C. Lacôte : Je vais continuer mon parcours sur le rêve à travers les correspondances de Freud [1], et en particulier, les moments où l’interprétation des rêves suscite chez eux, comme je l’avais dit dans le titre, mais il paraît que ce n’est pas paru dans le courrier, l’agenda de l’association, ce livre qui a produit une fascination extraordinaire sur ceux qui seront les disciples ou les élèves de Freud, choisissez l’aspect religieux ou l’aspect laïque de la question.
Aujourd’hui, je vais, très rapidement malheureusement, vous parler un petit peu de ce qu’ont fait de cette lecture de L’interprétation des rêves, Karl Abraham et Carl Gustav Jung, à travers les correspondances avec Freud – vous savez que ce sont des livres que je préfère presque aux exposés théoriques parce qu’on y sent la pensée en mouvement, la dialectique entre les interlocuteurs, les questions institutionnelles, qui sont absolument semblables à celles que nous pouvons vivre, enfin toutes sortes de choses qui posent des vraies questions.
La dernière fois, vous vous rappelez, j’ai beaucoup insisté, dans la correspondance entre Freud et Fliess, sur la construction théorique simultanée de l’interprétation des rêves, du refoulement et de la thérapeutique des névroses : hystérie, névrose obsessionnelle. C’est-à-dire que c’était simultané, la question de la lecture du rêve, de la constitution de la notion de refoulement, et la question de la thérapie.
Comme vous le savez, le texte de Freud paraît en 1900, et la correspondance avec Jung commence le 11 avril 1906. Cela fait tout de même six ans, n’est-ce pas ? C’est tout de même intéressant. Et la correspondance avec Jung est commencée, inaugurée, par l’envoi fait par Jung des Études diagnostiques d’association en 1906 et qui étaient parues en articles en 1904. La première correspondance avec Freud a commencé – mais nous ne l’avons pas, en tout cas je n’en ai aucun élément – en 1904 avec Bleuler, et c’est par la correspondance entre Freud et Bleuler que Jung a eu aussi, un petit peu… comment dirais-je, les opinions de Freud au-delà de ce que Freud avait lui même publié. En 1906, Jung publie la Psychologie de la démence précoce. Simplement ce qui est très ennuyeux dans la correspondance entre Freud et Jung, c’est que la lettre de Freud qui est un commentaire très long de ce livre sur la démence précoce, manque, je vous le signale tout de même parce que c’est intéressant.
Pour ce qui est de Karl Abraham, Freud répond à l’envoi du livre de Karl Abraham sur la signification des traumatismes sexuels juvéniles pour la symptomatologie de la démence précoce, en 1907. Jung avait adressé aussi à Freud quelque chose qui s’appelle le « test d’association » et, entre guillemets, « pour faciliter et abréger la psychanalyse de Freud », dit-il. Donc, ce que l’on peut voir en faisant un petit peu d’histoire, ce que l’on peut entendre, c’est que c’est quelques années tout de même après les nombreux écrits de Freud, correspondance sur la base de leurs écrits à eux, Karl Abraham et Jung, et c’est très différent de la situation actuelle, où ce qui se passe actuellement, c’est l’analyse personnelle, puis didactique, en même temps que didactique, qui produit la relation d’élève à maître. Donc, vous voyez, c’est complètement différent.
La deuxième remarque que je ferai, c’est que d’emblée, le terrain d’étude est différent. C’est-à-dire que tous les deux, ils démarrent, Karl Abraham et Jung, sur la démence précoce et la paranoïa. Bien que Freud ait beaucoup écrit sur l’hystérie, sur la névrose obsessionnelle, sur les mécanismes du refoulement, etc., d’emblée, les deux lui envoient leur livre, et le terrain c’est la psychose ; cela ne veut pas dire que Freud n’ait pas parlé de la paranoïa, ni que eux-mêmes parleront, de temps à autre, de l’hystérie ou de la névrose obsessionnelle, mais d’emblée, ils prennent un champ différent. C’est tout de même assez intéressant pour nous…
En ce qui concerne Jung, le terrain d’étude est différent, mais Jung va essayer de faire des ponts entre ce que nous appelons aujourd’hui des structures. Ça origine, à propos du rêve, c’est là que je me limiterai, un débat extrêmement curieux, ne répondant pas vraiment à la recherche de Freud. Comment pourrait-on qualifier cela ? Plutôt, j’appellerai cela des contributions, c’est un mot d’ailleurs, qu’ils emploieraient assez volontiers. C’est d’emblée différent de la correspondance avec Fliess où le champ, l’hystérie, était beaucoup plus celui de la discussion, c’est-à-dire que, pied à pied, il y avait une discussion entre Freud et Fliess, les désaccords ne manquaient pas comme vous le savez, mais le terrain de recherche était le même; là, pas du tout. Ce qu’ils proposent, puisque ce ne sont pas vraiment des discussions, on a l’impression que chacun suit son fil, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de réponses, il y a des questions et des réponses, mais c’est toujours dans ce décalage-là… Ce que ces élèves vont faire ce sont plutôt des propositions d’application, mais sur un autre champ. Ce qui est intéressant dans ce discord, c’est les gaps, les hiatus, n’est-ce pas ? C’est que cela met en cause la conception du désir, de la jouissance telle que nous l’appréhendons par Lacan, et aussi surtout le rapport au langage.
Je vais commencer par Karl Abraham. Il commence, bille en tête sur la démence précoce, mais je dois dire que c’est tout à fait parasité par la jalousie extrême qu’il a à l’égard de Jung ; et toute la correspondance entre Freud et Jung, qui est très passionnante, et je trouve que dans les rivalités d’école, d’élèves de Freud ou de Lacan, on pourrait en prendre de la graine, Freud essaie d’entendre tout ça, mais ça parasite la correspondance, Abraham voulant être le disciple parfait.
Vous connaissez un petit peu Karl Abraham, je ne vais pas en parler, son texte le plus célèbre a été, comment dirais-je, un accompagnement, un précurseur du célèbre texte de Freud sur Deuil et mélancolie. La question se pose d’emblée pour lui en terme de relation d’objet, c’est lui qui a promu cela, l’importance de la question de la relation d’objet qui sera reprise beaucoup plus tard autour de la mélancolie. Ce n’est pas seulement de la jalousie par rapport à Jung, mais il va tenter de redéfinir la démence précoce, et ce n’est pas sans intérêt par rapport à notre question sur le rêve, vous allez le voir assez rapidement : dans sa lettre du 9 août 1907, Abraham dit ceci » Je voudrais essayer de remplacer le concept de démence chez les malades mentaux chroniques par un autre ; le développement insuffisant vers l’amour d’objet est manifestement une inhibition de l’épanouissement de la personnalité ».
