Le tableau de la sexuation: la pomme de discorde
30 octobre 2023

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LUCHINI Evelyne
Journées des cartels
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Le tableau de la sexuation : la pomme de discorde

 

En tant que rapporteur, je voudrais témoigner un peu du fonctionnement de notre cartel.

L’an passé, nous avons présenté 5 travaux individuels, et le temps imparti n’a permis de discuter qu’un seul travail, alors cette année nous avons décidé de présenter une synthèse à partir des productions de chacun, de façon concise et tronquée, pour respecter les 10 mn de rigueur, ce qui est un vrai défi, sans compter que nous fonctionnons par zoom et habitons dans des pays différents.

On s’est demandé comment trouver un axe commun à partir du titre, faire du Un sans rogner l’inventivité de 5 membres ? Le titre représente une difficulté alors que les productions répondent au désir de chacun.

Il s’agit donc ici de rendre compte du travail de l’ensemble du cartel, de nos échanges dynamiques autour de la lecture du tableau de la sexuation et du Séminaire Encore.

Le titre se réfère au mythe grec ; la pomme de discorde renvoie à la femme, la belle Hélène, objet de la convoitise des hommes, et source de la guerre entre les Grecs et les Troyens. Le mythe pointe ici la femme et sa beauté comme source de discorde.

Lacan nous invite à dépasser le mythe et l’imaginaire se rattachant à la femme et à l’amour.

«  La formalisation mathématique – dit Lacan- est l’élaboration la plus poussée de la signifiance, d’une signifiance dont on peut dire qu’elle est au contraire du sens et même hors sens. »

Le tableau de la sexuation est donc une schématisation, une intention d’écriture sans parole, visant à dissiper le malentendu du fait du parlêtre, et de se rapprocher au plus près de la structure du sujet.

La discorde commune est d’aborder le tableau de la sexuation comme une « fixion » dichotomique homme/femme, alors qu’il est une répartition des jouissances entre une position masculine et une position féminine.

La seconde discorde est de lire les formules mathématiques qu’utilise Lacan selon la logique propositionnelle d’Aristote et avec la rigueur mathématicienne. La lecture du tableau de la sexuation nécessite de passer d’une logique aristotélicienne à une logique intuitionniste. Lacan nous ouvre à d’autres espaces et à d’autres dimensions, à la théorie des ensembles ouverts et fermés. C’est ce qui lui permet d’écrire quelque chose du réel de la jouissance sexuelle, c’est là que se situe le point de bascule de cette écriture.

Si les jouissances s’articulent de la sorte, du contingent peut advenir à partir de l’universel négatif (jouissance Autre), puis être repris dans la chaîne par la jouissance phallique.

Le contingent est à différencier du possible, place de l’exception qui fait l’universel, place de l’idéal. Il permet un rapport à la castration qui se renouvelle dans la parole, dans la jouissance phallique. Peut-on dire que le possible est inscrit ?

La contingence serait-elle une création à partir de l’ensemble vide et de son articulation au zéro ?

Ne serait-ce pas à l’endroit de l’impossible que se situerait petit a, lieu d’un non-savoir et donc d’une vérité qui ne pourra être que mi-dite ?

Le statut de l’aveu en témoigne. Avouer et reconnaître diffèrent. Lacan avance que la reconnaissance est de l’ordre du contingent, de l’amour et donc du transfert.

En partant de la lalangue et de l’élucubration d’un savoir dans la cure, un cartellisant a mis l’accent sur la différence entre l’aveu et la reconnaissance. L’inconscient, au fil de la parole, dévoile sa raison pour qui se fait sujet. La vérité, comme mi-dire, s’y avère à se mettre en garde d’aller jusqu’à l’aveu dans la parole, aveu qui serait le pire, en lien avec la fonction de l’objet a cause du désir, hors représentation.

Ainsi certains adolescents délinquants nient parfois un fait commis et avéré. Leur déni semble être une trace de ce qu’à la vérité d’un fait, manque encore la vérité subjective ; ou bien ce refus de reconnaissance est-il peut-être un refus opposé à la vérité subjective que la réalisation du fait recèle. C’est pourquoi avouer et reconnaître diffèrent. Or, Lacan lie la reconnaissance à l’amour, au contingent, à la rencontre, celle aussi bien qui se joue dans le transfert, sensible dans le travail éducatif avec ces jeunes.

