La forclusion - Die Verwerfung
18 février 2014

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COLLECTIF
Dictionnaire
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Freud – Historique

Antérieurement à la psychanalyse, la psychose n'avait été abordée que d'un point de vue philosophique, épistémologique, phénoménologique.

Freud se démarquera de cette tradition, et, en 1915, lors de l'analyse de l'Homme aux Loups, introduit le terme nouveau de Verwerfung, d'abord traduit par « rejet ». Ce terme deviendra spécifique de la psychose, alors que dans la névrose, c'est la Verdrängung – ou refoulement qui est en cause.

C'est la distinction névrose-psychose, refoulement-rejet qui se précisait. Elle était, dès 1894, annoncée dans les Psychonévroses de défense : « il existe une sorte de défense bien plus énergique, bien plus efficace qui consiste en ceci que le moi rejette (Verwift) la représentation insupportable en même temps que son affect et se conduit comme si la représentation insupportable n'était jamais parvenue au moi ».

Lorsqu'en 1903, Freud analysa le texte des Mémoires du Président Schreber comme exemple type de psychose, il n'utilisa pas ce terme de Verwerfung, et c'est en 1915, dans l'après-coup de l'analyse de l'Homme aux Loups, – un névrosé, pensait-il – que ses repères ne suffisant plus, ce concept s'avéra nécessaire. On peut trouver ce mot de Verwerfen-Verwerfung à de nombreux passages du texte : il marque chaque fois le rapport du sujet à la castration : « Nous savons déjà quelle attitude notre patient avait d'abord adoptée en face du problème de la castration. Il la rejeta, et s'en tint à la théorie du commerce par l'anus. Quand je dis, il la rejeta, le sens immédiat de cette expression est qu'il n'en voulut rien savoir, ceci au sens du refoulement. Aucun jugement n'était par là porté sur son existence, mais les choses se passaient comme si elle n'existait pas ». (Cinq psych.).

Nous voyons que, simultanément, Freud soulignait « l'absence de jugement » comme le sous-jacent de cette Verwerfung.

De nombreuses hypothèses centrées sur les mécanismes de projection dans la névrose, amenèrent Freud à préciser, en 1911, à propos de l'hallucination (article sur la paranoïa) : « Il n'était pas exact de dire que la sensation réprimée (Unterdrückt) à l'intérieur était projetée vers l'extérieur : nous reconnaissons bien plutôt que ce qui a été aboli à l'intérieur revient de l'extérieur ».

Plus tard, en 1927, dans l'article sur le fétichisme, puis en 1938, dans l'Abrégé de psychanalyse, Freud est amené à introduire un nouveau terme, celui de Verleugnung ou « déni de la réalité » pour distinguer le mode de défense du pervers de celui du psychotique.

Freud – Clinique

C'est l'hallucination du doigt coupé chez l'Homme aux Loups qui permit à Freud de repérer un effet du rapport du sujet à la castration. L'Homme aux Loups s'exprime ainsi : « je remarquai soudain avec une inexprimable terreur que je m'étais coupé le petit doigt de la main de telle sorte que le doigt ne tenait plus que par la peau. Je n'éprouvais aucune douleur mais une grande peur. Je n'osais pas dire quoi que ce fût à ma bonne qui était à quelques pas de moi ; je m'effondrai sur le banc voisin et restai là assis, incapable de jeter un regard de plus sur mon doigt… et voilà qu'il n'avait jamais subi la moindre blessure (Cinq Psychanalyses, p. 390).

Il faut noter que l'Homme aux Loups ne retrouva cet épisode hallucinatoire que plusieurs années plus tard ; à propos de cicatrices sur le nez, il se trouva de nouveau confronté au rejet primordial : la petite chose pouvant être séparée du corps réapparaît sous forme hallucinatoire. Ainsi, l'effet est différent de ce que Freud avait repéré dans la névrose : ce mode de castration implique comme père un « personnage terrifiant » qui menace d'une castration réelle.

