Je vais essayer de vous parler de l’Autre, de l’Autre comme lieu. Ce que
j’aimerais faire passer ce soir, c’est justement que l’Autre n’est pas un lieu
dans le sens habituel.
Par rapport à la deuxième topique de Freud, le terme de grand
Autre chez Lacan vient en quelque sorte bouleverser ou reformuler ce que Freud
lui-même a révolutionné dans son oeuvre c’est-à-dire
cette deuxième topique. Au début donc Freud parlait d’inconscient,
de conscient, de préconscient, de Moi, et dans cette deuxième
topique il a amené ces termes de « ça », de « moi », de « surmoi » comme
pour injecter une sorte de théâtre dans ce qui se présentait
peut-être jusqu’alors comme quelque chose d’objectif ou de quasiment scientifique.
Avec l’Autre de Lacan, qu’est ce que ça change ? Qu’est-ce que
ça apporte ? Lacan, vous le savez, définit d’abord l’Autre comme
lieu du code, sa façon de nous introduire à l’Autre a été
de recentrer la problématique au niveau du langage, et il a employé
ce terme de lieu du code, sans doute en référence à Jakobson
et à son texte sur les embrayeurs, les shifters où Jakobson oppose
code et message. Donc vous retrouvez une trace de cette opposition dans les
premières formulations du graphe lacanien : lieu du code. Lieu du code,
ça suppose donc un système qui ressemble à une nomenclature,
c’est-à-dire des signifiants avec leurs significations, qui pourraient
s’imager comme par exemple un dictionnaire voire des règles du jeu, comme
ça… Enfin, quelque chose qui se donne comme une nomenclature, comme
un étiquetage. Et très vite, Lacan a remplacé ce terme
de lieu du code par celui de trésor des signifiants.
Alors qu’est-ce que ça change, que ce soit un trésor des
signifiants plutôt que le lieu du code ? Eh bien… cela tient compte
du vif de la découverte saussurienne, en un sens. C’est-à-dire
ce qui fait l’apport de Saussure et que Lacan a utilisé et souligné,
c’est ce que vous trouvez dans cette phrase de Saussure que je vais vous citer
: « C’est une grande illusion « , dit Saussure, « de considérer un terme
simplement comme l’union d’un certain son et d’un certain concept. Le définir
ainsi, ce serait l’isoler du système dont il fait partie. Ce serait croire
qu’on peut commencer par les termes et construire le système en en faisant
la somme. Alors qu’au contraire c’est d’un tout solidaire qu’il faut partir
pour obtenir par analyse les éléments qu’il renferme. » C’est-à-dire
que plutôt que de partir, donc, en isolant le signifiant avec son signifié,
et considérer que le lieu du code c’est ça, cet ensemble de signifiants
accolés à leur signifié, pour Saussure, c’est du tout qu’il
faut partir ; ce qu’il entend par « tout » c’est le réseau… c’est
le réseau des différences, puisque signifiant et concept sont
purement différentiels, c’est quelque chose sur quoi Saussure va sans
cesse revenir : avec les signifiants nous n’avons pas affaire à des objets
de la réalité au sens ordinaire, mais à des éléments
différentiels, c’est-à-dire pour de Saussure complexes, négatifs…
Ce qui caractérise ces éléments ce n’est pas comme
on pourrait le croire, dit Saussure, leur qualité propre et positive,
mais simplement le fait qu’ils ne se confondent pas entre eux. Donc, même
les phonèmes qui se donnent comme des éléments atomiques
a priori tout à fait positifs, même les phonèmes sont des
entités avant tout des entités oppositives, relatives et négatives.
C’est-à-dire que dans ce réseau, ce tout, dit Saussure, il n’y
a que des différences sans terme positif. Et déjà cette
présentation donne une première idée du grand Autre, du
grand Autre lacanien c’est-à-dire un réseau de relation, mais
de relations entre des choses tout à fait bizarres, puisque ces choses
ne se comportent pas comme les choses… Ce sont des éléments
différentiels, ce qui les caractérise, c’est la différence,
et c’est quelque chose que vous pouvez trouver tout au long de l’oeuvre
de Lacan, la définition du signifiant comme différence.
