Le divan de Procuste (Interview Judith Miller)
15 octobre 2007

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ASSOCIATION LACANIENNE INTERNATIONALE
Billets



Il nous paraît intéressant de porter à la connaissance du lecteur français les conceptions du groupe millerien en matière de psychanalyse.

Rappelons que Freud écrivait : "le thérapeute doit se comporter tout aussi ‘hors le temps’ que l’inconscient lui même s’il veut apprendre ou obtenir quoi que ce soit. Et il arrivera à se comporter ainsi s’il est capable de renoncer à une ambition thérapeutique à courte vue", Extrait de l’histoire d’une névrose infantile, in Les Cinq psychanalyses, PUF, 1954.

Quant à Lacan, l’idée que certains pourraient se l’offrir longue, tandis d’autres seraient réduits à l’avoir courte, elle l’aurait sans doute bien fait rire, même venue de sa fille. Mais il est vrai que le gender est passé par là.

Association lacanienne internationale

Divan Express

Interview Judith Miller
Revista O Globo – Rio de Janeiro
Ano 3 n.158 du 5 août 2007

Par Isabela Caban

Deux ans avant sa mort, en 1937, l’inventeur de la psychanalyse, Sigmund Freud, déjà malade et âgé a démontré dans son essai "Analyse finie et infinie" son inquiétude quant à la durée plutôt longue du traitement des maladies mentales. (…)

Dans un XXI siècle qui vit en "accéléré", voilà que surgit un mouvement de l’Association Mondiale de Psychanalyse, d’orientation lacanienne, avec des questions qui ont été semées dans ces textes et qui reprennent de la force de nos jours. Parmi tant d’alternatives de thérapies brèves, des psychanalystes soulèvent le défi de modifier l’idée que la psychanalyse est quelque chose de lent et cher et de montrer que le traitement peut être court et avoir des effets.

En France – berceau de Jacques Lacan, le grand lecteur de Freud – ont été créée il y a quatre ans, des centres de traitement gratuits d’une durée de quatre mois. Une bonne nouvelle pour ceux qui fuyaient le divan à cause de ces raisons : ces centres ont déjà débarqué chez nous, dans des cabinets installés à Rio, Belo Horizonte et Bahia.

Des psychanalystes brésiliens ont démarré les recherches sur ce thème juste après l’ouverture du premier CPTC (Centre Psychanalytique de Consultations et de Traitement) fondé par Jacques-Alain Miller, "diffuseur" et gendre de Lacan à Paris. Concrètement, depuis le début de l’année, quelques professionnels brésiliens reçoivent des patients à partir de cette nouvelle proposition. Ce week-end, la XV Rencontre Internationale et III Rencontre Américaine du Champ Freudien – qui a lieu à Belo Horizonte avec la présence de Judith Miller, fille de Lacan et une sorte de marraine de ces nouveaux centres – discutera les (bons) résultats.

Il s’agit de ne pas laisser la psychanalyse en marge de ce qui se passe dans le monde contemporain. Peut-elle répondre aux urgences de notre époque ? Les premiers mois du traitement sont fondamentaux, car c’est le moment où le patient fait une pause pour penser ses plaintes et voir leurs problèmes accueillis, peut les soulager. Donc, quatre mois peuvent produire un bon effet, dit Heloisa Caldas, directrice de l’Ecole Brésilienne de Psychanalyse à Rio.

Selon les psychanalystes, les urgences les plus fréquentes aujourd’hui sont la dépression, les troubles alimentaires, les enfants hyperactifs et les angoisses causées soit par le chômage soit par l’excès de travail. Voilà le profil de la majorité des patients qui frappent à la porte de ces centres que l’on retrouve aussi en Espagne, en Italie en Belgique et en Argentine.

En France 1,9 mil personnes ont déjà bénéficié de ce traitement gratuit de courte durée dans les neuf cabinets en service. Au Brésil la dernière nouvelle est l’ouverture d’un nouveau centre appelé à-temps il y a un mois dans la capitale du Minas Gerais. A Rio ces espaces prennent un caractère social, avec les centres Digaí Maré (1), à la favela de Maré, et Clac à Botafogo, qui reçoit la communauté du Morro Santa Marta (2) – une façon de répondre aux critiques faites à une psychanalyse taxée d’élitiste. Actuellement deux cents personnes s’allongent sur le divan dans ces deux centres.

