Marc Darmon – Je vais vous parler du Moi. Je ne vais pas vous parler de moi, mais il est certain que lorsque l’on prend la parole on ne parle que de soi. Donc je vais vous parler du Moi, parce que le Moi, lui ne parle pas. Le Moi ne parle pas, sauf dans un certain cas où le Moi se met à parler et ce n’est pas la circonstance la plus heureuse.
Je vous rappelle cette patiente examinée par Lacan qui avait entendu d’une façon hallucinatoire le mot « truie ». Cette patiente venait de rencontrer un voisin à qui elle avait dit – « je viens de chez le charcutier ». Donc je vous rappelle cette histoire. Cette parole hallucinatoire « truie », Lacan nous dit que c’est justement le Moi qui se mettait à parler comme une marionnette, non pas avec un grand Autre en arrière-plan, mais une marionnette qui se mettait à parler dans le réel. Voilà le Moi, quand il se met à parler c’est ça. Donc on ne peut que parler du Moi si on ne se situe pas dans ces circonstances particulières où le grand Autre est en quelque sorte renvoyé à l’infini.
On parle du Moi comme d’un objet, et c’est effectivement la place que le Moi va occuper dans les élaborations de Lacan, la place d’un objet constitué par des identifications imaginaires.
Au Séminaire d’hiver, traditionnellement on étudie les textes de Freud, et nous allons examiner les textes de Freud se rapportant au Moi, en particulier Le Moi et le Ça, La psychologie collective et analyse du Moi, Moïse et le monothéisme – je vais vous dire pourquoi – L’avenir d’une illusion. Alors pourquoi évoquer ces textes, en particulier Moïse et le monothéisme dans une réunion où il est question du Moi ? Eh bien, cela vient d’une remarque de Lacan au cours du séminaire R.S.I., où il nous dit que :
« Freud ne croit pas en Dieu parce qu’il opère dans sa ligne à lui comme en témoigne la poudre qu’il nous jette aux yeux pour nous en-Moïser. L’en-moïsement peut être aussi bien l’en-moisement dont je parlais tout à l’heure. Non seulement il perpétue la religion mais il la consacre comme névrose idéale »
Alors effectivement Lacan, un petit peu avant, a parlé du Moi, du Moi comme imaginaire.
« C’est dans le sac, le sac du corps, c’est de ce sac que se trouve figuré le Moi, en quoi d’ailleurs ceci l’induit à devoir sur ce Moi spécifier quelque chose qui justement y ferait trou d’y laisser rentrer le monde, de nécessiter que ce sac soit, en quelque sorte, bouché de la perception. C’est en tant que tel que Freud, non pas désigne, mais trahit que le moi n’est qu’un trou. »
Lacan fait allusion à ce dessin de Freud que l’on trouve dans le Moi et le Ça ou dans Les nouvelles conférences, où le Moi est représenté à l’intérieur d’un œuf en continuité avec le Ça et en rapport avec l’ouverture du système perception/conscience.
Alors ce dessin a d’autres détails intéressants. C’est-à-dire que par un certain côté le Moi est séparé du Ça par une coupure qui renvoie au refoulement, au refoulé, mais cette coupure ne va pas jusqu’au bout puisqu’il y a tout un champ où il y a une certaine continuité entre le Ça et le Moi. Et ce schéma se perfectionne avec une petite calotte sur le côté gauche, c’est, dit-il, le lieu des perceptions acoustiques. Alors pourquoi du côté gauche ? Eh bien parce que Freud faisait allusion à la situation de l’aire du langage qui est situé à gauche. C’est-à-dire qu’il donne une représentation imaginaire pour illustrer sa deuxième Topique où le Moi est une sorte de… entre en continuité avec le Ça dont il est en quelque sorte une émanation. C’est-à-dire qu’à l’interface entre le Ça et le monde extérieur, dit-il, de la réalité, va se différencier le Moi qui est à la fois en contact avec les pulsions du Ça et les exigences de la réalité.
