La signifiance du rêve
05 février 2010

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LANDMAN Claude



Charles Melman m’a proposé ce matin de parler dans le cadre de ce séminaire d’hiver consacré à la signifiance du rêve, en faisant valoir que ce que j’aurais à dire sur cette question serait sûrement intéressant. Je ne peux que répondre favorablement à ce témoignage de confiance et d’amitié. Pourtant, n’ayant rien préparé, je me contenterai de reprendre rapidement quelques points – j’en ai isolé trois – qui ont été soulevés au cours de ces journées et à propos desquels j’aurai peut-être des questions, ou en tout cas, des propositions à mettre en discussion.

Le premier point concerne la question du rapport du rêve avec le principe de plaisir. Alors, nous savons que dans la mesure où pour Freud le rêve est accomplissement d’un Wunsch, – on va maintenir ce terme ambigu, équivoque, de Wunsch, en allemand – eh bien, dans cette mesure même, le rêve est au service du principe de plaisir, et plus précisément, au service du désir de dormir.

Charles Melman l’a évoqué au tout début de ces journées. Dire que le rêve est au service du désir de dormir, n’est pas équivalent à la proposition qui fait du rêve le gardien du sommeil. Je crois qu’il y a une distinction à faire parce que Freud insiste sur ceci qu’il s’agit là d’un désir. Et je ferai remarquer également que ce terme d’accomplissement, Erfüllung, est à entendre, en tout cas en français, au sens d’abord qui est celui de l’aspect du verbe, c’est-à-dire qu’il s’agit du verbe au sens de l’accompli. Freud, vous le savez, distingue cet aspect du verbe, l’accompli, de l’optatif, c’est-à-dire de l’aspect du verbe qui comporte un souhait. Eh bien, le rêve produit ce souhait sur le mode de l’accompli. Freud le dit en toute lettre : le rêve refoule l’optatif et c’est au présent de l’indicatif que se propose cet accomplissement du Wunsch. Dans le rêve ce n’est plus, pour reprendre le rêve de l’injection faite à Irma, la dimension du souhait, de l’optatif : Si seulement Otto pouvait être responsable de la maladie d’Irma ! mais : Otto est le responsable de la maladie d’Irma, et nous le savons immédiatement.

À partir d’Au-delà du principe de plaisir, en 1920, Freud pose qu’il existe une exception au rêve comme accomplissement du souhait. Et comme vous le savez, ce sont les rêves de la névrose d’accident. Et Freud ajoute – ça m’a véritablement frappé, c’est dans la même phrase ! – il ajoute aux rêves de la névrose d’accident, les rêves qui se produisent au cours de l’analyse. Je trouve ça formidable ! Dans la mesure où les rêves qui se produisent au cours de l’analyse, nous dit-il, ramènent les traumatismes infantiles.

Si on suit cette remarque que je trouve vraiment formidable – il y a toujours, on l’évoquait avec Jean-Jacques Tyszler au Collège, il y a toujours chez Freud à un détour de phrase des trésors à découvrir ou a redécouvrir – si donc on suit cette remarque de Freud, les rêves qui se produisent au cours de l’analyse mettraient en jeu dans le transfert, un réel, un réel qui ne serait pas nécessairement, comme c’est le plus souvent le cas – on y a insisté aussi au cours de ces journées – résorbé, enrobé, par le rêve. Le rêve au service du principe de plaisir enrobe le réel. D’une certaine façon le rêve protège en effet le sommeil de l’émergence possible du réel. Je trouve cette indication précieuse puisqu’elle montre que le transfert est bien en effet, au sens où Lacan le dit dans le séminaire XI, la mise en acte de la réalité de l’inconscient. Autrement dit, dans la situation transférentielle, dans la situation de l’analyse, immédiatement, un réel est mis en jeu, et un réel dans sa dimension traumatique.

Ce n’est pas vrai seulement pour le rêve, bien entendu, mais je dirai que c’est une indication précieuse quant à la direction de la cure et quant à la possibilité d’entendre le rêve, c’est-à-dire comme la manifestation de l’automatisme de répétition, comme la manifestation du réel et de la répétition signifiante.

Il me semble qu’avec cette dimension du réel mise en jeu pendant la cure, se met en place également – ce sur quoi Charles Melman a insisté et qui me parait essentiel – la dimension de l’adresse au grand Autre sous la forme de ce fameux Che vuoi ?

