Les certificats de G. de Clérambault
30 mai 1992

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TYSZLER Jean-Jacques
Textes
Psychiatrie



Quatre facettes pour mettre en perspective la question du style chez G. de
Clérambault.

1. le style des certificats

2. le style de l’entretien clinique

3. le bout de réel entamé et les fictions cliniques

4. le style du Maître et son coût.

1. Le style des certificats

1. Les certificats sur lesquels nous avons travaillé sont les documents
rédigés à fin de placements par les médecins de
l’Infirmerie spéciale prés de la Préfecture de Police (à
Paris) ; nous avons affaire à une pratique spécifique centrée
par l’application de la loi de 1838 à la frontière du médical
et du légal et produisant une clinique dans le champ de son expérience
: citons le délire de persécutions de Legrand du Saulle, mais
cette pratique engage ainsi toute une réflexion, tout un débat
sur l’assistance aux aliénés, et il est intéressant de
savoir que l’ouverture du premier dispensaire d’hygiène mentale en 1924
est dans l’aboutissement de ces questions : ce dispensaire est celui de l’hôpital
Henri Rousselle.

Nous avons donc avec six collègues, sous la responsabilité de
M. Czermak, archivé en 1985 et 1986 les certificats tous inédits
de deux psychiatres : Dupré et Clérambault.

Clérambault couvre une période qui va de 1905 à 1934 avec
l’interruption de la guerre, puisqu’il demande à combattre sur le front,
puis continue de servir au Maroc.

Il y a évidemment des contraintes pour la rédaction des certificats
: une certaine brièveté, des éléments sémiologiques,
des éléments diagnostiques mais aussi pronostiques, qui donnent
un cadre général au style des médecins certificateurs.
Cependant, Clérambault se reconnaît facilement et tout d’abord
par la richesse des substantifs employés : mots rares, réduction
néologique qui évite les métaphores usuelles, plus généralement
suite de mots qui essayent d’approximer toujours au plus près le réel
qu’il veut rendre sensible. On a ainsi le sentiment de petites touches ou de
petits cercles qui entourent et délimitent ce qui pour tel patient fera
trait.

Dans un même certificat, il note par exemple :

Psychose d’influence,

Automatisme mental,

Hallucinations psychiques,

Communication de pensée,

Prise et écho,

Pensées étrangères,

Hallucinations auditives,

Critiques, ordres,

Mesmérisme, (théorie du magnétisme).

Extraordinaire travail de nuances, mais pas au sens de la dispersion que l’on
retrouve également dans les certificats concernant par exemple la paranoïa
et la jalousie avec un travail sur le mot HAINE ou le rapport entre la jalousie
et l’envie. Les voix sont plus particulièrement étudiées
: voix énigmatiques, informatrices, fabulatrices, contrariantes, prophétiques,
évocatrices, complimenteuses et amoureuses.

On pourrait établir un petit lexique des qualificatifs concernant ces
voix.

C’est un style vigoureux au sens où il imprime en permanence
à chaque entretien, et nous avons environ 500 certificats par an pour
pouvoir en attester, il imprime la marque de ses recherches : les certificats
ne sont jamais neutres car Clérambault y glisse les signifiants reliés
à sa visée théorique, à son élaboration du
moment.

Selon les domaines, les certificats sont néanmoins différents
:

Plus longs, plus circonstanciés dans les psychoses passionnelles, l’érotomanie,
la paranoïa avec des notations de caractère, des notes sur la biographie
; très ramassés, très concis dans l’automatisme mental
aboutissant à une forme d’épure ne rendant compte que des nervures
de la structure en cause. Cette différence rend compte du fait que la
question moïque n’est pas impliquée de la même manière
selon les psychoses.

Les certificats montrent également avec certains patients qui reviennent
les différences de style et aussi de visée clinique.

Il y a par exemple de très beaux certificats d’une érotomane
vue à plusieurs reprises par Clérambault et par d’autres collègues
dont Dupré.

Là où Clérambault dit érotomanie, Dupré
dit mythomanie.

C’est aussi un problème qui intéresse le style :

pourquoi un signifiant insiste et s’impose,

pourquoi tel autre est mis en suspens ?

2. Le style de l’entretien clinique.

Je voudrais essayer ici de complexifier les évidences qui touchent au
dispositif d’écoute et d’observation.

On insiste toujours sur la dimension suivante : les aliénistes puis
les psychiatres se croient en dehors du tableau clinique et si leur clinique
est riche, elle n’en est pas moins qu’une clinique du regard.

C’est vrai, et aussi avec Clérambault, mais il ne faut pas rater cette
disposition singulière chez lui : cette capacité à amplifier,
puis à décomposer
le phénomène psychotique,
en particulier, dans le registre de la passion, de l’érotomanie et dans
le registre du phénomène hallucinatoire.

Pour être dans ce travail de prisme, pour produire cette décomposition
spectrale, Clérambault s’inclue considérablement dans l’entretien
clinique.

Il accepte de se laisser capter, de se laisser aveugler, de se soumettre à
la parole du patient.

Il parle souvent des entretiens dans les articles regroupés dans les
oeuvres psychiatriques.

Il nous parle de manoeuvre, d’agitation, d’irritation concernant
ses entretiens, surtout ceux avec les érotomanes qui duraient parfois
des heures.

On peut parler de regard, mais remarquons surtout combien Clérambault
s’ingénie à décomposer le circuit de la parole,
et là où celle-ci a structure d’hallucination et mieux structure
d’hallucination psychique.

