Si le psychanalyste est quelqu’un qui accepte de tenir compte de l’existence
de l’inconscient, il est un sujet qui accepte l’impérieuse nécessité
du manque à être comme une des lois du signifiant. Ce manque à
être, c’est ce qui du savoir va manquer au sujet pour être, S2 le
savoir inconscient sous la barre de l’objet a cause du désir :
le sujet désire, il est causé par ce désir, cause au sens
de la cause mais aussi au sens de la causerie, causerie un peu particulière
puisqu’il ne s’agit pas d’un dialogue mais d’un effet de vérité
induit par une position qui le fait commun des mortels.
C’est pourquoi je peux m’autoriser à vous faire part d’un rêve,
d’un rêve qui m’a offert le titre de cet exposé, exposé
qui interroge la subversion du rapport du sujet au savoir lorsque le sujet fait
l’épreuve du discours analytique. Ce rêve est celui d’un lecteur
de Lacan qui se demande ce qui fait l’autorité du psychanalyste. Ce rêve
est le suivant : le rêveur n’est pas sur l’estrade du grand communicateur,
il n’est pas en train d’exposer, il est au fond de la classe à sa table
de travail et il se dit, non sans angoisse… je suis à la place du cancre.
Avant ce rêve un livre m’avait mis dans un malaise, malaise qui se redoublait
d’un embarras car ce livre est écrit par une personne qui se dit psychanalyste.
Ce livre s’intitule Les cancres n’existent pas.1
Plus de cancres, le savoir doit être accessible à tous et si
le savoir est carent pour faire du tout, la psychanalyse viendra à la
rescousse pour que ce qui fait défaut au savoir, avec un S majuscule,
soit enfin soit enfin soigné pour un S1. N’importe quel savoir est convié
à cette tâche égalisant les différents savoir pour
faire du savoir une marchandise.
Je suis allé piocher dans l’article de Lacan » La direction de
la cure » pour étudier cette question du savoir. C’est un écrit
qui semble avoir été laissé, comme très souvent
avec les textes de Freud et Lacan afin que notre égarement puisse retrouver
le sillon des laboureurs du champ de l’inconscient. Le signifiant direction,
celui de la direction de la cure, représente le sujet de l’analyse pour
un autre signifiant, pouvoir, les principes de son pouvoir étant
le deuxième titre de La direction de la cure et les principes de son
pouvoir.
Où nous voyons que la question du savoir jouxte avec celle des enjeux
du pouvoir. Où nous avons le sentiment que ces journées sur la
direction de la cure dans cette volonté de reprendre la dite clinique
vont dans le sens d’une interrogation sur le savoir analytique et son statut.
Je vais donc vous faire part de quelques unes de mes réflexions que j’ai
voulu appliquées, appliquées à la pensée de Lacan.
L’appréhension défectologique d’une réalité jamais
suffisamment totalitaire, le, en voilà un qui n’a pas une appréhension
correcte de la réalité, qui est le discours de l’éducateur,
s’est déplacé sur le savoir, en voilà un qui n’a pas le
savoir qu’il faut, qui est le discours du professeur.
Il est à remarquer un paradoxe dans ces temps où l’appel est
celui du discours de la science, un appel au savoir absolu, c’est que nos enfants
ont dans ce contexte une grande difficulté à apprendre. L’appel
à un savoir que nous pouvons qualifier de savoir illimité trouve
sa limite d’une part dans le social avec ce qui de la limite ne peut s’inscrire
qu’au prix d’une délinquance, d’autre part dans l’intimité du
sujet avec le ravage d’un pouvoir du savoir ne lui permettant que très
difficilement à s’autoriser du moindre manque dans ce savoir pour être.
Ce qui est problématique pour l’analyste dans ce discours social c’est
que cela s’apparente à ce que semble prôner le discours analytique
avec le tu peux savoir de Lacan. La différence c’est que le tu
peux savoir concerne le non-rapport sexuel et non le réel. En aucun
cas un analyste aurait à proposer un savoir sur le Réel mais ce
qui est étonnant c’est que la formulation du discours analytique
n’est pas incompatible avec ce type de rapport au savoir.
