Le Réel de l’amour dans l’Insu à travers les haïkus japonais
06 juillet 2015

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OUTTERS Annick,,
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En septembre 2014, Haruki Murakami sort un nouveau roman : L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage. Ceci peut être est un pèlerinage, une expérience aussi… « J’écris pour me changer moi-même et ne plus penser la même chose qu’auparavant », disait Michel Foucault.

Y a-t-il un Réel de l’amour ? L’Amour Réel ou le Réel de l’Amour , « L’Amour Lacan » comme le nomme Jean Allouch ?

Quel serait cet amour qui « dépasse les pièges du narcissisme », un amour qui ne soit pas « une maladie » comme le dit Charles Melman ; Il me semble qu’il s’agit de la question de Jacques Lacan dans ce séminaire où l’amour est introduit dans le titre puis très peu re-cité : « J’essaye d’introduire quelque chose qui va plus loin que l’inconscient »

Dans l’enthousiasme d’un voyage au Japon, je me suis demandé si le haïku ne convenait pas à Lacan comme bague au doigt… Si l’un et l’autre n’avait pas consistance commune, un trait commun, si les haïkus que je tentais d’écrire n’étaient pas un levier dans cette recherche là. S’il ne s’agissait pas également pour les maîtres du haïku , comme pour Lacan dans la cure analytique d’aller plus loin que là où peut nous mener le signifiant ( d’arracher le sujet à lui-même , d’abolir les limites du moi et le conduire à sa dissolution afin de rejoindre un lieu où la pensée est par définition exclue , un impensée qui n’est pas l’inconscient mais un trou dans le tissu signifiant du savoir inconscient , ce que Freud désignait par « refoulement originaire »). Comme un désir de savoir… Autre chose…

L’insu Que Sait De

L’Une- Bévue

S’Aile A Mourre

3 fils : une tresse un haîku ? :

-L’inconscient et ses manifestations,

– L’une bévue, une lettre, celle qu’il ne faut pas, Ya d’l’un ou l’une, y a d’l’Autre aussi …

-L’A mourre : en 2 mots : L’amour qui ne cesse, de ne pas s’écrire. : Le Réel et l’impossible, Elle La Femme en tant qu’elle n’existe pas.

Une tresse : des signifiants qui tournent, s’emmêlent ,lancinants et se brisent.

-« J’essaie d’introduire quelque chose qui va plus loin que l’inconscient » dit Jacques Lacan au début du séminaire ;

L’Insu , le Réel , Les haîkus japonais , une autre tresse que je fais et défais à la recherche de l’énigme, espérant des signifiants qu’ils me fassent signe et opèrent , qu’ils fassent sens peut-être et retrouvailles , point d’ancrage à cet amour qui un jour m’a fait vivre et ne cesse pas , de ne pas s’écrire ou de s’écrire.. ,les signifiants de Jacques Lacan dans L’insu , et ceux de quelques Autres , les psychanalystes, mais aussi , la bas au Japon , il y a quelques centaines d’années , les maîtres du Haïkus . Un lien ? Des transferts. Un trou.

« Monde de Rosée

Rosée du monde __

Et pourtant « ( Kobayashi Issa)

Quand j’énonçais ce Haïku pour présenter mes questions au cours de notre séance de travail, nous avons été pris d’un fou-rire. Je me suis demandé ce qui suscitait notre malaise, cet « impossible à tenir », ou à soutenir … cette jouissance , aussi .

Le sujet se réduit là à un pur effet de sens ou de non-sens, une sorte d’effet de surface, le miroitement de la rosée , une écume , .un lieu sans lieu , qui serait peut-être le véritable lieu du sujet , celui de sa disparition dans l’immensité et l’éternité de l’univers . Rien…. Un vide…

« Et pourtant » : cet « et pourtant » du sujet confronté au vide de l’existence ouvre l’énigme et dans le même instant, toutes les portes du possible et le plus fol espoir : mais encore …

Jacques Lacan dans l’insu fait digression et s’interroge à propos de « l’essai sur la rosée » de William Charles Wells en remarquant que cela ne présente aucun intérêt et « ne nous fait ni chaud ni froid , contrairement à l’arc-en-ciel par exemple : « il est certain qu’il y a quelque chose de centré sur les fonctions du corps , qui est ce qui fait que nous donnons à certaines choses un sens . La rosée manque un peu de sens . »

Les haïkus sont fréquents, interpelés par la rosée ;

Qu’est-ce qu’un haïku ?