Je voudrais que vous saisissiez tout de même l’actualité de ces thèmes qui sont repris aujourd’hui, c’est-à-dire que les questions qu’on prend là ont été traitées avec effectivement des différences de conceptualisation ; mais tout de même, on va redéfinir la démence précoce comme une insuffisance du développement vers l’amour de l’objet qui est une inhibition de l’épanouissement de la personnalité. « La personnalité d’un être humain n’est rien d’autre que sa manière individuelle de réagir aux excitations du monde extérieur. Que la réaction au monde extérieur soit dans le rapport le plus étroit avec la sexualité, ceci est devenu clair pour moi grâce à vos écrits. » C’est presque au tout début de la correspondance. C’est important parce que page 20 – je vous donne les pages pour que vous puissiez reprendre ça – Freud répond : « mais voici que vous voulez soumettre le concept même de démence à un examen inquisiteur et le remplacer, pour la démence précoce, par un autre, celui d’inhibition de personnalité (persönlichkeit hemmung). De telles questions de définition ont peu d’importance, mais je ne voudrais pas vous suivre pour autant dans cette voie, à quoi bon ? Qui cherche derrière « démence » autre chose qu’un symptôme qui peut de produire dans les conditions de mécanismes les plus divers ? Cela veut seulement dire que l’investissement intellectuel ne se met pas à la disposition des tâches nécessaires. La raison en est-elle que l’investissement est absent, première question, ou qu’il est utilisé ailleurs, deuxième question ou que cette action lui est interdite. Autant de questions sur lesquelles le mot démence ne doit rien dire de plus. Si cela fait plaisir à quelqu’un de dire que le rêve est dément, je n’y vois pas quant à moi d’inconvénient ». Alors ça c’est la lettre de Jung à Freud et les échanges, et la jalousie d’Abraham, mais je ne voudrais pas vous faire entendre qu’il y a uniquement des petites histoires personnelles.
L’enjeu conceptuel est assez intéressant. Simplement, Freud n’est pas dupe ; avec ce mot dépréciatif, il n’a pas effleuré en quoi que ce soit le mécanisme qui fait la démence du rêve. Voyez comment il remet l’ouvrage sur le métier : vous pouvez appeler cela démence ou inhibition de la personnalité ou je ne sais quoi, même si c’est dépréciatif ; ce qui compte, c’est le mécanisme, qui fait apercevoir quelque chose de dément dans le rêve. Nous ne sommes pas très loin de la publication de la Gradiva où il y a délires et rêves, et l’association entre démence et rêves.
Alors là c’est sublimement ironique, mais je dois dire c’est l’histoire du chaudron appliquée au fils et au père… « Il en est ici comme d’un fils qui dans le besoin, se tourne vers son père pour lui demander un soutien. Si son père ne lui donne rien, la raison peut en être que lui-même n’a rien, ou qu’il n’aime plus son fils et ne veut rien lui donner. Pour le fils, cela est jusqu’à un certain point indifférent, dans un cas comme dans l’autre il pourra aussi bien avoir faim ou mal tourner. » Vous voyez : début de correspondance, relation père-fils, et maître à élève ; je vous laisse juge et je vous laisse relire ça. Ce que je vous dis là sont des (pierres d’attente ?). « Personnalité, de la même manière que le concept de moi de votre chef, est une expression peu déterminée qui appartient à la psychologie des surfaces et qui pour la compréhension des processus réels, pour la métapsychologie donc, nous ne fournit rien de particulier. Simplement, on est porté à croire qu’en l’utilisant on a dit quelque chose qui a un contenu. » Vlan ! Vous savez que Lacan ira beaucoup plus loin en disant que le concept de personnalité et la notion de personnalité est une notion paranoïaque. Mais déjà Freud…
Et pourquoi il y a ces questions ? La question de ce que nous appellerions nous lacaniennement le sujet de l’inconscient et le sujet rêveur, le sujet du rêve, elle était posée dans la correspondance avec Fliess, dans la mesure où la dialectique du refoulement posait la question d’un désir. Alors les autres qui commencent par la démence précoce essayent de trouver : alors, qui rêve ? C’est notre question aussi : qui rêve ?
Karl Abraham, inhibition du développement de la personnalité. Freud lui répond : la personnalité ne donne qu’une espèce de contenu, un leurre de contenu. Pour Jung, ce sera un peu autre chose. C’est d’autant plus intéressant que juste à la suite, il manque une lettre de Karl Abraham ; c’est pour vous poser la question du sujet tel que, dans cette correspondance, elle se pose. » J’ai lu avec satisfaction, dit Freud, votre excellent travail », c’est un petit peu comme quand Lacan disait : c’est très bien, ça commence comme ça… Je saute des lignes, c’est page 21 et c’est la lettre du 26 novembre 1907. » À votre description de l’anormalité d’enfants qui par la suite deviennent des névrosés (accroissement quantitatif de la libido, précocité, prolifération de fantasmes etc…), je voudrais ajouter comme un élément essentiel l’existence d’une forte inclination au refoulement, sinon nous obtenons des loques et non pas des névrosés. « Je trouve que c’est extrêmement intéressant pour la question du sujet, c’est-à-dire qu’à ce moment-là, c’est par la question du refoulement, qui est en même temps le retour du refoulé dans la question des cures et dans l’interprétation des rêves, qu’on va constituer, j’allais dire avec une formulation anachronique, un sujet névrosé, sinon on n’a que des loques. C’est tout de même intéressant ce terme de lambeaux, de loques. C’est-à-dire, votre idée de personnalité ne tient pas, il faut se référer à la dynamique du refoulement sinon, on n’a que des loques et votre concept de personnalité ne réussira pas à comprendre autre chose. Il faut dire qu’ils s’appuyaient, Karl Abraham et Jung, sur la psychose. Mais Freud tout de même pose la question du refoulement, vous avez lu certainement la correspondance entre Freud et Fliess, il y a plusieurs sortes de refoulements, plusieurs aspects, et à ce moment-là il met la projection comme l’un des mécanismes du refoulement pour la psychose. Nous traduisons ce que dit Freud : seul l’ancrage dans la notion de refoulement permet de poser un sujet.