Pour expliciter cette différence je vous propose trois ponctuations
:
– Le Savoir viendrait se ranger au titre des objets a, il devient un
objet qui organise un certain type de lien social. Le nul n’est censé
ignorer la loi devient vous êtes censé savoir, où vous vous
apercevez que ce qui disparaît c’est le ne d’une énonciation possible
au profit d’un énoncé avec un retour du refoulé où
la force de la négation prend un caractère vif et affirmatif.
– Le Savoir catégorise les objet a dans un registre qui forclot
le désir. C’est un savoir ignorant puisque c’est un savoir qui ne veut
pas savoir que c’est le manque de l’objet qui le constitue.
– Dans la langue française ce signifiant savoir dans sa polysémie
amène sur la scène le voir et la voix.
C’est l’image qui prime, c’est le son qui résonne, renvoyant le sujet
à l’impasse de la pulsion scopique et à des signifiants qui ne
sont que des sons, ce qui fait que la problématique narcissique reste
figée dans une solution miroitante, vacillante, une solution d’isolation
phonique. Restent des images et des bruits, l’inconscient est maintenant structuré
comme un langage désubjectivé. La vogue des caissons hyperbares
n’est pas étrangère à cette problématique où
la solution envisagée tenterait une éradication réussie.
Réussite qui se paye par un syndrome hallucinatoire où regard
et voix déferlent dans le réel, réussite d’une retrouvaille
avec la première satisfaction, celle de l’hallucination du manque de
l’objet. Satisfaction qui là n’en est pas une parce que la catégorie
du manque s’efface au registre des pertes et profits, corps et biens si vous
voulez pour une jouissance de l’objet dont on pourrait peut-être dire
que c’est la jouissance de l’Autre.
Où nous nous rendons compte que tout savoir totalitaire est une régression
topique à un savoir qui ne serait plus ce qui du manque de l’objet détermine
la cause. Cette régression a pour conséquence un aplatissement
par le passage d’un espace non euclidien à un espace euclidien : l’objet
regard est aplati au voir, l’objet au son. Comme nous le remarquons les deux
registres fonctionnent dans un nouage et permettent de rendre compte d’un phénomène
clinique présent dans les psychoses lors de ce dénouage avec les
hallucinations voisées et non voisées, distinction que C. Melman
met au principe d’un travail sur les psychoses. Qu’est-ce que cela serait qu’un
savoir qui ne prendrait pas le pouvoir ? Est-ce que ce ne serait pas une des
qualités essentielles du savoir analytique ?
En 1951, nous pouvons observer que le texte Variantes de la cure type
est construit sur les bases de la structure. Il y a l’heureuse surprise de constater
que Lacan donne l’exemple jusque dans la construction de sa communication puisqu’il
nous montre sa soumission au principe de son énonciation : l’inconscient
est structuré comme un langage. Elève appliqué des lois
du signifiant, il traverse la question des variantes dans leur abord synchronique
et diachronique. L’abord synchronique montre qu’une cure qui serait dirigée
par l’idée d’un prêt-à-porter pour chaque sujet amène
à mettre en avant dans l’analyse les critères thérapeutiques
qui sont fondés par une théorie, celle de l’adaptabilité,
théorie dont nous mesurons qu’elle met en place une cure qui serait dirigée
par le fantasme de l’analyste. L’abord diachronique est l’étude des variations
dans le mouvement analytique, variations dans le sens où l’analyse des
résistances après celui du matériel ne tient pas compte
de la persistance de la résistance, expression de l’avancée freudienne
de la seconde topique où la structure s’est décollée de
l’histoire. Ce n’est plus la résistance des matériaux qui est
en question, c’est la résistance de la structure. La résistance
c’est la structure, elle s’exerce dans la transversalité du parallélisme
des chaînes. C’est la résistance dans le glissement du signifiant
et du signifié, c’est le sceau du non-rapport sexuel. Ce n’est que dans
une prise en compte de cet impossible que l’analyste aura non pas une liberté
dans la langue, mais un certain jeu dans les contraintes de la structure.
Le transfert c’est l’immixtion du temps de savoir écrit Lacan dans une
petite note, c’est l’interrogation portée par un sujet sur son savoir,
savoir si impératif, si tyrannique, celui-là même qui met
le sujet en fading de son propre désir.
Alors est-ce que nous pourrions mi-dire que le sujet n’ek-siste que parce qu’il
mi-sait ? Aucun missel pour lui dire ce qu’il serait bien de bien faire, aucune
bible pour lui dicter sa conduite, juste son désir.
