Il ne suffisait pas d’aligner des divisions de thérapeutes, lauréats de la "Therapic Academy", appliqués à bombarder de leur imaginaire fantasmagorique l’appétence inépuisable de patients qui n’en demandaient mais.
Quoi de plus "in" dans les salons, après les décennies siliconées de la chirurgie esthétique, que les miracles de la psychogénéalogie pour visualiser les coïts arrière-grand-parentaux. Dépassé, l’homme aux loups, archaïque, rejeté aux oubliettes de l’anecdote psychanalytique, cette "vieille dame qu’il faut laisser s’éteindre de sa belle mort", pour reprendre les termes même d’un conseiller ministériel d’un gouvernement précédent présidant l’ouverture d’un congrès psychiatrique.
Non, vous ne rêvez pas même éveillé, respirez profondément, voilà, vous y étiez.
Des bataillons d’avocats, sont déjà à votre flanc, rugissants sur vos ordres aux attouchements retrouvés d’un père déchu, ou d’un beau-père à abattre… On ne trouve jamais, sous ces tropiques, de mère, ou de belle-mère incestueuse.
Vous en rêviez, la "Therapic Academy" l’a fait !
Il fallait aussi achever de décerveler une profession déjà bien moribonde, on ne se souciait déjà plus depuis lurette de ne pas tirer sur le pianiste, on ne fera guère plus de cas de l’ambulance qui passe.
Pour ce faire, on usera de recettes éprouvées.
Tout d’abord diviser, pour isoler. On s’aidera d’ouvrages spectaculaires, de circonstance, à diffusion massive (on ne conçoit cependant qu’avec difficulté que s’ouvrent un jour des séminaires de lecture du Livre noir, ou de Guérir, et les soldeurs ne se précipiteront sans doute pas pour préempter les invendus). On fera publier dans les journaux du soir des Questions ingénues à la psychanalyse, mêlant sans grâce approximations, accusations mensongères, et amalgames.
Nous avions déjà (première partie) évoqué l’imposition d’un jargon qui n’a d’autre objectif que de ne vouloir rien dire, en dehors de créer un méta-langage d’ordre sectaire, et d’évincer toute subjectivité. On dira d’un alcoolique qu’il est, ou non, "abstème"… On feindra l’haro sur la C.I.M.10 pour tenter d’imposer le "caractérome"…
Avec quelle facilité ce discours ésotérique pénètre le monde soignant…
Ne pas omettre de circonscrire les opposants à l’entreprise. Pour la psychiatrie, le ver est dans le fruit. Passe encore que les jeunes générations ne se passionnent que de neuro-pharmacologie et de comportementalisme.
La lecture d’un argumentaire de Formation Médicale Continue (il ne s’agit plus de formation ayant passé agrément de formation permanente – voir première partie – et pour laquelle l’hôpital-employeur sollicité paye en fonction de son budget de formation, et pas sur le critère de pertinence de la formation demandée, mais de Formation Indemnisée, bientôt obligatoire, et à laquelle tout médecin a droit 8 jours par an) donnait ainsi comme argument d’un de ses séminaires: "La fonction du médecin est d’abord une prestation de service".
Piétiné le transfert, et son incidence subjective, effacée toute référence au serment d’Hippocrate, le rond du symbolique enfin arraché de son nouage borroméen, ne restent plus en lice que tantôt du Réel, tantôt de l’Imaginaire, tantôt et sans doute dans le moins pire, les deux, noués jusqu’à la gorge.
Dans l’argument d’un autre de ses séminaires, le même organisme écrivait très sérieusement que "les médicaments et la psychothérapie n’étaient pas les seuls moyens thérapeutiques existants pour soigner les troubles psychiatriques, mais qu’il en existe d’autres, telles la photothérapie, la stimulation électrique profonde, ou la stimulation magnétique transcranienne (sic), et que le psychiatre doit connaître (re-sic)…
A ce rythme, les salons de médecine douce ne tarderont pas à apparaître comme des musts scientifiques.
Sur un autre bord, en apparence, l’errance du temps se retrouve à la lecture des articles actuels des revues scientifiques. Au hasard (Arch Gen Psychiatry 2004): "Preuve sérologique d’une grippe pré-natale dans l’étiologie de la schizophrénie" ou encore "Dysfonctionnement du cortex pré-frontal ventro-médian et de l’amygdale pendant une étude par tomographie par émission de positon d’une colère induite chez des patients atteints de dépression majeure avec accès de colère", "Adversité dans l’enfance, génotype de la monoamine oxydase A et risque de trouble des conduites (une faible activité de la monoamine oxydase A augmente le risque de trouble des conduites en présence d’un environnement défavorable de l’enfant)", articles jugés suffisamment pertinents pour faire l’objet d’une traduction et d’une publication en français.
A Vincennes, Lacan lançait à ses étudiants (1) : "Ce à quoi vous aspirez, c’est à un Maître. Vous l’aurez."
Tandis que les milices comportementalistes s’apprêtent pour la parade, un psychiatre à la veille de sa retraite hospitalière et dont j’apprécie la sagesse éclairée, me confiait: "Et on a encore rien vu"…
(à suivre)
(1) : Impromptu du 3 décembre 1969, dit "Analyticon".