On a évoqué ce matin le deuxième étage du graphe, je crois que c’est Marcel Czermak qui l’a fait, où il y a en effet cette dimension de l’adresse à l’Autre mise en jeu par la cure, sous la forme de ce point d’interrogation que l’on voit se matérialiser sous nos yeux. Ce Che vuoi ? est ambigu, puisque c’est aussi bien que veux-tu ?, que que veut-il ? On ne sait pas si c’est le sujet ou l’Autre qui pose cette question. Probablement il y a-t-il là un recoupement à faire.

Et je ferai remarquer ce point qui est qu’assez souvent, semble-t-il, le rêve est déclenché par la question qui se trouve posée au sujet au-delà d’une demande qui a pu lui être faite dans la journée par un petit autre. C’est-à-dire que, au-delà de la demande de ce petit autre, quelque chose de la dimension de l’énigme du désir de l’Autre, voire de sa jouissance, surgit, et à mon sens, déclenche ou est susceptible d’être un facteur déclenchant du rêve. Il ou elle me demande ça, mais en réalité, que veut-Il ? Et qu’est ce que je veux moi ? Et quelle est là la dimension aussi bien du désir de l’Autre que la dimension du désir du sujet ?

Eh bien, il y a un rêve qui se trouve dans l’opuscule intitulé Sur le rêve, de 1901, qui est le rêve dit Á table d’hôtes, où on voit comment c’est bien sur ce mode qu’il a été déclenché. Freud n’y vient pas tout de suite au facteur déclenchant, parce que c’est un rêve qu’il considère, comme le rêve d’Irma, comme un rêve spécimen, un rêve paradigmatique, qu’il va reprendre tout au long de ce travail Sur le rêve. Mais à un moment, lorsqu’il y revient pour le troisième fois, il surmonte ses réticences et il nous dit quand même ce qui a été à l’origine du rêve : c’est que sa belle-soeur lui a demandé de l’argent pour un soin important, et qu’il a refoulé le désagrément que cette demande lui avait causé. Il y a répondu immédiatement et favorablement, bien entendu, mais on voit bien comment, c’est au-delà de cette demande de sa belle-soeur que la question du désir mis en jeu là, avait été soulevée, et avait pu être à l’origine de ce rêve dont vous savez très bien qu’il est le rêve où Freud veut être aimé pour ses beaux yeux, gratuitement, sans que ce soit à chaque fois nécessaire de sortir le portefeuille [rires].

Alors, pour conclure ce premier point – je vais être beaucoup plus rapide. Je ne sais pas si j’ai le temps, il faut demander à la présidente. Oui ? Encore cinq minutes ? – Oui, alors pour conclure sur ce point du rêve et du principe de plaisir, il semble bien que dans la situation de l’analyse, le rêve n’aille pas nécessairement dans le sens que souligne Lacan dans une leçon qu’a évoqué Roland Chemama hier, la leçon du 21 juin du séminaire … Ou pire, qui est que finalement, eh bien, le rêve est au service de ceci que la jouissance, c’est-à-dire, ce qui est au-delà du principe du plaisir, ce qui dérange, eh bien, que la jouissance puisse équivaloir à 0, que le rêve travaille pour rétablir l’équation : jouissance = 0. Ce que Freud avait désigné sous la forme du narcissisme dans le rêve avec le retrait des investissements, qui est donc, bien entendu, au service du désir de dormir.

Eh bien, il semblerait, si on suit Freud – vous voyez, je suis toujours cette indication de Freud dans Au-delà du principe de plaisir – que dans l’analyse, eh bien, le rêve n’ait pas cette fonction, ou n’ait plus cette fonction. Il donne aussi des indications des difficultés qui peuvent se poser bien entendu dans la cure, parce que si ce n’est plus au service du principe de plaisir, je dirais, ça met en jeu la dimension du désagrément de la jouissance.

