L'enfant Golem
20 décembre 2008

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DOKHAN CSERGO Michèle
Nos enseignements



Cet article a fait l’objet d’une intervention aux journées d’étude des 8 et 9 décembre 2007 à Paris : "Quelle place pour l’inconscient de l’enfant dans le monde actuel ?"

A entendre certains énoncés de mes patients, jeunes ou moins jeunes, il m’arrive d’être surprise. Cet effet de surprise prend depuis quelques années pour moi des allures d’irréalité ou plutôt d’une confrontation à un Réel… je dirai… saugrenu.

Autrement dit, pour m’appuyer sur cette étymologie, d’un grain particulièrement salé… un grain qui vient enrayer ma pensée ou encore la piquer quand j’entends "droit à …"

Il y a 25 ans, je me disais que dans ce droit familial, marqueur symbolique de notre système d’alliances et de parenté, dans ce droit qui était ma pratique quotidienne, le Réel et l’Imaginaire bien que temporisés par le système symbolique sur lequel reposaient l’alliance et la filiation s’y déployaient dans un face à face souvent cruel. Racine dénonçait le droit comme un mécanisme rationnel dont les fous peuvent abuser et Kafka comme celui qui amène l’homme dans sa démence. D’où la recommandation du Doyen Carbonnier : "le législateur ne doit légiférer qu’en tremblant", Flexible droit, Editions Librairie Générale du Droit et de Jurisprudence, 76

Partir du droit permet-il de comprendre comment se construit le sujet, ce sujet "sans gravité". Peut-on dire que lorsque des fondamentaux du droit sont modifiés, un nouveau type d’identité se met en place? Pouvons nous continuer à nous soutenir de la seule clinique du fantasme quand ce qui structure son écriture- la famille- vient à être bousculé ?

Quand nous lisons dans le JFP, – à propos de clonage – cette innovation technique qui permet de se passer enfin des spermatozoïdes- l’interview édifiante du philosophe Philippe Descamps conduit par Sylvie Quesemand-Zucca ; que le "droit n’est pas garant de l’espèce humaine", ne faut-il pas entendre que l’enfant est devenu le dernier enjeu d’un discours où l’être humain n’est plus celui qui procède de la rencontre entre les deux sexes mais des sciences techno-biologiques ? JFP n°28 Ségrégation.

C’est par l’examen des débats et des textes de loi réformant le droit de la famille que je vous propose d’entendre une part de cet "envers" du discours ; car "si le droit c’est pas ça, si c’est pas par là qu’on touche comment le discours structure le monde Réel ; où ça sera ?" (leçon du 26/11/69)

Il semblerait que le statut du droit ait changé du fait de la multiplication des lois ces 20 dernières années. Véritable inflation que l’on pourrait comparer à une planche à billets en temps de récession. Dans un 1er temps, Carbonnier a montré comment les lois ont consacré

  • "des effets macédoniens" : cette tendance législative qui a cherché- notamment dans le droit de l’autorité parentale- à construire un régime de police, d’intervention préventive fondé sur une défiance généralisée envers les parents ou les maris (la législation l’empereur Vespasien avait interdit aux fils de famille de contracter des emprunts parce que l’un d’eux avait tué son père pour satisfaire un usurier) ; car c’est effectivement dans une famille en transformation que l’idée des risques s’est développée et que la figure de l’enfant abusé est apparue, en lien avec le souci de mettre fin aux relations de pouvoir et de domination qu’il s’agit de refouler/récuser obligeant à convenir que "lorsque les parents sont défaillants, il suffit de les reparentaliser."
  • dans un 2ème temps, nous observons comment les lois sont subsumées à des intérêts subjectifs afin de répondre à toutes les plaintes, réparer toutes les souffrances… ce versant Imaginaire qui ne laisse plus aucune place au vide. A ce droit se conjoignent ou se combinent les performances d’une science mise au service de ce qui jusqu’alors était, selon l’angle pris, du ressort du rêve, de chimères, de fantasme ou de délire. Ce qui n’était pas réalisable l’est devenu, venant subsidiairement nier l’autorité du temps. Peut-on dire alors que la forclusion du Symbolique fait retour dans le Réel par le biais répressif ?