  • Le fondement : analyse pour tous. Et la durée peut être prolongé jusqu’à huit mois selon le cas. Malgré sa courte durée, c’est une psychanalyse qui garde ses principes mais en moins de temps. C’est-à-dire, la méthode consiste à faire parler l’analysant interrogeant et traitant toujours les particularités de chacun – précise Elisa Alvarenga, présidente de l’Ecole Brésilienne de Psychanalyse, faisant remarquer les différences de la psychanalyse d’avec les thérapies brèves. Cela serait le début de la fin de la psychanalyse de longue durée ? Pas de tout, assurent les psychanalystes. Les nouveaux centres représentent de la recherche clinique, instrument adoré par la psychanalyse née du travail d’un infatigable chercheur, Freud.
  • Ce travail a pour objectif faire en sorte que les personnes sachent qu’au moment où "ça coince" elles peuvent faire appel à la psychanalyse et donc la valoriser – conclue Heloisa Caldas.

Réflexions psychanalytiques avec la fille de Lacan

Son père est Jacques Lacan et son mari, Jacques Allain Miller, le fondateur des centres psychanalytiques de traitement de courte durée. La française Judith Miller, présidente de la Fondation du Champ Freudien, a grandi et vit jusqu’à aujourd’hui entourée par la psychanalyse. Avant d’embarquer pour le Brésil pour le congrès de ce week-end à Belo Horizonte elle a discuté par e-mail avec la "Revista Globo"

Que pensez-vous de la démarche brésilienne de suivre l’exemple des analystes français lacaniens qui s’occupent des personnes en situation d’urgence avec un traitement de courte durée ?

Judith Miller – Avec la direction du psychanalyste Hugo Freda, le Centre Psychanalytique de Consultation et de Traitement nous donne des preuves de son importance. Nous démontrons que n’importe quel citoyen peut exercer son droit de prendre connaissance de la dimension de son inconscient. Ce faisant, il a la possibilité de se soulager de quelques souffrances et de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouvait coincé. Je ne peux que me réjouir que les collègues brésiliens aient manifesté le désir de mettre en pratique cette idée.

De quelle autre manière la psychanalyse peut-elle aider, vu que peu de personnes peuvent payer un traitement de ce type ?

Judith Miller – Lorsque la psychanalyse s’applique à la thérapeutique, ce n’est pas une orthopédie. Freud l’a toujours dit et aussi Lacan après lui. Appliquée à la thérapeutique, la psychanalyse permet à celui qui s’adresse à un psychanalyste de trouver d’autres solutions différentes de celle constituée par le symptôme dont il souffre. La psychanalyse ne se propose pas à "aider", comme vous dites. Et aujourd’hui, un siècle après la publication de "L’interprétation des rêves", elle est en mesure de faire reconnaître le droit de chacun de s’inscrire dans le lien social particulier.

Croyez-vous que la modernisation du langage freudien opérée par Lacan a permis ce progrès, à savoir que la psychanalyse vienne traiter des nouvelles maladies psychiques telles que la dépression et les troubles alimentaires, qui sont parmi les deux maladies retrouvées le plus fréquemment chez les brésiliens ?

Judith Miller – Jacques Lacan n’a pas "modernisé" le langage freudien. Tout d’abord il a relu Freud et a rétabli le fil conducteur de la discipline inventé par Freud. Détrompez-vous : l’anorexie, la boulimie et la dépression ne sont pas de "nouvelles maladies psychiques" ! Les laboratoires fabriquent des antidépresseurs. Quelques uns d’entre eux voudraient bien nous convaincre des bénéfices de ces drogues pour faire face à ce nouveau mal. Il me semble plus responsable d’être suffisamment formé pour distinguer quelle est la structure d’un sujet déprimé, d’un sujet anorexique ou d’un sujet boulimique et pouvoir alors intervenir en conséquence. Cette structure est souvent une structure psychotique, mais pas toujours. Il est vrai aussi que la psychose est de plus en plus fréquente, mais pas seulement au Brésil.

D’après vous quelles sont les apports les plus importants de l’école lacanienne pour la clinique psychanalytique ?

Judith Miller – Jacques Lacan a donné de l’ampleur à la clinique des psychoses. Depuis sa thèse en psychiatrie, en 1932, il n’a jamais reculé devant cette clinique. Tout son enseignement a pour visée de cerner cette clinique et d’en tirer les leçons. Ceux qui suivent son enseignement restent sur cette voie aussi indispensable que passionnante et décisive.

Gisèle Gonin
Commission de communication et presse de la III ème Rencontre Américaine

Notes

(1) Digai : formule argotique pour inviter à dire, façon aussi de demander "comment ça va?"

(2) Morro qui abrite une autre favela importante de Rio.