Pour prendre un exemple massif, mais que nous avons pu articuler mieux grâce à Christiane, le rêve jungien ne sera pas le rêve freudien. Et à l’intérieur du freudisme lui-même, même si Freud n’a pas écrit, après 1920, une seconde Traumdeutung, on voit bien dans quel sens elle aurait été. Elle aurait certainement comporté une prise en compte de l’automatisme de répétition. Freud prend en compte le retour de ces expériences dans le transfert. La dernière fois, j’avais cité un passage de l’Au delà du principe de plaisir. Freud y indique que les névrosés répètent avec beaucoup d’habileté toutes les situations affectives douloureuses, qu’ils savent se procurer à nouveau l’impression d’être dédaignés, contraindre le médecin à leur parler durement et à les traiter froidement. Mais bien sûr dans la mesure où Freud perçoit que le rêve peut en quelque sorte être fait sous transfert, il relève que celui-ci peut contenir ces éléments qui ne participent pas du principe de plaisir.
Et puis alors, évidemment, il ne suffit pas de se référer à Lacan pour avoir une conception assurée, et surtout définitive, de ce qu’il en serait de l’inconscient. Parce qu’elle a pu changer, et avec elle l’approche du rêve.
Donc je disais que ce que nous pourrons dire du rêve va dépendre de ce que nous disons de l’inconscient ; mais j’essaierai en même temps de montrer que l’on peut prendre les choses dans le sens inverse. Est-ce que, à partir du rêve, nous ne pourrions pas nous donner le moyen d’un abord qui nous aide à préciser comment nous concevons l’inconscient ?
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Cette question, comment concevons-nous l’inconscient, je la poserai aussi, aujourd’hui, à partir d’un livre de C. Soler, Lacan, l’inconscient réinventé, récemment publié aux P.U.F. J’avais déjà fait allusion à ce livre, je vous avais fait part d’une certaine réticence. C’est pourtant un ouvrage sérieux, documenté, portant sur des questions intéressantes. Mais précisément, à propos de questions, on a le sentiment qu’il n’en pose pas beaucoup. Colette Soler est apparemment assurée. Assurée de quoi ? De pouvoir nous dire ce qu’est l’inconscient lacanien. Ou plus exactement comment Lacan, à la fin de sa vie, réinvente l’inconscient. Moyennant quoi tout se passe comme si tout ce qui précédait 1973 perdait beaucoup de son intérêt. Et puis il y a peut-être encore quelque chose d’un peu gênant, c’est que cet ouvrage est tout de même très fermé. Clos sur des énoncés théoriques que ne vient jamais illustrer un exemple clinique.
Comme on peut, tout de même, se poser des questions même à partir d’un livre qui en pose peu, je vais essayer d’en interroger quelques aspects. La thèse du livre, on peut en présenter de façon assez simple les grandes lignes. À partir de 1973, Lacan modifierait profondément l’axe de son abord de l’inconscient. L’inconscient, à partir de cette date, ce ne serait plus le discours de l’Autre. Cette notion, dont évidemment Colette Soler ne conteste pas qu’elle reste longtemps celle de Lacan, renverrait trop à une articulation de signifiants, un ordre symbolique fait de chaînes de signifiants, et le long de ces chaînes une signification qui pourrait glisser (de même que le sujet lui-même peut se définir à partir de ces chaînes, comme ce que représente un signifiant pour un autre signifiant).