Ceci posé, Lacan fait intervenir l’Autre, dans les premiers séminaires
au niveau de la parole et il nous a montré comment ce concept d’Autre,
de grand Autre était quelque chose de tout à fait éclairant
quant au fonctionnement du discours. Et qu’il permettait d’établir certaines
strates dans ce discours puisque, suivant le circuit de ce discours, il y avait
ou non passage par ce grand Autre. Ce grand Autre se profile –ou pas –
derrière une parole. Bon, c’est tout ce développement autour de
la parole fondatrice, ce que Lacan appelle la parole pleine, la parole fondatrice.
Qu’est-ce que c’est que cette parole fondatrice ? C’est une parole qui
est structurée grammaticalement comme un message venant de l’Autre, comme
un message venant de l’Autre, nous dit Lacan, sous une forme inversée.
Alors ça paraît un peu mystérieux, cette parole fondatrice.
On a voulu y voir par la suite quelque chose qui ressemble à ces actes
de langage qu’Austin a étudiés, c’est-à-dire des paroles
qui font un acte. Les choses vont plus loin, sont un peu plus fortes dans la
mesure où cette parole est structurée comme venant du grand Autre
sous cette forme inversée. Exemples de cette parole, que vous connaissez
déjà : « tu es mon maître » ou « tu es ma femme ». Lacan nous
dit quand vous proférez cette parole « tu es mon maître », « tu es
ma femme » à l’adresse d’un autre, ou d’une autre. Lorsque Lacan emploie
ici le terme d’un autre ou d’une autre, c’est un petit autre un semblable –
eh bien, dit Lacan, ça veut dire exactement le contraire. Ça passe
par le grand Autre, puis par le moi et ça vient ensuite au sujet que
ça intronise tout d’un coup dans la position périlleuse et problématique
d’époux, de disciple. Alors qu’est-ce que ça veut dire « ça
veut dire exactement le contraire » ? Est-ce que ça signifie, lorsque
vous dites « tu es mon maître » « tu es ma femme » faut-il en entendre le
sens contraire ? Bien sûr que non. Pour l’obsessionnel, l’inverse en question,
c’est une négation qui viendrait comme ça démentir cette
parole. L’inverse dont il est question ici c’est tout autre chose, le sujet
s’adresse donc à un petit autre, son semblable, mais sa parole vise autre
chose derrière ce semblable, elle vise justement le grand Autre, avec
un grand A, inconnu, donc, que le sujet place, reconnaît dans une position
absolue, dans une position absolue de garantir ce qu’il engage par cette parole.
Donc il y a, doublant cette parole pleine, un message venant ou qui revient
de l’Autre, du grand Autre, et qui le situe comme époux, comme élève.
Qu’est ce qu’elle engage, cette parole pleine ? Qu’est-ce qu’elle engage
? On pourrait dire : « Elle engage le sujet »… Mais en fait, plus que
le sujet, c’est l’Autre lui-même qui est engagé par cette parole.
C’est l’Autre lui-même qui est engagé, alors que le sujet par cette
parole profère un ordre de meurtre contre lui-même. Pourquoi un
ordre de meurtre contre lui-même ? Eh bien parce que dans toute parole,
dans toute parole qui engage, cet ordre contre soi-même est présent.
Alors c’est tout à fait illustré par la structure de cette phrase
en français : « TU es ma femme TU es mon maître « . Il ne s’agit
pas du tout de quelque chose d’agressif à l’égard du petit autre
qui est là en face, mais il s’agit d’un ordre de meurtre à l’égard
du sujet lui-même, de celui qui profère cette parole, puisqu’il
s’anéantit comme sujet dans la parole qu’il profère.
Vous voyez ce paradoxe pour le sujet de n’exister que par ce qu’il vient
émettre là, cette énonciation, mais d’aussitôt s’éclipser,
aussitôt, donc, mourir sous le poids pourrait-on dire du signifiant qu’il
vient de proférer et qui en fait lui vient de l’Autre, du grand Autre…
Comme tout signifiant, puisqu’on vient de dire que c’est le lieu des signifiants,
le trésor des signifiants ; c’est-à-dire chaque fois que vous
parlez, et d’autant plus si cette parole est pleine, si elle a du poids, eh
bien, d’autant plus les signifiants qui viennent de l’Autre, que vous empruntez
en quelque sorte, viennent à la fois vous faire exister comme sujet et
vous anéantir aussitôt proférés. Alors l’Autre comme
vous le voyez est là tout à fait actif, présent dans ce
que Lacan appelait la parole pleine.