Abraham était tout à fait sensible à ce que Freud avait écrit dans L’interprétation des rêves sur la logique du rêve. Vous voyez comment cela va être pris, c’est passionnant parce que nous ne faisons pas autre chose avec les textes de Freud et de Lacan, c’est-à-dire les tordre, les lire en les tordant. C’est dans la lettre d’Abraham du 8 mars 1908, une question maintenant sur l’interprétation des rêves. « À la page 217, vous parlez de l’expression des relations logiques, entre autres de ou bien…ou bien… », vous connaissez ce texte…, « À cet égard, j’ai connu un cas très instructif : nous avons reçu la visite d’une amie qui par son père était d’origine juive et s’était fiancée avec un jeune homme juif. Il fallait s’attendre à des grandes résistances contre la liaison de la part des deux familles (puisque le père ne suffisait pas). Des années durant ils restèrent fiancés etc… Elle me raconta (il avait en analyse la jeune femme) un rêve que je pus interpréter aussitôt. Cela l’intéressa beaucoup et le matin suivant elle me dit : cette nuit j’ai fait cinq rêves, elle pu les raconter tous très bien. Il est évident qu’elle avait rêvé avec le désir de se faire interpréter ses rêves par moi (vous voyez l’adresse). Les cinq rêves tournaient naturellement tout autour du mariage, mais chacun traitait le thème d’un point de vue différent. Ainsi, les cinq rêves présentaient les cinq possibilités suivantes : 1. Ils pourraient simplement vivre en concubinage. 2. Ils pourraient se marier civilement sans que l’un deux abandonnât sa confession. 3. Il pourrait se faire baptiser. 4. Elle pourrait se convertir au judaïsme. Dans les deux cas précédents, la conversion serait suivie d’un simple mariage civil. 5. Elle se convertit et ils se marient selon le rite juif. Dans chaque rêve, le couple était représenté par des parents ou des connaissances qui convenaient pour le cas. L’interprétation a facilement réussi pour tous les cas etc. etc. » C’est-à-dire que l’alternative « ou bien… ou bien… », le couple d’opposition que présentait Freud a été élargi dans une pluralité de solutions qui se disaient en termes de succession. Vous voyez quels sont les échos par rapport au texte de Freud.
Bernard Vandermersch : Encore plus fort, quoi…
Christiane Lacôte-Destribats : Exactement, je n’osais pas le dire, … Encore plus fort ! Il y a page 26, dans la lettre d’Abraham du 8 janvier 1908, carrément quelque chose qui concerne l’interprétation du rêve que l’on appelle « de l’injection à Irma » : « J’aimerai savoir si l’interprétation du premier rêve paradigme dans l’interprétation des rêves est volontairement incomplète je trouve que la triméthylamine conduit au point le plus important, aux allusions sexuelles qui deviennent de plus en plus claires dans les dernières lignes. Tout n’indique-t-il pas le soupçon chez la malade d’une infection syphilitique, la tache dans la bouche égale plaque, l’infection, l’injection de ce produit triméthylamine qui a été faite à la légère, la seringue impure ! N’est-ce pas là la maladie organique de la persistance de laquelle on ne peut pas vous rendre responsable parce que la syphilis ou une maladie nerveuse qui en dérive ne peut pas être influencée par un traitement psychique. » Alors vous voyez, il y a toujours « je vais plus loin » et aussi « je vous disculpe » puisque vous savez que dans le rêve de l’injection à Irma il y a une très grande culpabilité de Freud : « il s’agit de la syphilis, on n’y peut rien, vous n’êtes pas en cause ».
Alors nous arrivons à quelque chose d’extrêmement amusant, c’est à la suite, Karl Abraham dit : « Je ne suis pas encore satisfait », ça c’est le cri de tout élève, « en effet je relis une fois encore en entier L’interprétation des rêves et je retrouve toutes sortes de questions à poser. Je m’en tiendrai pour aujourd’hui aux rêves de vol. » Vous savez, même si Lacan nous apprend, à la suite de Freud, que nous lisons un rêve comme un rébus, il y a tout de même dans L’interprétation des rêves et dans le petit texte qui s’appelle Sur le rêve une symbolique, une sorte de typologie à laquelle il cède, il faut bien le dire, sur des rêves typiques. Karl Abraham dit ceci : « La source infantile me paraît claire, mais je crois avoir trouvé en plus une source actuelle. L’occasion m’a été donnée par le rêve suivant d’une personne que je connais. La dame rêve que, petit nuage rose, elle plane dans le ciel puis vient une grande main qui la poursuit, s’approche toujours plus prêt, et finalement la saisit. Je trouve à ce rêve esthétiquement très beau l’interprétation suivante : deux sœurs de le rêveuse sont mariées depuis un certain temps déjà, une troisième s’est fiancée peu de temps avant le rêve, elle seule reste, elle n’est plus jeune et depuis quelque temps elle devient très corpulente et craint manifestement de rester seule. Dans le rêve, elle est légère comme l’éther et non pas corpulente et une main masculine la trouve désirable. Ainsi le fait de voler en rêve ne signifierait-il pas chez d’autres aussi : je voudrais être plus léger, peut-être avez-vous quelque chose là-dessus ? ». Alors, là-dessus, réponse de Freud qui est alors, ce qui n’existera pas avec Jung, presque une relation de contrôle, ce que nous appellerions contrôle et, des méthodes, la méthode. La lettre de Freud est du 9 janvier 1908, je vous fais remarquer que la lettre d’Abraham était du 8 janvier, regardez la rapidité de la circulation de ces correspondances, ça m’a toujours bluffée… « Règle principale, dit Freud, premièrement : laisser le temps (laisser le temps comme dit la devise de Salzbourg), Les changements psychiques ne s’accomplissent jamais en dehors des révolutions (psychose) ; après deux heures déjà insatisfait, comme si l’on pouvait déjà tout savoir ! Le problème : comment vais-je trouver davantage ? n’a pas lieu d’être (boum !). Le patient montre le chemin, dit Freud. En suivant strictement la règle analytique, tout dire ce qui lui vient à l’esprit, il montre chaque fois sa surface psychique. Dans le paradigme (réponse à l’intervention d’Abraham sur le rêve de l’injection à Irma) il n’est pas question de syphilis, c’est un délire des grandeurs sexuelles qui se cache là-derrière. Les trois femmes, Mathilde, Sophie, Anna, sont les trois marraines de mes filles et je les ai toutes, pour le veuvage, il y aurait naturellement une thérapie simple, toutes choses intimes naturellement (la thérapie simple, c’est le mariage). Les significations actuelles des rêves de vol sont très diverses (donc, pas de typologie), votre cas est très beau, je vous le demande pour la deuxième édition (la deuxième édition de L’interprétation de rêves), mais, à partir des matériaux, on peut tout aussi bien former n’importe quoi d’autre comme je le montrerai sur des exemples. »