Donc ça c’est une des explications que donne Freud pour sa deuxième Topique (puisqu’on a convenu de l’appeler comme ça) ; et il y a aussi quelque chose dans ce texte Le Moi et le Ça, qui vient préciser la constitution du Moi mais d’une toute autre façon. C’est-à-dire tout ce qui découle des concepts avancés dans Pour introduire le narcissisme et Au-delà du principe du plaisir, ce qui découle aussi de ce texte sur l’identification, c’est-à-dire un Moi constitué par des identifications, c’est-à-dire que l’objet qui était investi par la libido et les pulsions du Ça, lorsque cet objet n’est plus investi par le Ça, la libido qui concerne cet objet va revenir sur le Moi qui va ainsi intérioriser, incorporer cet objet précédemment investi par le Ça. Et cet objet donc incorporé va constituer une identification. Donc on peut imaginer comme ça un Moi constitué par des différentes identifications à ce qui était auparavant objet. Ce qui nous donne une conception du Moi tout à fait différente de celle qui résultait de la différenciation d’une partie du Ça au contact de la réalité. Là il s’agit d’un Moi entièrement constitué par des identifications successives. 1519
Un autre élément important que l’on trouve dans ce texte Le Moi et le Ça, c’est l’affirmation que le Moi est corporel. Il s’agit de cette remarque de Freud selon laquelle le Moi est corporel, non seulement surface mais projection d’une surface. Et Freud évoque l’homoncule des neurologistes, c’est-à-dire cette projection sur le cerveau de la surface du corps. Cette projection se fait la tête en bas, les yeux regardant en arrière, ce qui va inspirer Lacan dans son schéma optique lorsqu’il va nous dire que le miroir sphérique joue le rôle du cortex et opère cette projection à l’envers.
Donc vous voyez que ces remarques de Freud dans Le Moi et le Ça vont inspirer la topologie lacanienne, puisqu’on retrouve donc une structure de projection, projective, qui est celle du plan projectif dans le support métaphorique neurologiste dont se servait Freud.
Freud a employé le terme Ich qui en allemand signifie aussi bien le moi que le je. Il l’a employé dès ses premiers travaux. C’est-à-dire que le Moi n’est pas un terme entièrement fabriqué par la théorie psychanalytique. Il est issu d’une longue tradition philosophique et on n’a pas attendu la psychanalyse pour parler du Moi. En particulier je pense à Hegel et à son équation : Moi = Moi, c’est-à-dire qu’il y a cette sorte d’identité à soi-même du Moi dont on retrouve la trace chez Hegel. Le Moi est identique à lui-même et représente une forme de l’unité. C’est un 1 identique à lui-même, du moins c’est ce qui nous est préparé par la pensée traditionnelle, et c’est ce qui a dû rassurer une grande partie des analystes lorsque Freud a refondu sa théorie dans les années 20 autour de sa deuxième Topique. C’est-à-dire, comme dit Lacan, les analystes et les philosophes ont poussé un soupir de soulagement, vont se retrouver avec cette conception du Moi – il est vrai selon Freud – tiraillé entre les exigences du Ça et celle du Surmoi. Mais cette conception d’un Moi au centre finalement, n’a pas tardé à favoriser des théories du Moi autonome ou du Moi fort. C’est-à-dire que le Moi a retrouvé ses droits, alors que l’essentiel de la découverte freudienne avait été de détrôner le sujet de sa place de maîtrise, puisque la découverte de l’inconscient c’est bien ça.
Donc Lacan n’a pas caché son hostilité à cette deuxième Topique. Et il est revenu à une conception de la structure du sujet où le Moi occupait essentiellement une place imaginaire.