Il n’est pas moins présent dans la parole trompeuse. Donc, autre
exemple célèbre de Freud, repris par Lacan, l’histoire des deux
juifs qui se rencontrent. L’un dit à l’autre : « Où vas tu ? » « Je
vais à Cracovie ». « Et pourquoi me dis-tu que tu vas à Cracovie
puisque tu y vas vraiment, tu me le dis pour me faire croire que tu vas à
Lemberg, alors pourquoi mens-tu ? ». Là aussi, le sujet s’adresse à
l’Autre comme absolu. C’est-à-dire, comme on vient de le dire, un Autre
qui peut l’annuler lui-même. Et comme il peut l’annuler lui-même,
de la même façon il peut agir avec lui en se faisant objet pour
le tromper, c’est-à-dire quand le sujet s’adresse à l’autre. « Je
vais à Cracovie ». De quoi peut-on l’accuser ? C’est strictement la vérité,
la vérité factuelle, comme au guichet de la gare : « Je vais à
Cracovie donnez moi un billet pour Cracovie ». Qu’est-ce qu’il va chercher ?
Et là, le message qui lui revient de l’Autre, il lui revient de l’Autre
par la bouche de son collègue, message qui lui revient de l’Autre sous
une forme inversée et qui est celui-ci : « pourquoi me dis-tu que vas
à Cracovie, puisque tu y vas vraiment ? Tu me le dis pour me faire croire
que tu vas à Lemberg » donc c’est ce message qui revient de l’Autre auquel
le sujet s’adressait de façon trompeuse en se faisant objet n’est-ce
pas justement pour le tromper. Alors ça c’est quelque chose qui est très
présent dans les discours actuels, se faire objet pour tromper l’autre.
Par exemple, le discours scientifique… Le discours scientifique, justement,
c’est ce qu’il recherche : une formulation qui dit strictement ce qu’elle a
à dire, strictement la vérité : « je vais à Cracovie »,
c’est une vérité scientifique. Ouais, c’est comme ça…
Si bien qu’il n’y a aucune division du sujet, aucun Autre à chercher
derrière cette parole… c’est comme ça et c’est pas autrement
et si… vous dites le contraire eh bien vous êtes en dehors de la
science…
Donc, première intervention du grand Autre au niveau de la parole
pleine, de la parole trompeuse et une première formulation lacanienne
ici, peut-être en discutera-t-on tout à l’heure : « L’inconscient
c’est le discours de l’Autre. » Alors vous voyez comment déjà là…
Freud avait opéré un petit décentrage entre le ça
et l’inconscient… (c’est ce qu’il fait dans la deuxième topique).
Là, Lacan va tordre les choses différemment en disant : « l’inconscient,
c’est le discours de l’Autre ». L’Autre défini comme un lieu. C’est quoi
alors, le discours de l’Autre, comment va-t-on l’entendre, le discours de l’Autre
? Est-ce l’Autre qui se met à parler ? Est-ce le discours qui provient
du grand Autre ? Est ce le discours qui porte sur l’Autre ? Est-ce le discours
qui est attribué à l’Autre ? Les petits exemples qu’on vient d’évoquer
vous montrent comment l’entendre, ce discours, cet inconscient comme discours
de l’Autre, ce qui revient sous cette forme inversée dans la parole.
Lacan nous illustre ça avec son fameux schéma L.. où on
voit le circuit de cette parole qui prend son origine donc dans le grand Autre,
mais qui vise le sujet et passe par le sujet à travers le gril imaginaire
du petit autre et du moi, pour parvenir à ce sujet sous une forme de
pointillés et non pas d’un discours continu… De quelque chose de
haché, de ponctuel. Donc voilà une première approche de
cet inconscient comme discours de l’Autre c’est quelque chose qui est adressé
au sujet sous une forme inversée et sous la forme de pointillés.
Et c’est effectivement ce que la clinique analytique constate : le surgissement
de l’inconscient dans ce qui vient achopper, dans ce qui vient boiter. Dans
ce qui vient faire lapsus, dans ce qui vient faire accroc.