Certes dans un inconscient ainsi défini, le sujet peut éprouver que le sens ne se boucle pas, qu’il y a de l’insaisissable, de l’impossible. Mais, dit C. Soler, il n’en éprouve pas moins son analyse comme un développement progressif de la vérité. À partir du séminaire Encore, en revanche, les choses seraient très différentes. Colette Soler va s’appuyer sur l’apparition chez Lacan de notions comme celle de lalangue, ou encore comme celle de parlêtre, pour présenter ce qu’elle va appeler « l’inconscient réel ». Et là-dessus je fais tout de suite une parenthèse. Je dis : elle appelle ça l’inconscient réel. Ou d’ailleurs l’icsr. Il n’est pas sûr que Lacan, lui, ait systématisé une nouvelle approche, même si, assurément, il l’introduisait. Il n’est pas sûr qu’il ait posé aussi clairement qu’il amenait là quelque chose de totalement nouveau. Et surtout quelque chose qui aurait pris ce nom : l’inconscient réel. Si vous vous amusez à mettre, dans votre ordinateur, la disquette des séminaires de Lacan réalisée par notre association, et à inscrire comme terme recherché : « inconscient réel », vous ne trouverez pas une seule occurrence.
Il y a tout de même un texte, un unique texte, sur lequel C. Soler peut s’appuyer. Il s’agit de la Préface à l’édition anglaise du séminaire XI. Ce texte contient bien quelque chose comme une indication du statut réel de l’inconscient. Mais cette indication est formulée d’une façon qui peut nous arrêter. L’inconscient, dit Lacan, n’est réel « qu’à m’en croire ». Je dois dire que j’attache une importance particulière à ce bout de phrase. Je veux y lire quoi ? Non pas que l’inconscient est ceci ou cela, symbolique ou réel. Mais qu’il ne peut l’être que si un analyste le soutient comme tel, se fait responsable de ce qu’il sera. Et là, au fond, nous sommes assez près de ce dont nous sommes partis aujourd’hui ?
Quoi qu’il en soit, C. Soler trouve, chez Lacan, d’autres références pour soutenir sa thèse, mais celles-ci sont plus imprécises. Par exemple elle dit que L’étourdit inverse la thèse première de la régence du symbolique, et là elle cite cette phrase : « Le dire vient d’où le réel commande à la vérité ». Mais enfin parler de réel qui commande ce n’est pas exactement parler d’inconscient réel. Ça n’implique pas qu’on ait nécessairement tort de parler d’inconscient réel, c’est peut-être un nom approprié vu ce que Lacan est amené à dire, mais enfin ça introduit peut-être une rupture plus forte qu’il n’aurait voulu entre ce qu’il dit dans une période et ce qu’il dit dans une autre.
Continuons à explorer un peu ce sur quoi s’appuie Colette Soler. Je vous ai dit qu’elle part de lalangue. Lalangue en tant que ce signifiant serait formé sur le modèle du mot lallation. Donc la lallation : ce mot, vous le savez, désigne le babillage de l’enfant, l’enfant qui ne parle pas encore, mais qui produit des sons. Dans la lallation, il n’y a ni mot, ni sens, ni bien sûr grammaire. C’est ce qui fait que Colette Soler peut dire qu’il ne s’agit pas de pré-verbal (Lacan ayant assez martelé qu’il n’y a pas de préverbal chez l’être parlant), mais du pré-langage au sens de la syntaxe. Et puis il y a aussi bien sûr, dans la lallation, la possibilité, pour l’enfant, d’un contentement, et pourquoi pas
d’une jouissance. Eh bien c’est à partir de là que Colette Soler va proposer de penser que l’inconscient réel est fait de lalangue. Non pas d’un message venant de l’autre, fût-ce celui que les parents incarneraient, mais de l’imprégnation par leur mode de parler. Non pas d’un ordre symbolique structuré, mais d’éléments discrets, totalement hors sens, de sorte de débris charriés par l’eau du langage. Non pas de chaînes signifiantes dans lesquelles le sujet pourrait se retrouver, mais de sorte d’holophrases, si – vous le savez – l’holophrase réalise une soudure entre S1 et S2, et empêche donc de les concevoir comme des termes distincts, que l’on pourrait articuler.
Et alors, si j’entends bien ce que dit Colette Soler, tout cela n’empêche pas que le travail analytique passe, c’est du moins un de ses axes, par la dimension de l’association, de l’articulation des chaînes signifiantes, du développement de la vérité ; mais elle ne saurait atteindre le réel qui la concerne sans se plier à ce qu’implique cette dimension de l’inconscient réel.