Voilà les méthodes ; alors il y a plusieurs choses intéressantes dans cette chose-là : les règles principales, des significations très diverses, à partir des matériaux on peut formuler n’importe quoi d’autre, discrétion de Freud qui n’interprète pas le matériel de ses élèves et puis aussi les offres de rêve. Après, Abraham est tout à fait reconnaissant à Freud d’avoir pris ses rêves pour la deuxième édition, non sans lui dire ça selon une certaine vacherie, là je fais des citations de mémoire : « je suis très heureux que vous ayez accepté mes rêves, d’abord rendez-moi le texte, je vous remercie de me les avoir renvoyés, mais c’est tout à fait étonnant qu’un livre qui a eu si peu de succès dans la première édition ait une seconde édition. » Nous sommes très prudents avec nos maîtres… Donc, je trouve que ce qui est assez intéressant là-dedans, c’est le type de contribution, en tout cas à la deuxième édition de L’interprétation des rêves où… Écoutez, je vais faire de l’analyse sauvage, relation d’objet, Abraham offre en cadeau ses rêves à Freud en en étant très honoré, mais il les reprend après…
De toute façon, Abraham avait écrit aussi Mythe et rêve dans l’émulation commune sur la mythologie avec Jung. Mais Freud aussi : Page 59, la lettre du 4 octobre 1908 : » en même temps que cette lettre, je vous envoie « Rêve et mythe », il y a quelque temps vous aviez mentionné que vous aviez analysé les mythes du déluge, j’y ai travaillé aussi et je considère comme certain qu’il s’agit d’une représentation symbolique de grossesse ; c’est ce que vous pensiez aussi ? On y trouve des symboles étonnamment jolis. » Voilà je voudrais que vous écoutiez, que vous ayez dans l’oreille ces choses et la question qui se pose c’est, puisque la Traumdeutung a été souvent rééditée avec des ajouts de la part de Freud et aussi les rêves de ses élèves, qu’est-ce que ça fait ce tissu de textes que nous avons comme somme finale, avec cette accumulation des rêves de ses élèves, et qu’est-ce que cela induit dans le transfert ? Pour Karl Abraham c’était des cadeaux sur lesquels Freud a eu aussi une attitude de réserve, prudente.
En ce qui concerne Jung, puisque je me borne aux années très proches de la publication de L’interprétation des rêves. La relation n’est pas la même. Ce qui m’a intéressée dans – je ne sais pas comment appeler ça, ce n’est pas une discussion, ce n’est pas un débat – dans cette correspondance entre Freud et Jung à propos du rêve, c’est une conception du rêve chez Jung dont l’interprétation non seulement fait appel à de grands mythes et des figurations mythiques, ça on le sait ; mais ce qui m’intéressait aujourd’hui c’est que cette interprétation, enfin ce ne sera pas une interprétation, va se résoudre dans une sorte d’illumination. Je vais essayer de vous dire de quoi il s’agit. Dans la lettre de Freud du 6 décembre 1906, (page 52 dans notre édition), il y a trois points importants. D’abord des questions très méthodologiques de la part de Freud qui écrit ceci : « Comme je n’attachais aucune importance à la fréquence des guérisons, (voyez d’où vient la phrase de Lacan, « guérir n’est pas le primordial cela vient par surcroît ») j’ai souvent pris en traitement aussi des cas qui frôlaient le psychotique ou des formes de délire : délire d’observation, angoisse de rougir etc. Et j’ai au moins appris par là que les mêmes mécanismes s’étendent bien plus loin que jusqu’aux frontières de l’hystérie et de la névrose obsessionnelle. »
La conversation démarre par la démence précoce et Freud répond : d’accord le terrain n’est pas le même, mais essayons de voir et de penser que ce qui compte ce n’est pas forcément le succès thérapeutique, c’est d’essayer de savoir si des mécanismes jouent de la même façon ou d’une autre façon, mais qu’on puisse penser les mécanismes psychiques. « Il ne vous aura pas échappé que nos guérisons se produisent grâce à la fixation d’une libido régnant dans l’inconscient, le transfert, que l’on rencontre plus sûrement dans l’hystérie. C’est elle qui fournit la force pulsionnelle nécessaire à la saisie et à la traduction de l’inconscient ». C’est un terme qui va dans toutes les correspondances et depuis Fliess : la traduction, la force pulsionnelle. C’est en fait une guérison par l’amour, c’est là que l’on trouve tous ces textes célèbres de Freud sur le transfert, et ça c’était l’objet d’un grand débat entre Freud et Jung, Jung disant : je voudrais connaître plus votre personnalité – c’est un terme qui revient aussi, pas seulement chez Abraham – et la relation de personne à personne. Freud dit tout à fait autre chose « fixation d’une libido régnant dans l’inconscient, le transfert », d’où différence. Et là quelque chose sur quoi j’avais, il y a quelques années, beaucoup insisté : « il m’est extraordinairement sympathique que vous me promettiez de m’accorder votre foi pour le moment, alors que votre expérience ne vous permet pas encore de décision (ça c’était un peu ironique, c’est la méthode Coué chez Freud) bien entendu jusqu’à qu’elle vous en permette une. J’estime, faisant la critique de moi-même que je crois la plus sévère, que je mérite ce crédit mais je ne l’exige que de très peu de gens. » C’est-à-dire, l’engagement du transfert « faites-moi crédit ». C’est l’entretien préliminaire et aussi « ne bricolez pas trop à votre bureau des choses sur trop peu de cas et trop vite », ça ce sont d’autres éléments d’autres rêves.
