La science est-elle INHUMAINE ?
11 mars 2015

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Henri ATLAN
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A propos du « mal nommé clonage non reproductif ou thérapeutique », Henri ATLAN lance une discussion argumentée, biologique et philosophique comme à l’accoutumée. Le texte est bien évidemment à lire, dans ce petit livre La science est-elle INHUMAINE ? (Ed. Bayard ; La science en question ; septembre 2014). Nous en donnons ici, avec l’accord de l’auteur, la conclusion (pp 102-104), qui est également celle du livre. Nous remercions les éditions Bayard qui ont donné leur accord.

(J-L. C).

« Ces processus techniques montrent à quel point le souci de définitions simples permettant de coller des étiquettes une fois pour toutes sur ce qu’est un embryon, ce qu’est une personne humaine, etc., échoue dès que l’on considère des processus

évolutifs, où ce qui n’est pas quelque chose ou quelqu’un peut devenir cette chose ou cette personne. Autrement dit, le souci de définir en faisant appel à ce qui serait l’essence immuable d’une chose, d’un animal, d’un être humain, échoue devant l’unité de la nature envisagée dans son évolution. Certes, ce sont les techniques et la fabrication d’artéfacts vivants qui contribuent à faire voler ainsi en éclat les définitions essentialistes, mais la technique ne peut réussir que dans la mesure où elle se soumet aux lois de la nature, même si c’est pour la transformer. Nous avons une leçon à tirer de tout cela : acceptons de renoncer à des définitions essentialistes et recherchons plutôt des définitions évolutives. Pour revenir à notre problème, ce qui n’est pas un embryon peut devenir un embryon, ce qui n’est pas une personne humaine peut, sous certaines conditions, devenir une personne humaine. Le débat éthique est alors déplacé sur les conditions de tels devenirs. En particulier ici, l’implantation ou non dans un utérus féminin n’est pas un « détail » de la technique qui ne modifierait en rien les données du problème.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à des problèmes éthiques, sociaux, politiques que les techniques ne donnent pas les moyens de résoudre toutes seules. Il est indispensable de savoir de quoi il s’agit pour comprendre le problème et a fortiori proposer une solution. Une des tâches les plus importantes est donc de parvenir à la diffusion la plus large possible des savoirs, afin que les débats ne soient pas réservés aux seuls experts. Mais la diffusion d’un savoir et la réflexion philosophique sur ce savoir sont des tâches très difficiles car elles impliquent la coopération des scientifiques, des médias – intermédiaires entre les scientifiques, le grand public et les politiques qui doivent décider – et du grand public qui doit faire l’effort de recevoir de façon critique ce que lui disent les médias et les scientifiques. J’avais proposé que la démocratie en ce domaine se traduise par ne division des pouvoirs de la parole en trois : politique, scientifique, médiatique. Et ces trois pouvoirs doivent non seulement être séparés, mais surtout se critiquer l’un l’autre. C’est certainement l’un des défis à relever aujourd’hui.

Dans ce contexte, noue l’avons vu, les questions philosophiques les plus anciennes, comme celle du déterminisme et de la liberté, se reposent de façon nouvelle, à l’occasion d’évènements où certaines évidences sont nécessairement réexaminées. »

Henri ATLAN (septembre 2014 ; Edit. Bayard)