(On pourrait, je crois, reprendre ici, rapprocher cela, du modèle électronique
de la Triode où Lacan nous invite à voir la possibilité
d’amplification du discours inconscient).

3. Le bout de réel entamé et les fictions cliniques.

Le style de l’entretien et le style des certificats, cet aller et retour entre
observation et rédaction produit ce que chacun peut lire dans les articles
de Clérambault, c’est-à-dire une nouvelle mise en équation
de certaines structures délirantes et des recherches sur le

déclenchement des psychoses, sur le mécanisme de l’allusion,
sur la formalisation de l’automatisme mental, etc.

Formalisation d’ailleurs audible, uniquement avec des outils d’aujourd’hui,
les outils que nous laisse Lacan, car je crois que certaines notations comme
la distinction de lieu entre hallucinations psychiques et hallucinations
accoustico-verbales ne peuvent s’attraper et se travailler que par le Lacan
de la Topologie.

Le bout de réel entamé c’est aussi bien entendu ce qui s’éclaire
du cadrage de l’érotomanie et qui fait en un sens définitif
: l’érotomanie est pour nous celle décrite par G. de Clérambault.

Cette capacité à rendre accessible à l’analyse des objets
nouveaux : c’est ce bout de réel entamé. Et la façon de
Clérambault est de poursuivre contre vents et marées, critiques
et sarcasmes, rejets et malentendus, (je vous renvoie au Lacan de la thèse
de 1932), de poursuivre l’écriture de FICTIONS comme celle de
l’érotomanie pure.

A partir de ces fictions est permis que se dévoile, s’écoute
ensuite, la diversité clinique et l’atypicité qui bien sûr
est la règle.

Ce n’est pas un débat de savoir ou de forme, et Clérambault ne
s’obstinait pas sur le terme automatisme. C’est la capacité à
éclairer au sens littéral des configurations cliniques et à
resserrer leur formalisation, à épurer, styliser leur chiffrage,
ce que Clérambault nomme les constantes. Capacité à couper
aussi dans des débats pas trop psychologiques pour révéler
la structure en cause.

Il y a vraiment là dans ce travail d’épure, un certain rapport
avec le réel.

J’ai insisté précédemment sur la variété
des mots employés dans les certificats, mais la notation principale est
plutôt du côté de la réduction opérée
dans le champ des signes et des syndromes : Clérambault empêche
que la clinique soit divisible à l’infini.

Si vous lisez le délire amoureux de Kretschmer ou les Idéalistes
passionnés de Dide, c’est une clinique d’une grande variété,
mais qui peut s’étendre concentriquement à l’infini : de syndrome
en syndrome.

Clérambault fixe et particulièrement avec l’érotomanie
des formes qui ne s’offre plus à la division même si elles permettent
de lire la diversité.

Il ne faut pas forcer les choses néanmoins, et Clérambault lui-même
est embarrassé avec certain regroupement, certain nouage comme celui
des psychoses passionnelles et cette difficulté n’apparaît pas
dans les articles et conférences, mais précisément dans
les certificats.

4. Le style du Maître et son coût

On dit souvent en parlant de Clérambault : le "Maître de
l’infirmerie".

Par certains côtés, il occupe cette place du Maître, et
je crois que c’est repérable dans ce qui était dit précédemment.

Mais, il faut colorer un peu le qualificatif :

– Clérambault n’est pas dans le progrès de l’époque :
il n’est pas pour le psychologisme, même pas pour un psychodynamisme habituellement
partagé (je ne parle pas des idées freudiennes).

Il ne fait pas de distinction entre le fond et la forme. Il n’y a de vérité
que dans la forme et ces cours sur le drapé arabe donné à
l’Ecole nationale des Beaux-Arts mettent bien en évidence sa méthode.

– Clérambault récuse aussi les filiations d’idée (cf.
sa polémique à propos de Dide), et il est vivement attaqué
par d’excellents collègues : Capgras, Claude, Hesnard au moment même
des élaborations théoriques qu’il produit.

Le célèbre Congrès de Blois consacré à l’automatisme
mental est une reconnaissance et un enterrement.

Il est, au moins, dans un premier temps rejeté par certains de ses assistants
: Lacan (notes très acérées dans la thèse de 1932).

Il est aussi je crois dénaturé par ceux qui forts de leur autorité,
écrivent l’histoire de la psychiatrie et des concepts : Henri Ey.

C’est un Maître vécu comme anachronique, hors d’époque,
atopique.

Le coût, le prix payé d’une clinique résolue, Clérambault
l’expérimente dans sa vie, sa trajectoire, mais il faut, pour nous, entendre
aussi cela du côté du transfert car il y a sûrement un coût
à une clinique si inquiète de production de savoir.

A la fin du séminaire, l’Insu que sait… Lacan conseille qu’on
ne s’arrête pas au fait que Clérambault a inventé
un jour l’automatisme mental, mais il n’empêche son étonnement
demeure : Dieu sait comment il a trouvé ça !, comment ce
clinicien a-t-il une sensibilité si fine à la question de la voix
?

Il faut tout de même noter que ce fameux automatisme mental devient avec
Clérambault lui-même :

syndrome d’écho, syndrome d’automatisme, syndrome mécanique,
voir syndrome S.

Le style de Clérambault c’est peut-être surtout cette capacité
à se rendre assez transparent pour se faire disons l’écho de cet
objet qui gravite dans le champ de l’entretien et de l’échange.