Il est significatif que, Jung répond à cette lettre où il y a un engagement transférentiel explicite, Jung, lui, parle d’un rêve. Le rêve avait déjà été écrit, mais il l’adresse à Freud, et c’est cela qui va être très difficile dans le discord entre Freud et Jung, c’est qu’il a déjà écrit sur ce rêve à l’aide de la première édition de L’interprétation des rêves, mais il le re-présente à Freud, ce sont des relations que je trouve assez passionnantes. C’est sur la Psychologie de la démence précoce le texte du rêve, il était déjà écrit dans le livre adressé à Freud. « Je vis comment on hissait des chevaux au moyen de gros cordages à hauteur indéfinie, l’un d’eux, un fort cheval brun qui était ficelé dans des courroies et transporté vers le haut comme un paquet, frappa particulièrement mon attention, lorsque soudain, la corde cassa et que le cheval fut précipité dans la rue. Il devait être mort, il se leva cependant d’un bond et partit en galopant. Je remarquais que le cheval traînait derrière lui un lourd tronc d’arbre et m’étonnait qu’il avance néanmoins aussi vite. Il avait apparemment pris le mors aux dents et pouvait facilement causer un accident. Arriva alors un cavalier sur un petit cheval qui marcha lentement devant le cheval emballé, qui modéra alors aussi quelque peu son allure, je craignais toutefois encore que le cheval ne bondît par-dessus le cavalier, lorsque arriva une calèche qui se mit à avancer au pas devant le cavalier, modérant ainsi encore l’allure du cheval emballé. Je pensais alors : maintenant tout est bien, le danger est passé ». Ce sont des rêves très intéressants que nous pouvons lire comme la poussée de la pulsion, et comment faire par rapport à cela ? Là, il s’agit de modérer. Voilà comment Jung explique ça : « Vous avez bien trouvé les points faibles de mon analyse de rêve, j’en sais en effet bien plus que je n’en ai dit sur le matériel et les pensées du rêve, je connais parfaitement le rêveur, c’est moi-même », c’est dans la correspondance que cela se dit et Freud est assez discret là-dessus. L’échec du mariage riche etc… L’explication-écran : « La modération sexuelle est simplement, comme je l’ai dit, un déplacement à portée de main ; à l’arrière-plan se tient un désir sexuel illégitime qui fait mieux de ne pas voir la lumière du jour (le cheval emballé). Une des déterminantes du petit cavalier, qui éveille d’abord dans l’analyse la représentation de mon chef, est le désir d’un garçon car nous avons deux filles. Mon chef est déterminé parce qu’il a deux garçons. Je n’ai pu découvrir nulle part de racines infantiles, ça alors ! (dit Jung à propos de son propre rêve) J’ai également le sentiment que le paquet (le cheval empaqueté à la façon des gravures de Piranèse) est insuffisamment éclairci, mais je n’en sais pas l’interprétation. Aussi, bien que le rêve soit incomplètement analysé, j’ai quand même cru pouvoir l’utiliser pour illustrer les symbolismes du rêve. » Voilà quelque chose que ne va pas rater Freud. Freud dit ceci : « J’ai interrompu une lettre qui devait être plus détaillée, en partie pour des raisons accidentelles, en partie parce que ma supposition confirmée par vous de l’identité du rêveur m’a fait m’interrompre. (Voilà la réserve de Freud par rapport à ça) Je pensais seulement que vous auriez pu encore relever sans vous trahir l’interprétation tronc d’arbre = pénis et l’alternance carrière, cheval, cheval de la vie ». Je n’arrive pas à retrouver… Je la retrouverai tout à l’heure la règle de méthode selon laquelle il faut aller le plus loin possible dans l’interprétation du rêve avant d’en tirer des conclusions, naturellement.
Vous voyez déjà que Jung parlait d’illustration. Et ça c’est en relation, mais je vois que le temps passe, je vais aller un petit peu vite, en relation avec le refus finalement de Jung de parler, à proprement parler, du refoulement tel que le définit Freud. Il parle surtout dans sa méthode de passer de l’indistinct au clair et ça c’est fondamental épistémologiquement. Il ne parle pas de refoulement, mais de l’indistinct qui devient clair ; ce qui peut permettre, et ça a une cohérence dans tous les termes de Jung, c’est-à-dire que les rêves vont illustrer des propos, et on verra aussi les aspects de révélation à propos du rêve ou d’illumination, et ça se fait continûment. Il y a des textes là-dessus qui sont très importants. Jung rappelle alors à propos d’autres cas, dans la lettre suivante : « Bon d’accord, il y a des mécanismes de refoulement dans le rêve, mais pour la démence précoce il faut trouver des équivalents, et ainsi, dit-il à Freud, tuer signifie, dans un rêve dans la démence précoce, simplement nier ou refouler ». Voyez, il y a des traductions qui vont se faire pour interpréter des rêves, et quand il y aura un meurtre ce sera l’analogue du refoulement dans la névrose. Dans l’accès de la démence précoce, tous les complexes non résolus sont abréagis d’une façon tout à fait conforme au schéma de l’hystérie dit Jung, mais ça se traduit différemment : tuer = refouler.
Roland Chemama : C’est intéressant, c’est dans quelle lettre ça alors ?
Christiane Lacôte-Destribats : C’est très intéressant… 8 janvier 1907. Je suis un peu triste d’aller trop rapidement sur des choses aussi essentielles. En ce qui concerne des questions qui nous intéressent beaucoup, sur la question des frontières entre les structures, c’est là-dedans qu’on trouve des choses qui sont tout aussi… au goût du jour. Alors comment ne pas caricaturer ?
Freud dit ceci le 21 avril 1907« Je sais que l’on apprend plus de trois analyses poussées dans le détail, que de tout ce qu’on peut jamais bricoler à son bureau (envoie-t-il à Jung)… Vous observez qu’il serait incorrect de dire que l’hystérie se transforme en dementia praecox, elle est bien plutôt interrompue et remplacée par la démence précoce. Toutes nos manières de nous exprimer ne deviennent en effet accessibles au jugement que si nous inscrivons ainsi, dans l’état de fait, des représentations précises du processus de refoulement » C’est ça qui va faire critère, la précision du mécanisme de refoulement dans la distinction.
Donc à Jung qui va faire des métamorphoses entre hystérie et démence précoce, il propose l’interruption, la rupture et puis le critère de différenciation, la précision observable du processus du refoulement. Vous voyez que c’est plein d’enseignement tout ça. « Je suis d’ailleurs étonné que le retour de l’autoérotisme s’impose dans vos cas avec des résultats aussi grandioses, sans doute la jeunesse en est-elle vraiment la condition » etc. etc. C’est-à-dire qu’il va répondre et vous voyez, sans complaisance, mais toujours avec attention, aux questions posées par Jung.