Force est de constater que le libéralisme prôné par le droit de la famille qui produit de nouvelles représentations de ce qu’est un père/ une mère, qui refoule/récuse l’autorité et toute domination au profit d’un libre échange des volontés, qui institue un nouveau statut pour l’enfant fait manifestement retour au travers des lois pénales et/ou hygiénistes pour le sanctionner. S’agit-il bien d’un paradoxe ?

N’est-il pas suggéré, comme le fait valoir Mme Neyrink, que pour l’enfant tout vaut mieux que d’avoir une famille ? Nous savons que les régimes totalitaires ont déjà répondu à cette question. Les parents privés d’assise symbolique, le sujet est en quelque sorte privé d’un centre de gravité, il suffit alors d’un trait pour le fixer à un maître, nous rappelle Ch. Melman.

Faut-il considérer que le droit -représentant (en place d’agent) du S1- porte atteinte au discours du maître, lequel ne procèderait plus d’une inscription dans le Symbolique ? C’est ce que soutient M. Iacub qui se réclame de Foucault pour railler l’ordre Symbolique. Elle nous dit s’attacher à un "modeste exercice de vérité pour appeler en creux un droit désexualisé, artificialisé et indifférentialiste, cherchant dans le mouvement gay les bases d’un projet féministe dont le droit de se passer de son corps pour procréer pourrait être un exercice"

Rien de nouveau- direz-vous- Freud savait déjà en 1914 que celui qui débarrasserait l’humanité de la sexualité serait considéré comme un héros et Adorno en 47, dans Minima Moralis, annonçait "l’avènement d’une société désexualisée qui irait vers une sorte de pornographie hygiénique et puritaine et le refus des femmes de transmettre la vie".

Rien de nouveau, si ce n’est -comme l’avançait Lacan dans L’envers– que le discours du Maître a changé de nature sous les effets conjugués du discours scientifique qui à la fois "s’assure de ce que montre le discours universitaire et recule les frontières de l’impossible cependant que dans le même temps, le discours capitaliste commande de jouir de l’objet" (Leçon du 11/03/70 ; L’envers). Nous en voyons certains effets dans notre clinique et D. Desvaux en soulignera quelques "Incidences". Mais par quels biais, ce discours a-t-il pu s’inscrire ?

J’ai tenté de suivre Lacan dans cette recommandation : "A lire n’importe quel texte, nous amène à poser cette question : qu’est-ce qui le rend lisible ?" deux paradigmes m’ont plus particulièrement frappée car ils me paraissent "faire discours", i.e , "quelque chose qui se répand dans le langage comme une traînée de poudre, qui s’accroche" (leçon du 17/06/70, L’envers). Je vous soumets donc deux fils: un Précis de victimologie apparu en 2004 qui vient recenser toutes les actions légales des victimes (fruit d’une politique engagée dans les années 80 et objet de classification par le DSM qui intègre le PTSD (Post traumatic disorder) : il suffit que l’individu ait vécu un événement traumatique pour être appelé victime et -2eme fil- la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de 89. Expression d’un mouvement : les "Children’s Liberationists" qui veut reconnaître un statut complet de citoyen à l’enfant.

Ces deux fils je les tirerai au travers de l’autorité parentale et je me suis appuyée sur 3 textes datés de 2006/2005:

Le rapport de l’Assemblée Nationale n°2832, daté de février 2006, nommé "L’enfant d’abord", sur la mission d’information sur la famille et les droits de l’enfant, qui édicte 100 propositions pour placer l’intérêt de l’enfant au coeur du droit de la famille. (Le Président Patrice Bloche, le Rapporteur V. Pécresse. 2T.14 tables rondes).

En 2005, le rapport INSERM, dont l’idée est de médicaliser des phénomènes relationnels qualifiés "d’oppositionnels", que l’on peut associer aux troubles liés à l’exercice de l’autorité parentale : toutes les pathologies ou dysfonctionnements sont rapportés à des causes objectives dans une pensée mécaniciste, les déviances de l’enfant sont mises sur le compte d’une mauvaise gestion de son économie psychique et ce rapport nous invite à indexer, dès l’âge de 3 ans, les "futurs délinquants".

La loi de février 2005 qui vient parfaire le tableau en venant au nom de l’autonomie de l’enfant donner un "projet personnalisé de scolarisation", sous le label "handicapé".