Par exemple, et là je vais en venir à ce qui nous intéresse cette année, toutes les formations de l’inconscient ne se vaudraient pas. Analyser un rêve cela risque toujours d’engager dans la recherche indéfinie de nouvelles significations, et à la limite ça détournerait du réel. En revanche le lapsus, en tant que butée sur une singularité, sur une « motérialité » signifiante évidente, aurait un tout autre statut. On peut bien sûr associer à partir d’un lapsus, mais de façon peut-être plus claire, ou plus rapide, que pour le rêve, on peut en venir à l’entendre, selon Colette Soler, hors de toute portée de sens, et c’est à ce moment-là qu’on s’assurerait d’être dans l’inconscient.
Voilà. Je pense qu’à présent vous avez une petite idée de ce qu’est pour elle l’essentiel du travail de la cure. Non pas déchiffrer, comme on déchiffre un rêve, mais laisser advenir ces espèces d’épiphanies que sont les phénomènes de l’inconscient, au sens de l’inconscient réel. Et ici j’ajouterai seulement, ne pouvant vraiment m’y arrêter, que la fin de l’analyse aura moins à voir avec la question de la place du sujet dans son rapport avec a, comme l’indiquait la proposition de 67. Elle concernera plutôt l’effet sur le sujet de la rencontre réitérée avec l’inconscient réel, avec ce savoir sans sujet. Là vous voyez : ce n’est plus seulement que l’espoir inclus dans le transfert trouve sa limite et sa déception ; c’est une dimension radicalement différente à laquelle il faudrait laisser toute sa place, une dimension qui ne relève pas de la même logique que le déchiffrage des rêves et en général du matériel associatif.
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Qu’est-ce que je pourrais vous dire à partir de tout ça ? Qu’il faille, pour avoir quelque idée de l’inconscient, intégrer la dimension du hors sens, et d’abord de l’agrammatical, pourquoi pas ? Freud, par exemple, distingue le processus primaire, qui caractérise l’inconscient, et le processus secondaire, qui régnerait dans le préconscient et le conscient. Le rêve nous donne une idée de ce que c’est que le processus primaire, notamment sans doute en ce qui concerne l’agrammaticalité, et cette thèse a été très reprise par Lacan, par Melman, par nous-mêmes. Donc sur certains points, nous pourrions nous accorder, et je n’en discuterai donc pas théoriquement.
Je ne discuterai pas non plus théoriquement tout ce qui est dit sur la fin de l’analyse. D’abord parce que le manque de temps me conduirait à en parler trop vite. Et ensuite parce que . mon objection est en quelque sorte plutôt éthique. Ce que je constate c’est que les analysants, même lorsqu’ils sont assez au fait de la dimension asémantique de l’inconscient, même s’ils pourraient reconnaître qu’on n’est jamais si près de l’inconscient que lorsque l’on fait un lapsus incompréhensible restent toujours pris dans le désir d’associer, de reprendre tout ce qui vient dans des chaînes interprétatives, et qu’on ne voit pas au nom de quoi on s’y opposerait.
Le problème principal serait d’ailleurs, si l’on censurait cette démarche analysante, qu’on risquerait de produire des effets de suggestion, et d’une suggestion qui n’irait pas, par exemple, dans le sens de la reconnaissance du désir, mais de la conformité à un modèle attendu. D’ailleurs à un moment donné Colette Soler peut reconnaître que pour ceux qui sont dans la passe, il peut assez couramment y avoir une sorte de « pression du groupe ». Ce livre me paraît hélas risquer d’avoir par lui-même des effets de pression, quant à ce qu’il en est de la façon, pour chacun, de traverser l’expérience analytique.