Alors je vous ai parlé de R.S.I. et de cette phrase de Lacan sur l’en-moïsement pratiqué par Freud en jouant sur en-moïsement et en-moisement. C’est-à-dire que lorsque Lacan, comme il le dit, glisse la peau de banane de R.S.I. dans la théorie freudienne, il décrit le nœud freudien comme un nœud à 4 avec le Nom-du-père qui fait tenir les autres ronds et, nous dit-il, Freud perpétue ainsi la religion comme névrose idéale. Alors pourquoi névrose idéale ? Eh bien, c’était parce que pour Lacan, la névrose idéale c’était la névrose obsessionnelle. Et la névrose obsessionnelle est conforme à l’image du sac dont on parlait tout à l’heure, c’est-à-dire le corps comme un sac. Le père et donc le meurtre du père qui est au centre même du mécanisme de la névrose obsessionnelle en fait le modèle de ce qu’on peut appeler une névrose idéale. C’est une névrose qui illustre de façon parfaite le complexe d’Œdipe. Et c’est ce dispositif de l’Œdipe que Freud retrouve dans son Moïse en imaginarisant la place de l’Autre comme la place de l’étranger. Donc le nœud freudien c’est un nœud à 4, qui donne une position privilégiée à ce quatrième le Nom-du-père unique. C’était bien le rôle de Moïse de faire entendre la voix du père, du père assassiné.
Donc nous avons hérité d’une conception du Moi en lien avec cette opération accomplie par Moïse. Mais je pense que cet en-moïsement sera discuté au cours de ces Journées. Un Moi qui est celui de la Massenpsychologie, c’est-à-dire un Moi qui est constitué par une identification verticale et transversale, c’est-à-dire qu’une masse, un groupe est uni par des identifications transversales entre les Moi par rapport à une exception, à un idéal auquel s’identifient verticalement tous les Moi en question. Est-ce qu’aujourd’hui nous avons une nouvelle fois l’illustration de cette structure de la masse, de cette structure du groupe autour de l’exception ? Ou sommes-nous en présence d’autres structures ? C’est un thème qui sera abordé par Angela [Jesuino].
Si le Moi est constitué par des identifications, on abordera au cours de ces Journées les identifications qui importent pour la jeunesse et qui concernent les nouvelles pathologies que nous rencontrons en clinique, par exemple l’anorexie dont va nous parler Christiane Lacôte. Quelle est la place du Moi dans le nœud borroméen ? Alors j’ai fait allusion tout à l’heure en évoquant ce début de R.S.I. où Lacan nous présentait le Moi comme une instance imaginaire trouée, mais le terme de Moi n’apparait pas dans le nœud. Alors est-ce qu’il peut s’attraper avec le rond de l’imaginaire troué ? Est-ce que ça coïncide ? Ça sera à discuter.
Dans le texte de présentation des Journées d’hiver que Charles Melman a écrit, il est fait allusion aux suicides de Stéphane Zweig et de Walter Benjamin, avec cette question, donc dans un monde qui s’écroulait avec toute sa richesse culturelle et humaine, donc deux grands esprits ont choisi le suicide. Et la question qui se pose c’est : en tant que quoi se suicident-ils ? En tant que sujet ou en tant que Moi, que Moi identifié à une certaine idée de la culture et de l’humain ?
Voilà, je vous remercie.
Charles Melman – Nous sommes protégés par l’enseignement de Lacan, protégés contre l’une des manifestations les plus fréquentes de notre connerie, et qui consiste à se prendre pour un Moi. Nous oublions que Lacan est entré dans le champ de la psychanalyse… – je vous demande pardon je reconnais pas ma voix ; ce n’est pas mon moi qui me gêne, c’est ma voix… – que Lacan est entré dans le champ de la psychanalyse de plain-pied en bousculant le Moi, puisque le stade du miroir consiste bien à venir nous « dire », je ne dis pas « montrer », nous dire que d’abord le Moi est un autre, ce qui devrait déjà tempérer la certitude de soi qu’affirme le Moi, toute certitude relevant immédiatement de ce qu’il faut bien appeler la connerie. Et ce fameux schéma L que nous continuons à juste titre d’étudier – en particulier avec Marc – ce fameux schéma L est au fond la réponse à la deuxième Topique de Freud, c’est-à-dire pour montrer que ce que Freud appelle le Ça, est ce qu’il y a à assumer au titre du je inconscient, le S qui figure donc dans le schéma L, que ce je s’articule en s’appuyant sur une représentation de soi qui est autre et à l’image d’un autre, l’ensemble étant lui-même ordonné non pas par un surmoi mais par le grand Autre, le grand Autre en tant que, comme nous le savons, il n’existe pas. Là où nous allons chercher, implorer, aimer un autre dans le grand Autre, eh bien, il ne semble pas que couramment nous l’ayons… ordinairement, nous l’ayons trouvé.
