L’édition du Monde du 9 juillet 2011 rapporte que « le Conseil Constitutionnel défait la composition du tribunal pour enfant »[1].
Ce point mérite notre attention à plusieurs titres. La justice des mineurs ressort jusqu’alors de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante. Elle comporte deux versants conjoints : le versant punitif et le versant éducatif. Elle vise ainsi à ne pas stigmatiser la transgression avérée de celui ou de celle qui n’est pas encore un majeur en tenant compte des facteurs d’immaturité de l’enfance. Il s’agit de rapporter à la singularité de l’enfant la transgression à sanctionner et d’ajuster la sanction pour qu’elle puisse acquérir une portée éducative et préventive pour l’avenir de l’enfant.
La particularité de la fonction du juge d’enfant est à la fois d’instruire l’affaire dont il est saisi par le procureur, et de la juger. C’est ce point que conteste de Conseil Constitutionnel, comme le rapporte cet article, puisque le juge d’enfant n’est pas soumis à l’article 49 du code de procédure pénale, selon lequel le juge d’instruction « ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu en sa qualité de juge d’instruction ». Ainsi « le cumul des fonctions d’instruction et de jugement n’est pas compatible avec le principe d’impartialité des juridictions ».
Que le juge d’enfant soit juge et parti, c’est certain. Que le juge d’enfant soit celui qui punit et celui qui éduque est aussi certain. Mais c’est bien la position originale qui lui a été dévolue dans le droit. Un juge d’enfant, qui nous avait apporté sa contribution dans une journée de travail sur les adolescents voici quelques années[2], avait relevé que les attributions du juge d’enfant dans le code civil se calquent sur les attributions du chef de famille. C\’est-à-dire que sa place sert d’indice dans le social et le juridique à la place défaillante de l’autorité des parents, père et mère. C’est l’indice d’une place symbolique à même de représenter l’interdit, mais aussi de l’humaniser, en l’incarnant dans l’identité du juge. Il n’y a pas lieu de nous étonner alors de la particularité de cette juridiction, partiale certes, mais qui peut permettre à l’enfant une adresse personnalisée à un représentant de l’interdit. La partialité de la juridiction correspond à un nœud entre le singulier de l’autorité intime familiale et l’autorité de la vie sociale. L’un fait résonnance avec l’autre, dans un temps où se prépare la vie en société d’un enfant. Il n’est donc pas surprenant que cette fonction ne réponde pas strictement et seulement à la logique juridique. Et c’est en cela que se révèle l’intelligence du législateur jusqu’alors.
Déjà actuellement, combien d’éducateurs, de travailleurs sociaux, de policiers, de juges d’enfants même, regrettent que d’une audience à l’autre, le jeune ne retrouve pas le juge d’enfant auquel il s’était précédemment confronté, déplacé pour des raisons de carrière ? L’incarnation de la loi n’y trouve pas son compte, le jeune non plus, qui attend la confrontation à un adulte qui puisse représenter la loi et incarner une forme de fiabilité de la parole, via l’interdit. Nous savons bien que les jeunes cherchent avant tout dans le monde actuel la fiabilité de la parole d’un adulte. Ils se font éjecter des institutions qu’ils fréquentent pour vérifier que l’adulte va mettre en acte sa parole quand il les a auparavant menacés d’exclusion. Malheureusement, ils perdent alors, dans l’exclusion, le contact de l’adulte qui a témoigné de la fiabilité de sa parole…
Le juge d’enfant est donc juge et parti c’est vrai. Mais c’est bien ainsi. C’est l’indice pour un jeune « délinquant » – au sens strict du terme – de l’adresse possible à un adulte qui représente la loi dans le monde actuel. C’est l’indice d’une instance symbolique qui puisse permettre au jeune la reconnaissance de sa subjectivité dans le lieu même où il est contraint de respecter la loi, les lois de la parole, au premier chef. Les juges d’enfant connaissent bien les difficultés d’exercer cette fonction, parce qu’ils y sont engagés dans l’exercice de leur propre subjectivité. La place du juge d’enfant n’est sans doute pas une place impartiale mais elle est juste en regard de la subjectivité de l’enfant.
Détacher, comme c’est le projet actuel, le versant punitif du versant éducatif, met en pièces la subtilité de cette fonction. C’est stigmatiser les mises en acte délictueuses, sans égard pour la perversion du monde actuel qui incite, sans en avoir nullement conscience, les jeunes à des mises en acte par lesquelles ils en dénoncent la malhonnêteté. Je rappelle souvent cet exemple d’un père qui me demande s’il doit sanctionner son fils qui lui a volé du haschisch. Est-ce concevable que le recours au vol soit pour un adolescent le seul recours possible pour solliciter un père sur son éthique et pour qu’il rende compte de ce qui gouverne sa jouissance d’adulte ? Je rappelle aussi comment les happy-slapping[3] sont, comme actes délictueux, une manière de dénoncer une télévision malhonnête.
Nous pouvons espérer du législateur une intelligence qui nous préserve d’une stigmatisation des mises en actes des jeunes. Elles sont certainement à sanctionner avec sévérité, puisqu’elles ne peuvent mettent en cause la vie sociale. Mais elles exigent d’être rapportées à la singularité de chacun, et les praticiens de terrain savent bien comment de multiples situations graves se désamorcent quand elles sont prises à temps et avec intelligence. C’est là, bien entendu, un travail éducatif conjoint à la sanction auprès du jeune concerné, un travail de prévention à vaste échelle, et non une politique de prédiction[4], à entretenir par le travail remarquable des équipes de la protection judiciaire, et un travail législatif qui puisse susciter l’honnêteté et l’intégrité dans la vie sociale actuelle. C’est un enjeu éthique pour chacun.
Le juridique ne peut en rendre compte à lui seul et le législateur doit être inspiré par le souci de ménager la place pour la subjectivité naissante des jeunes, qui seront les adultes de demain.