Freud en est là au père, agent de la castration. Il s'ensuit un type particulier de transfert – le rapport de Schreber à Flechsig est à cet égard exemplaire -, qui, comme le soulignera Lacan, a tout son poids dans le déclenchement de la psychose.

Freud résume : « deux courants contraires existaient en lui côte à côte : l'un abominait la castration, tandis que l'autre était tout prêt à l'accepter et à se consoler avec la féminité à titre de substitut ». (Cinq Psychanalyses).

Abord de la question par Lacan

Alors que Freud faisait état de la relation du sujet au père, Lacan, avec le cas Schreber, aborde la question de la relation du sujet au signifiant : « l'attribution de la procréation au père ne peut être l'effet que d'un pur signifiant, d'une reconnaissance non pas du père réel, mais de ce que la religion nous a appris à invoquer comme le nom du père ». (Quest. Prél., p. 556).

De quel procès s'agit-il dans la Verwerfung ? : « C'est exactement ce qui s'oppose à la Bejahung primaire et constitue comme tel ce qui est expulsé ». (Ecrits, p. 387).

Dans sa Réponse au Commentaire de Jean Hippolyte en 1953, – à partir du texte de Freud sur la dénégation Die Verneinung, 1925, Lacan définit la forclusion par rapport à un « procès primaire », en deux phases :

L'une de symbolisation ou Bejahung – position-affirmation, ou « introduction dans le sujet » : l'Einbeziehung ins Ich, phase qui n'a pas eu lieu

L'autre, « d'expulsion hors du sujet » : l'Ausstossung aus den Ich : c'est le réel en tant qu'il est le domaine qui subsiste « hors de la symbolisation », d'où la formule de Lacan : « Ce qui a été forclos du symbolique réapparaît dans le réel ».

Dans ce même texte, Lacan emploie alternativement pour traduire le terme freudien de Verwerfung, ceux de expulsion et retranchement : « ce que le sujet a ainsi retranché de l'ouverture à l'être ne se retrouvera pas dans son histoire, si l'on désigne par ce nom le lieu où le refoulé vient à réapparaître ».

En 1955, dans les Structures freudiennes des psychoses, Lacan préférera aux termes précédents celui de « exclusion ». (Edit. pirate sém. I).

C'est en 1956, dans la Question Préliminaire, de même qu'à la fin du séminaire sur les Structures freudiennes des Psychoses, que Lacan choisit, pour traduire Verwerfung, le concept de forclusion, spécifiant qu'il s'agit d'une forclusion du signifiant.

De quel accident de la relation du sujet au signifiant s'agit-il ? « Essayons de concevoir maintenant une circonstance de la position subjective où, à l'appel du nom du père réponde non pas l'appel du père réel, car cette absence est plus que compatible avec la présence du signifiant, mais la carence du signifiant lui-même ». (Q. P. p. 557).

La Verwerfung implique donc que d'emblée, quelque chose n'est pas admis au titre des signifiants primordiaux, ce qui a pour effet de constituer un trou dans le symbolique (non Bejahung).

Les effets de la forclusion

Puisque la forclusion est un trou dans le symbolique, elle ne peut se repérer qu'à ses effets. Ils ne peuvent être appréhendés d'une manière pertinente que dans la structure particulière du dire d'un patient psychotique : « Nulle part le symptôme, si on sait le lire, n'est plus clairement articulé dans la structure elle-même ». (Q.P. p. 537).