Il y a donc un débat premier qui est ouvert sur cette question du Moi, en rappelant qu’elle a eu des incidences considérables dans la pratique analytique, ce que la plupart d’entre nous évidemment ignore, puisque la constitution d’un moi fort, d’un moi fort c’est-à-dire capable de négocier et de s’imposer par rapport aussi bien au Ça que par rapport au Surmoi, entre ses désirs et puis l’idéal, que la constitution d’un Moi fort était donc la vocation de la cure analytique. Donc vous voyez d’emblée comment c’est la conduite de la cure elle-même et puis sa finalité qui se trouve engagée, discutée par ce problème, ce problème du Moi, dont il faut bien dire que chez Freud, eh bien, la façon dont il va essayer de le régler, fait rentrer finalement la psychanalyse dans le cadre je dirais général de la psychologie, que celle-ci à l’exemple de l’allemand qui dit Ich pour aussi bien le je que le Moi, s’appuyant en dernier ressort… le ressort de la psychologie c’est bien de postuler la stabilité, la fermeté, l’identité du je, autrement dit du Moi, ce qu’elle appelle elle le je, pas ce que nous appelons évidemment le je de l’inconscient.
Donc nous abordons aujourd’hui un sujet qui risquerait de nous paraître dépassé, un combat d’arrière-garde, pour nous en tout cas, si nous n’avions les manifestations d’abord de sa persistance dans ce qui risque d’être le statut de chaque psychanalyste, c’est-à-dire de s’affirmer, faute justement d’un dieu dans l’Autre, serait-il Lacan, de s’affirmer dans une identité, dans une assurance, dans une volonté de reconnaissance accomplie : c’est moi ! Voilà ! Moi je… – parce que j’ai sur vous beaucoup de privilèges qui parfois pèsent un peu lourd, c’est-à-dire le privilège de l’âge – j’ai connu de très près ce que ça voulait dire en pratique que le moi fort des psychanalystes. Parce que ça a des conséquences évidemment. Le moi fort des psychanalystes, ça veut dire tout simplement qu’il n’y a rien à discuter, il n’y a rien à barguigner, et que… pire, il n’y a même rien à partager. Hein, c’est moi qui le dis, c’est moi qui vous le dis ! Eh bien avec ça, allez faire ce que vous voulez, puisque c’est comme ça : c’est moi qui l’avance et ce n’est pas parce qu’il y a des référents, des maîtres, des machins, oui bien sûr ! il en faut, il en faut, c’est un mal nécessaire ! mais c’est moi qui vous le maintiens comme ça.
