Lecture deTransmission de la psychanalyse Les ateliers d’Athènes Volume I " de Christian Fierens"
05 janvier 2024

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CHASSAING Jean-Louis
Notes de lecture
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Lecture de :
Transmission de la psychanalyse
Les ateliers d’Athènes
Volume I
Christian Fierens

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Jean-Louis Chassaing

 

Le travail, seul ou avec des collègues[1] à propos de « la non transmission » de la psychanalyse, les lectures savantes et désormais « classiques »[2] ou encore les publications plus récentes[3] tout cela m’a amené immédiatement à lire le livre de Christian Fierens Transmission de la psychanalyse. Cependant dès l’entrée de jeu cet accrochage sur le thème a provoqué surprise et retenue, mais également grand intérêt, et rapidement lecture innovante. Aussi, les sous titres Les ateliers d’Athènes et Volume I m’ont intrigué. Le Prologue de Dimitris Sakellariou explicite simplement ce « dispositif particulier ».

En fait ce livre n’est pas sur la transmission de la psychanalyse, il est transmission même. Il est transmission de la psychanalyse. Bien sûr il parle aussi sur la transmission de la psychanalyse, un aspect donc à deux faces. L’une en acte, l’autre en réflexions. Je reviendrai sur cela. Et, autre aspect surprenant, il transmet d’emblée par, avec la topologie.

Ceci vaut un avertissement parfaitement justifié quant aux usages de la topologie. Si, afin de déjouer les pièges du réalisme la topologie en psychanalyse c’est créer, inventer, c’est « faire à nouveau l’espace, faire à nouveau le temps, faire à nouveau la pensée », il peut y avoir aussi « des déviations, des perversions de la topologie ». On « dessine des figures figées qui sont supposées représenter telle réalité psychopathologique – « voici la figure topologique de la paranoïa », « voici celle de Joyce »… » ». Il n’y a là « aucune ouverture d’un espace de rencontre, de temporalité créatrice, aucune ouverture de la pensée ; la topologie se réduit ici à présenter un calque de la réalité. Tout se referme en une stéréotypie mortifère… ». Il est vrai que l’appel à création dans le livre est fréquemment réitéré, et il ne concerne pas seulement, loin de là, que la topologie.

Cependant il y a un, des usages de la topologie de Lacan – j’insiste, celle DE Lacan, sa propre recherche, ses propres trouvailles, son itinéraire – il y a des usages fort intéressants, et Christian Fierens « entre » directement dans la psychanalyse avec la topologie de façon assez nouvelle et non dogmatique, mais inventive et vivante.

Pièges du réalisme. Refoulement et inconscient. L’auteur prend soin de toujours amener l’élaboration dans le rapport avec l’inconscient de la théorie freudienne et lacanienne, et de ne pas céder à la facilité, ou l’inconscience ? de retomber dans le piège du réalisme.

Christian Fierens part des surfaces, et passe de la sphère, « appareil psychique » de Freud, aux surfaces bilatères, peau, refoulement censé « contenir » l’inconscient. Lequel inconscient toutefois « ne pense pas, ne calcule pas, ne juge absolument pas » mais donne une autre forme, transforme, ce que l’auteur répétait déjà inlassablement dans un autre livre, à propos du narcissisme. « L’inconscient n’est jamais qu’une supposition provisoire pour pouvoir penser », penser ce qui se joue en un Autre lieu, Autre espace.

L’intérêt est de nouer dès le début du livre la topologie de Lacan avec les concepts freudiens, les deux topiques, le moi idéal et l’idéal du moi, lesquels il reprendra leurs fonctions en toute fin de parcours, et l’identification, par exemples. Le refoulement originaire est amené comme mettant en jeu deux forces incompatibles – investissement et contre investissement – ainsi comme la double face elle-même constitutive de ce mur du refoulement, ce qui démythifie ce dernier en tant que réalisme fondamental établi. De même pour la perception envisagée comme surface bilatère, monde extérieur monde intérieur. Champ de l’amour champ de la haine, champ de la réalité perçue, champ du désir halluciné. Le dualisme freudien ainsi au risque de la topologie de Lacan.