Le haïku , forme poétique la plus courte du monde , se compose de 3 phrases de 5, 7 , 5 syllabes , et cet autre élément fondamental appelé « Kireji « , signe de coupe , qui ne sont ni des pauses , ni des césures , et sont susceptibles de servir à évoquer les nuances les plus diverses : intensité , doute , souhait , émotion , ordre , antiphrase . Nous entendons un haïku, à travers les signifiants, mais aussi le silence, le rythme, la suspension du sens, ce qui ne peut se dire.

Un seul et même mot, « uta », désigne en japonais la poésie et le chant. C’est à voix haute, comme un chant, que le haïku se lit. Il ne doit être pas plus long qu’une respiration.

« La graphie japonaise, alliant idéogrammes et syllabaires phonétique, favorise l’extrême densité du haïku . Là où l’écriture linéaire de l’occident semble donner d’emblée un socle cartésien à la description de la réalité, la densité fulgurante de l’idéogramme se prête plus facilement à l’expression de l’inexprimable, à la transmission d’un espace que ne saurait saisir la pensée discursive …

En outre, la structure même de la langue favorise l’ambiguïté : .Le japonais offre un vocabulaire des plus riches, à la fois extrêmement nuancé. Il décline le monde avec autant de subtilité que le français, mais sur un mode plus énigmatique ; ici un vocable recouvre souvent un éventail de notions que d’autres mots traversent ; incertaine, la frontière délimitant les territoires du sens dévoile tout un champ d’associations. L’ambiguïté est portée au paroxysme jusqu’à faire du haïku un véritable langage crépusculaire ; les mots sont détournés d’eux même en vue de dire un au-delà d’eux même, de cerner une conscience globale antérieure à toute conceptualisation, y compris celle du langage,(Corinne Atlan et Zeno Biarnu : Anthologie du poême court japonais).

Le Haïku est une écriture poétique qui déconstruit la langue jusqu’à l’avènement de la lettre dans une expérience transitiviste avec la nature ; Il est aussi une expérience vers l’accomplissement de « l’être pur « et ce que j’ai appelé ici le Réel de l’amour, là où, peut-être, nous conduit une analyse.

Il exprime l’indicible de l’être au monde et de la perte de l’objet et cet « exprime » : Les combinaisons de lettres et de silences rythmés par le souffle et la voix font trace et bordure autour du trou de l’existence…sans l’agrandir ni le boucher, nous dit Charles Melman, première trace d’écriture, lettre objet.

Le haïku se découpe d’ordinaire sur la toile de fond d’un mot saison (kigo). Ce mot clef marque l’importance que les japonais accordent aux circonstances , toujours uniques, jamais dues au seul hasard , mais bien à un lien prédestiné qui unit les êtres et les choses , et duquel découle une attention et un respect particulier envers l’autre , perçu comme le miroir de nous-même . En contrepoint avec l’émotion fugitive du haïku, le kigo marque le durable de l’univers, juste équilibre entre le principe d’éternité et l’irruption d’un événement éphémère ou trivial. .En ce sens le haïku s’offre toujours comme une salutation, en hommage au moment présent et à la création.

La dimension Autre est toujours présente jusque dans le Réel du corps dans son aspect le plus trivial .Le refoulement n’opère pas comme il opère dans notre pensée judéo-chrétienne et cartésienne.

Nuit d’été __

Le bruit de mes socques

Fait vibrer le silence (Matsuo Bascho)

Mais aussi :

Monstre

Il montre son cul rond

Le potiron

Ou encore :

ce trou parfait

Que je fais en pissant

Dans la neige à ma porte (Koboyashi Issa )

Le haïku nous déroute «Il nous confronte à l’ extrême banalité de l’instant dans le tragique de l’existence. il nous sort de notre pli, déplaçant le voile et déchirant une taie sur notre regard, rappelant que la création a lieu à chaque instant, il tremble et scintille comme un instant poème ; ravissement soudain dans l’imprévisible ; juste un tressaillement complice ».

C’est L’éclosion spontanée d’une « fleur de sens », mais c’est aussi une écriture qui laisse place au non-dit , au suspend de sens , elle opère par le nouage .

Le haïku ne conçoit pas, il découvre un point de vision, un nouvel angle .C’est un instant de création.

Où est L’Amour ?