La perturbation du rapport au signifiant nécessite d'être attentif aux troubles du langage ; ce sont

eux qui fournissent les points de repère. Comme par exemple :

des mots-clefs, dont la signification ineffable ne renvoie pas à une autre, mais rien qu'à elle-même. Ce sont des néologismes : comme par exemple celui de « galopiner ». (Sém. les Psychoses) ;

des phrases – ritournelles à caractère stéréotypé. Ces mots et ces phrases constituant une sorte de « plomb dans le filet » comme l'exprime Lacan, et qui est la caractéristique structurale du délire ;

enfin, le phénomène de la phrase interrompue avec la suspension du sens, indique, sur un mode de rapport à l'Autre, allusif, la décomposition de la fonction du langage : « car, même dans les moments où il s'agit de phrases qui à la limite peuvent avoir un sens, on n'y rencontre jamais rien qui puisse ressembler à ce que nous appelons une métaphore». (Sém. pirate les Psychoses, 2 mai 1956).

Puisque la psychose se déclenche pour un sujet dans des conditions électives à la rencontre du défaut du signifiant comme tel, et par le trou que celui-ci ouvre dans le signifié, il s'ensuit le développement séparé de la relation du signifié et de l'appareil signifiant.

Les points de capitonnage du discours, les points d'attache fondamentaux entre le signifiant et le signifié n'ayant quelque part jamais été établis ou ayant lâché, il se produit l'émergence de phénomènes automatiques, où le langage se met à parler tout seul, entraînant une décomposition du discours intérieur et la prééminence du signifiant comme tel, de plus en plus vidé de signification. C'est tout l'appareil signifiant lui-même qui nécessairement subit un profond remaniement : « d'où procède le désastre croissant de l'imaginaire, jusqu'à ce que le niveau soit atteint, où signifiant et signifié se stabilisent dans la métaphore délirante ». (Q.P. p. 577).

Ce point-là est l'aboutissement du travail de la psychose.

Pour ce qui concerne la position du sujet, le schéma I comparé au schéma R (Écrits pp. 571 et 553), fournit des points de repère quant à la structure du sujet au terme du processus psychotique. Ce qui y est patent, c'est sa régression « non pas génétique, mais topique au stade du miroir » (Q.P.).

Dans ce rapport purement duel, la relation imaginaire prend une fonction autre que celle d'exclusion réciproque qui permet de fonder l'image du moi. Elle prend celle de la capture imaginaire dans une aliénation plus radicale, puisqu'elle réduit le sujet à la position intimidée.

En effet, le mode d'adresse au Grand Autre, étant simplement d'indiquer sa direction ou son existence sous la forme de l'allusion, celui-ci est donc exclu du circuit, qui se ferme sur les deux petits autres. Si bien, qu'au lieu d'en recevoir son message sous une forme inversée, le sujet en reçoit sa propre parole dans l'autre, qui est son reflet dans le miroir. Dans l'exemple donné par Lacan (Sém. Les Psychoses du 7-12-1955), le mot «truie» est entendu hallucinatoirement.

Ce qui oblige à interroger : dans quel registre cette parole surgit-elle ? Pour constater que c'est le réel qui parle, « le réel en tant qu'il est le domaine de ce qui subsiste hors de la symbolisation ». (Écrits : Réponse au commentaire de J. H.).

C'est dans le registre de l'imaginaire que se soutient le fragile équilibre du sujet. Car de l'anéantissement du signifiant, « il faudra qu'il porte la charge, assume la compensation, par une série d'identifications purement conformistes». (Sém. Psychoses 18 avril 1956).

Puisque dans cette conjoncture, le père ne peut pas être un signifiant, reste qu'il ne peut être qu'une image, à laquelle le symbole ne peut venir faire limite. Dans ce cas, c'est un rapport tout à fait démesuré à un personnage qui se situe « dans l'ordre de la puissance et non pas dans l'ordre du pacte ». (Sém. Psychoses 18-4-56).

Schreber témoigne qu'il n'y faut rien de moins que Dieu le père lui-même, pour que son délire parvienne à son point d'équilibre, ce qui implique un sacrifice.

Du fantasme de départ : « qu'il serait beau d'être une femme subissant l'accouplement », et contre lequel il lutte, il suit le trajet obligé de devenir La femme de Dieu, l'identification féminine étant pour lui la seule façon de sauver une certaine stabilité du monde.

