Je crois qu’il y a deux thèmes dans ce que je vais partager avec vous :
De Freud à Lacan
C’est de lire que la pensée de Freud était liée à une pré-conception des rapports de la pensée avec le réel dans le sens d’une adaptation à la réalité, que j’ai compris la nécessité de la réflexion sur la logique.
Dans l’exposé que fait Jacques Nassif, il dit que Lacan substitue à la formule « l’inconscient ne connaît pas la contradiction » de Freud, « il n’y a pas d’acte sexuel ». Il note que ce sont des énoncés captieux, c’est à dire porteurs de tromperie ou de feinte. On n’est pas sur un plan de réalité, ça pointe vers la vérité (mi-dite) et on s’approche de la notion du démenti.
La contradiction est généralement entendue avec le sens qu’elle a pour la conscience d’être une négation. Mais contradiction et négation désignent-elles la même chose ? Prolongeant ce que disent Damourette et Pichon[1], l’usage du terme de contradiction se prête peut-être mieux à signifier la difficulté pour la pensée de nier quelque chose. Pensant en termes d’adaptation à la réalité, Freud ne peut que postuler une autre scène, en précisant néanmoins qu’il ne s’agit pas d’un lieu neurologique.
La formule de Freud se trouve dans le chapitre sur les procédés de figurabilité du rêve. Toutefois si le rêve ignore le non, il excelle à réunir les contraires et même parfois à les présenter en un seul objet, indique Freud. Cela rappelle le travail sur le sens opposé des mots originaires. Il y a de même l’impuissance du rêve à exprimer l’alternative « ou bien ou bien » autrement que par juxtaposition. Freud note alors que ne pas arriver à faire quelque chose est l’expression de la contradiction, du non.
Mais Freud note quand même quand même qu’une forme du non se trouve dans les rêves où un acte ne parvient pas à être posé. Cette remarque renvoie en fait à la rencontre de l’impossible tel que Lacan va la développer, c’est à dire l’expression d’un réel. L’inconscient n’oppose pas les signifiants, il les juxtapose. C’est la castration qui tranche.
Il y a par ailleurs l’observation clinique de la dénégation que fait Freud, qui le conduit à concevoir une théorie de l’inscription via la notion de deux types de jugements, dont l’un introduit d’ailleurs la question de l’existence, notion à la base des questionnements du séminaire.
L’acte analytique a des contours tracés par la négation
L’acte est situé dans le langage. Les remarques de Lacan sur l’expérience de Pavlov l’indiquent d’entrée de jeu. D’où le questionnement sur la grammaire et la logique qui tente de la formaliser. Les réflexions logiques sont à la base du travail d’un grammairien.
La négation est une notion en réalité plus complexe qu’elle n’en a l’air. Damourette et Pichon ont montré[2] la difficulté en français de nier quelque chose. Selon eux le français utilise le pas qu’ils disent forclusif, et le ne qu’ils disent discordantiel, celui-ci afin de vraiment exclure l’objet dont il est question de tout le champ de la pensée.
En tant qu’il sert à saisir quelque chose, l’acte est un concept. Comment est-il lié à l’inconscient ? En quoi importe-t-il dans un travail qui a pour objet la prise en compte de l’inconscient, puisque celui-ci est structuré comme un langage ? J’entends dans le comme que la structure du langage se trouve mise par l’inconscient à l’enseigne de la lettre, dont il insiste pour dire qu’elle n’est pas le signifiant.
Lacan dit de beaucoup de manières ce qu’il entend par acte, souvent en employant une forme de la négation. C’est, dit-il, un acte en porte-à-faux[3]. Le porte-à-faux est un élément architectural au-dessus d’un vide, comme un balcon. Ce porte-à-faux institue en donnant un support au sujet supposé savoir, où l’association avec l’architecture montre un lien métaphorique avec le vide. Il y a aussi le signifiant faux, qui chatouille la question de la vérité.
« C’est autour de l’acte psychanalytique qu’est suspendue la résistance du psychanalyste qui, dans cette structuration se manifeste en ceci, qui est tout à fait constituant de la relation analytique, qu’il se refuse à l’acte[4] » dit-il ailleurs. L’acte est lié à une résistance et à un refus, ceux de se prêter à incarner le sujet supposé savoir. C’est une notion tout à fait essentielle pour la position de l’analyste. Il faut que « l’acte reste en blanc »[5] sur la ligne du transfert pour permettre la fiction du sujet supposé savoir. Le discours de l’analyste dira-t-il plus tard est celui où l’objet a est l’agent.
Dans l’échange rapporté entre les participants au séminaire, reprenant une remarque de Xavier Audouard selon laquelle l’acte étant pur commencement il n’impliquerait nulle reconnaissance, Charles Melman se demande s’il n’y a pas « quelque chose au fond de tout acte qui ferait que le sujet soit amené à le nier [6]».