En regard de ces trois index, les questions abondent : qu’en est-il du sexuel – cet opérateur symbolique de l’alliance et de la filiation- mis en berne au nom du droit à l’enfant par les procréations médicalement assistées (PMA) et les revendications des familles dites homoparentales ?

Qu’en est-il de notre système de filiation qui reposait sur "un père, une mère" et qui se modifie sous l’effet des nouveaux modes d’établissement de la filiation pour introduire l’idée d’une pluriparentalité ?

Quels effets ces lois passées sous la bannière de la parité, de l’égalité, et du consentement afin de faire valoir "l’intérêt de l’enfant"?

Pour en préciser les enjeux théoriques et cliniques, nous avancerons en dépliant les notions de parentalité, d’autorité parentale et celle de "l’intérêt de l’enfant".

Le mot "parentalité", pur néologisme que le droit n’a pas encore repris, témoigne d’une pratique nouvelle de l’engendrement et de la procréation et d’une acception particulière de ce que sont les parents. Notre système juridique, dans lequel le lien alliance/sexualité/procréation/filiation jouait, impliquait "un seul père, une seule mère", pour peu que le parent se présente comme le géniteur potentiel. Mais, les fonctions parentales n’étant plus nécessairement des fonctions sexuées et sexualisées c’est-à-dire prises dans la différence des sexes, plusieurs modes de filiation légalement reconnus amènent à parler d’une pluriparentalité. Révision des valeurs qui s’attaque aussi au langage : on parle de ‘ parents additionnels ‘, de’ passeur de parenté’ pour qualifier celui qui donne ses gamètes dans l’anonymat, ou encore de ‘ transparent’ et en Espagne les lois de juillet 2005 et 2006 remplacent dans le code civil les mots mari et femme par "conjoint" et père/mère par "parent A" et "parent B".

Ainsi, l’étayage biologique de la filiation – rendu en partie possible par les PMA – semble être le point révélateur d’un mouvement qu’il y aurait lieu de mieux définir. La filiation est à la fois le siège de revendications : où il s’agirait de faire établir un lien de filiation en recueillant les cellules sur le corps enterré comme dans 1’affaire Montand à moins de l’éviter comme en Allemagne où de nombreux hommes ont recours à la stérilisation afin de contrer une action en reconnaissance, après avoir mis à l’abri quelques gamètes pour le moment choisi procréer. Siège d’une revendication et d’une doxa dont l’homoparentalité témoigne en remettant en cause la complémentarité sexuelle dévolue au statut de parent au nom de la liberté individuelle, de l’égalité au traitement médical et d’un droit à l’enfant : "Ce mode de filiation s’inscrit dans une éthique de la volonté et du contrat et justifie de reconnaître légalement des parents de même sexe" soutient Anne Cadoret, anthropologue du CNRS.

Depuis les années 90, nous savons que la question sexuelle est revisitée, elle s’appuie sur l’idée que le sexe biologique n’existe pas en tant que tel, qu’il s’agit d’une construction sociale (sex gender) Judith Butler, dans Gender trouble, (90) nous révèle "une crise identitaire marquée par le caractère pervers et polymorphe de l’identité sexuelle : les individus peuvent adopter à tout moment la position d’un sexe puis de l’autre". Cette pratique sans se généraliser tend à se banaliser, j’ai reçu dans le cadre d’une consultation thérapeutique pour les couples et les familles quelques unes de ces situations, le plus de jouir est expérimenté sous toutes ses variations, et, Ch. Melman évoque à cet égard l’exercice de "pulsions expérimentales". Ce n’est assurément pas l’analyse de Michel Tort (psychanalyste) qui nous dit (La fin du dogme paternel, 2005) que " Les représentations de genre et des rapports de sexe sont remises en question" : "Il faut renoncer au modèle oedipien qui est apparu corrélé à des dispositions historiques contestées", ni celle de Eric Fassin (sociologue, professeur à l’École Normale) qui récuse "la dimension charnelle de la génération et en appelle au fondement d’une "démocratie sexuelle" où la "filiation" serait asexuée car "au nom de quoi faudrait-il la refuser sauf à vouloir préserver la différence des sexes que la religion et la psychanalyse ont mis en place" (sic).

