La dépression en page 28 du journal Le Monde du 17 octobre 07, et sur les écrans de télévision, paraît-il, durant toute une semaine.
C’est incroyable, je finirai par apprendre mon métier de médecin psychiatre, métier que j’exerce depuis 30 ans, à la télévision et dans Le Monde, parce que "la dépression est sous diagnostiquée" mais les anti-dépresseurs trop prescrits. Et que certains croient judicieux de me le rappeler, ainsi qu’à nos patients. Patients et médecins seraient donc complices d’un mauvais exercice médical et d’un excès de dépenses. Médecins, malades, complices et ignorant du mal qu’ils traitent ou dont ils souffrent. Un médecin qui ne connaît pas la médecine, un patient qui ne sait pas qu’il a mal, ni où il a mal !
Allez donc y comprendre quelque chose !
La provocation étant "une façon de remettre la réalité sur ses pieds", je n’y résisterai pas.
Ils nous prennent pour des cons, nous les médecins qui ne savent pas ce qu’est "une dépression" et qui prescrivons n’importe quoi, et les patients aussi, ceux qui souffrent et qui ne savent même pas de quoi.
Cons pour cons, jouons au con. Enfin ça commence à bien faire d’infiltrer en permanence la relation spécifique entre le médecin et son patient. Pourquoi ne pas mettre sur écoute tous les cabinets, tous, y compris les toilettes, pour s’assurer que, nous pauvres petits ignorants, pauvres petits médecins mal- formés, dé-formés par nos quelques 10 années d’études à la faculté, ne savons rien, ne savons même pas, dit donc, que la dépression, c’est une maladie, une maladie qui fait mal. C’est incroyable ça, on reçoit des dizaines de patients par jour, mais on ne comprends rien de la souffrance humaine. On nous demandera certainement de regarder la télévision ou d’aller au cinéma pour comprendre qu’un être humain, ça souffre, ça déprime, ça va mal.
C’est aussi ce que doivent croire les prêtres des laboratoires ou de l’INPES, pour nous avoir adressé une brochure sur la dépression dont l’épaisseur ne dépasse pas celle de l’encre utilisée pour l’imprimer.
J’en ai assez de ces brochures : "la dépression, ça fait mal", "la dépression , pour en savoir plus". Je me savais crétin, non, je suis ignorant des banalités qu’on nous rappelle sur ce papier glacé, oui, glacial.
Glacial, parce que tout cela à bien y regarder fait froid dans le dos. Mettant de côté mon orgueil de médecin à qui certains voudraient rappeler son ignorance fondatrice, je veux dire fondant sa relation à l’autre, cela fait froid dans le dos de voir revenir, l’hygiénisme.
Je savais qu’il ne fallait pas fumer, s’arrêter de boire, faire du sport, mais je ne savais pas que faire de la gymnastique (dixit la brochure), protégeait de la dépression. Un esprit sain, dans un corps sain, un corps saint dans un esprit sain, et pourquoi pas "le salut par le travail". Voilà, ce qui me fait froid dans le dos, cet hygiénisme. La sainteté attribuée au corps.
Que des journalistes et des médecins se prêtent à cette mascarade d’une médecine télévisuelle, médiatique, d’une médecine préventive a de quoi nous faire réfléchir.
D’abord les campagnes de prévention sont toujours anxiogènes pour nos patients, source de questions, d’inquiétudes pour eux-mêmes ou leur proche et parfois cela peut avoir des effets catastrophiques. On s’arrête de fumer à coup de gommes et de patchs pour éviter le cancer annoncé et on se fabrique un infarctus foudroyant, trop de nicotine et trop de stress. Enfin cela fait toujours un fumeur de moins. Les effets de ces campagnes ne sont jamais réellement évalués, je veux dire cliniquement, dans cette individualité particulière de chacun à son symptôme à sa maladie. C’est l’idéologie de la statistique qui prévaut. Autant annoncer la disparition du médecin, de sa fonction, de la singularité. Devenons, ré-éducateur, kinésithérapeute, coach, prescripteur, et tout rentrera dans l’ordre, à condition de bien prescrire. Et de bien prescrire quoi ? Un nouvel objet de consommation, objet bien lucratif : les anti-dépresseurs testés, évalués scientifiquement, sans aucun recul au-delà de 5 ans., et remboursés par la sécurité sociale, c’est-à-dire mis gratuitement à disposition. Anti-dépresseurs pour lesquels nous sommes visités, nous médecins, plusieurs fois par semaine pour nous en rappeler l’efficace, et visités par quelques jeunes gens élégants et polis mais formés comme des vendeurs de voitures en quelques jours seulement. Prescrivons, prescrivons et qu’un sang impur abreuve nos sillons.
À ces messieurs des laboratoires, de la presse, à ces messieurs les scientifiques qui connaissent bien mieux que moi mon métier, Salut.