Donc, il faut bien le dire, le moi ce n’est pas marrant ! Ça manque terriblement d’humour ! Et comme vous le savez, une instance qui s’épargne l’humour mériterait du même coup de nous paraître suspecte. Mais également nous épargne le sexe ! C’est ça qui est drôle ! Ce n’est pas sexué le moi ! C’est un moi sublime, neutralisé. Ce n’est pas le moi en tant que mec qui vous parle ou avec l’autorité et la séduction d’une femme : c’est moi ! Point barre. Donc manque d’humour, manque de sexe, manque d’altérité. Parce que le moi, ça ne peut pas vous reconnaître, ça ne peut que venir vous nier. Manque d’altérité, ce qui fait qu’il faut quand même bien le dire, celui qui se trouve piégé dans cette affaire, et je dis bien que c’est facilement un piège, il est déjà mort parce qu’il n’y a rien à en attendre, il est déjà figé, fixé, ossifié, fossilisé : « C’est moi ! C’est moi qui vous le dis ! »
L’en-moïsement que Marc nous a si bien rappelé dans cette excellente introduction qu’il a bien voulu nous faire, l’en-moïsement c’est encore la démarche prudente du camarade Lacan pour nous amener à considérer que finalement, si ce Moi n’est plus seulement individuel mais se trouve être partagé par une collectivité, celle-ci se réfère forcément à un fondateur, à un père, à un ancêtre, à un dieu, et donc que du même coup, cela devient autant de Moi collectifs contre lesquels le petit pot de terre que vous êtes va immanquablement venir se briser.
Et donc la religion comme névrose idéale, nous en avons évidemment dans notre actualité une illustration bruyante et sanglante, pour évoquer celle-là je dirais qui… où Moïse aussi d’ailleurs figure comme un personnage de référence. Nous sommes obligés de constater combien cette inclination, cette facilité pour chacun d’entre nous à vouloir quoi ? À vouloir mourir ! Parce qu’ensuite, je dis bien que ce moi soit psychiquement mort ou organiquement mort, la différence après tout peut ne pas paraître essentielle.
La difficulté du camarade Lacan, ça a été bien sûr de s’adresser à un auditoire marqué par, ce qui est bien légitime, le transfert sur Freud. C’est bien légitime ! On ne peut pas le lui reprocher ! Mais le transfert, comme vous le savez, et pourquoi ne pas le dire ? Le transfert n’est pas de l’ordre de la rationalité. Contre le transfert, vous pouvez chanter les plus belles musiques, celui qui est captif – comme c’est normal ! – celui qui est captif trouvera que votre chant est soit bien faible, soit bien agressif. Et c’est dans ce contexte que le camarade Lacan n’a eu d’autres recours que de chercher à s’appuyer lui-même sur le transfert qu’il pouvait provoquer, un autre transfert. Avec cet inconvénient renouvelé, c’est que du même coup, l’effet produit n’est plus celui de la raison, voire d’une approche scientifique, rigoureuse, celle que nous n’aimons pas ! Hein, quand il démarre avec ses formules, ses mathèmes et ce qui va culminer dans les nœuds. Moi j’ai déjà dit que le nœud borroméen c’était le traitement du transfert. Je l’ai déjà dit il y a bien longtemps, mais du même coup on n’en veut pas ! parce que du même coup on ne pourra s’appuyer sur rien ni personne dans l’Autre.
Donc lui-même est venu s’appuyer, entretenir le transfert qu’il pouvait provoquer, et en veillant à ce qu’il colle sans cesse, il ne se démarque pas de celui opéré sur Freud. Alors que, moi je crois que ceux que l’on appelle les orthodoxes avaient raison de s’inquiéter, parce que déjà, ne serait-ce qu’avec le stade du miroir, la phase du miroir pour être dans le temps plutôt que dans l’espace, la phase du miroir, Lacan mettait les pieds dans le plat en remarquant, et je m’arrête là-dessus en faisant donc remarquer que ce travail n’est pas un travail analytique. C’est quand même embêtant ça ! Le premier travail de Lacan n’est pas un travail d’analyste. Comme on le sait il vient d’une fréquentation du laboratoire d’Henri Wallon, il reprend ou il développe des thèses d’Henri Wallon, c’est en tout cas un travail qu’il faut bien appeler, alors là, d’observateur ! Autant on peut dénier ou critiquer la valeur de l’observation qui est toujours une observation je dirais engagée, qui n’est jamais neutre, on n’est jamais neutre dans une observation, mais en tout cas ce n’est pas un travail analytique ! Ce qu’il est venu exposer là à Marienbad, ce n’est pas un travail d’analyste ! Avec une question qui est la suivante : est-ce que la pratique analytique vous permet d’isoler un phénomène comme celui du stade, de la phase du miroir ? Non. Non ! Je veux dire que vous ne trouverez pas dans le cheminement d’une cure ce qui viendrait vous mettre sur la voie, le fait que le Moi, d’autant que la pure décence de l’analysant, c’est quand même de ne pas venir chez vous complètement disloqué, de ne pas venir chez vous comme un fantôme. Il y a de la pudeur tout de même ! Donc c’est peut-être je dirais quelque chose que nous avons à retenir, enfin à noter le fait que dans l’opération de la cure, eh bien, la mise en discussion du Moi, non seulement n’est pas un préalable, mais elle a les plus grandes chances je dirais de ne pas venir discuter ce que nous allons précipiter comme identification éventuelle dans la personne de l’analyste, c’est-à-dire du devenir analyste.