Ainsi C’est au nom d’un "droit de l’homme de la famille" que, au Québec la loi de 2002, l’art. 539 du code civil prévoit dans le cas d’un couple homosexuel que les droits du père sont délégués à la mère qui n’a pas engendré. Ou encore, un juge reprenant les indications des experts notamment sociaux, pour autoriser une rectification de son état civil à une transsexuelle qui vient d’avoir un enfant dit – que "pour cet enfant : sa mère est morte".

En France, la maternité de substitution ou encore gestation pour autrui est interdite -art 16- 7 c civ et 345/350 du c pénal qui sanctionne l’incitation à l’abandon- mais un arrêt de novembre 2007 de la Cour d’appel a institué un lien de filiation pour des jumelles nées aux USA d’une mère porteuse à laquelle le couple avait fait appel. Cette évolution est soutenue entre autres par M. Tort qui réfère la fonction parentale non pas à des fonctions sexuées et sexualisées mais au fait que l’enfant soit aimé : "la filiation doit relever des libertés des orientations sexuelles et non d’un quelconque ordre étatique qui viendrait qualifier le lien familial". Après le "pater is est quaem nuptiae", le "Mater semper es certa" est à prêt à être battu en brèche, le clonage en est le paradigme par excellence. En quelque sorte, la qualité de parent ne ressort que de l’exercice concret de leur rôle. En France cet "exercice concret" est l’effet de l’autorité parentale réformée par la loi de 2002. : la loi du 04/02/02 vient infléchir la loi du 04/06/70 qui tout en célébrant l’autorité parentale conjointe, reconnaissait aux parents un devoir de garde, de surveillance et d’éducation (art 371- 2 Code civil).

Dorénavant l’autorité parentale ne repose plus sur les droits de garde et de surveillance, mais "sur l’éducation, le développement et le respect de l’enfant" ; le pouvoir de commandement des parents et le devoir d’obéissance de l’enfant disparaissent au profit de "l’intérêt de l’enfant" art 371 -1 les droits et devoirs des parents ont pour finalité "l’intérêt de l’enfant".

L’autorité parentale peut maintenant s’appliquer à quiconque prend en charge l’enfant (ainsi de l’art 375-7 relatif à l’assistance éducative qui renvoie toujours à l’autorité des père et mère), les attributs de l’autorité parentale sont définis à partir de "l’intérêt de l’enfant".

Qu’est ce que l’intérêt de l’enfant ? La Convention Internationale des Droits de l’Enfant y consacre une place essentielle : droit à avoir une famille, à conserver des liens avec elle, à s’exprimer lors d’une procédure le concernant ou à être informé d’une décision qui peut l’impliquer (art 388 -1 Code civil), (art 12 et 13 Convention). Notion qui revient dans les textes et concerne aussi bien les relations avec les tiers, la fratrie, le changement de résidence, l’homologation d’un accord parental (373 -2-7). Qu’en est-il de cette référence ? – Un bref rappel historique vous permettra d’en voir, comme le disait le Doyen Carbonnier, le "caractère protéiforme et floue" mais avant il faut savoir que dans le droit de la famille, nous sommes passés de la notion de besoin de l’enfant à celle d’intérêt. Passer du besoin à l’intérêt n’est pas anodin. Si nous reprenons l’étymologie du mot besoin, nous voyons que "besoin" issu du francisque bisunnia exprime la notion de nécessité, de soin ou encore "éprouver le manque de" et enfin depuis 1280 celle "d’acte sexuel" qui a perduré jusqu’au 18è.

L’intérêt. La première tentative de fonder scientifiquement l’intérêt de l’enfant a reposé sur un savoir tenant lieu de psychanalyse et a été élaborée par A. Freud, Solnit et Golstein dans les années 70 : L’enfant devait bénéficier d’une "continuité psychologique" et en cas de séparation seul le "parent psychologique" pouvait l’assurer dans "une présence continue qui ne pouvait être entamée par l’autre parent dans un quelconque droit de visite et d’hébergement. "Cet intérêt trouve une autre occurrence avec le Rapport Pelletier (81), établi par un comité scientifique présidé par F. Dolto qui a marqué la jurisprudence (JP) jusqu’à ces dernières années : "le principe de l’hébergement alterné était condamné au nom de l’intérêt de l’enfant qui y perdait ses repères". Mais la loi de 2002 encourage au nom du même principe l’hébergement alterné et les juges le prônent d’office si cela est possible géographiquement ! Égalité et parité.