L’auteur rebondit alors sur ce principe, cette structure dit-il, tant entendus notamment aujourd’hui : « je sais bien…, mais quand même… ». « « Je sais bien, « surface bilatère », « mais quand même », « surface moebienne. » ». « Structure qui reproduit directement la structure du fétichisme ». L’auteur tire des conséquences cliniques notamment à propos d’interventions, d’interprétations : comment faire avec ces structures ? Sphère et bande de Moebius, évoquées ici également pour l’identification, l’incorporation, l’introversion et la projection, permettraient une approche topologique de la clinique, selon des transformations : infiltration (trou(s) dans la sphère) ou réversion (retournement de la sphère). Toutefois l’inconscient « consiste carrément à donner une autre forme ». A nouveau… du nouveau ! Passage alors, pour écrire le processus d’identification, à la topologie du tore.

Voici pour l’entrée de ce travail. Christian Fierens insiste toujours en ses formulations théorico-cliniques « … la psychanalyse ne fait rien d’autre que de prolonger le mouvement même de l’inconscient, elle n’invente rien, sinon de se glisser dans l’invention propre à l’inconscient, […] l’invention de l’Autre forme. Le travail de l’inconscient serait la production de cette nouvelle forme, « vraiment Autre » ».

Ici l’auteur surprend en affirmant que c’est l’inconscient qui produit le refoulement originaire, cette nouvelle forme, « vraiment Autre », champ d’opposition des surfaces, « c’est l’inconscient qui crée le refoulement originaire », et non le refoulement originaire qui « met en place l’inconscient ». L’auteur a plus d’une fois l’art, ou sa logique et sa démonstration pour surprendre et pour renverser les idées reçues, conventionnelles.

Ici la question « réaliste » vient de suite : quel est donc cet inconscient qui crée le refoulement originaire ? Mais sans doute faut-il prendre ensemble « travail-de-l’inconscient », et ceci, dans la cure est mis en place par l’association libre. Si l’on prend l’autre formalisation des quatre discours, c’est bien celui de l’analyse qui produit des S1, « invention déjà là » pourrait-on dire. L’inconscient comme ce qui est en attente d’être lu. Encore faut-il savoir attendre, et dire à un bon moment ! Faire acte. La clinique « d’aujourd’hui », dont certaines et certain(e)s disent « qu’il n’y a plus d’inconscient… il n’y a plus d’Autre… plus de refoulement… » poserait-elle problème à cette écriture ? Certes nous pourrions penser que des difficultés à laisser aller les associations libres plutôt que de constituer un récit bien formaté, qui n’attend pas, qui exige UNE/LA-réponse seraient une des expressions de cet « aujourd’hui ». Difficultés de temporalité mais aussi d’élaborer la demande, celle-ci venant recouvrir le principe de l’association libre. Demande versus association libre, comme si déjà la demande n’était pas, grâce à Lacan, prise dans les associations libres, dans les signifiants, à entendre et à laisser diffuser. Ce recouvrement et un éventuel découvrement sont-ils « topologisables » ? Ceci se joue selon nous dans les entretiens préliminaires, très rapidement même s’ils peuvent durer longtemps, selon, et où l’habileté, la patience, la surprise jouent leurs rôles. « … c’est dans le mouvement même de l’association libre, dit Fierens, que nous rencontrons des morceaux de surfaces bilatères qui se présentent toujours par une seule face… ».

Le livre est volumineux et complexe, et c’est tout un parcours très balisé, où l’on suit une déclinaison logique qui traverse, pas n’importe comment, les concepts freudiens. Ici il ne faut pas oublier son façonnage. Comme rappelé au début de ce texte Dimitris Sakellariou , en prologue et en post face en rappelle les principes, et explicite ainsi le sous-titre : Les ateliers d’Athènes.

Transmission ? Le contexte de création du livre, seconde à ce qu’il faut aussi appeler un enseignement – les ateliers – contexte repris de façon élogieuse en postface par Dimitri Sakellariou, laisse tout de même penser à un enseignement. Et plus encore n’en déplaise à l’auteur le côté pédagogique apparait lors de la lecture ; mais nous avions « l’habitude » avec les ouvrages précédents. La transmission de la psychanalyse est-elle enseignement ? Non, mais peut-être en passe-t-elle par l’enseignement. Lacan avait inventé un système, qui fut « échec », un système original, inventif et créatif justement, la passe. Et si oui, si la transmission est enseignement, elle n’est pas que cela, et même plus, comme tout ce qui se transmet c’est toujours « autre chose » qui passe, et qui en général échappe, quitte à en trouver des bouts avec surprise dans des après-coups.