Peut-être après tout, puisqu’on est ici entre soi, entre moi, en nous, peut-être faire remarquer ça, et peut-être qu’on peut aujourd’hui l’évoquer, le dire tranquillement, sans que ça provoque trop de difficultés. Car qu’est-ce qu’on a d’autre à se mettre sous la dent comme identification à la fin d’une cure ? Et c’est pourquoi Lacan disait qu’il n’y avait pas de cure qui ne soit didactique. C’est une phrase terrible ça ! C’est-à-dire qu’il ne vous offre comme identification possible, après tout, que le statut de l’analyste. Et il évoquait même humoristiquement le moment où tout le monde serait analyste, puisque c’était ça le remède.
En tout cas, je crois que si nous sommes capables d’accepter ce qui est le statut du parlêtre, et c’est bien quand même ce que l’on pourrait attendre de nous et sans que nous allions chercher un coach ou quelque philosophie, ou ce que vous voudrez… Eh bien, il faut considérer cela, ce que Lacan, comme Marc l’a évoqué à propos du nœud, le Moi, voilà, il a soufflé dessus avec ce fameux rond à trois qui nous déplaît toujours. On n’aime pas ! Oui ! C’est bien embêtant ! Et néanmoins, quand nous assistons je dirais aux petits épisodes contemporains, on est bien obligé de se dire qu’il se joue là, à ce propos, sur ce point très simple, si évident, il y a là les enjeux pour notre malheureuse humanité, les enjeux majeurs, décisifs, et que donc, que nous si petits, si isolés, marginaux, etc., tout ce que l’on voudra, ayant si peu d’influence sur la culture, que nous nous soyons quand même un peu avertis là-dessus. Et donc c’est ce que l’on entendait très bien dans ce que Marc a bien voulu nous présenter, et en terminant très justement sur un élément porteur d’espérance et qui sont les difficultés de la jeunesse dans son rapport à l’identification. Elle nous donne évidemment l’impression de traverser une crise à cet égard, car après tout, celle qui s’engage c’est une minorité. Ce n’est pas parce qu’elle est bruyante qu’elle dépasse un nombre très limité, ce n’est pas un mouvement de masse. Mais dans l’ensemble, et celle que nous connaissons, que nous rencontrons dans nos cabinets ou dans les dispensaires, etc., cette crise des identifications, aussi bien pour le garçon que pour la fille, la façon dont ils peuvent la traverser, est – quant aux résultats – impressionnante, émouvante, et indiscutablement constitue un progrès.
Donc il n’est peut-être pas impossible d’avoir sur ces questions qui sont au cœur de cette affaire, il n’est pas impossible je dirais qu’un progrès néanmoins se dégage. Et lorsque nous avons donc à traiter ces jeunes, savoir de quelle manière nous allons les aider, nous allons y contribuer.
Voilà donc ce qu’au départ je souhaitais vous dire ou vous rappeler, car après tout ce que je raconte ne fait qu’actualiser des éléments d’un savoir qui existe parmi nous. Je ne dis pas des choses nouvelles.
Transcription : Solveig Buch
Relecture : Monique de Lagontrie