L’appréciation de cet intérêt est soumise au JAF (juge aux affaires familiales)… Mais :

  • premier écueil : l’autorité parentale s’applique sur le fondement des art 203 et 371-2 code civil qui associent l’obligation d’entretien à l’obligation d’éduquer. Ces obligations -de nature différentes car l’une économique et l’autre intellectuelle- sont maintenues au-delà de la majorité -amènent à se demander : jusqu’à quel âge faut-il penser le soutien alimentaire d’un enfant qui poursuit ses études ? un Master 2 semble déjà ne plus suffire ; alors le doctorat ? Comment apprécier ? Faut-il de nouveau se tourner vers les USA où l’on voit des parents assignés en justice par leur enfant "pour les chances virtuelles que son éducation n’aura pas su réaliser" ? Il faut noter, que cette notion d’éducation, tout comme la notion de parentalité, renvoie à celle des compétences.
  • deuxième écueil en regard de la Convention des droits de l’enfant : et nous allons voir que le principe de non contradiction ne se joue pas uniquement sur "l’Autre scène" : Nous avons un devoir de protection qui inclut la possibilité pour les parents de surveiller la correspondance et les communications (art 371-3 code civil), et de l’autre côté l’article 16 de la Convention qui précise qu’il n’y a pas lieu de s’immiscer arbitrairement ou illégalement dans la vie privée ou la correspondance de ses enfants… Deux logiques contradictoires qui doivent se tenir ensemble comme dans le rêve !

1- Droit à avoir une famille ? Comment le droit pourrait-il établir voire rétablir un lien y compris par une médiation familiale recommandée par le juge quand au fondement de ce lien, il y a un "grain" un grain de sable ? Un père me dit que son garçon de 2 1/2ans "n’entend pas ce qu’il dit et ne reconnaît pas son autorité, qu’il ne peut rien faire et surtout pas le toucher". Ainsi on pourrait entendre que ce père est encombré d’une demande de reconnaissance et que c’est à l’enfant maintenant de reconnaître son autorité pour l’autoriser à s’instituer comme père ! En séance, un enfant de 4 ans bat son père qui ne dit rien. L’enfant peut agir son agressivité sans qu’aucun dire ne puisse venir la refouler… à charge pour l’analyste de faire barre aux discours dominant l’éducation de l’enfant qui reposent sur l’amour, le consensus.

Tout ce qui vient faire entame comme l’agressivité, l’envie, la colère i.e la haine est considérée comme pathologique, tandis que "donner une fessée" doit devenir un délit, ainsi que cela se passe dans nombre législations européennes. Cependant, à vouloir penser que "tout est amour", nous voyons les affects "non politiquement corrects" faire retour dans le Réel, ce sous forme de passages à l’acte à des âges de plus en plus précoces, et nous nous trouvons transportés sur le terrain de la délinquance ou celui de la maltraitance. Les demandes adressées au Juge des enfants venant de parents débordés, en état de panique, affluent. Chaque signe ne peut être interprété que dans le sens de la délinquance -que ce soit celle de l’enfant ou du parent visé (a priori le père)- l’expression d’un fantasme ne peut être que dramatisée,

2- Par ailleurs, l’enfant – dès lors qu’il fait preuve de discernement – devient associé à l’oeuvre éducative de ses parents. Relevons a minima en deux points comment la loi de 2002 déplace l’axe de l’autorité parentale des parents sur l’enfant. 1/ En vertu du principe du contradictoire, le rapport d’enquête social doit être communiqué dans les procédures d’assistance éducative à la famille… Mesure mettant à égalité enfants et parents. Ainsi l’enfant capable de discernement peut avoir accès aux pièces de la procédure dans les mêmes conditions que ses parents. Si ces derniers refusent, le JE (juge des enfants) saisit le bâtonnier afin de désigner un avocat chargé d’accompagner le mineur pour cette consultation (art 1187 al 3) -le défenseur de l’enfant – ; autrement dit, peu importe l’accord des parents… à l’instar de celle de Loth, la nudité sera dévoilée (1). 2/ Les droits que la loi donne aux père et mère ne peuvent être remis en cause… mais les parents se voient écartés : Art L 111-4 du code de la santé publique dispose que le secret sur l’état de santé de l’enfant devient opposable aux parents. Et l’Art L 221-2-7 écarte les parents de toute décision concernant l’IVG (interruption volontaire de grossesse) dans la mesure où le mineur se fait accompagner par un adulte de son choix c’est la CMU qui intervient au titre de la prise en charge et le tiers sollicité n’engage pas sa responsabilité. Ainsi dans les collèges une assistante sociale peut prendre en charge cet accompagnement sans que l’établissement ait à informer les parents de l’absence scolaire de leur fille.