Je ne soulignerai pas trop à quel point, pour développer ses conceptions, Colette Soler est conduite à élaguer dans Lacan. L’objet a est conçu surtout comme un élément qui, à un moment donné, représente le poids de réel qui leste une analyse, mais un élément qui perdrait de son importance avec l’introduction de l’inconscient réel. Et même la lettre, qui pour nous a une telle place, Colette Soler ne l’évoque que de façon assez marginale. Lalangue c’est avant tout de l’entendu ou de la jaculation sonore, et elle rappelle que Lacan avait pu proposer de remplacer le terme d’inconscient par celui de parlêtre. Comme si, au-delà d’un inconscient qui se lit, il y avait résurgence, certes sous une autre forme, d’un primat de la parole.
Alors je ne nie pas que l’on a parfois l’impression, quand tel ou tel analysant associe à propos d’un rêve, que l’extension du champ associatif, à partir duquel seulement on peut interpréter, semble sans limites assignables. On est, disons, dans l’ordre du possible, avec toujours l’éventualité que surgisse une autre interprétation possible. Mais il me semble que dire ça n’est pertinent que quand on isole un rêve en particulier. Quand on l’interroge sans le reprendre dans le tissu de la cure. Ce n’est pas du tout le cas lorsque, sitôt le rêve raconté, une idée s’impose qui le rattache, par exemple, à la séance précédente, qui donc l’inscrit dans le transfert. Là on n’est plus du tout dans un possible indéfini.
Il y a d’ailleurs même plus simple. Vous vous souvenez que Freud distingue le capitaliste, le désir inconscient, infantile, et l’entrepreneur, formé des questions qui sont restées en suspens dans l’existence diurne. Eh bien je dois dire que pour ma part il n’est pas rare que je pose la question de ce qui, la veille du rêve, a pu en constituer l’occasion. Là les chaînes d’associations se resserrent, on voit mieux le centre de gravité de la question ; même si ensuite, bien sûr, de nouvelles associations peuvent venir.
Je voudrais finir en évoquant encore autre chose. Quelque chose qui n’est pas du côté seulement de la chaîne symbolique, quelque chose qui a, effectivement, une dimension de réel. Seulement est-ce que le réel surgira forcément dans des bribes ayant rapport avec de la parole, de l’entendu ? Il arrive bien sûr que dans un rêve le rêveur entende un cri étrange, une espèce de phonème plus ou moins déformé. Mais généralement c’est quelque chose de très évanescent. Pour que le sujet puisse éprouver que du réel, y en a, il faut peut-être une inscription.
Et c’est là qu’on en revient à la lettre.
Dans mon livre, Eléments lacaniens pour une psychanalyse au quotidien, à propos du statut de la lettre dans l’inconscient, je parlais de « lettres en formation », de graphies se formant par effacement partiel de l’image. Parfois ainsi on voit apparaître dans un rêve des espèces de signes. L’analysant parle de dessin, mais de dessins qui ne semblent rien représenter, et parfois alors il évoque des lettres, mais des lettres qui ne renverraient à aucun alphabet connu.
Je voudrais donner un exemple, qui je ne sais pourquoi, m’avait intéressé il y a déjà assez longtemps. Un analysant m’avait raconté un rêve que j’ai en grande partie oublié, sauf qu’à un moment du rêve il voit une espèce de dessin sur une voiture, et il dit qu’il lui semble que ça ne représente rien. Il évoque cependant une écriture inconnue. J’aurais tout à fait pu laisser les choses en l’état. Parfois il est suffisant que dans le rêve quelque chose vienne marquer, pour le rêveur, qu’un travail peut se faire qui concerne le réel du langage. Ce jour-là cependant j’ai eu l’impression que le rêveur pourrait en dire un peu plus, et je lui ai demandé comment il décrirait ce dessin. Une espèce de triangle, dit-il, et à l’intérieur d’autres signes.
