Introduction au Séminaire d'été 2025 sur L’Acte psychanalytique
27 août 2025

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Jean-Paul BEAUMONT
Textes

Dans ce séminaire, Lacan va laisser de côté les hypothèses arithmétiques sur l’objet a de la Logique du fantasme qu’il reprendra l’année suivante, et se concentrer sur l’acte. Il en a déjà établi des caractères essentiels :

 

  • L’acte est signifiant, il procède par un dire
  • Il se répète en double boucle créée par une seule coupure [le dire redouble le fait].
  • Il est franchissement d’un seuil, il détermine un sujet
  • Il est souvent méconnu ou dénié, son intention n’en donne pas la vérité, il prendra sa valeur après-coup.

Mais pas à pas il reprend la voie logique en étudiant « le rapport de la pensée à l’être au niveau du je [1] » – que le groupe de Klein va une fois de plus déplier.

 

  • D’une part le sujet est un effet, produit par le dire de n’importe quelle chaîne signifiante : « Des idées vertes sans couleur dorment furieusement », le « poème » de Chomsky, mais aussi bien une chanson, un rythme, un article de journal. Lacan partage avec les structuralistes qu’un sujet est déterminé à son insu dans le savoir de chaînes signifiantes[2]. Le voilà allégé de sa substance dont le Dieu des philosophes et des savants était garant.
  • Mais le sujet tient aussi à un manque à être qui est sa vérité : ce résidu réel, qui résulte de la prise dans le symbolique[3] et qui trouve dans le corps un support pour l’imaginariser. Cet objet a est « en opposition subjective[4]» : $ ◊ a c’est la formule du fantasme[5].

 

D’où un déplacement majeur par rapport à la science qui suppose, au moins implicitement, ce dieu rationnel « qui saurait », et dont il s’agit de découvrir les lois cohérentes. C’est une fiction aux conséquences considérables – dont la psychanalyse pourrait s’affranchir par la logique.

 

Mais l’acte ? C’est l’énergie propre du sujet dit Lacan [6].  Il me semble qu’on peut le comprendre ainsi : lorsque s’avère une émergence de l’objet par la chaîne signifiante, il y a acte lorsque le sujet dépasse l’angoisse que provoque l’objet[7], au prix d’en prendre la place[8].

 

  • Dans l’acte traditionnel socialisé, par exemple, l’empereur de Chine disparaît sous le rite par lequel il inaugure l’année.
  • Dans l’acte manqué, quelque chose de l’objet affleure au-delà de l’intention.
  • Dans « l’acte sexuel », l’objet qui soutenait le fantasme chute. Mais Lacan a récusé que cet acte soit sexuel parce que le sexe y reste marqué d’un blanc.
  • L’acte héroïque affronte cette division, avec la beauté de sa représentation tragique. Déjà le séminaire de 1959 n’était pas autrement orienté.
  • Dans « La troisième » Lacan ira jusqu’à parler de son « respect pour […] cette forme de suicide qui est l’acte à proprement parler. »

 

*

 

La cure en montre le ressort avec une grande pureté. Car l’analyste, supportant et manipulant le transfert, ne méconnaît pas la division :

  • il soutient l’effet de sujet dans la fiction nécessaire du sujet supposé savoir[9],
  • il incarne, le temps de la cure, l’objet a en se faisant « étoffe d’un irréel ».

 

Ainsi autorise-t-il le faire de l’analysant jusqu’à l’acte éventuel du passage à l’analyste en fin de cure[10], lorqu’il se produit comme une délinéation entre le sujet et l’objet qui peut-être suspend un temps le fantasme.

 

Deux brèves remarques avant de donner la parole à Martine qui va commencer à nous en parler

 

La première : l’acte en général est une expérience (on trouve le mot plus de cent fois dans le séminaire) une expérience au sens fort que lui avait donné Benjamin : l’expérience est parlée, elle engage un sujet qui l’assume et en est modifié, elle est transmissible même si elle est chaque fois singulière. Par exemple : « la castration est à prendre dans sa dimension d’expérience sub­jective : nulle part, si ce n’est par cette voie, le sujet ne se réalise[11] »

 

Or, à quoi s’oppose l’expérience ?

