Lacan, le sexe, et les Auvergnats
18 juin 2018

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CHASSAING Jean-Louis
Billets

Invité à participer aux « Conférences du samedi » au Château d’Angleterre à Bischheim, heureuses initiatives proposées conjointement par Marie Pesenti-Irrmann et Marc Morali, je révisais mes leçons, découvrais et redécouvrais avec joie les saveurs de la prose de Lacan.

Le thème de l’année est alors le suivant, « Incidences du sexuel », rien de tel pour parer au savoir, mais les lectures m’amènent à un paragraphe surprenant et sympathique. Une résonance se fait entendre, d’un questionnement lors d’un séminaire d’été, auquel il ne fut je crois pas répondu !

Dans la leçon du 4 mai 1972 – Le savoir du psychanalyste– Lacan reprend sa formule, la sienne, son énoncé de ceci qui mérite d’être commenté qu’il n’y a pas de rapport sexuel.

Je relisais à ce moment le dit « argument du pari de Pascal », notamment les réflexions de Dominique Descotes, qui évoque ceci que Pascal applique ici la loi d’homogénéité , une règle qui en mathématique a été énoncée par les mathématiciens de l’Antiquité et réaffirmée par Viète. On ne peut pas ajouter ou retrancher une grandeur à une autre grandeur qui n’est pas du même genre. Souvenons-nous de cet infini qui existe mais dont on ne peut connaître ce qu’il est, que ce soit en ajoutant un nombre pair ou un nombre impair. Dominique Descotes rappelle que Pascal s’est prononcé dans l’opuscule  De l’esprit géométrique sur le point, qui n’a pas de longueur et n’ajoute rien à la ligne, qui est constituée par une longueur. De fait le point est par rapport à elle (la ligne) comme un néant, et par conséquent n’a aucun rapport, ou aucune proportion avec elle. De même la ligne est sans rapport avec la surface (L + l), la surface sans rapport avec le solide… Il y a des disproportions entre ces différentes grandeurs qui sont hétérogènes. … Viète dit qu’elles ne s’affectent pas les unes les autres .  De la même manière, poursuit Dominique Descotes, notre nature finie détermine ce à quoi nous pouvons avoir rapport.

Bon. Mais ce n’est pas cela que j’évoquais à Strasbourg.

Je poursuis la lecture du séminaire, leçon du 4 mai 1972 : pourquoi est-ce que le psychanalyste s’imagine que ce qui fait le fond de ce à quoi il se réfère, c’est le sexe ? Que le sexe, ça soit réel, ceci ne fait pas le moindre doute. Et sa structure même, c’est le duel, le nombre deux. Quoi qu’on en pense, il n’y en a que deux : les « hommes », les « femmes », dit-on. Et on s’obstine à y ajouter les Auvergnats… C’est une erreur, au niveau du réel il n’y a pas d’Auvergnats. Ce dont il s’agit quand il s’agit de sexe, c’est de l’Autre, de l’Autre sexe, même quand on y préfère le même.

Ah !

De quoi s’agit-il ? Où donc Lacan a-t-il été chercher cela ? Un livre de logique ? De mathématiques ? Il y a de l’Autre mais pas d’Auvergnats dans le réel du sexe ! Et, soulagement !,  selon Lacan les Auvergnats ne « s’ajoutent » pas à « hommes » et « femmes » !

Alors c’est mon ami le poète érudit François Graveline qui me donne une explication. Une. Peut-être pas L’explication.

Le 14 octobre 1781, en pleine guerre d’Indépendance des Etats-Unis, durant la bataille de Yorktown, à la suite d’une victoire remportée par les américains, avec l’aide des troupes françaises, un général américain, probablement Georges Washington, avise un groupe de soldats dansant la bourrée et, surpris, demande à son homologue français, sans doute le comte de Rochambeau : « qui sont ces gens qui se battent comme des hommes et dansent comme des femmes ? ». Le français répond  « ni hommes ni femmes tous Auvergnats » ! Le comte de Rochambeau connaissait bien les Auvergnats. Il avait commandé durant la guerre de sept ans le Régiment Royal Auvergne, surnommé « Auvergne sans tache ».

Une autre version, identique dans le fond mentionne que dans le quartier des chasseurs tirés du régiment d’Auvergne on dansait la bourrée à perdre haleine, sans souci de la prochaine bataille. « Mais ce ne sont pas des hommes, dit avec admiration G. Washington ! Non Monsieur, répond Rochambeau, ni hommes ni femmes, tous Auvergnats ! ».

Cette phrase, précise Graveline, à moins qu’elle ne soit apocryphe, semble être devenue un dicton. On la trouve dans le Petit Journal de 1868 : Il existe un dicton, plus joyeux qu’injurieux, et qui dit que Nous n’étions ni hommes ni femmes, tous Auvergnats. On croirait, à entendre cette plaisanterie, que les Auvergnats forment une nationalité à part, parmi les français du nord et du midi. Et qu’ils sont absolument voués aux professions désagréables… » Interprétation, qui contrairement à celle de Lacan, met le sexe sous le boisseau au « profit » du social.

Enfin en 1858, le 22 avril, se jouait au théâtre Déjazet une pantomime (de Charles Bridault et Paul Legrand ; musique d’Adolphe Lindheim) qui portait ce titre Ni hommes ni femmes, tous Auvergnats.

Où Lacan a-t-il été pécher cela ?

En effet homme femme s’ordonnent comme signifiants dans un rapport à l’Autre, et, sans rapport l’un avec l’autre, en une hétérogénéité de leur rapport à leurs objets différents quant à  leurs quêtes. 

(Merci à François Graveline)