« À l’intérieur ? » C’est comme si c’était, dit-il, un de ces panneaux sur les routes qui signalent quelque chose. Et donc les traits qu’il y a dans le triangle seraient en quelque sorte la symbolisation de quelque chose, mais là on n’a pas le code. « Bon, le code qui permettrait d’interpréter quel signe ? » En fait, dit le rêveur, à mon souvenir c’était très peu de chose : une sorte de l à l’envers, un L majuscule, suivi d’un point. Et alors une idée s’impose à l’analysant. Est-ce qu’il ne s’agirait pas de son prénom ? Il se prénomme Louis. Il y aurait l’initiale. Et le point ? Est-ce que ce serait le point sur le i, ou alors la lettre o réduite à un point, ou alors les deux ? Et pourquoi donc est-ce que ça ne serait pas loi qui serait inscrit, plutôt que Louis ?
Tout ça est-il très hasardeux ? Quoi qu’il en soit une autre idée va s’imposer qui va recouper celle-ci. Et vous savez que c’est souvent la surdétermination qui rend l’interprétation probante. Ce L à l’envers évoque pour lui une potence, en tant que, enfant, il avait souvent joué à des jeux où il s’agissait de deviner quelque chose, et à chaque mauvaise réponse on traçait un trait précis, faisant partie du dessin stylisé d’une potence, et si celle-ci était entièrement dessinée avant que la réponse n’ait été trouvée on avait perdu.
Or il se trouve que c’est à ce moment-là qu’intervient une troisième série associative. Lors de la séance précédente, cet analysant avait eu l’occasion de raconter une anecdote qu’il avait eu du mal à interpréter. Et je dois dire que je ne m’étais pas précipité pour lui donner sens. À présent il saisissait mieux. En fait l’anecdote révélait à quel point, dans nombre de ses comportements, il pouvait donner le change, feindre d’être en règle, alors qu’il n’en faisait qu’à sa tête. Eh bien suite à son rêve il pouvait plus facilement le reconnaître. Sans doute parce que ce qui s’inscrivait ne venait pas comme une accusation, mais comme une énigme à déchiffrer.
Je terminerai là dessus. Bien sûr le sujet peut en venir, à certains moments de la cure, à des contenus asémantiques, mais ceux-ci ne sont jamais que le dépôt d’un travail associatif où il cherche, qu’on le veuille ou non, à donner sens à des chaînes de signifiants, au point que même le réel de la lettre est assez souvent, pour lui, un texte qui a la valeur de s’être déposé dans ce travail, mais de toujours pouvoir être repris. Parce qu’après tout, l’inconscient n’est sans doute pas un stock de fragments sonores qu’on aurait simplement à laisser advenir comme des épiphanies.
Discussion de l’exposé
Christiane Lacôte – J’aurais deux remarques à faire. D’abord sur le livre de Colette Soler que je n’ai pas complètement lu cependant : je ressens la même gêne que celle que tu éprouvais. En effet, elle dit d’abord qu’il ne faut pas « saucissonner » l’oeuvre de Lacan en tranches temporelles, mais finalement elle le fait. Certes c’est très habituel, on dit qu’on ne va pas faire quelque chose, mais on le fait quand même! Je pense que c’est argumenté chez elle, (alors là je ne sais pas si vous seriez d’accord, et si toi, tu serais d’accord): il me semble qu’elle fabrique sur l’enseignement de Lacan l’analogue de la fameuse coupure épistémologique d’Althusser, c’est-à-dire à un certain moment il y aurait une véritable révolution, or je pense qu’il n’est pas juste de dire qu’il y aurait une révolution en 1973 et que les noeuds borroméens ne seraient pas la suite de tout l’effort topologique de Lacan. Ça ne veut pas dire qu’il faille transporter ce qui a été dit et affirmer « Il y avait déjà là en 56 ceci cela! », Non! Ce que j’aime lire dans Lacan, un désir d’abord, un désir et une curiosité sans cesse portée sur l’inconscient. Il y a donc dans ce livre une méthode très ancienne fondée sur l’idée de coupure épistémologique des années 60 en fait!
Roland Chemama – Oui, 60, et même 70, c’est l’époque de sa formation, comme de la nôtre aussi!