Original le livre en est un exemple. Un effort en tout cas, de transmission et d’enseignement sûrement, de ne pas répéter inlassablement en bon élève les formules. Voire même il y a excès ici, avec des assertions qui vont à l’encontre de nos avis assurés ! Comme l’inconscient, en tenant compte de l’inconscient il s’agit de réinventer, l’auteur insiste souvent sur cela… puisque nous y sommes forcés (Lacan). « Je vais tenter maintenant d’expliquer ce que fait la coupure (peu importe la coupure brusque de séance, qui ne garantit rien et qui n’est d’ailleurs pas nécessaire) en précisant l’enjeu de chacune des étapes de transformation du tore en bande de Moebius ». Voilà ramassé en une phrase la vivacité du style. Et plus précisément le premier pas de « l’interprétation » c’est de couper le chemin à l’identification. Ou encore « L’interprétation ne vise pas à dire ce qu’il y a (identification) mais à produire une structure où la torsion est omniprésente ». Ceci avec bien sûr un cheminement, un parcours de l’auteur, en théorie, topologie et pratique. Le propos est souvent affirmatif, « (l’analyste) doit savoir, ne pas ignorer, qu’il n’y a aucune réalité qui soutient sa pratique », traçant au pas de course mais dans le détail les avancées à dire, à transmettre. Suivre, poursuivre, réinventer. L’auteur distingue cette topologie qu’il dit descriptive – ce qui est un comble pour des traces de réel – celle « qui consiste à proposer certaines figures topologiques comme dévoilant la structure fondamentale de telle ou telle pathologie » (placage imaginaire ?), et une topologie qui partirait de la question par exemple « qui relève non seulement de l’attention également flottante (terme explicité auparavant), mais aussi de la relance (mot investi par l’auteur) phallique nécessaire pour toute interprétation et pour toute pratique de la psychanalyse ». Nous trouvons bien entendu les figures de la topologie de Lacan, en usages, et des inventions graphiques de l’auteur appuyées d’explications et de clinique, celle de l’analysant et celle de la position de l’analyste.

Bien sûr un appui sur Kant est à nouveau (cf. les livres précédents) un apport important et un appareil critique et innovant pour Christian Fierens.

On ne peut passer sous silence, malgré les difficultés, l’importance accordée à l’objet « a » sous toutes ses « formes » avec une priorité au sein de celles-ci pour la voix !

C’est un parcours savant, original, pratique, et pour revenir à notre intérêt premier une transmission en acte de la psychanalyse, sur le mode plutôt d’un enseignement inventif et qui se veut non conventionnel, non conformiste mais s’appuyant sur Freud et Lacan, et sur Kant.

Lacan dans son « forçage » individuel – « chacun » – donnait tout de même deux pistes pour faire pièce à cet « échec de la passe/transmission » : des lettres, notamment le S (A barré), et le Sujet Supposé Savoir. A la conclusion de sa conclusion des Journées de l’EFP il mentionne que cela passe pour lui par un enseignement, en tant qu’analysant. Faisons comme lui, et ne l’imitons pas (dixit J.L.)


[1] La célibataire Revue de psychanalyse, clinique politique logique ; Réflexions sur les impossibles transmissions de la psychanalyse, Journées de l’ALI de Clermont-Ferrand, mai 2015 ; n° 31, été 2016, EDP Sciences
[2] Lettres de l’école – Bulletin intérieur de l’École freudienne de Paris ; La Transmission 1. Avril 1979, II. Juin 1979, IXe congrès de l’École freudienne de Paris, du 6 au 9 juillet 1978 ? Maison de la Chimie.
[3] Entre autres : Le Coq-Héron Quelle transmission en psychanalyse ?, 200/2010, 40 an érès. Confrontations psychiatriques, Transmission, N° 44, 2003. Essaim Détours de la transmission, 6, 2000, Essaim Formations des analystes Transmission de la psychanalyse, 11, 2003. Cliniques méditerranéennes, Transmettre, enseigner en psychanalyse, 1995, érès.
Éric Porge, Transmettre la clinique psychanalytique ; Freud, Lacan, aujourd’hui. Par Erik Porge. Année : 2005; Pages : 224; Collection : Point Hors Ligne; Éditeur : érès.