Une large offensive vis-à-vis des pouvoirs publics et de Bruxelles a
été montée par un consortium de groupes de psychologues
et de psychoactivistes pour obtenir la mise en place d’un Diplôme
d’État de psychothérapeute.
Sexologues, sophrologues, gestaltistes, hypnotiseurs, rêveurs éveillés,
cri primal, etc. se trouvent ainsi rassemblés par des lobbyistes professionnels
qui oeuvrent en permanence dans les couloirs des Commissions bruxelloises et
du Ministère de la Santé. Ils ont même commandé à
l’AFNOR, société d’experts habituellement chargée
de labelliser les cuisinières à gaz et les frigidaires, une étude
pour définir, après enquête auprès des praticiens
et des usagers, les normes de qualité du psychothérapeute N.F.
Le résultat pourrait paraître surréaliste si n’y manquait
une pointe d’humour. Retenons toutefois que le futur psychothérapeute
trois étoiles sera autonettoyant puisqu’il devra obligatoirement
passer par "un travail personnel sur lui-même" sans que quiconque
puisse deviner les moyens de décapage.
Ce lobby a le bonheur d’aller au devant d’une légitime préoccupation
du Ministère, qui est de contrôler la qualité des soins
dispensés dans le pays et d’éviter la répétition
de négligences comme celles du sang contaminé.
Or le domaine des "psychothérapies" est foisonnant d’inventions
alléchantes qui n’ont d’autre limite que l’esprit de libre
entreprise et la crédulité du public. La lecture des petites annonces
dans les quotidiens de province – la méridionale, en particulier – est
édifiante à cet égard. L’obligation d’avoir,
pour exercer, un Diplôme d’État devrait écarter les
petits malins sans scrupule.
Le problème est malheureusement plus complexe. D’abord parce que
les études préparatoires au Diplôme et qui seront inévitablement
de psychologie, ne peuvent former un praticien. Nul n’ignore que ce sont
ses qualitéspersonnelles, ses références idéologiques,
voire le besoin qu’il a de gagner sa vie qui seront déterminants.
Le Diplôme viendra ainsi donner sa garantie de l’État à
des pratiques sans lien avec la formation reçue mais dépendantes
de préconceptions qui peuvent s’avérer aberrantes, voire
scandaleuses.
Il est attesté en effet que l’efficacité de ces diverses
techniques tient à un moyen unique et qui se nomme la suggestion. L’hypnose
mérite ainsi d’être reconnue comme la mère de toutes
les psychothérapies, y compris à cause de l’ancienne et savante
élaboration qu’elle a suscitée et qui culmine dans la manipulation
du pouvoir impérial et aveuglant de la parole. Mais alors qu’elle
dit clairement le médium de son action, ses filles la dissimulent derrière
des artifices. Et l’affichage du Diplôme ne saura garantir la déontologie.
Une autre question interroge la visée du soin ; doit il, sur un mode
orthopédique, traiter une fonction (motrice, sensorielle, sexuelle, psychique,
etc.) ou bien chercher la restitution d’une subjectivité qui ipso
facto en autoriserait le jeu ?
La première intention traite le semblable comme un mineur qu’une
manipulation peut rendre à une activité dont la qualité
n’est pas prise en compte ; la seconde, le traite comme un sujet responsable
auquel un équilibre entre les instances psychiques devrait permettre
de décider de sa conduite. L’éthique sociale est ici convoquée
et il n’est pas surprenant que les nazis substituérent un Institut
de Psychothérapie à l’Institut Psychanalytique de Berlin
; on en a récemment retrouvé un rejeton au Brésil où,
en pleine forme grâce à sa cure faite chez un de ces psychothérapeutes
émigrés en 45 là-bas, un jeune psy collaborait dans la
chambre de torture avec les tortionnaires de la dictature militaire.
Nous sortons péniblement d’une époque marquée par
la puissance de la suggestion exercée dans le domaine politique au niveau
des masses. La voilà qui ressurgit dans le champ individuel, toujours
bien sûr animée de bonnes intentions. Mais avec un pas de plus
nous nous retrouvons tomber dans les sectes, et l’incapacité des
moralistes à définir leur nuisance : rien d’autre pourtant
que leur usage de la suggestion et donc de la manipulation. Il arrive certes
à des psychanalystes de pratiquer des psychothérapies, sous la
contrainte des circonstances extérieures, de la particularité
du cas, de l’urgence etc.; mais c’est toujours en refusant de se poser
en guide et en laissant ouverte la possibilité d’une analyse du
transfert. Il ne peut en effet, comme disait Lacan, se mettre au service des
biens puisque ce sont eux qui, souvent, servent à distraire le sujet
de sa misère.
Prions, de grâce, nos gouvernants d’épargner aux analystes
les exigences d’une reconnaissance par l’État. Depuis près
de 100 ans, leurs instituts de formation assurent une qualification qui ne s’arrête
pas à la somme du savoir mais intéresse le plus intime des engagements
du futur praticien. Et la participation permanente aux travaux de leurs sociétés
les expose à une évaluation collective difficile à récuser.
J’ai eu l’occasion de faire remarquer à la brillante et savante
collaboratrice du Ministère sollicitée par les psychothérapeutes
que la délivrance d’un Diplôme ne pouvait être synonyme
de garantie et dans ce cas précis risquait d’engager de façon
incontrôlable la garantie de l’État.
Les exemples étrangers ne sont pas encourageants. En Allemagne, l’intervention
des Caisses d’assurance aboutit à un contrôle qui rompt la
confidentialité, décharge le patient de sa responsabilité
et contraint les deux partenaires à une obligation de résultat
antipathique avec le déroulement de la cure. En Italie, le rattachement
obligé aux Écoles de Psychothérapie, seules reconnues par
l’État, brouille la spécificité de la psychanalyse.
La France, elle, a le privilège d’enseignements qui en aujourd’hui
le centre de référence pour la psychanalyse dans le monde. Espérons
que l’État continuera de respecter une liberté acquise et
qui rend ce domaine, le seul apte aujourd’hui à faire connaître
et propager notre langue.