L’enfant golem.

Il ressort de l’ensemble de ces textes que l’autonomie de l’enfant est consacrée au civil cependant qu’il est pensé comme victime potentielle tandis qu’il est au pénal individu potentiellement dangereux: tableau qui fait de l’enfant la pierre de touche d’un fonctionnement d’emprise agissant sur les deux bords. Je n’aborderai pas le nouveau statut pénal du mineur érigé par les lois de 2007 sauf à attirer votre attention sur la sanction réparation (2) ; mais je noterai quelques réflexions sur celui de l’enfant-victime.

1- La figure de l’enfant victime domine dans le droit comme dans le discours social, et fait peser sur les relations adulte/enfant un climat délétère, alors que les cas de maltraitance selon l’ODAS concernent plus les négligences lourdes et les violences psychologiques que les violences physiques et abus sexuels.

Le Dr Jeammet dans son audition (06/04/2005) met en avant les besoins plutôt que les droits de l’enfant : "le dolorisme devient pathogène. C’est le départ d’un grand malentendu : aller mal donne (aux ados) une identité, les jeunes sont piégés car ils sont renvoyés à leur narcissisme, et cela contribue à aggraver le désordre chez les parents qui ne savent plus se repérer et ne prennent aucune décision sans demander avis à des tiers ou pire celui de l’enfant. Comment celui-ci peut- il alors se sentir sécurisé ?"

De fait, faire la course au traumatisme en victimisant l’enfant qui a des problèmes revient en réalité à refouler/récuser le fait qu’ils sont surtout victimes de la difficulté d’être homme/femme et de trouver la bonne distance".

La vie sexuelle infantile ne peut être que pathologique, les jeux sexuels sont réinterprétés : Dans nos maternelles, on parle d’enfant violeur et pédophile, et les signalements abondent. Aux USA un enfant de 10 ans a été condamné pour abus sexuel, la fillette – sa soeur – avait 2 ans de moins que lui, en France de telles affaires sont déjà devant les tribunaux. (Evreux).

Notez que l’abus sexuel est caractérisé par :