Donc, prudence, rappel à l’ordre de Freud et j’ai eu l’idée de … – vous avez en tête le rêve qu’il a présenté à Freud – j’ai eu l’idée de regarder dans Ma vie ; il y a là une succession de rêves ; je ne les prendrai pas tous, parce que d’abord je n’ai pas le temps, et je voudrais arriver à une question qui me passionne aussi…
Il y a un rêve qui est situé dans l’enfance que vous lirez : « Dans mon rêve, j’étais dans une prairie, j’y découvris tout à coup un trou sombre carré, maçonné dans la terre, je ne l’avais jamais vu auparavant. Curieux, je m’en approchai et regardai au fond ; je vis un escalier de pierre qui s’enfonçait ; hésitant et craintif je descendis. En bas, une porte en plein cintre était fermée d’un rideau vert. Le rideau était grand et lourd, fait d’un tissu ouvragé ou de brocard. (etc., très riche le brocard) Le plafond voûté était en pierre et le sol recouvert de dalles. Au milieu de l’entrée, jusqu’à une estrade basse, s’étendait un tapis rouge, un trône d’or se dressait sur l’estrade, il était merveilleusement travaillé. Le siège, véritable trône royal était splendide comme dans les contes ; dessus un objet se dressait, forme gigantesque qui atteignait presque le plafond ; d’abord je pensais à un grand tronc d’arbre (vous retrouvez le tronc d’arbre traîné…) Haut de 4 à 5 mètres son diamètre était de 50 à 60 centimètres, et cet objet était étrangement constitué ; fait de peau et de chair vivante, il portait à sa partie supérieure une sorte de tête de forme conique sans visage, sans chevelure ; sur le sommet, un œil unique, (B.V. : un peu bridé… (rires) immobile, regardait vers le haut. À cet instant insupportable, j’entendis soudain la voix de ma mère venant comme de l’extérieur et d’en haut qui criait : oui, regarde le bien, c’est l’ogre mangeur d’hommes. J’en ressentis une peur infernale et m’éveillai suant d’angoisse. Ce rêve m’a préoccupé pendant des années. Je n’ai jamais pu établir si ma mère dans le rêve voulait dire : c’est ça l’ogre ou ça, c’est l’ogre. Dans le premier cas, elle aurait voulu dire que ce n’était pas Jésus ou le jésuite, (un jésuite qui lui faisait peur enfant, lui fils de pasteur protestant) qui mangeait les enfants mais le phallus, dans le second que celui qui mange les hommes d’une façon générale est représenté par le phallus, par conséquent que le sombre seigneur Jésus, le jésuite et le phallus étaient identiques ». C’est compliqué ça… « La signification abstraite du phallus est caractérisée par ce fait que le membre en lui-même est intronisé de façon ithyphallique (c’est-à-dire dressé). Le trou dans la prairie représentait sans doute une tombe ».
B.V : Oui… pourquoi ?
Ch. L : Ecoute, c’est lui qui le dit…
B.V : D’accord…
Ch. L : On prend en compte (en chœur) les mots du patient ! (rires)
« Le phallus de ce rêve semble en tout cas un dieu souterrain qu’il vaut mieux ne pas mentionner » Je voulais arriver à cette chose-là, c’est-à-dire le lien complètement direct entre le phallus et la mort, l’aspect imagé. Et ensuite, la dernière ré-interprétation de ce rêve est beaucoup moins intéressante, c’est-à-dire elle tombe tout-de-suite dans la ritualisation des cultes phalliques de telle ou telle contrée etc. Le rituel, comme vous le savez, ça protège de l’angoisse générée par ce rêve.
Sur cette question de la position du phallus, qu’est-ce que c’est le phallus par rapport à l’interprétation d’un rêve ? Il y a quelque chose que j’ai trouvé très singulier dans l’édition de poche de Ma vie, c’est page 77. Il dit ceci : « Au moment où je m’évadais du brouillard pour devenir moi-même… » C’est un moment très particulier, c’est toujours lié à sa problématique d’aller de l’indistinct au clair. Il se pose une question terriblement angoissante ; d’ailleurs je pense que cela toucherait plus à l’anxiété qu’à l’angoisse à proprement parler, à propos de Dieu et …que veut Dieu ? C’était un moment où lui venait en tête une idée défendue à l’égard de Dieu, sans doute une idée très sacrilège, il dit ceci : « Je ne peux pas faire ça à mes parents, (toute la famille est pasteur) à aucun prix je ne dois continuer de penser à ça », c’est-à-dire des pensées sans doute obscènes ou sacrilèges à l’égard de Dieu.
R.Ch. : C’est pas simplement : que veut Dieu ?
Ch. L : Pas encore, je vais vous dire le contexte, « Par un beau jour d’été de cette année 1887, en revenant du collège à midi, je passais sur la place de la cathédrale, le ciel était merveilleusement bleu dans la rayonnante clarté du soleil, le toit de la cathédrale scintillait, le soleil se reflétait dans les tuiles neuves vernies et chatoyantes. J’étais bouleversé par la beauté de ce spectacle et je pensais : le monde est beau, l’église est belle et Dieu a créé tout ça et il siège au-dessus, tout là-haut, dans le ciel bleu sur un trône d’or ». Vous voyez que ça se raccorde, cet émerveillement au rêve. « Là-dessus un trou et j’éprouvais un malaise étouffant, j’étais comme paralysé et je ne savais qu’une chose : maintenant surtout ne pas continuer à penser ; quelque chose de terrible risque de se passer, je ne veux pas le penser, il ne faut absolument pas que je m’en approche. Pourquoi pas ? Parce que tu commettrais le plus grand péché qui soit. Quel est ce grand péché, un meurtre ? Non, ce ne peut être ça. Le plus grand péché est celui que l’on commet contre le Saint-Esprit et pour lequel il n’y a pas de pardon. » C’est-à-dire, ce péché-là entraînerait la damnation définitive. Donc, vous voyez cette impression…
Vous savez ce que Lacan a dit sur la beauté et la dangerosité de la beauté, ce moment où tout est beau, en harmonie, tout brille, mais ne brille pas vraiment phalliquement, c’est-à-dire que c’est ça la question, c’est tout à fait ça la question… Après une lutte extraordinaire où se mêlent de façon passionnante des éléments théologiques, c’est-à-dire que « si Dieu m’a créé, il ne veut pas que je pense à son endroit des choses blasphématoires, mais comment se fait-il que je pense ce blasphème ? Qu’est-ce qui est arrivé à Adam et Ève qui ont été damnés ? Dieu les avait bien créés, et là il trouve quelque chose telle qu’il puisse tout de même penser la chose abominable. C’est à ce moment-là, quand il a acquis l’idée que par conséquent, c’était l’intention de Dieu qu’il commette ce péché « Cette idée me libéra immédiatement de mon pire tourment car je savais maintenant que c’était Dieu lui-même qui m’avait mis dans cet état. » Et c’est là qu’il se pose la question de : qui veut Dieu ?
B.V. : Que veut Dieu !