Qu’est-ce qui peut l’expliquer ? Il me semble que cela découle de ce que l’acte véritable est pur commencement de quelque chose qui est à venir. Lacan en parle en liant la tâche psychanalysante à l’acte psychanalytique « au terme de quoi, dit-il, le sujet est, disons, averti de cette division constitutive, après quoi, pour lui, quelque chose s’ouvre qui ne peut s’appeler autrement ni différemment que passage à l’acte, disons, éclairé, justement de savoir qu’en tout acte, il y a quelque chose qui comme sujet lui échappe (…) et qu’au terme de cet acte, la réalisation est, pour l’instant, pour le moins voilée de ce qu’il a, de l’acte, à accomplir comme étant sa propre réalisation. [7]»
La mention d’un passage à l’acte surprend, moins si l’on pense que les deux protagonistes de l’analyse passent, chacun différemment, par un moment de pur sujet ou d’homme sans qualité, une espèce de vide comme celui que postule la notion de création d’ex nihilo.
La négation et l’énonciation
Dans un énoncés comme dans Tout trait est vertical le sujet est masqué par le prédicat[8]. Pour marquer que c’est le pas de trait qui importe on peut dire ceci : Pas de trait qui ne soit vertical, c’est à dire que s’il y a des traits, ils sont verticaux mais aussi que s’il n’y a pas de verticaux, il n’y a pas de traits. La quantification masque le rapport entre les signifiants qui représentent le sujet, illustrés ici par trait et vertical.
Où est le sujet ? Il est un effet de discours, un effet de langage, un effet de signifiant. Que « pas de x qui ne soit f(x) » vaille en A et en E dans le carré d’Apulée, fait apparaître que le sujet est en E, car y est mis en question la relation entre les signifiants, ce que l’universelle affirmative « pour tout x f(x) » masque. Dans le « pas qui ne soit », le subjonctif fait trace du sujet. Si on l’écrit sous la forme « il n’est pas de x qui ne soit f(x) », le ne porté sur la variable x n’a pas la même valeur que celui sur la fonction.
La double négation marque le pas de sujet, à entendre aussi comme un pas de la marche – la trace, son effacement, sa répétition et la naissance du signifiant dans sa relation au sujet. Lacan le met en relation avec l’endroit où se trouve l’analyste, « en deçà d’une tentative de capture de l’énonciation par les réseaux de l’énoncé ».
Le sujet est un effet du signifiant. Il se soumet à cet effet, de faire l’épreuve de se perdre au fil des mots qu’il dit pour s’y retrouver, de tenter de ne pas trier dans ses paroles en laissant libre cours au travail associatif de ses pensées, n’écartant donc pas ce qui lui vient à l’esprit. Il accepte de se lire (voix moyenne) comme évanescent entre deux signifiants et d’y faire l’épreuve de la vérité, qui ne peut qu’inclure un reste.
Dans la voix moyenne, le sujet est en position d’agent du je pense et en même temps objet de sa pensée. La voix moyenne désigne une faille entre énoncé et énonciation, comme quand quelqu’un dit « je me bataillais pour la (sa petite amie) reconquérir ».
Lacan se défend d’avoir à produire une nouvelle négation qui escamoterait ce dont il s’agit, à savoir le bouchage de ce reste, le bouchage de la fonction du sujet par un zéro. Or la logique cherche précisément à résorber le sujet supposé savoir sans lequel la fonction du sujet s’annule.
L’analyste ni sujet ni objet mais tenant lieu de l’objet
« C’est dans l’acte qu’il pose que le psychanalyste lui-même s’institue psychanalyste. Ce n’est donc pas d’un discours sur l’acte qu’il s’agit [9]». Sa fonction est de permettre un évidement, qui aboutit à ce qu’il soit rejeté comme objet a comme cause du désir, restitué au psychanalysant.
Que l’analyste tienne la place où il sera rejeté sous la forme du a, est le fait d’un démenti assumé, puisqu’il supporte une place dont il est averti par sa propre expérience qu’elle est une fiction. Cela suppose une négation interne à son acte. Mais ce démenti est moins le fait du psychanalyste comme sujet, que produit par la structure logique que son acte a, quand il est positionné comme objet a, avec le faire du psychanalysant.
Réaliser le fait de l’existence d’un sujet supposé savoir au lieu d’un savoir complice d’une forme de méconnaissance, ne se peut que par le rejet du psychanalyste ayant permis d’identifier en le perdant l’objet qui cause le désir d’un sujet au travers de son histoire.
À quoi fait écho la question de « où était l’analyste à tel moment et en tel point de l’histoire du sujet (…) car quelque chose était déjà là [10]». Mais qui le savait ?
[1]Psychiatre-Psychanalyste et grammairien dont les travaux ont intéressé Lacan.
[2]Dans leur article intitulé Sur la signification psychologique de la négation, paru en 1928 dans le Journal de psychologie normale et pathologique.
[3]p. 95
[4]p. 114
[5]p. 115
[6]p. 136
[7]p. 229
[8]pp. 148 à 152
[9]pp. 257 et 258
[10]pp. 280 et 281