel Balbo : La double négation entre le deuil, la mélancolie, et la paranoïa sensitive
    La dépression est symptomatique, elle n’est pas un syndrome, elle regarde les effets et non la cause, ici, à propos d’un cas clinique, la question est celle d’un savoir dont l’énigme maintenue porte sur une jouissance réelle.
  10. Jean-Marie Forget : La dépression récusée
    La constitution d’un couple parental autour de la forclusion des traits de la différence entraîne du côté de la subjectivité de l’enfant qu’il présentifie cette perte. En effet, toute marque de sa subjectivité ne manquera pas de faire effraction dans l’économie ainsi constituée du couple de ses parents, elle sera alors récusée par le discours familial. Soit l’enfant épouse cette logique familiale, dépressive
  11. Michel Leverrier : Une dépression infantile précoce chez un petit garçon de 2 ans en réaction à la dépression maternelle
    À propos d’une cure d’enfant, l’auteur montre comment un enfant peut se trouver captif de la dépression maternelle et comment le travail de la cure, introduisant un décalage peut permettre l’introduction d’un manque, l’aptitude au désir, et la possibilité d’une inscription symbolique.
  12. Claire Arnaud-Gazagnes : Révélation et rupture narcissique
    Quelle est la place du leurre quand la relation de la mère à l’enfant est placée sous le règne de la séduction narcissique. L’enfant semble dés lors être dans l’obligation de tenir place du phallus imaginaire, condamné à ne pas décevoir à s’ériger comme objet statufié, éjecté du désir, menacé par l’effondrement du moi, sans recours au tiers paternel exclu de la relation.
  13. François Benrais : Les petites "pousses" à la déprime
    Aujourd’hui, l’évolution se fait vers une médecine compassionnelle que ce soit soulager le deuil, obtenir un pretium doloris, les traitements médicaux ne font pas coupure, ils comblent. Les traitements médicamenteux n’entraînent-ils pas dans leur sillage une iatrogénie de la souffrance ?
  14. Jean Bergès : L’enfant, la connaissance et la psychanalyse
    Que cela lui dise ou non, l’enfant s’éveille à la vie au milieu du langage. Et ce langage vient le commenter, l’interroger, vient décerner à son corps, à ses fonctions des signifiants qui supposent qu’il est un sujet pour d’autres signifiants, c’est-à-dire qu’il en connaîtrait un bout de ce qui lui est dit puisque, c’est à lui que tout cela s’adresse. L’imitation aliénante dont parle Wallon est ainsi l’hommage rendu par l’enfant à celui qui parle, hommage au crédit qu’on lui a fait de comprendre. C’est un hommage du même ordre que l’enfant va rendre au moment de la phase du miroir. Il va se découvrir dans son unité visible et spéculaire à celui ou celle qui le supporte, en se retournant vers lui ou elle pour le prendre à témoin de ce à quoi il vient d’accéder : la globalité de son image et l’anticipation de la capture de cette image de l’unité agissante dans le futur du corps. Ces différentes opérations ne peuvent se comprendre sans le crédit que l’adulte fait à l’enfant et à l’hommage que l’enfant lui rend. On peut percevoir qu’ainsi le signifiant n’est pas seulement de l’ordre d’une différence phonématique mais qu’il a aussi quelque chose à faire avec le corps engagé dans la parole. C’est là le début de ce jeu de leurre que l’enfant va mener en compagnie de sa mère, leurre autour du phallus, de la question de l’être et de l’avoir, jeu de leurre essentiel pour la constitution des objets. Dans les troubles dysphasiques, par exemple, l’enfant ne rend pas hommage, il ne renvoie pas l’ascenseur, il ne rentre pas dans ce jeu de leurre. C’est dans cette mesure que les orthophonistes font des miracles, en entendant ce que la mère n’entend pas et en lui montrant à la mère, par l’orthophoniste, l’enfant renvoie l’ascenseur, elle a amorcé le travail de leurre. Le savoir et la connaissance sont pris dans le fallacieux, dans le leurre. Qui commande la connaissance ? Ce n’est pas la soif de connaissance qui nous pose la question de la connaissance, c’est la prééminence de la méconnaissance
  15. Jean-Louis Sarradet : Un désespoir d’enfant
    À propos d’un cas clinique, celui de Léon qui montre la capacité d’un analyste à soutenir le transfert de se raconter et qui permet d’apprécier la ligne de partage entre désespoir et dépression.
  16. Annie Maurin-Feltin : "C’est fatigant !"
    À propos d’un cas, l’auteur montre les deux mouvements de la dépression. L’un est celui de la chute, la mise en acte de la perte, l’autre est celui du refus, du renoncement impossible avec cette tentative d’obturer la béance par une plainte narcissique.