Ch. L. : Ouais (rires)
B. V. : Pas mal…
Ch. L. : C’est tout à fait vrai, parce qu’en fait, c’est un bon lapsus parce que la question est tout de même celle de l’appel, de la mission, de la vocation. Alors, « Cette idée me libéra immédiatement, et Dieu veut également à ce qu’il semble, mon courage par rapport à ça »… voilà le texte « Je rassemblai tout mon courage comme si j’avais eu à sauter dans le feu des enfers et le laissais émerger l’idée : devant mes yeux se dresse la belle cathédrale et au-dessus d’elle le ciel bleu. Dieu est assis sur son trône d’or, très haut, au-dessus du monde et de dessous le trône un énorme excrément tombe sur le toit neuf et chatoyant de l’église, il le met en pièces et fait éclater les murs. » Alors, vous voyez que l’enjeu est tout à fait important. C’est-à-dire que le rêve, le premier rêve n’est pas à proprement parler interprété, et que Jung ait situé comme symbole phallique, le tronc d’arbre vêtu de peau dans cet habitacle où il y a le trône d’or, ce phallus situé sur le trône d’or, qu’il ait été nommé phallus n’empêche pas que l’étron tombe et fasse éclater les murs. C’est-à-dire qu’en aucun cas on pourrait dire objet a, puisque l’objet a ne tient que par rapport à la dimension phallique, mais qu’est-ce qui tombe là ? Réel non identifié, ce qui fait éclater tous les murs, enfin la subjectivité brisée ? et tout cela dans une illumination : « S’il en est ainsi et que je réussisse, Dieu me donnera sa grâce et sa lumière et (dit-il à la suite de ça), j’ai su à partir de là ce que c’était que la grâce. » C’est-à-dire que nous sommes allés vers la clarté, ce n’était plus l’indistinct et nous sommes arrivés à une espèce de clarté. Ce que je vous fais remarquer, c’est que contrairement à tout ce que nous avons essayé ce matin de dire sur l’orifice pulsionnel, il n’y a pas d’orifice pulsionnel pour la chute de cet étron. Il tombe du trône, ça ne tombe pas d’un Dieu sur un trône. C’est-à-dire qu’il y avait le phallus dans le premier rêve et après, du trône tombe quelque chose sans orifice, enfin sans…
X : C’est la force de l’être dont on parlait tout à l’heure…
Ch. L. : Je ne sais pas… en tout cas ce sont des lambeaux d’être, je veux dire que ce n’est pas tout à fait ça. Bon, j’avais encore des choses à vous dire, peut-être encore ça, et puis je continuerai la fois où je reparlerai
Mais, page 260 pour essayer de vous éclairer tout ça tout de même, l’enjeu de l’interprétation des rêves, c’est pour vous montrer que ça peut être tragique, et que la prudence de Freud était tout à fait de mise. Ça n’a pas empêché que le rêve trouve son aboutissement d’une façon un peu mystique, la mystique du diable presque, mais voilà… Alors c’est très important parce qu’il reprend des rêves, c’est page 260, c’est le chapitre passionnant de Jung à propos de Sigmund Freud : « Je n’ai jamais pu accorder à Freud que le rêve fût une « façade » derrière laquelle sa signification se dissimulerait, signification déjà existante mais qui, par perversité pourrait-on dire, serait cachée à la conscience. Pour moi les rêves sont nature (vous en avez eu un exemple) qui ne recèle la moindre intention trompeuse et qui dit ce qu’elle a à dire aussi bien qu’elle le peut, comme le fait une plante qui pousse ou un animal qui cherche sa pâture. Longtemps avant que je ne fasse la connaissance de Freud, j’avais considéré l’inconscient ainsi que les rêves qui en sont l’expression immédiate (voyez ces termes précis) comme un processus naturel dépourvu de tout arbitraire, et surtout de toute intention de prestidigitation. Je n’avais aucune raison de supposer que les ruses de la conscience s’étendissent aussi aux processus naturels de l’inconscient. Au contraire l’expérience quotidienne m’apprit avec quelle résistance acharnée l’inconscient s’oppose aux tendances du conscient. »
Vous entendez l’enjeu, quand Freud parle de condensation et de déplacement, Jung entend façade inutilement trompeuse, alors que les rêves en fait disent, je ne sais pas s’il faut dire : la vérité, mais en tout cas le réel ; c’est ça peut-être que nous pourrions lire… C’est l’un des aspects du rapport persécutif à Freud de Jung, les rêves ne sont pas que des façades, et non pas d’intention trompeuse, pour Jung. Il y a là quelque chose que je reprendrai peut-être, mais vous en avez assez là maintenant, sur la torsion des lectures, mais qui sont, ce n’est pas pour dire que l’un à tort, l’autre a raison, cela ce n’est pas intéressant mais ce qui est intéressant c’est de comprendre l’enjeu du discord et la question aussi soulevée par le réel, dans le rêve. Je vais m’arrêter là, il y aurait encore beaucoup de choses à dire que je vous dirai la prochaine fois aussi, mais je pense que ça va… et vous avez certainement plein de questions.
R.Ch. : Je vais commencer, écoute Christiane, il y a beaucoup de choses, beaucoup, beaucoup de choses…
Ch. L. : Merci beaucoup…
R.Ch. : Moi peut-être que je ne prendrai pas les choses exactement comme toi en ce qui concerne l’histoire de la psychanalyse ; je te l’avais d’ailleurs un peu dit quand on en avait parlé : par soi-même le fait d’aborder le champ de la démence précoce alors que Freud parle davantage de l’hystérie et de la névrose en général…
Ch. L. : Et de la paranoïa…
R.Ch. : Et de la paranoïa, ne me paraît pas par soi-même un discord. Je crois même qu’à l’époque, on pourrait dire que Freud était plutôt content que quelque chose vienne faire écho à ce qu’il travaillait du côté de la psychiatrie. S’il laisse à Jung la place qu’il lui a laissé, c’est parce que Jung dirigeait un des plus grand établissement psychiatrique où d’ailleurs Abraham a travaillé si je me souviens bien, et que donc ça donnait l’occasion de voir si à partir de la méthode freudienne on ne pouvait pas élargir le questionnement, non seulement à la paranoïa, mais effectivement à la démence précoce. Bien entendu le fait que par ailleurs soient venues chez Abraham des choses sûrement intéressantes sur la mélancolie, on en parlera à Berlin dans une réunion organisée par l’association « Ferenczi après Lacan », c’est un nom ça, mais c’est quelques collègues de différents groupes qui organisent ensemble des choses, comme ça, donc Abraham dans la voie de… du fait d’aller voir dans d’autres dimensions et notamment dans la mélancolie, a trouvé un certain nombre de choses. Donc si tu veux par soi-même, non seulement ça explore des champs, mais ça amène Freud aussi à dire où il en est par rapport à ça. Il le dit, c’est intéressant ce que tu as cité à un moment donné, qu’il s’approche de la psychose, tu l’as dit a un moment donné. Il faudrait le texte exact, mais il le dit : c’est au fond comme s’il y avait des formes qui, tout en étant plus proches de la psychose, sont quand même plus abordable dans l’analyse. Je crois qu’il y avait le délire d’observation à un moment donné, et puis quelque chose qui m’a stupéfait, il parle de l’angoisse du rougissement comme s’il le situait ailleurs que dans la névrose au sens strict, ce qui quand même…
B.V. et Ch. L. : L’éreutophobie…
R. Ch. : L’éreutophobie, moi j’en ai vu plusieurs chez des sujets névrosés « bon teint », et alors là par exemple je me demande pourquoi est-ce que Freud va le situer comme cela, le situer ailleurs que dans la névrose…
Ch. L. : C’est classique
R. Ch. : Ah, c’est classique, bon très bien alors un jour si quelqu’un veut faire un exposé là-dessus. Chemin faisant, moi ça ne me paraissait pas évident, mais si quelqu’un trouve de quoi alimenter… Chemin faisant, Jung, qui était vraisemblablement lui-même psychotique d’après ce qu’on en sait, dit des choses sur l’interprétation des rêves dans la psychose, qui au fond devraient être intéressantes.