Donc autour de cette première mise en place que devient l’Autre
dans la psychose ? On a vu l’Autre dans la parole pleine et dans la parole trompeuse,
qu’en est-il de l’Autre dans la psychose ? Autre exemple célébrissime,
cette femme donc interrogée par Lacan, qui rapporte une hallucination
et qui décrit cette hallucination de la façon suivante : elle
a rencontré l’ami de sa voisine dans les escaliers, et elle entend :
« Truie ! ». Lacan lui demande ce qui s’est passé juste avant, et elle
reconnaît s’être dit la phrase suivante : « je viens de chez le charcutier
! ». « Je viens de chez le charcutier ! » points de suspension, et c’est « Truie »
qui lui revient. Alors ça c’est un exemple tout à fait important
donc du circuit de la parole dans la psychose c’est-à-dire dans des circonstances
où le grand Autre qu’on essaye de mettre en place là peu à
peu… le grand Autre justement est exclu… il n’est pas là, il n’est
pas dans le circuit, il est porté comme ça.. à l’infini.
Pourquoi ? Dans le cas de cette patiente, c’est ce qu’on appelle un délire
à deux, c’est une femme qui se trouvait vivre avec sa mère, après
avoir échappé, à un mari… un horrible tyran, qui voulait
la découper en rondelles, donc elle s’est réfugiée avec
sa mère. Sa mère et elle se trouvaient donc persécutées
par une voisine… comme c’est souvent le cas dans ce type de délire.
La relation entre ces deux femmes est une relation duelle, refermée sur
elle-même, et le message dans ce cas-là ne revient pas de l’Autre
sous une forme inversée mais circule de façon directe entre les
petits autres… C’est une situation tout à fait curieuse et tout à
fait spéciale de la parole où justement les petits autres en question
ne sont pas doublés par le grand Autre, si bien qu’on ne peut plus parler
au sens strict de semblable, n’est-ce pas, là on n’a plus affaire à
des semblables. Pourquoi on n’a plus affaire à des semblables ? parce
que… le grand Autre n’est pas là derrière, il est exclu.
Du coup la parole ne circule plus de la même façon, elle circule
plus en venant du grand Autre sous une forme inversée, mais il circule
entre non pas des semblables, mais pourrait-on dire des images, des images en
miroir qui viennent se renvoyer sous une forme directe une parole ravalée
au niveau de l’injure…
C’était la première mise en place, l’Autre, comme lieu du
code ? Non, pas vraiment un lieu, une sorte de réseau un ensemble je
viens d’employer le mot « ensemble » qui de plus en plus, ce terme provient des
mathématiques, va être utilisé par Lacan. L’Autre comme
ensemble sans doute des signifiants, avec quand même cette idée
de synchronie, permet à Lacan de dessiner son graphe qui est une mise
en place topologique d’un circuit de la parole ; j’emploie beaucoup de termes
mathématiques : ensemble, topologie… donc, déjà vous
avez senti que le lieu en question n’était pas un lieu au sens géométrique,
il s’agissait plutôt d’un ensemble d’un réseau, avec un réseau
de signifiants, de choses qui ne se comportent comme des choses de la réalité,
des choses un peu bizarres, curieuses, une pure différence, des choses
purement négatives. Le graphe, lui est défini par un certain nombre
de places, c’est-à-dire, ce qui compte c’est la succession des places
et le voisinage d’une place par rapport à l’autre où entrent telle
et telle place, il y a une autre place etc… c’est ce type de relation,
donc il n’est pas question là encore de géométrie au sens
habituel, d’espace au sens de la géométrie, mais d’une topologie.
Alors, dans ce graphe soulignons quelques points par rapport au grand Autre…
On retrouve dans ce graphe ce dont on vient de parler, c’est-à-dire le
message qui revient de l’Autre sous une forme inversée, qui vient en
quelque sorte doubler la ligne de la chaîne signifiante… Vous avez
là cette ligne du dessous c’est la chaîne signifiante, la ligne
du dessus qui est en quelque sorte parallèle, c’est la chaîne signifiante,
mais dans l’inconscient et aux carrefours il y a un certain nombre de signes
qui sont donc de l’algèbre lacanienne qu’on appelle des mathèmes.
Vous avez le grand A qui est le lieu de l’Autre, le petit s(A) qui est la ponctuation
de la chaîne signifiante, puisque du fait de sa rétroactivité
le message de la chaîne signifiante en quelque sorte est délivré
après la ponctuation, en sens inverse. En haut, donc apparaît le
S barré poinçon grand D () ce sont les pulsions, ce qui correspond
au niveau inconscient à ce réseau de signifiants, ce sont les
pulsions. Enfin un dernier signe qui va se révéler très
très important c’est le S de grand A barré, ,
c’est-à-dire le signifiant du manque de l’Autre de l’Autre.