 

  • à l’expérimentation qui interroge l’Unique sujet du savoir dont elle découvre les lois cohérentes,
  • mais aussi à l’in-formation : « mise en forme » qui ne mobilise pas le sujet. Les résultats fournis par l’IA font croire à beaucoup au nouvel avatar d’une intelligence potentiellement infinie. Lacan, dans La logique du fantasme (mais oui ! en 1967, L 3) suppose qu’elle pourrait faire l’objet d’un transfert. Pas d’une expérience. Vous vérifierez, mais j’en lis un extrait : « Qu’une machine soit capable de donner des réponses articulées simplement quand on lui parle, je ne dis pas quand on l’interroge, c’est une chose qui s’avère être maintenant en jeu et qui met en question ce qui peut se produire d’obtenir ces réponses chez celui qui lui parle. La chose ma foi n’est pas absolument articulée d’une façon qui satisfasse complètement. […] Néanmoins c’est fort intéressant parce qu’il y est en fin de compte suggéré quelque chose qui pourrait être considéré comme d’une fonction thérapeutique de la machine. Et pour tout dire, ce n’est rien de moins que 1’analogue d’une sorte de transfert qui pourrait se produire dans cette relation, dont la question est soulevée ! »

 

La seconde porte sur la coupure que suppose ici l’acte. Elle dégage l’objet du désir – pas forcément par une décision (puisqu’il y a l’acte manqué, l’acte sexuel, etc.). Lacan parlera plus tard d’une bascule de discours. On peut envisager une théorie nodale de l’acte.

 

L’acte de passage au psychanalyste est essentiel, et le dispositif de la passe dont nous parlera Claude Landman visait à ce qu’il ne soit pas une imitation hystérique, une transmission de savoirs sur le modèle de la science, ou un relais de la maîtrise supposée de son propre analyste.

Ce matin, après Martine, nous ferons une brève pause, avant que Christian Fierens et Pierre-Christophe Cathelineau développent l’usage que fait Lacan « par une sorte d’essai, de divi­nation, de risque », dit-il, du groupe de Klein. Alexandre Chiari sera notre discutant.

 


[1] La logique du fantasme, leçon 9 mais aussi L’acte leçon 4 : ce psychanalysant, dont l’analyse est menée à un terme, […] l’épingler d’un mot comme être, pourquoi pas ? Il reste pour nous assez blanc, ce terme, et assez plein pourtant pour qu’il puisse ici nous servir de repère. Qu’est-ce que serait la fin d’une opération qui assurément a à faire, au moins au départ, avec la vérité, si le mot être n’était pas évocable à son horizon ? Et fin de la leçon 5.

[2] « Le sujet […] est déjà déterminé et inscrit dans le monde comme causé par un certain effet de signifiant. »

[3] L’acte, leçon 3

[4] L’acte, leçon 1

[5] « Il ya quelque chose d’irréductiblement limité dans ce savoir acquis par la psychanalyse… » Ce point de butée, d’impuissance du savoir à dire tout du symptôme, c’est la vérité qui est conquise par le sujet quel qu’il soit et quel que soit le prétexte pour lequel il s’est engagé dans une cure. P.163

[6] « L’énergie ἐνέργεια propre d’un sujet, c’est le passage de la puissance à l’acte », La logique du fantasme, L.16.

[7] Comme l’angoisse, il suspend le sujet.

[8] L’acte, leçon 7

[9] L’acte, leçon 3

[10] Reprise, reproduction de l’acte à partir du faire que l’analyse a commandé Résumé de L’acte psychanalytique, 1968-1969, Chargé de conférence : M. J. Lacan, in Annuaire de l’École pratique des hautes études, section de sciences économiques et sociales, pp.213-220.

[11] E.g. : Cela s’appelle la castration, qui est à prendre dans sa dimension d’expérience sub­jective, pour autant que nulle part, si ce n’est par cette voie, le sujet ne se réalise (j’entends le sujet, bien sûr !) : le sujet ne se réalise exactement [qu’]en tant que manque, ce qui veut dire que l’ex­périence subjective aboutit à ceci [que] nous symbolisons – φ