Je vais passer assez rapidement sur le problème de la grammaire dans le rêve, sur lequel Cyril Veken s’est arrêté, mais je me suis posé la question de savoir s’il ne serait pas heuristique de penser, comme l’a fait une collègue, Gisèle Chaboudez, dans un livre intitulé L’équation des rêves, que la logique du fantasme – Jean-Jacques Tyszler l’a un peu évoqué hier -, au sens où Lacan l’entend, est à l’oeuvre dans le rêve. C’est-à-dire cette aliénation du : Ou je ne pense pas ou je ne suis pas, avec la dimension donc du Ça sur une branche de l’aliénation : Je ne pense pas et la dimension de l’inconscient proprement dit sur l’autre : Je ne suis pas. Parce qu’en effet, dans un texte qui est peu connu mais que je trouve fort intéressant, sur ce point en tout cas, L’intérêt que présente la psychanalyse, qui date de 1913, Freud dit clairement que le rêve, il convient de le comparer, mieux qu’à un langage, à une écriture en images, et plus spécifiquement, il ne revient pas ici sur le rêve comme un rébus, à l’écriture hiéroglyphique. C’est-à-dire effectivement, d’une certaine façon, une écriture sans grammaire, agrammaticale. Mais ceci serait en quelque sorte sur la branche de l’aliénation côté inconscient. C’est-à-dire que là où il n’y aurait pas de grammaire, là où les liens logiques, les connecteurs logiques, se trouveraient supprimés, eh bien, il y aurait nécessité d’un chiffrage littéral en images de l’inconscient sous la forme de métaphores et de métonymies, à l’origine, nous dit Lacan, dans Radiophonie, des condensations et des déplacements. Je reviendrai tout à fait à la fin de ces remarques sur la question de la lettre dans le rêve.

Mais du côté du Ça, si on s’en tient à ceci qu’il y aurait aussi dans le rêve la dimension de la pulsion et du fantasme, on pourrait penser que le fantasme, à suivre Freud et ses indications sur l’élaboration secondaire – Muriel Drazien avait soulevé la question de la rêverie diurne – serait ce qui viendrait dans cette mosaïque littérale qu’est le rêve, ce qui viendrait en quelque sorte en constituer le ciment. Autrement dit, on peut se poser la question de savoir si le fantasme, en tout cas au sens où l’entend Freud, ne vient pas à la place des relations logiques qui ont été supprimées par le travail du rêve. C’est une question, je l’ouvre ! C’est-à-dire qu’il ne s’agirait pas là de repérer le fantasme au niveau lexical, mais plutôt syntaxique.

Et à cet égard je dois dire que, dans la pratique des cures, ce n’est pas toujours la cas, mais il n’est pas rare qu’il y ait dans la temporalité de la cure des reprises et des transformations, dans des rêves de transfert, d’un fantasme. Freud nous dit que le fantasme, c’est au fond ce qui vient réaliser la motion de désir qui s’attache à la pulsion. Il y aurait ainsi dans le déroulement même de la cure, une transformation d’ordre grammatical du fantasme et de la pulsion d’un rêve à un autre situé dans le cours du travail de la cure. Notamment, j’ai un cas qui est à cet égard tout à fait exemplaire, avec un rêve de début de cure, où le fantasme mettait en jeu manifestement sur le mode érotique et dans le transfert, la pulsion orale. Deux ans après, un autre rêve de transfert, a témoigné du déplacement subjectif qui s’était produit, puisque la patiente se mettait à la place de représenter l’objet du désir pour un homme. Il ne me paraît pas négligeable de prendre en considération cette dimension du fantasme, même s’il ne s’agit plus là, à proprement parler de la dimension métaphoro-métonymique, puisque après tout, dans ces rêves ça n’était pas chiffré, c’était assez vite donné comme ça dans le texte même du rêve, dans sa présentation en images. Je pense qu’il y a là quelque chose qui est peut-être à prendre en compte du côté de la grammaire du rêve, pas sur le versant de l’inconscient mais sur versant du Ça, sur le versant de la pulsion et du fantasme, et qui peut aussi nous aider, je dirais, dans la conduite de la cure.

Pour terminer, c’est peut-être la question la plus difficile, celle de la dimension littérale du rêve. Alors, sur ce point, Lacan dit encore une chose étonnante, c’est dans D’un discours qui ne serait pas du semblant :

Que le rêve soit un rébus, – dit-il – n’est pas ce qui me fera pas démordre un seul instant que l’inconscient soit structuré comme un langage

Et il ajoute :

Seulement c’est un langage au milieu de quoi est apparu son écrit.

Et ça, je trouve que c’est précieux pour le rêve, c’est-à-dire qu’on peut voir comment dans le rêve se produit en effet la dimension du travail du signifiant dans la métaphore et dans la métonymie dont il y aurait d’ailleurs à distinguer les deux types de chiffrage qui leur correspondent. Mais en tout cas, est-ce que l’on ne peut pas penser les images du rêve, en tout cas certaines images du rêve, comme étant à proprement parler des lettres qui sont le produit de ce travail métaphoro-métonymique du rêve ? Et comme le soulignait Christian Fierens, à partir de là, ces lettres, eh bien, elles sont à reprendre dans une relance.

Voilà les quelques petites remarques que je souhaitais faire au terme de ces journées.

Transcription : Solveig Buch