Expliquons ce signifiant du manque de l’Autre de l’Autre. On vient de
dire que dans la parole, et d’autant plus si cette parole a du poids, si c’est
une parole pleine, ou dans la parole trompeuse, l’Autre intervient. L’Autre
intervient comme un.. absolu. C’est-à-dire en quelque sorte, les signifiants
que j’emploie, à travers lesquels je parle et qui m’anéantissent
tout aussi bien, renvoient donc dans un réseau à d’autres signifiants.
C’est la fameuse formule de Lacan « le signifiant représente un sujet
pour un autre signifiant ». Alors vous voyez ce mouvement de renvoi d’un signifiant
à l’autre. Donc, s’il y a comme ça des chaînes signifiantes
où chaque signifiant renvoie à un autre, existe-t-il un signifiant
ultime, absolu, auquel renverraient tous les autres ? Si vous acceptez cette
idée de la présence du grand Autre derrière toute parole,
est-ce que cela implique l’existence d’un signifiant ultime auquel renverrait
tout signifiant, qui représente le sujet.. pour un autre ? Or, nous dit
Lacan, il n’en est rien.. il n’y a pas de signifiant comme ça, ultime
auquel renverrait chaque signifiant. Et le S de grand A barré vient écrire
cela simplement… C’est-à-dire que… ce signifiant auquel renverraient
tous les autres n’existe pas. Il n’y a pas de grand Autre de l’Autre. Derrière
le grand Autre, il n’y a aucun grand Autre… Alors, vous me direz, mais alors..
et le phallus ! Eh bien, le phallus, justement, vient solutionner le problème
que pose ce trou dans le grand Autre, parce que ça fait trou. Alors,
c’est extraordinaire, parce que c’est un trou qui est un trou entièrement
négatif, puisque l’ensemble des signifiants est complet et qu’il n’y
en a pas auquel renverrait tout signifiant. Donc, comme l’ensemble des signifiants
est complet, qu’est-ce que ce trou ? C’est justement un trou qui se marque d’un
« moins un » pourrait-on dire. C’est un manque… Et ce trou, ce trou en question
coïncide avec celui creusé par la demande et par le désir.
C’est comme ça si vous voulez que ce réseau s’anime et se met
à fonctionner. Toute parole vient de l’Autre toute demande finalement,
quand le bébé commence à articuler quelques sons, il emprunte
des signifiants qui viennent de l’Autre, en articulant sa demande et en répétant
cette demande, qui, étant donc d’emblée du symbolique rate forcément
l’objet, puisque il y a l’impossibilité totale d’adéquation entre
le symbolique dans lequel cette demande est articulée et le réel
qui est visé ; cette demande dans sa répétition vient creuser
dans l’Autre, qui est incarné par un grand Autre réel qui est
la mère, vient creuser ce trou, et, comme on vient de dire que de l’Autre
revient au sujet le message sous forme inversée, forcément cette
demande articulée correspond en sens inverse pourrait-on dire à
une demande du grand Autre et un désir énigmatiques.
C’est le fameux jeu entre : » Che voï ? » » Que me veux-tu ? « , qui
est la demande de l’Autre qui se transforme pour le sujet en « que me veut-il
? » il suffit d’articuler les premiers signifiants venant de l’Autre pour mettre
en route ce système de places, de positions… pour faire face à
ça, à une demande et un désir énigmatiques chez
le grand Autre. Eh bien, le phallus, enfin vous voyez comment dans cette structure
de trou… que le sujet va se vouer à combler en se faisant objet.. en
se faisant objet du grand Autre, c’est une structure que le phallus vient en
quelque sorte stabiliser, puisque c’est un signifiant qui est élu, et
qui est refoulé dans le procès de la castration pour venir en
quelque sorte faire frontière au niveau de ce trou… Et voilà
où nous sommes arrivés.. ce grand Autre, réseau de signifiants,
la façon dont ça s’articule avec la demande et le désir
et la situation pourrait-on dire.. catastrophique qui peut en résulter
dans la mesure où le sujet est voué à sombrer dans la grande
gueule de l’Autre, et la castration qui vient établir une frontière..
