Nous avons vu que les lettres, dans l’inconscient, servent à la nomination, elles honorent le Nom du Père. Cependant elles peuvent aussi dans un processus inverse servir à le combattre et à le détruire. Mais dans les deux cas la montée en puissance de la lettre est dépendante de l’abandon progressif de l’image. Freud, avec le cas du petit Hans, a certainement été très intéressé par les manifestations inconscientes du Nom du Père de son petit patient, mais le souci de son anonymat ne lui a pas permis d’en parler. Cent ans plus tard, nous savons les patronymes des patients des cinq psychanalyses dont Freud a utilisé les cas cliniques pour sa démonstration des différentes structures fondamentales. Nous savons que le petit Hans, enfant de 5 ans s’appelait Herbert Graf. Or l’animal que Hans demande à son père de lui dessiner est précisément une girafe. La girafe est l’animal au long cou particulièrement phallique et à la bouche vorace, susceptible de représenter le personnage maternel qui venait en concurrence directe avec le père porteur du nom. En allemand, la girafe s’écrit « giraffe », avec deux « f ». « Giraffe », « Graf », à une lettre près sont homonymes. Que se passait-il pour Hans dont la phobie éclate au cours de l’observation ? Je fais un résumé rapide pour ceux qui ne connaissent pas cette superbe observation clinique. Ce petit garçon, entre 4 et 5 ans, va développer une phobie, la phobie des chevaux, à une époque où des chevaux il y en avait à chaque coin de rue à Vienne. Et cette peur le gênait tant, qu’il avait fini par renoncer à sortir de chez lui. C’est le père de Hans, élève de Freud, très attentif au développement de son fils, qui rapportait à Freud le développement de la maladie, et c’est le professeur Freud qui prodiguait ses conseils pour le sortir de ce mauvais pas. Hans savait que papa allait parler de lui au professeur et il l’avait même rencontré une fois. La maman de Hans avait fait une analyse avec Freud et était, elle aussi, l’émule assez indocile du professeur. Un cheval en allemand se dit « Pferd » et il n’était pas difficile de trouver une assonance entre le « Pferd » et le « Pr Freud », dont le rôle était si central dans cette famille. La mère de Hans était une hystérique comme Sigmund Freud en a rencontré beaucoup à Vienne en essayant de les faire renoncer à leurs symptômes. Et le symptôme d’une hystérique, que ce soit à Vienne ou ailleurs, il y a cent ans ou maintenant, consiste essentiellement à chercher un maître sur lequel elle puisse régner. Les conseils de Freud auprès du père de Hans, étaient de faire preuve de quelque autorité, d’obtenir de sa femme qu’elle renonce à la présence de Hans dans son lit mais également à se montrer à lui dans des tenues trop séductrices. Selon les critères de l’époque, une culotte bouffante de cycliste, une chemise de nuit très courte, étaient le comble de la modernité et de l’audace. La mère de Hans n’avait rien à faire des tentatives du père à mettre quelques limites entre Hans et elle. Le père tardait à lui fournir quelques éléments d’information sur le rôle paternel dans la procréation. C’est dans ce contexte qu’était née la phobie de Hans pour le Pferd ; c’est-à-dire par transfert interposé, la phobie d’un animal susceptible à lui tout seul de représenter l’Autre maternel, l’Autre paternel et le Pr Freud parlant de loin comme un oracle, et enfin, en arrière plan, la scène sexuelle énigmatique.
L’animal concentrait toutes les contradictions d’un personnage qui représente à la fois l’autorité pour un enfant à l’âge où les déterminations symboliques sont très lourdes de conséquences pour son avenir. Il faisait écran à ce fameux savoir sexuel, toujours pour lui aussi énigmatique. Nous voyons comment Hans, avant même l’apprentissage de la lecture, voit concentrer dans les noms des animaux de son bestiaire la « giraffe » en écho au patronyme et le « Pferd » en écho avec l’appellation respectueuse de ses parents pour le Pr Freud, un jeu de lettres tout à fait étonnant.
La lettre dans l’inconscient est à l’œuvre et Hans sera dégagé de sa phobie quand des théories sexuelles nouvelles lui permettront de substituer à l’animal phobique un père rassurant. Chose étonnante, il va définir le père comme un plombier, un réparateur. Pourquoi un plombier ? Un plombier est pour lui capable de visser les robinets comme il faut, et un père peut confirmer son fils dans son identité de petit mâle. Autrement dit un père assume sa fonction paternelle quand il assure son enfant dans la réalité de son sexe et lui permet d’espérer pour l’avenir de pouvoir occuper à son tour la fonction génitale et paternelle. Hans n’a pas encore renoncé à la figuration. Si le plombier s’est substitué à l’image phobogène du cheval et de la girafe, la fonction paternelle qui fait l’objet de ses préoccupations a trouvé son ancrage dans le patronyme et dans celui de Freud qui a présidé de loin à la psychanalyse de Hans. La lettre comme les outils du plombier ont fixé les articulations signifiantes de la paternité. Mais pour que cet acquis symbolique puisse être mis en place, il est une opération essentielle qui est la marque de tout progrès dans le développement psychique d’un enfant. C’est l’opération symbolique que Freud a appelé castration.
Qu’est-ce que la castration ? D’où vient le goût de l’écriture ? =>