C. L. – Absolument, c’est pour ça qu’on la reconnaît, peut-être!
Il y a aussi une critique du déchiffrage qui supposerait que la lettre est déjà là ; ce n’est pas vrai, Lacan sans cesse – certes, on peut ne pas être lacanien – Lacan dit sans cesse que cela s’inscrit et que nous n’avons pas les signifiants déjà là, la lettre déjà là, mais c’est un processus que nous essayons d’élucider, avec l’idée d’anticipation et d’après coup, pour ma part.
D’autre part il y a cette interprétation de lalangue à partir de la lallation, je suis sidérée, parce qu’on ne peut pas écouter des enfants et même des petits enfants sans se dire que la lallation cherche un sens. Il n’y a jamais davantage désir de sens que dans la lallation d’un bébé! Il signifie quelque chose peut être quelquefois, le sens y est en creux…, c’est toujours complexe!
X – C’est soutenu par le regard de l’autre
C. L. – Absolument ! et puis lisons Lacan, Bergès!
R. C. – A charge qu’il y ait une hypothèse faite par la mère sur le …
Bernard Vandermersch – Oui parce qu’elle va cesser, s’il n’y a pas ce crochetage par l’Autre…
C. L. – Exactement! Sinon c’est le mutisme. Donc il y a dans ce livre des choses très étonnantes!
La lettre… Le lapsus pour lequel elle dit sa préférence, pourquoi cette préférence?
Il y a aussi des questions concernant le dessin et la lettre. C’est toute la question qu’a essayée de théoriser Jean Bergès : il considère qu’il y a une rupture entre l’image et la lettre, et ça c’est une chose assez intéressante et importante. Et que tu parles à propos de ton patient, sur le panneau de signalisation, je trouve cela sensationnel! C’est-à-dire que tu commences par dire qu’il y a un triangle, c’est-à-dire la place de la lettre ; ce n’est pas le carré de Frege, mais c’est proche, la lettre est avant tout une place d’inscription ; et ensuite tu disais: il y a ce gamma avec ce point, et je pensais…
R. C. – (rires) c’est la potence, le gamma!
C. L. – En fait je pensais à la potence mais …
R. C. – Je ne sais plus pas si ce patient était helléniste!
C. L. – Non, je ne sais pas, mais en fait je pensais à l’hébreu, c’est-à-dire que avec le carré et le point en dessous, je veux dire quand tu disais « la loi »…
Enfin, l’inconscient n’est pas un stock de fragments sonores, c’est effectivement une conclusion inévitable, je suis d’accord avec toi, c’est-à-dire qu’on ne peut pas parler ainsi de l’inconscient. Mais tout est lié au fait qu’elle prend au sérieux l’imaginaire finalement d’un déchiffrage, c’est-à-dire que ce serait déjà là et qu’on va déchiffrer.
R. C. – Juste un mot pour répondre. Je suis d’accord avec tout ce que tu dis ; la cassure entre l’image et la lettre, bien sûr, mais pour l’instant je pense qu’il y a un travail, enfin que cette question n’est pas un trou avec deux versants, donc « cassure » cette forme me gène un peu, je pense que il y a…
C. L. – Je n’ai pas dit « cassure « !
B. V. – Rupture!
C. L. – Rupture
R. C. – Bon! il me semble qu’il y a un travail qui s’accomplit dans le rêve par exemple, qui en quelque sorte expurge, ou détache peu à peu la lettre de la dimension de l’imaginaire.
B. V. – C’est du dessin.
R. C. – C’est du dessin, ou la graphie pouvant être ce qui est sur ce passage.
B. V. – Moi, ce qui me frappe – je n’ai pas lu son livre, j’en ai lu un autre d’elle où il y avait quand même des exemples cliniques – là, ce qui me frappe, c’est d’une part l’idée que plus Lacan s’achemine vers la mort, plus il serait dans le Réel et dans le droit chemin. Le deuxième point, c’est que cette technique me semble avoir pour but que ça se boucle enfin. Voilà, ça ne veut rien dire…