Alors dans la mesure où le phallus est installé, où il
y a cette mise en place, cela introduit une hétérogénéité
dans le champ du symbolique.. puisque ce champ du symbolique va être en
quelque sorte découpé par cette castration en un lieu phallique,
donc régi par la castration et un lieu Autre ; vous voyez comme ces choses
peuvent s’imager : d’un côté vous avez un lieu bien enserré
comme ça dans une frontière qui est – et cette frontière
c’est le phallus – un tout ; c’est l’espace de la jouissance phallique et de
l’autre côté un espace Autre, le lieu de l’Autre, le champ de l’Autre….
Vous voyez qu’ils ne sont pas indépendants puisque cette coupure de la
castration vient border les deux champs, bien sûr, mais ces deux champs
fonctionnent de façon tout à fait différente puisque l’un
est enserré dans une frontière bien close, et l’autre est ouvert,
et du côté de l’Autre vous voyez qu’on a toujours affaire au trou
dont il était question tout à l’heure.. parce que le trou, le
S de A barré est toujours là.. C’est cette disposition, qui est
au principe du séminaire « Encore » où donc … Lacan parle de la
topologie de ces espaces, ces espaces différents, comme d’un espace fermé
à côte d’un espace ouvert.
Pour l’illustrer c’est l’histoire d’Achille et de la tortue. Achille poursuit
la tortue qui a pris une certaine avance et on considère ce qui se passe
lorsque Achille en courant est arrivé où la tortue se trouvait
précédemment, donc la tortue est là, Achille est là,
Achille court se retrouve au point où la tortue se trouvait tout à
l’heure et pendant ce temps là, la tortue a avancé. Elle se trouve
ailleurs. Une petite avancée. Si l’on peut faire ce raisonnement comme
ça Achille va courir de nouveau va se retrouver au point où la
tortue se trouvait précédemment, mais la tortue a avancé
etc … Donc ce raisonnement nous montre que bien sûr Achille ne rejoindra
jamais la tortue et nous montre aussi les deux espaces en question vous avez
ces espaces fermés donc de jouissance phallique illustrée par
la course d’Achille et les avancées de la tortue qui représentent
ces espaces ouverts…
Alors ça nous introduit donc de plus en plus à la topologie
de ce grand Autre… Lacan grâce à quelques emprunts à la
théorie des ensembles, et aux élaborations des topologues, a essayé
de préciser la topologie de cet espace. Par exemple, le paradoxe dont
je parlais tout à l’heure : il n’y a pas d’Autre de l’Autre. Il utilisait
le paradoxe de Russell pour en rendre compte c’est-à-dire en rapprochant
ce n’est pas le cas ici mais, je l’ai fait à d’autre occasion, on peut
prendre tous tous les paradoxes qu’utilise Russell dans son texte, y en a une
dizaine, tous ces paradoxes relèvent d’un mécanisme signifiant.
Là il s’agit des ensembles qui ne se comprennent pas eux-mêmes
donc Lacan rapproche ces histoires des ensembles qui ne se comprennent pas eux-mêmes
(là, Russell dit est-ce qu’il existe un ensemble de tous les ensembles
qui ne se comprennent pas eux-mêmes?) C’est un paradoxe. Imaginons un
ensemble de tous les ensembles qui ne se comprennent pas eux-mêmes, où
allez-vous le mettre? Est-ce que vous allez le mettre dans cet ensemble de tous
les ensembles qui ne se comprennent pas eux-mêmes ? Si vous l’y mettez,
il fait trou, si vous ne l’y mettez pas il n’est pas complet. Donc vous avez
un paradoxe. Donc, Lacan rapproche ce paradoxe de Russell de la propriété
du signifiant, qui ne se signifie pas lui-même en quelque sorte, et qui
renvoie à un autre signifiant (le sujet représenté par
un signifiant pour un autre…) ce qui lui permet ce rapprochement avec
la topologie. Et alors existe-t-il une topologie du grand Autre? Finalement
Lacan a répondu par la négative : il n’existe pas qu’une seule
topologie du grand Autre. Finalement toutes les surfaces topologiques qu’il
a utilisées peuvent être autant de possibilités de réalisation
de cette topologie du grand Autre, ça peut être un tore, ça
peut être un cross-cap, ça peut être une bouteille de Klein
et chaque topologie a ses conséquences cliniques… Bon je vais peut-être
arrêter là pour cette mise en place, pour discuter un petit peu.
(L’enregistrement de la discussion est défectueux ; nous ne le reproduisons
pas)