Ch. L. : Mais c’est intéressant
R. Ch. : Je dois dire que les freudiens et les lacaniens ne nous ont pas beaucoup parlé de la façon dont fonctionne un rêve dans la psychose, on n’a pas grand chose là-dessus. S’il y a des gens qui travaillent avec des psychotiques et ont l’impression d’avoir perçu certaines choses sur le fonctionnement du rêve dans la psychose, ça serait tout à fait intéressant qu’on le prenne là. Alors, deux points, je ne vais pas être trop long. Il y a, voilà que j’oublie du coup un des deux, ça c’est extraordinaire…
B.V : Commence par le second,
R. Ch. : Je vais commencer par le second, mais j’oublie aussi le second… ça serait intéressant… oui ça y est … ça serait intéressant d’aller chercher chez Jung, par rapport à cette histoire de phallus et par rapport à ce qu’il en serait d’une forclusion du phallus, on pourrait le dire comme ça puisque tu dis que même si apparemment il y est ( ?) le tronc d’arbre, ça n’empêche pas que la fonction phallique ne joue pas, c’est-à-dire que l’objet a n’est pas détaché en tant que tel, c’est un peu ce que tu nous disais…
B.V : Il tombe…
R. Ch. : Il tombe mais sans qu’il y ait orifice, sans qu’il y ait en quelque sorte fonctionnement de la fonction phallique, c’est comme ça que je l’ai entendu…
B.V : C’est surtout pas partiel…
R. Ch. : Il n’est pas partialisé. Alors, juste un point, ça m’intéresserait de me demander qu’est-ce que… décidément il va falloir que je le retrouve … il va falloir aller chercher chez Jung, ça en revanche ça ne part pas, ce qui est à situer au niveau des discours et notamment par rapport à sa position de protestant, c’est-à-dire qu’est-ce qui fait, qu’à un moment donné il ait pu au fond, être exclu du phallus parce que le phallus était de côté catholique. C’est ça que c’est en train de dire ça, c’est ça qu’il dit puisque à un moment donné cette analyse du rêve… Comment est-ce qu’il faut entendre le rêve, est-ce que le diable… ça te paraissait compliqué mais tout cela est centré sur le fait qu’il essaie de se repérer sur le jésuite et le… D’accord c’est ça ?
Ch. L. : Oui mais alors je peux te répondre…
R. Ch. : Ca me permettra peut-être de retrouver cette idée qui me venait et que je ne retrouve plus… Alors si j’ai bien entendu aussi, il y a un autre point sur lequel ce que tu as amené est tout à fait intéressant par rapport à la clinique et y compris à la nouvelle clinique, c’est ce que tu dis autour du terme de loque qu’emploie Freud. Parce que, si je me souviens bien ce qu’il en dit est double. Il dit : si on a pas une tendance suffisante au refoulement, c’est pas de la névrose mais des loques à quoi on a à faire, c’est ça ? Mais aussi dans un contexte où il y a une sorte de renforcement, d’exacerbation de la libido. Quand la libido est très forte et que parallèlement le refoulement ne fonctionne pas, on n’a pas des sujets névrosés mais des sujets qui se présentent comme…
B.V : Comme des errements, non pas des hyper-mecs…
R. Ch. : Mais des loques, ça c’est tout à fait intéressant pour notre clinique contemporaine puisque la clinique contemporaine, nous pensons qu’il y a quelque chose qui fonctionne autrement, ou moins bien dans le refoulement et comment Freud déjà à l’époque pouvait dire ça, alors c’est à qui qu’il écrit ça ? C’est à Jung ? Je ne me souviens plus…
B.V. et Ch. L. : Abraham…
R. Ch. : Abraham, donc là on a des éléments tout à fait intéressants pour la clinique …
Ch. L. : Écoute alors… je vais répondre à une question qui est très difficile sur le protestantisme par rapport au catholicisme et en particulier le jésuite qui faisait très peur à Jung avec sa longue robe noire…
R. Ch. : Pourquoi ça le phallus fait peur par exemple, parce qu’il est…
Ch. L. : Attends, d’abord ça. Effectivement il y a dans Luther quelque chose qui… D’abord je ne sais pas si c’est Luther ou Calvin à Bâle, mais je pense que c’est Luther, il va falloir que je vérifie ça, mais il y a ce terrible courage de risquer la damnation par rapport à toute la théorie catholique de la grâce, en centrant la foi sur les écritures, donc c’était un risque qui, quand on lit les textes, est un risque mortel… Que dire encore, effectivement tu as raison on peut lire le courage qu’il a par rapport à ça, c’est-à-dire de refaire l’acte de courage, c’est-à-dire de pécher. Luther disait : bienheureux celui qui pèche parce qu’il va être sauvé, c’est sur lui que la grâce va tomber et c’est ce qu’interprète Jung quand la grâce tombe, mais enfin ce qui tombe… bon, bref. Mais tout de même sa grande difficulté était d’injurier Dieu, ce n’était pas le mouvement protestant de critique, c’en est un analogon déprécié, ravalé.
R. Ch. : Je peux t’interrompre un instant ?
Ch. L. : Oh oui !
R. Ch. : Est-ce qu’on pourrait dire par exemple, que dans certaines situations historiques, un discours qui c’est posé contre un autre, peut pour tel ou tel sujet particulièrement fragilisé ne pas donner des éléments de légitimation suffisants pour trouver dans le discours qui s’opposait au premier, tu vois, qui peut apparaître comme un risque de damnation mais qui en fait ne devrait