Les journaux ont récemment fait état d’études américaines portant sur l’usage des antidépresseurs chez les enfants et les adolescents (1). Ces études concluent à l’inefficacité d’un traitement antidépresseur proposé en première intention pour des troubles dépressifs ou des manifestations compulsives. Son effet n’est pas meilleur que celui d’un placebo. Il introduit de plus le risque d’une tentative suicidaire. Tout ceci justifie pour les auteurs l’abstention d’un tel usage et démontre l’absence de pertinence d’une telle pratique.
L’interview d’un psychiatre que le Monde associe à cette information permet de dégager des points de bon sens :
– Il s’agit avec des enfants ou des adolescents déprimés de "prendre du temps" en consultation plutôt que de prescrire hâtivement un traitement lourd de conséquences. Prendre du temps – peut-on le souligner – est aussi prendre plusieurs temps successifs, c’est-à-dire avoir le parti pris de revoir l’enfant ou l’adolescent et ses proches si nécessaire.
– Il s’agit aussi de réserver ce type de médications à un usage de spécialistes, et l’exemple qu’en donne ce collègue concerne des soins hospitaliers. Les indications en sont donc assez restreintes sur des manifestations mélancoliques, par exemple.
Il faut toutefois garder à l’esprit quelques points de base. Les manifestations dépressives des enfants et des adolescents témoignent qu’ils restent en deçà d’une affirmation d’eux-mêmes dont ils puissent reconnaître la légitimité et que cette légitimité soit prise en compte par leurs proches. La mise en jeu de la subjectivité de chacun passe par son articulation à l’autre. La division du sujet qui parle ne peut s’engager que dans une forme de reconnaissance de celui à qui il s’adresse. Cette adresse met à l’épreuve la responsabilité de l’interlocuteur et la fiabilité de sa parole. Elle met à l’épreuve son éthique propre. La dépression résulte de la réserve, du retrait voire de l’impossibilité que ressent l’enfant ou l’adolescent à un tel élan.
Les perspectives du clinicien qui cherche à aider un enfant ou un adolescent à se dégager d’un état dépressif sont celles de la reconnaissance d’une subjectivité en souffrance. Elles mettent à l’épreuve la qualité de son écoute, sa disponibilité et son assise symbolique
Il est des cas de figure que nous connaissons bien où un début de psychothérapie qui n’a comme seul visée qu’un soutien psychologique rencontre rapidement ses limites et voit réapparaître les manifestations dépressives. Le désarroi du psychothérapeute le conduit, pour peu qu’il soit médecin, à introduire un traitement antidépresseur pour éradiquer la souffrance là où l’enfant ou l’adolescent attend la prise en compte de celle-ci pour s’en dégager. Une tentative de suicide s’en suit comme une marque de désespoir et de trahison.
L’attente des enfants et des adolescents est à rapprocher de ce que l’économie actuelle leur propose. Un article du Monde daté du mardi 21 septembre titrait "Marques et distributeurs convoitent l’argent de poche des adolescents". "Après l’enfant roi, l’adolescent tout puissant". L’économie traque les enfants pour leur pouvoir d’achat – qui est celui de leurs parents, leurs banquiers naturels, comme le disait de doyen Carbonnier – et suscite pour alimenter leur convoitise des conditions artificielles de pénuries : "Certaines marques… lancent des séries limitées pour créer un phénomène de pénurie".
L’économie propose donc de parti pris aux jeunes de notre monde des objets d’envies qui puissent piéger ces sujets en devenir dans une logique d’un rapport à l’objet où le vécu de la perte n’est pas reconnu inhérent à tout choix, mais est présenté comme une frustration temporaire qu’ils peuvent compenser à la condition d’y mettre le prix. Dès lors la répétition des frustrations sans autre perspective conduit à la dépression ou à l’objet antidépresseur, en pure perte…