  • 1 "Le défaut du consentement à l’acte" i.e en droit "un échange de volontés libres et éclairées"… De quoi parle-t-on ? Peut-on rendre transparente la vie sexuelle ? Certainement si l’on se réfère à quelques auteurs ou à ce livret, présent dans les mairies de Paris, édité en 2003 par le Ministère de la Santé sur la vie sexuelle des ados : Question d’ados de 13/15 ans.
    C’est quoi, l’amour ? Suivent quelques cinq ou six propositions. C’est comment le sexe d’une fille ? Suit une description anatomique et un conseil (il est possible pour découvrir son sexe de le regarder à l’aide d’un miroir). Quelle est la taille du sexe d’un garçon ? De nouveau description et conseil aux inquiets. "C’est quoi la sexualité ? "C’est quoi l’homosexualité ou la bisexualité ?"
    Je ne pourrai pas vous affranchir sur toutes les questions traitées par cet écrit pour ce jeune ‘ado’ qui se voit tracer le chemin de ses représentations et affects ad nauseam.
    Il s’agirait, souligne Ch.Melman "de livrer tout le sens, c’est-à-dire d’épuiser tout le mystère qu’introduit avec lui le signifiant" et "à partir du moment où on prétend capter le Réel lui-même, c’est vouloir copuler avec le Réel, c’est l’entreprise incestueuse par excellence" (Séminaire 2001/2002. Pour introduire à la psychanalyse aujourd’hui. Annexe III. A propos de l’inceste- Edition de l’ALI)
    Qu’est-ce qui fait transgression ? Limite ? Lacan a pu dire que "la production de la honte c’est l’impudence", mais aussi, trop d’abondance ou de récusation d’une sexualité infantile mène à une logique d’effacement du sexuel comme opérateur du désir. Que dire alors de la proposition de créer une charte des droits sexuels qui permettrait à tous ceux qui ont du mal à trouver un partenaire d’avoir une assurance sexuelle. (Anti-manuel d’éducation sexuelle, Iacub et Maniglier, Ed Bréal 2007).
    Récemment, en décembre 2006, la Commission de Santé de la ville de New York a retiré un projet de loi dont elle s’enorgueillissait, qui visait à permettre de changer la mention du sexe sur le certificat de naissance sans avoir à en passer par une transformation chirurgicale validant ainsi l’idée que la définition anatomique ne jouerait plus pour définir l’identité sexuelle.
    Dans les prisons se seraient trouvés ensemble les prisonniers qui auraient gardé une anatomie masculine tout en se déclarant femme. De fait, dans les toilettes de la ville, un homme qui se déclarait de sexe féminin pouvait avoir accès aux toilettes des femmes et en cas de plainte d’icelles, pouvait invoquer des attirances lesbiennes ! Comment s’y retrouver ? l’Etat a préféré renoncer à cette loi !
  • 2 L’idée d’abus relève aussi de l’idée de domination, de l’autorité sur… Autorité qu’il s’agit de refouler/récuser et, dans ce contexte, il ne faut pas négliger l’avantage pour des enfants de se présenter comme victime d’un parent. Vous l’avez certainement rencontré dans votre clinique : Il peut en être ainsi pour échapper au droit de visite et avoir plus de temps avec les copains ou subsidiairement pour répondre au voeu de haine d’un parent contre l’autre ou encore pour interroger sa place, ainsi d’une jeune fille adoptée qui porte plainte pour abus sexuel contre son père adoptif l’année de son bac. Rejetée par toute la famille, elle est accueillie par une cousine et vient me consulter. Elle renonce à soutenir cette action… après quelques mois.
    Trauma objectif/subjectif ? Quoiqu’il en soit quand la sexualité est entérinée -sans autre procès, i.e le procès subjectif – comme un champ traumatique réel et non plus symbolique, le risque est de voir l’enfant réduit à être l’objet déchu de parents déchus.
    Ch. Melman répondant à une question de son auditoire à Strasbourg (mai 2004) insiste sur la dimension de l’inceste "devenu phénomène social" pour interroger "ce que devient l’enfant là-dedans, en particulier sa vie d’adulte et sa participation à la vie sexuelle". "Est-ce que punir le coupable pouvait constituer le terme ou la modalité juste de réponse ?".

Comment rendre compte de cet état des lieux ?

Peut-on avancer que le droit de la famille est le produit d’une énonciation d’un grand Autre curieusement barré en ce qu’il vise ce qu’il en serait du désir de l’enfant. ? Ce droit qui privilégie l’intérêt- index du narcissisme- sur le besoin -index d’un Autre produit d’un manque.

L’état par ses multiples relais d’expertise unifie dans la transparence les champs des savoirs médicaux et psycho pédagogiques par des prises en charges thérapeutiques et judiciaires, il est devenu détenteur d’une connaissance, "d’un savoir" sur ce que désire un enfant. Un S2 en position de commandement qui se collabe à S1, opération -rappelle Ch. Melman- qui entraîne une déliaison S/R (Les paranoïas). Par ailleurs, le droit en promouvant -à travers l’enfant- l’être soi, l’autonomie, la parité et la récusation de toute domination, tout en l’associant en filigrane à l’idée victimaire semble mettre à mal toute opération structurale… "A vouloir être l’Autre de quelqu’un, là où se dessinent les figures où son désir sera capté : cela se nomme canaillerie". L’enfant, dès lors, n’est-il pas devenu l’objet de cette entreprise ? Et c’est ainsi que nous avons en consultation des mères, des pères embarrassés… par ce qui pourrait dire limite et des enfants encagés dans une liberté ravageante : le fantasme de l’homme auto construit se paye d’un prix : "le prix d’une telle liberté se paye de l’impossibilité de repos" (dit Lacan qui évoque le délire d’autonomie du névrosé) ou "d’une folle solitude" pour reprendre le titre d’un essai de O. Rey. Clinique évoquée par H. De Novion lors des journées sur les banlieues.