Au Japon, ceux qui s’aiment ne disent pas « je t’aime » mais « il y a de l’amour » ou « il y a de la tristesse sans ta présence ». Une sorte d’impersonnel immense qui déborde de soi. Dans le haïku, La tristesse est partout, l’amour aussi. Pas de hors champ du sentiment.

Deux seins

Superbes

Et un moustique ! (Osaki Hôsai)

Devant la maison vide

Une cigale crépite

Au dernier soleil (Masaoka Shiki)

Outre la puissante impression de solitude, ce poème témoigne d’un art parfaitement abouti, en ce qu’il fait résonner l’infiniment grand (le soleil) , l’infiniment petit (la cigale ) et la dimension humaine ( la maison vide ) Dans la symbolique bouddhique , la maison représente la conscience ordinaire _ et la maison vide , le retour à la vacuité originelle ;

Des belles de nuit

La jeune vierge

Se fait un mouchoir (Kobayashi Issa)

Le paradis

Une femme

Un lotus rouge (Masaoka shikip)

Le haïku remercie la vie là où elle s’improvise dans un sentiment d’appartenance à la réalité sensible. Il traduit une émotion, un sentiment passager, abhorre l’expression directe du sentiment .mais peut être imprégné de sentiments violents, la douleur et la perte.

« Que la tombe aussi remue

N’entends tu pas mes pleurs

Que porte le vent d’Automne ? »

« Assise sur une balançoire

Victime de la Bombe

La petite fille morte »

Son esthétique est toujours une éthique : une éthique de l’amour sublime

Le haïku est issu du Tanka dont la première compilation compilée remonte en 760 .Le tanka contient des références précises aux saisons et aux éléments de la nature liés au culte animiste shinto. Il consiste en 5 vers composés de 5757, et 7 syllabes…la première partie ou hokku doit évoquer la saison, la nature, tandis que la seconde 77 lie la scène à un sentiment ou à une émotion spécifique.

Le hokku donnera naissance au haikai, et plus tard au haïku, qui, devenu poème indépendant, continuera à transmettre ce sentiment ou cette émotion –sans toutefois les citer – créant ainsi un monde de sens implicite. Cet art de suggérer un état intérieur sans le décrire-yugen- est précisément considéré au japon comme l’art de la poésie…

Au 17éme siècle, Bashô érige le haïku au rang d’une forme d’art absolu. Adepte du zen, poète voyageur, il mène une vie itinérante, suivi par de nombreux disciples ;

C’est la période Edo (1600-1868) durant laquelle le Japon vit replié sur ses traditions. Il donne 3 maîtres inégalés : Matsuo, Bascho, et Buson. Yosa Buson, à la fois peintre et poète, entend décrire l’essence des choses sans la moindre béquille philosophique, cherchant à transcrire une perception non verbale du monde ;

Le Haïku fait surgir la surprise pas l’association d’éléments contraires et en cela, il s’inscrit dans la tradition philosophique chinoise d’origine bouddhiste ; Ce qui garantit d’abord la communion entre l’homme et l’univers, c’est que l’homme est un être non seulement de chair et de sang mais aussi de souffles et d’esprits ; en outre, il possède le vide. (François Cheng : le vide et le plein.)

Il met constamment en scène et en mouvement, l’un et L’autre. Nous retrouvons le yin et le yang, le vide et le plein.

« Le pinceau vise à capter les lignes internes des choses ainsi que les souffles qui les animent. L’unique trait de pinceau est l’origine de toute chose, la racine de tous les phénomènes. il est trait unique, trait d’union entre l’esprit de l’homme et l’univers » : Propos sur la peinture Shih-tao .

Mais aussi, chap. 11 et 12 du Lao-tzu :

« Le Tao d’origine engendre l’Un

L’un engendre le Deux

Le Deux engendre le Trois

Le Trois produit les dix mille êtres

Les dix mille êtres s’adossent au Yin

Et embrassent le Yang

L’harmonie naît au souffle du vide médian »

Le haïku est donc un acte de nouage , entre l’un et l’autre, issu du vide…: un nouage et un vide…

Entre l’un et l’autre :

L’ombre et la lumière

Le pinceau et l’encre

Le vide et le plein ;

Le Réel s’écrit…, jusqu’à Fukyo, la folie poétique…; errance libertaire des mots et du regard,

Un esprit désoccupé qui se laisse habiter. : « Je m’abime dans la vision du divin » écrit Matsuo Bashô.