R. C. – Mais qu’on la boucle!
B. V. – Qu’on la boucle, on y est enfin, c’est « beubeubeubeubeu », c’est tout. Moi, j’ai beaucoup apprécié ce que tu dis. Tu rêves, mais tu rêves parce que dans la vie, la veille, tu es aux prises avec un certain nombre de difficultés de choix, de désirs, de… Et effectivement on peut passer toute sa vie en analyse. Là, Colette a raison, quand même! Mais, j’allais dire, à la limite, qu’est-ce qu’il y aurait de si scandaleux? Mais le problème n’est pas là, c’est la question de la fin de la cure. Est-ce qu’il y a une fin? Ce qui fait difficulté dans ce que tu nous dis, c’est : est-ce qu’il y aurait une fin logique de la cure, à partir du moment où il y a toujours un entrepreneur qui est là et qui est susceptible de produire du rêve? Mais est-ce que pour autant…
R. C. – Je n’ai pas parlé vraiment de la fin de la cure, mais je continue à penser qu’il peut y avoir une fin de la cure si on arrive à repérer dans quelle position on est par rapport à l’objet, puisque après tout le sujet se définit par rapport à ça, et si quand même en même temps, cette fin de la cure suppose qu’on soit un peu plus à l’aise, enfin ‘à l’aise’! à même de continuer à entendre en soi cette dimension de la lettre et du signifiant. C’est-à-dire qu’une fois qu’on a fini la cure, on ne va plus chez son analyste, il est bien qu’il en reste un certain type de rapport avec l’inconscient.
X – On n’a pas le choix!
B. V. – Si, si, on a le choix de le refermer, de faire de l’enseignement psychanalytique…
C. L. – Comme cela ce serait simple!
B. V. – C’est un piège, non, ce n’est pas simple. Je suis frappé de ce que les rêves, tant qu’on est en analyse, sont sous-tendus, accrochés par la question de l’objet, alors qu’après, très souvent, ils deviennent beaucoup plus énigmatiques. Ce n’est pas si facile, sauf quand un analysant, vous remet brusquement dans une question! Mais ce n’est pas simple la question!
En tout cas, il me semble que, là, je suis bien d’accord avec toi, ce type de bouquin me semble tout de même avoir une dimension mortifère
R. C. – (Rires) Je ne l’ai pas dit comme ça, mais tu m’as entendu au-delà de ce…
B. V. – Non, non, c’est ça, cette espèce de rêve de la clé finale, quoi! Parce que si on se sert de ce que tu dis de la temporalité, bien sûr tout ce qu’on a à la fin de Lacan n’était pas là au début, inscrit, etc., néanmoins, n’aurait jamais été possible sans le début ; et dans le mouvement d’une cure, la question du sens, excusez-moi, c’est tout aussi important que la question de ce qui est hors sens ; il y a le fil de l’imaginaire qui est là, mais sans ce fil, il ne se passe rien!
C. L. – Absolument, c’est ce que vous disiez avec l’idée de l’hypothèse de Jean Bergès, si on ne suppose pas qu’il y a un sens possible, il n’y a pas de parole.
R. C. – Jacqueline voulait poser une question.
Jacqueline Pasmentier – Je voulais poser une question sur cette histoire d’inconscient réel: je voudrais vous demander – là je fais un aveu public, mais ça ne fait rien, parce que c’est du travail qui m’a.. – dans le cours de ma cure, et plus j’avançais, il m’est arrivé de dire que « mon inconscient est devenu conscient ». Et j’avais le sentiment que c’était quelque chose de Réel. Et ça réitérait jusqu’à la fin. ça réitérait, ça réitérait, c’est-à-dire que ça éliminait, ce n’est pas que ça éliminait…, oui ça éliminait disons, les moments imaginaires, et petit à petit on arrive à quelque chose de plus satisfaisant. Mais j’avais le sentiment que cet inconscient devenait ma réalité, qu’il n’y avait pas de la différence, qu’il n’y avait pas toujours ce travail de déchiffrage à faire. Que ça s’imposait ; alors peut-être peut-on dire que c’est une épiphanie, une révélation laïque disons, matérialisée…, une révélation de ce système-là, de ce qui arrivait là.