S’il y a direction de la cure c’est de la propre énonciation de l’analyste
qu’elle s’origine, nulle sorcellerie, nulle suggestion mais la force de la parole.
La dit-rection c’est alors ce qui de son dire est en rectitude des lois du signifiant.
C’est à se dégager d’une position de maître, maître
à penser, maître es sexe, maître in nominem que le pouvoir
de l’analyste s’exerce. Il ne s’exerce qu’en refusant d’en user.
Le transfert c’est l’inscription signifiante en un lieu où l’analyste
vient représenter, supporter les Vorstellungsrepresentanz, non
dans une incarnation mais en tant qu’il tire les leçons de sa subordination
aux lois du signifiant. La définition que M. Kundera donne du roman dans
Les testaments trahis me convient assez : c’est un territoire où
le jugement moral est suspendu.2 Roman qui chez lui est principalement le travail
de la langue. Cela n’empêche pas une morale, au contraire, dit-il. Nous
dirions une éthique.
Fils des lois du signifiant, l’analyste mi-sait que ce qui lui est adressé
ne le concerne pas mais s’adresse à quelques signifiants d’une demande
qui se déroulera sur le tapis rouge de la talking cure.
La mise du transfert c’est ce je ne sais pas ce que vous demande. Mise
de départ ou mise nécessaire à ce qu’un travail puisse
s’effectuer. Car si je sais ce que je te demande, je ne saurai jamais ce que
tu me demandes et dont je souffre, les symptômes venant relayer ce qui
de la demande de l’Autre ne se dit pas.
Les entretiens préliminaires ne seraient pas alors l’objectivation d’une
structure puisque d’objectivation il n’y a qu’au prix de la paranoïa mais
ce qui se déduit dans l’hic et nunc de la structure dans un rapport
à un Autre, comme un homme n’ek-siste que par rapport à une femme
et une femme par rapport à un homme, une structure par rapport à
une autre structure.
Les entretiens préliminaires sont ce temps où l’analyste repère
ce qui relève du champ du réel, du symbolique et de l’imaginaire
d’un sujet et ce qui relève ou pas de son acte.
Je vais pour illustrer ce que j’avance dans les pas de Lacan, vous parler de
deux moments du discours chez deux patientes.
1. » Je viens vous voir parce qu’une amie psy m’a dit que si j’ai eu
une fausse couche je devais avoir des problèmes et que je pourrais guérir
de ce problème en parlant. «
Les entretiens préliminaires pour cette patiente ont consisté
à resituer le sujet d’une demande car la première n’était
qu’un effet de leurre, induit par le discours social, leurre d’un savoir total
où le sujet n’aurait pu que produire une résistance du Moi et
de la structure. Cette demande est devenue : mais qu’est-ce qui fait que je
donne la mort ? Point de réel du sujet que masquait la première
demande, l’articulation de sa demande venant resituer un sujet de la demande,
un sujet dans sa rencontre avec un point de réel de sa structure. Le
point de réel ne se repère que dans le mesure où il est
pris dans la structure et c’est parce qu’il est pris de cette façon là
qu’il peut être travaillé avec un patient.
Dans la première demande – d’ailleurs a-t-elle vraiment le statut d’une
demande au sens lacanien c’est-à-dire, ce qui se déchire du besoin
– dans cette première demande, imaginaire et réel sont noués
dans une exclusion du symbolique, ce me paraît être ce qu’on appelle
le progrès social.
Voilà donc comment avec de l’offre j’ai créé la demande
alors que si j’avais adhéré à l’offre que j’aurais été
supposé lui proposer, j’aurais réduit sa demande à une
demande transitive, ce discours transitif qui peut se passer de tout passage
à la doublure du graphe, doublure qui dégage le sujet de l’énonciation
du sujet de l’énoncé, déchirement de la demande par rapport
au besoin où réapparaît ce qui du Je a été
primordialement refoulé.3
2. » Je suis heureuse avec lui, profondément heureuse, un
long silence, mais il enregistre mes paroles pour leur donner un sens qu’elles
n’ont pas « , me dit cette patiente qui sait ce qu’elle demande comme
elle sait. On ne lui fait pas le coup avec les jeux de mots. » J’attends
de vous que vous me croyez. » Un rêve montrera pourtant la difficulté
d’une demande pour elle » je devais appeler quelqu’un aux abonnés
absents mais je ne pouvais pas le faire, j’avais un appareil qui bloquait ma
mâchoire. « La demande est demande inconditionnelle de la présence
et de l’absence.4
Ces deux moments du discours de deux patientes que je vous ai rapporté
ici exemplifient à leurs antipodes ce qui pourrait passer comme une intentionalité
de frustrer le patient dans l’abstention thérapeutique alors qu’il s’agit
d’une éthique du signifiant. L’analyste est celui qui supporte la demande
non pour frustrer le sujet mais pour que réapparaissent les signifiants
où sa frustration est retenue.5
Faire passer le Trieb et la pulsion pour ce qui ne serait qu’espace de la frustration,
voire de la privation a des conséquences sur le signifiant. Dans ces
deux cas, nous voyons de quelle dégradation le signifiant est l’objet.