Rien d’étonnant alors, à ce que l’état intervienne pour engager une "réhabilitation à marche forcée du sujet", ainsi que J.-J. Tyszler l’a observé lors des journées sur la Ségrégation (25/04/2006).

Si l’enfant est devenu objet du droit de la famille, il n’est pas étonnant de le retrouver -après avoir été mis en place d’élection "le support identificatoire de la famille" (ou plutôt de parents diffractés dans une pluri parentalité) "voire de l’adulte" écrit le Rapporteur V. Pécresse)- objet déjeté pour avoir trop collé à un fantasme de toute puissance/jouissance. "L’objet a c’est la place révélée, désignée par Marx comme la plus-value /l’intérêt".

Une nouvelle identité le marquerait qui fonctionnerait sur la suture, produit de "cette curieuse copulation du discours capitaliste avec la science" ? (Leçon du 11/03/70, L’envers.)

Récapitulons :

  • Récusation d’une généalogie dite naturelle et postulat de pluri parentalité,
  • Délitement de l’autorité parentale et postulat de l’autonomie de l’enfant,
  • Récusation de la notion de sexe et d’une sexualité chez l’enfant et postulat d’un genre sexuel "sex-gender".

Ces avatars tous recouverts, en filigrane, par un même signifiant : transparence dont la vertu nous le savons est d’estomper la sphère privée.

Nous sommes dans un paysage inédit à propos duquel P.-C. Cathelineau fait une analyse (Essai de topologie appliqué au lien social) que je reprends volontiers. Il évoque la possibilité du dénouage des dimensions RSI en proposant une deuxième modalité.

L’absence d’un impossible viendrait du fait que l’objet ne serait pas cerné par les 3 dimensions mais éprouvé dans le Réel… ayant pour effet un semblant de nouage sous la forme d’un noeud de trèfle où chacun des noeuds serait indiscernable : c’est alors le noeud de la paranoïa, chaque signe fait sens. La clinique nous renvoie aussi à ce qu’il en serait d’un suspend de nouage. Nous avons vu comment à travers le parcours de ces textes, ces deux hypothèses consistent.

Que peut faire la psychanalyse ? Rien. Il y a un discours du psychanalyste et non de la psychanalyse dit fortement Lacan ; … "Il n’y transmet pas un savoir", (Leçon du 17/12/69 ; L’envers) et l’on a vu avec le déplacement du besoin à l’intérêt en quoi tout le savoir dit analytique est venu dans le champ socio-éducatif importer un brouillage au nom d’une vérité… qui devient le signifiant maître. "La valeur de la psychanalyse, c’est d’opérer sur le fantasme, de tirer aussi les fils du discours social dont le sujet est ficelé. Il revient au psychanalyste engagé dans un travail. (Allocution sur les psychoses de l’enfant 22/10/67), d’inventer les modalités logiques et discursives par lesquelles, un enfant, un adolescent construit sur la seule référence à son intérêt pourra ensuite consentir à une perte de jouissance, il n’est pas anodin, comme l’a observé J.-J. Tyszler aux journées sur "L’identité" de Fès ou à celles du Collège de psychiatrie sur "Le fait clinique", de passer dans la formule du fantasme à un : "on bat un enfant" à un : "on me doit" ; "c’est possible".

Notes :

(1) Le mineur reste frappé d’incapacité juridique : il ne peut agir lui-même en droit (sauf devant le Juge des enfants), ses parents assurent un pouvoir de représentation. La Cour de Cassation, en chambre mixte, a décidé dans son arrêt du 09/02/2001, que le mineur avait intérêt à agir mais pas de qualité. Le débat sur l’accès du mineur à la justice est pourtant amorcé et, nous savons qu’aux USA, un enfant peut demander à divorcer de ses parents.

(2) La loi sur la prévention de la délinquance a créé une sanction – réparation qui oblige l’auteur d’une infraction, passible de 1 an de prison, à "remettre dans la mesure du possible la situation dans son état d’origine, les efforts consentis dans ce cadre devront correspondre à la souffrance physique ou morale supportée par la victime".