B. V. – Moi je pense que cette histoire de motérialité, c’est très intéressant dans ce que dit Colette Soler, mais cette motérialité, ça se détache de quelque chose qui est du sens, qui est de l’imaginaire…
R. C. – Pour répondre à Jacqueline, c’est vrai que des fois on a l’impression que ça va beaucoup plus vite, qu’il y a quelque chose qui parle autrement ; le problème, c’est à ce moment là, qu’est ce qu’on situe? Est-ce qu’on risque d’être un peu plus dans l’illusion si c’est un peu trop du côté de la signification, ou bien est-ce que justement, par exemple un raccord se fait entre deux signifiants, ou par exemple comme ça se passe là. Est-ce que pour autant c’est l’inconscient? Je crois que Colette Soler a tendance, au fond, à faire de l’in-conscient quelque chose de radicalement inaccessible, d’une certaine manière, tout en disant que le processus de la cure, fait apparaître des épiphanies au niveau de cette motérialité, et qu’il y a une valeur de révélation de l’inconscient ; vous voyez c’est toujours un peu difficile. Mais il me semble qu’il y a des moments, disons, je le dirais plutôt comme ça, où on est un peu plus dans cette réalité du fait que le travail de l’inconscient est plus accessible ; par exemple, on oublie moins ses rêves, ou des choses apparaissent, ou des souvenirs très anciens viennent, se mettent à s’articuler, et ça il me semble que c’est ce qu’il est important de préserver jusqu’à, y compris après la fin de la cure. C’est ce qu’on disait tout à l’heure. Ce n’est pas toujours le cas, il y a des moments où on est moins là dedans, et puis tu disais, sollicité par tel analysant, ou un peu plus attentif à tel ou tel évènement dans une période de vacances, et ça, ça me paraît…
B. V. – Quel est le statut de ces fragments sonores auxquels Colette Soler fait allusion? Est-ce que tu serais tenté, avec ces fragments, de faire comme avec ton patient : « Est-ce que vous ne pouvez pas en dire un peu plus? », les faire quand même parler avant de dire que c’est le reste … Mais on est pris par ce que Lacan nous dit : « Attention, Freud, sur le rêve, il rêve! » C’est-à-dire qu’il continue et fait surgir du sens sur du sens… Ce n’est pas tellement facile à trancher. Mais en tout cas, dans chaque cas je crois qu’on est responsable de ce qu’on fait, et, à mon avis, dans les débuts de cure…, je veux dire démarrer une cure avec cette idée qu’il faut arriver (exclamations dans l’assistance) autant dire, je crois que c’est déjà fini…
R. C. – On espère qu’elle n’a pas trop d’élèves très jeunes et qui se lancent dans la pratique analytique…
X – Je constate que ce genre de positions théoriques de certains analystes à certaines époques, dans certains lieux institutionnels, ont en effet les effets de la faire boucler à tout ce qui pourrait ne pas être autorisé par cette ultime découverte, ce noyau. Du coup je me demande si quand même dans l’exposé que tu as fait, Roland, est-ce que tu insistes assez sur le transfert? J’ai l’impression qu’il est absent de ce que tu as rapporté de Colette Soler…
R. C. – Le transfert, j’en ai parlé effectivement rapidement, à propos de ce qui continue dans le dialogue analytique, et du fait que le rêve est dans cette adresse à l’analyste, et là par exemple, je l’ai dit, ce patient il y a quelque chose qu’il n’avait pas pu dire complètement à son analyste la fois précédente, de toute façon on ne peut pas tout dire, mais qui était restée un peu trop…, ce n’était pas un mi-dire, c’était un quart de dire, et donc du coup le rêve retravaille ça ! et bien entendu, c’est tout à fait dans le transfert. Je n’ai pas insisté, mais…
Aujourd’hui, on arrête beaucoup plus tôt.