Quelle remarque à propos de ce trajet ? Sinon que la forclusion du signifiant père ouvrant un trou à la place du signifié phallique, le patient est amené à y précipiter son être tout entier. A propos de l'Entmannung : « Ce n'est pas pour être forclos du pénis, mais pour devoir être le phallus, que le patient sera voué à devenir une femme ». (Q.P. p. 565).

Une question se pose : un nouveau signifiant peut-il venir en place du signifiant manquant ? A propos d'un néologisme hallucinatoire dans un cas d'automatisme mental ¾Discours Analytique n° 6 ¾une réponse de M. Czermak : « Si un délire n'est pas autre chose que cette toile d'araignée de significations ayant organisé un certain signifiant, le néologisme hallucinatoire s'avère être ce centre de la toile qui concentre, ramasse, attire et réordonne toutes les significations vitales ».

La création d'un nouveau signifiant est-elle la seule perspective résolutoire à la forclusion du Nom-du-Père ?

Remarques

Ce texte ne peut être qu’un ensemble ouvert à un questionnement sur de nombreux points, notamment :

Quel est le statut de cette perception de la castration, qui passerait mécaniquement au-dessous du « haut-col » de la Bejahung, dont l’effet est une perception qui demeure à l’état de signifiance sans signification ?

Le rejet d une castration non symbolisée pose la question du registre de la représentation représentative de la castration.

Un indice : dans la Lettre 25 à Jung (1907), la Verwerfung n’est en quelque sorte qu’un avatar du processus de refoulement de la libido dans la psychose. Ce refoulement serait suivi d’un retour de la libido, puis du rejet de la réalité.

Quelle différence y a-t-il entre « forclusion de la castration », et « forclusion du Nom-du-Père » ?

Dans le Séminaire surle Transfert du 21-12-60. Lacan évoque à partir de Platon la figure de la sphère telle qu’elle est décrite dans le Timée : « ronde pleine, contente, s’aimant elle-même, et surtout n’ayant pas besoin d’œil ni d’oreille, puisque par définition, c’est l’enveloppe de tout ce qui peut être vivant…, animée du seul mouvement parfait, mouvement circulaire sur elle-même», sphère qui est la structure imaginaire, à laquelle « adhère » la Verwerfung de la castration.

Pourrait-on dire que la forclusion de la castration serait en quelque sorte l’imaginarisation, ou aussi bien le signifié de la forclusion du Nom-du-Père ?

Cette sphère alors, serait-elle représentative d’une absence radicale de la castration ?

Le terme de « métaphore »à propos du délire, pose question, puisque ce qui définit la psychose, pour

Lacan, est justement l’absence de métaphore.

Le Nom-du-Père étant le signifiant qui arrête le glissement de la signification, le délire, ou le néologisme comme métaphore délirante, en seraient-ils un tenant-lieu qui stabiliserait à terme signifiant et signifié ?

Ou bien seraient-ils un tenant-lieu de la barre, essentielle dans la formule de la métaphore, quand on sait : « la valeur constituante de ce franchissement pour l’émergence de la signification » (Instance de la lettre – Écrits – p. 515).

Rappelons, avec Lacan, le « surmoi » comme « corrélat de la castration ». (Sém. Encore). « Enoncé discordant » pour le sujet, l’origine en serait l’incorporation de certaines paroles, d’où un mécanisme comparable à celui de la Verwerfung .

Si Freud insistait sur le fait que le surmoi comportait essentiellement des représentations auditives de mots, pour Lacan, cette articulation au réel, lien du stade oral et de son objet : la voix, fait qu’il peut être considéré à son stade dernier, comme une des formes de l’objet a. (Sém.L’Ethique). Nous voyons donc ici la prévalence de la perception auditive en tant que représentative de la castration.

Dans la psychose, ce mécanisme se manifeste à découvert, dans le réel.