La presse s’est fait récemment l’écho (notamment Le quotidien du médecin du mercredi 18 mai 2005) d’un film présenté à la télévision d’un homme atteint d’une maladie incurable, enregistré dans les derniers moments de sa mort programmée.
Cette prestation soulève plusieurs remarques :
– Sa réalisation suppose et alimente l’illusion que la mort et le réel seraient accessibles, et seraient accessibles par l’image, par le regard et l’approche scopique.
– Elle révèle ce que nous savons déjà dans notre monde actuel, que l’image et le regard se substituent au symbolique qui tente de rendre compte du réel.
– Elle manifeste enfin, en alimentant l’illusion que la mort serait accessible, le déni du réel et la jouissance associée à ce déni.
Il a lieu de tenir compte de la souffrance d’un homme qui sait qu’il est condamné par une maladie incurable, mais c’est une affaire d’intimité pour chacun, partagé dans la confiance et la présence de proches plus que celle d’une exhibition offerte au regard de tous. Par ailleurs, J. Lacan rappelait que l’échéance de la mort est pour tous la seule échéance dont nous soyons sûrs et il appartient à chacun, sa vie durant, de se situer vis-à-vis de cet incontournable.
Cette présentation met par ailleurs en évidence l’envers du déni qui consiste en ce que sont disqualifiées les positions symboliques, que ce soit celle de celui qui est limité à être spectateur, ou que ce soit celle du médecin, réduite par l’exhibition filmée à être celle d’un criminel, de celui qui tue.
Dans l’exhibition, le journaliste propose d’offrir à la jouissance du spectateur le réel de la mort qui ne peut que lui échapper. C’est induire artificiellement chez le spectateur un temps de perversion. Par l’exhibition, le sujet est invité, sans la référence à un discours qui rendrait compte de la violence du spectacle – l’article souligne que le film a été diffusé sans le moindre débat – le sujet est invité donc, comme spectateur, à risquer d’être saisi par le désarroi ou l’angoisse qui peuvent se manifester chez le patient, à son insu. Il risque d’être précipité dans l’identification à ce trait d’humain qui échappe au patient dans cette épreuve, et de substituer à ce qui serait la singularité de sa parole de spectateur l’identification à l’angoisse de l’autre, manifestée à son insu. On voit bien l’artifice de cette perversion.
Il est possible aussi que cette prestation puisse servir à alimenter chez ceux qui la produisent une jouissance tout aussi perverse par la supposition qu’ils peuvent avoir de l’angoisse suscitée chez le spectateur par l’exhibition.
En tout état de cause, il s’agit là de la mise en place artificielle d’un temps de perversion.
Ceci pose la question de la subjectivité d’un être confronté à la souffrance d’une mort imminente, mais il s’agit ici, répétons le, d’une question d’intimité, et il y a d’autres manières de l’aborder.
Le recours à l’exhibition délibérée pose la question de la responsabilité et de l’éthique des proches et de celles des journalistes tant à l’égard du patient qu’à l’égard de ceux qu’ils introduisent à cette perversion.