Pourquoi, s’interroge Lacan, Freud réserve-t-il à l’identification au Père, la qualification d’Amour ? et je me questionne : à quoi s’identifient les maîtres du haïku ? Que désirent-ils ?

Peut-être, comme le dit Alain Didier Weill, sont-ils à la recherche de ce signifiant : S (grand A barré) qui peut assumer cette contradiction de maintenir cette béance de ce qui ne cesse de ne pas s’écrire et en même temps d’être ce qui cesse de ne pas s’écrire…; Comme la note de musique qui bouleverse.

On pourrait dire, que la barre du sujet et de l’Autre, à communier ensemble, porte le sujet, dans l’incandescence de ce manque partagé aux sources mêmes de l’existence, bien au-delà de l’objet, bien au-delà du fantasme.

C’est la barre qui maintient Ulysse attaché pour résister à la voix des sirènes.

Le haïku est un trait : Identification première au langage et au manque dans l’Autre ?

Didier De Brouwer explique cela dans son article inclut dans le Bulletin Freudien sur l’écriture : « Le vide éclaté : l’unique trait de pinceau et le trait unaire » ; il fait référence au texte de Shih-t’ao : « l’unique trait de pinceau dans ses propos sur la Peinture… »; Didier De Brouwer : « cet unique trait de pinceau » évoque bien la création artistique comme un engendrement, mouvement de révélation de sa propre nature dans une retrouvaille », par le trait , toujours unique car origine de toutes choses : La racine de tous les phénomènes ».

De De Brouwer s’interroge : le trait dans une telle conformation, ne montre-t-il pas la place de ce que Lacan nommait : le vrai trou : celui entre le Réel et l’imaginaire puisque rien du rond du symbolique n’est présent dans cette aire commune au rond du Réel et de l’Imaginaire que délimite le nœud borroméen ;

Dans la poésie, le symbolique est présent par le signifiant et la lettre, mais loin d’obstruer le trou, il le désigne en le voilant. Et ainsi pourrait s’apparenter à ce doigt pointé vers le signifiant du manque dans l’Autre qui ferait, selon Didier De Brouwer l’efficacité d’une interprétation analytique.

Dans le même Bulletin Freudien, Christian Fierens écrit un texte : « le Mouvement de la lettre et de l’écriture » ; il fait référence à Joyce : «un certain rapport à la parole lui est de plus en plus imposé, finit par dissoudre le langage même ». Ici la fonction n’est pas seulement pointée symboliquement : elle est mise au travail et ce travail touche au Réel. Comme chez Joyce, c’est la fonction même de la langue qui déchoit au point de n’être plus qu’un point de relance sans plus. Et cette fonction de la langue, réduite à un point de relance va retentir sur les autres fonctions de parole, d’écriture et de lecture ; Jusqu’à une dissolution du symptôme dans le Réel, homogénéisation du nœud Borroméen dans le nœud de trèfle…: La folie poétique « fukyo », « le symptôme est réel, c’est même la seule chose vraiment réelle, c’est-à-dire qui ait un sens », dit Lacan. C’est bien pour ça que le psychanalyste peut, s’il a de la chance, intervenir pour le dissoudre dans le Réel. »

« Une pratique sans valeur, voilà ce qu’il s’agit pour nous d’instituer ».

« Je ne suis pas « poâte » assez , dit encore Lacan.

Le haïku est une trace, voile sur le Réel qui s’écrit et s’efface dans un acte de création, le temps d’un instant constamment renouvelé. Instant de commune mesure entre l’un et l’autre dans le transitivisme, communion première qui ne passe pas par le support de la pensée mais qui prend compte de la dimension du vide ou point zéro, le lieu du sacré. Justesse de perception et justesse d’écriture participent ici d’un même acte. Expérience originelle et poème final sont ontologiquement inséparables ; Une communion au manque dans l’Autre.

Le haïku est une ombre sur le Réel : «Je m’explique, écrit Tanizaki dans éloge de l’ombre, aussi blanche que soit une japonaise, il y a sur sa blancheur comme un léger voile » ;

Il est aussi un travail de lalangue qui naît du Réel et retourne au Réel après « les années de pèlerinage » , dans une dissolution du symptôme , une écriture de l’impossible et un moment d’épiphanie dans une Autre Jouissance .

Dans le séminaire l’insu…Lacan « une parole pleine, c’est une parole pleine de sens . La parole vide n’a que de la signification ».

Le poète remplace le sens par la signification, c’est un mot vide.

Le désir a un sens ; l’amour n’est qu’une signification c’est-à-dire : il est vide.