Dans l’un le signifiant n’est qu’un rêve, voire un traumatisme, c’est
le registre imaginaire du signifiant, dans l’autre il est érigé
dans une toute puissance sans borne, c’est le registre réel du signifiant.
Si le Trieb est une pulsion partielle c’est parce qu’il est scandé par
les lois du signifiant et c’est à l’amour que le sujet va se confronter,
l’amour pouvant se définir comme l’appel inconditionnel d’un signifiant,
celui qui manque dans l’Autre. Nous distinguerons au moins deux savoirs, l’un
qui est un savoir de la pulsion, l’autre un savoir du signifiant, celui du savoir
de Freud sur la pulsion de mort. C’est mon interprétation de : l’inconscient
est un savoir qui ne sait pas. Le savoir du psychanalyste est lié à
l’impossible, il est par essence partiel, c’est un discours sans paroles (d’un
autre à l’Autre).
Toute tentative hors de cette porte étroite amène le discours
psychanalytique dans le champ du pouvoir. Le discours psychanalytique au
pouvoir titre un article de C. Melman.6 Le discours analytique n’est pas
à l’abri d’une telle dérive et c’est parce que mon savoir je le
travaille dans une référence qui fait barre, celle du discours
de Freud et de Lacan, qu’il a quelque chance d’être un savoir analytique,
entre autre chose.
Vous connaissez la formulation lacanienne définissant le transfert comme
expérience de discours d’un analysant avec un sujet supposé savoir,
formulation qui a fait des émules et quelques mules du savoir. Cette
formulation pourrait pour un temps être dite autrement, le temps qu’il
faut à une ritournelle pour rencontrer l’Autre scène. Le sujet
supposé au savoir convient-il ? Cela a déjà le mérite
de laisser la possibilité d’envisager la catégorie du symptôme
pour savoir.
En ces temps, il y aurait peut-être une heuristique à considérer
l’effectuation du transfert dans un registre où l’analyste est le sujet
supposé au non savoir.
Les deux champs du savoir et du non savoir, savoir imaginaire et savoir symbolique,
s’entrecoupent pour définir un autre champ celui de la réalité
tel qu’il est défini dans le schéma R. L’entrée dans le
transfert par l’adolescent nous montre bien qu’elle nécessite que ces
deux points du transfert se mettent en place. Leçon de la jeunesse dont
il me paraît nécessaire d’entendre le lieu de sa vérité
car la jeunesse n’a jamais autant su de choses et n’a jamais été
aussi ignorante puisqu’il y a des réponses à tous les problèmes.
C’est là que, me semble-t-il, se trouve un des ressorts de l’exclusion
; lorsque le savoir est totalitaire c’est le sujet qui est exclu et cela c’est
un des enseignements de la psychanalyse qui nous fait savoir que le sujet ex-siste
au savoir. Nous savons aussi que le moment où l’analysant dit qu’il ne
sait pas, qu’il ne sait plus est un moment de bascule, et d’opérativité
dans le transfert.
Je crois que ces journées qui ont lieu aujourd’hui, de la direction
de la cure à la question de la structure interroge dans la synchronie
la direction dans les critères qui la constituent en fonction de ce signifiant
direction, critères que j’ai appelé les principes de son énonciation
et dans la diachronie le chemin parcouru par Lacan de la direction de la cure
jusqu’aux noeuds borroméens, c’est-à-dire ce qui s’est imposé
à lui comme la question de la structure du sujet.
A ce compte là, la direction de la cure c’est la structure.