L’hypothétique conditionné par la lalangue rejoint donc la notion de contingent ; la vérité, dit Lacan, présume le désir, inscrit d’une contingence corporelle. p150 C’est, dit Lacan, «  ce qui du réel peut ne pas être », ce qui le différencie du possible. Il s’agit plutôt d’un pari, pari que quelque chose du réel ne prend forme                       que d’une parole nouvelle et inattendue. Le contingent crée aussi un nouvel impossible, l’indécidable inscrit entre l’impossible et le contingent, non déductible.

D’un côté, le temps de l’histoire, du côté du possible, dans le fil de la parole, mais qui, ayant lieu, ne fait pas encore lieu pour le sujet. De l’autre, la contingence, elle instaure un lieu, dans l’instant de la ponctuation. L’intervention du désir de l’analyste semble bien se situer là, à la limite entre l’objet du désir et l’objet de la reconnaissance.

Alors, est-ce que la lecture du tableau de la sexuation peut se faire de façon univoque ? Quel est le statut de la lecture ?

Lacan dit : « la lettre ça se lit…et littéralement. » Dans le discours analytique, il s’agit de ce qui se lit au-delà de ce que le sujet a été incité à dire. Autrement dit, on donne à ce qui s’énonce du signifiant, une autre lecture que ce qu’il signifie. Cela renvoie à l’aphorisme de Lacan dans L’Etourdit : « qu’on dise reste oublié, derrière ce qui se dit, dans ce qui s’entend. » La lecture nécessite donc des outils, cette citation de Lacan est déjà un nouage, une topologie.

« Le sujet de l’inconscient, (…) non seulement vous le supposez savoir lire, mais vous le supposez pouvoir apprendre à lire. (…) Ce que vous lui apprenez à lire n’a alors absolument rien à faire (…) avec ce que vous pouvez en écrire. »

C’est avec cette affirmation que Lacan termine la leçon du 9/1/73 : du côté du patient, apprendre à lire ; du côté de l’analyste, en écrire.

De quelle lecture s’agit-il pour le patient ? On peut évoquer à ce propos, ce moment historique de la lecture qui nécessitait la lecture à haute voix pour ce faire, celui de la scriptio continua. En effet, en l’absence de ponctuation, d’espaces entre les mots et les phrases, c’était au lecteur de rétablir les coupures lorsqu’il prononçait les phrases, afin de rendre le texte intelligible.

Le texte se fait donc dans la temporalité du futur antérieur, dans l’après-coup de sa propre lecture, il requiert la voix du lecteur. Cela charrie la dimension du dire – qu’on dise – qui est en jeu dans l’écrit.

Enfin, un autre cartellisant, lui, a exprimé sa discordance avec le travail du groupe au moment d’aborder la lecture des tableaux de la sexuation. Il dit avoir « décroché », «un décroché du phallus » qui faisait écho avec le « décroché du phallus » dont Récanati use pour parler du côté droit du tableau. Pour lui, cela résonne avec le « je n’en veux rien savoir » du début du Séminaire. Mais qu’en est-il d’un « je n’en veux rien savoir… du savoir. Le prix, l’a-prix du savoir est élevé, il implique d’y mettre un peu de sa peau. Lacan nous dit que la difficulté d’en jouir est supérieure à la difficulté de l’acquérir. C’est donc dans l’usage de ce savoir que se renouvelle sa jouissance.

Lacan nous prévient pourtant contre le fait de vouloir tout comprendre dans son tableau, nous mettant plutôt sur la voie d’un savoir pas-tout. Alors oui, on peut pas tout-savoir ! Et puisque le savoir est dans l’Autre, il s’agit qu’on l’a-pprenne de là.

Cette idée d’un pas-tout savoir aide dans la pratique, car c’est souvent là qu’on a l’impression d’entendre au mieux le patient.

J’espère que cette présentation vous a permis d’entendre les différents lieux à partir desquels chacun a fait sienne la lecture du tableau de la sexuation.