« Un signifiant nouveau, celui qui n’aurait aucune espèce de sens, ça serait peut-être ce qui nous ouvrirait à ce que de mes pas patauds, j’appelle le Réel. Un signifiant qui aurait un effet ; »

Ainsi tout haïkiste pourrait faire sienne cette définition de Leang-kiai, poète de l’époque des T’ang : « on appelle phrase morte une phrase dont le langage est encore du langage ; une phrase vivante est celle dont le langage n’est plus langage».

Lacan ne va pas plus loin dans ce séminaire sur le Réel de l’amour bien que, comme dans les haïkus, la question de l’amour soit constamment sous-jacente . Lacan cherche un signifiant nouveau qui ouvrirait la porte du Réel, qui aurait un effet .dans ces parages.

Et pourtant—Le Réel de l’amour y est bien présent comme il est bien présent dans les haïkus. Pour tenter d’en dire un peu plus, je vais m’appuyer sur le livre, recueil de textes de Catherine Millot : « La logique Et l’Amour ».

« L’amour, c’est ce qui se produit quand on change de discours », dit-elle,

Catherine Millot parle des années Lacan ; « il y eut l’année d’ « ou pire », l’année d ’ « Encore », l’année des « non-dupes –errent », et celle de « Joyce le Sinthome ». Il ne cessait de parler de l’amour

« La logique et l’amour », c’est le titre de la conférence de Rome .Ce qui l’intéressait dans la logique était ses failles : ses impasses, ses tourbillons…là où s’équivalent la perte et le salut. C’est là qu’on touchait, « à ce que devrait être l’amour si ça avait le moindre sens », comme chez le mystique. « Lacan invitait à s’en passer pour réinventer les jeux de l’amour, une autre logique qui parte de l’impossible » : Le Réel de l’amour ?

« Lacan nous invitait à nous lancer dans l’expérience du transfert, expérience pas si banale puisqu’elle nous conduisait à nous faire partenaire de l’Autre, cet autre dont les failles étaient l’objet de la clinique lacanienne ; »

Peut-être que seules les femmes peuvent nommer l’amour et son ravage. Chez les haïkistes : « il y a de l’amour » et chez Lacan, « on aime une femme. »

Dans le discours de Rome (72, 7 3) Lacan dit qu’il ne pourrait pas dire : « J’aime une femme » il laisse entendre que ce serait de l’ordre de l’impossible, à rapporter à l’impossible du rapport sexuel.

Et pourtant—

Dans ces parages, dit-elle, il arrivait que l’on rencontre ce que Lacan appelait « la vraie amour », qui naît des signes de ce qui, chez chacun, marque la trace de son exil .un possible ?

Apres le discours de Rome, Lacan fait une conférence à Milan : « Excursus » ; Il reprend cette question, qui met en jeu le rapport de l’amour à l’Autre (heteros), pas forcément comme autre sexué, mais comme Autre en tant que se pose la question de sa volonté, de son désir, de sa jouissance. La question est de savoir si l’amour peut s’affranchir du narcissisme.

Lacan aspire à un amour qui inventerait des nœuds avec l’impossible. il disait aussi que l’impossible , c’est la place de la jouissance de l’Autre .C’est l’expérience de l’épiphanie chez Joyce mais aussi bien présente dans les haïkus : mouvement ou expérience de grâce dans l’inter-dit ,comme la saisie subite de l’ inattendu quand le rayon de lumière traverse l’ombre tel que l’a si bien décrite Junichiro Tanizaki dans « éloge de l’ombre « .

C’est une expérience qui crée un trou dans le langage, ouvre le lieu de sa propre absence et le vide d’un innommable, le lieu du sacré.

« nous sentons que le désir de l’Autre est sur nous », écrit Catherine Millot, « l’amour et la poésie, comme l’expérience mystique, font sentir ce qu’est l’âme ».

Elle pose la question de ce point de retournement : L’avenir est aboli, le temps s’arrête, et c’est comme si le désir qui nous poussait en avant, toujours ailleurs s’invaginait dans un mouvement inverse qui consiste à s’offrir aux portes de la vie.

Conclusion.

L’insuccès du signifiant pour dire l’amour, cet amour-là,

c’est le regret de Jacques Lacan, de ne pas être poète, assez.

Et pourtant—

« Nous avons tous bien travaillé, écrit Freud, si nous arrivons au même résultat par des voies différentes ».