L’acte psychanalytique : retour sur la scène du crime
31 janvier 2024

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Nathanaël MAJSTER
Notes de lecture
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L’étrange quatrième de couverture donnée par Jacques-Alain Miller à l’édition annoncée de l’Acte psychanalytique mérite sans doute un effort d’éclaircissement à destination des plus jeunes, venu d’un plus ancien qui eut l’occasion de découvrir de façon indirecte mais précoce ce qu’avaient été justement les démêlés de l’intéressé avec le transfert et la fin de la cure. Non pour en raconter l’histoire car ce n’est pas le lieu – et bien que l’on sache qu’elle fut celle des coups de force, de la brigue et de l’intrigue que la génération d’enfants abandonnés et désœuvrés dont est issu Jam avait importé au titre de revanche toujours à prendre sur l’histoire d’après 1945 dans les organisations militantes de gauche. Peut-être cette histoire – ce que fut et comment se termina l’Ecole Freudienne de Paris – sera-t-elle écrite, pour témoigner des raisons pour lesquelles Lacan est en si grande déshérence culturelle aujourd’hui – notons qu’il faut attendre février 2024 pour plus de quarante ans après sa mort avoir l’édition de ce Séminaire.

En revanche il convient d’attirer l’attention du lecteur sur la façon dont est présentée le Séminaire qui fut contemporain des évènements de 68 que Lacan pensait avoir lui-même déclenché par son enseignement, auquel assistaient les leaders du mouvement étudiant – le pavé comme retour dans le réel de son objet a – avant qu’il comprenne qu’il n’y avait, comme les ruses de la raison le réservent, que promotion des nouveaux maîtres de la société de consommation. Il leur réservera sa réponse quelques années plus tard avec l’écriture du Discours Capitaliste qui inverse la partie gauche du Discours du Maître, le signifiant-maître disparaissant de la scène – mais gagnant la place de la vérité en bas à gauche – au profit du Sujet enfin incarné, insatisfait mais talentueux et toujours en quête de reconnaissance et de validation qui occupait désormais la place de l’agent en haut à gauche. Ce Discours laissait en place de production, en bas à droite, le même objet a que dans le Discours du Maître, faisant du capitalisme une variante du précédent, le sujet agissant et servant – car Lacan appelle la place en haut à gauche la place de l’agent et non pas celle du Maître pour signifier qu’il est lui-même agi tout en faisant agir – une machine de production des objets qui se substituaient à l’objet perdu.

Fermons cette parenthèse et reprenons le texte de Jam : « A son commencement (de l’analyse) il y a le désir inédit… », venant ainsi substituer ce terme : « inédit » à celui de « refoulé », terme freudien qui seul donne son sens au franchissement que les expressions de l’inconscient opèrent pour venir faire entendre ce désir qu’il ne faut pas – lapsus ou rêve. « L’inédit » mon cher Jam, ce sont les cartons d’archives de Lacan jamais ouverts par vous depuis plus de 40 ans, et non pas les expressions de l’inconscient qui insistent sans relâche.

Suit ceci : « L’acte psychanalytique c’est l’analyste qui l’accomplit, ouvrant à l’analysant ce champ du ‘sujet supposé savoir’ où se déchiffre l’inconscient ». Je ne sais pas quel « champ » s’ouvre sur le divan mais s’il y en a un ce n’est pas celui du « sujet supposé savoir » mais celui du grand Autre, terme essentiel pas évoqué ici, et qui permet non pas un « déchiffrement » mais un acte de bien plus grande ampleur : identifier la séquence signifiante mise en place dans l’Autre qui guide l’analysant vers sa jouissance en ne lui laissant ni choix ni liberté. Ce que Lacan appelait le Savoir.

Mais l’essentiel vient après ces approximations éditoriales : « Au terme le s.s.s s’évanouit, tandis que l’analyste son support évacué comme le déchet de l’opération, tel Œdipe finissant sa vie les yeux crevés ».

Il convient ici de reconnaître les origines intellectuelles de l’accident de parcours assez dramatique survenu au sein du mouvement lacanien et bien résumé par cette phrase à condition de chausser les bonnes lunettes. Si en effet au terme de la cure le patient éprouve que son propos évacue progressivement l’analyste – qui est bien le reste de l’opération – et est capable d’un dialogue intérieur, purifié de cet appel à un tiers supposé savoir, avec les instances directives qui ordonnent sa vie, en revanche il convient de lire l’interprétation qu’en donne Jam comme une exécution de ce « support évacué » de celui est devenu « un déchet » pour son patient. Cette exécution peut devenir mise à mort symbolique ou même réelle de son analyste, son évacuation de la scène de l’association d’analystes où il officie comme maître par exemple, le dénigrement de sa personne et de son entourage, bref l’évacuation de celui dont il s’agit de prendre la place en le supprimant. Voici l’interprétation donnée par Jam à la « fin de cure » et qui entraînait Lacan dans son sillage puisque comme le souligne la phrase commentée, elle ne vise pas seulement l’analyste mais le Sujet Supposé savoir lui-même qui « s’évanouit ». Lacan était bien à l’ECF le Sujet supposé Savoir qui se tenait derrière chaque analyste de l’Ecole.

Il reste deux phrases également pénibles à commenter dans ce très court texte.

La première donne la figure de Œdipe à l’analyste : « tel Œdipe finissant sa vie les yeux crevés », ce qui renvoie à la fin de vie de son analyste et à la blessure physique qui lui est souhaitée – fantasme étrange mais sadique d’un analysant – mais qui n’a aucun sens théorique.

La seconde confirme notre interprétation : « L’analysant devenu analyste prend le relais », soulignant ainsi qu’ils ne pouvaient co-exister, l’un devant succéder à l’autre, mort. Ce n’est pas remarque rhétorique de ma part : certains sont bien morts à l’ECF, d’autres ont dû choisir entre « tuer ou être tué », avant la séquence « tuer pour ne pas être tué » précédant le « tuer avant d’être tué », cette dernière figure étant célèbre chez les cadres rouges. Notre maître a pu, grâce à trois copains, Bergès, Czermak, Dorgeuille sortir de cette guerre et fonder notre association dans laquelle le rapport au transfert n’est pas celui-ci.

Reste une question : cette modalité d’interprétation est-elle profitable ? Il conviendrait pour y répondre de peser l’œuvre intellectuelle laissée par les protagonistes. Mais surtout de trancher une dernière question : la haine envers son analyste survit-elle à son évacuation comme déchet ? Oui à suivre l’histoire lacanienne des 40 dernières années. Mais dans ce cas et si la haine est l’envers de l’amour peut-on encore parler d’une liquidation du transfert ? Ou bien conviendra-t-on ensemble que la liquidation de son analyste pérennise à jamais le transfert ?

Nathanaël Majster