La poésie ? « Je ne connais pas tout de la poésie », ou « j’entrave que couic à la poésie » (ce n’est pas notre cas, j’espère) Lacan en parle dans ce séminaire, et d’emblée il a posé la question de ce que la poésie « fait » – c’est l’étymologie, ποίησις [poíesis], par le verbe ποιέω [poiéō]). « Ça “fait” quelque chose [dont on s’]est bien peu occupé ». Mais puisqu’il y a un acte dans la poésie, nous le mettrons en regard de l’acte analytique.
Ce que nous ne ferons pas :
Je resterai (pauvrement) à l’acte poétique – de notre point de vue.
Dans la cure, l’acte est « du côté » de l’analyste, mais l’analysant fait quelque chose, il y a une « opération poétique par le sujet faisant » (leçon 3). « L’analysant parle, il fait de la poésie » (Le moment de conclure). La fabrication poétique est de son côté.
C’est un « métier » qu’il lui est plus ou moins difficile d’apprendre
Dans cette expérience, la question : « est-ce que c’était vrai avant [2] [de le dire] ? » est décidément posée : plus que d’une révélation, il s’agit d’une production rétroactive[3]
Essayons de comparer le poème à l’inconscient.
Ce n’est pas forcément absurde car la poésie n’est pas un art décoratif, ni un dit prophétique, ni l’art des maîtres de vérité (JJ faisait allusion au livre de Détienne) on la trouve dans toute langue. Sans même évoquer la fonction poétique de Jakobson, il y a un dire poétique dans les chansons, les prières, les rituels, les chants militaires, les contes, les comptines, ou encore ce que Gaignebet appelait le folklore obscène des enfants.
Jacques Jouet, nous lisait hier des thèses condensées de Jacques Roubaud :
Tout cela rend pour nous un son connu.
Soyons plus précis, on peut parler d’acte particulièrement dans la poésie parce qu’elle produit un effet de sujet, et fabrique un objet
En effet le poème rend sensible un objet perdu.
Et elles présentifient – par un jeu littéraire, avec des métaphores et des métonymies, des impossibles et des interdits de versification par exemple – un objet absent, qui s’en trouve réalisé (où il faut entendre réel). L’effet de beauté est l’approche de ce réel, « l’or convoité et tu à l’envers de toute loquacité humaine », ce qui est une belle manière de parler de l’objet a par anticipation.
Pour le poète (peut-être Esther Tellermann va-t-elle l’évoquer), il y a sûrement aussi dans ce faire une jouissance de son inconscient : il donne une forme à l’objet de son désir. L’Autre (avec un grand A) est là.
Mais si Lacan oppose l’acte de l’analyste et le faire de l’analysant, comment parler d’acte poétique chez le poète ? Reprenons Mallarmé,
Du côté du lecteur, le surgissement d’un sens n’est pas essentiel : Le sens n’est là que pour « dérouter l’oisif, charmé que rien ne l’y concerne à première vue ».
Mais est-il prêt à renoncer à son « roman personnel » pour cette expérience, aujourd’hui, alors que la cote de l’expérience décroit, tandis que celle des machines à jouir hors-castration, des « machines célibataires » augmente[6].
Il faut qu’il fasse l’épreuve de s’y perdre pour s’y retrouver, qu’il se « voue [aux] détours d’un discours non choisi » (évidemment, je détourne ce que dit Lacan de l’analyse). Parfois la poésie contemporaine est difficile, elle ne balise pas son abord par des thèmes conventionnels, même si l’importance des thèmes érotiques tient à la castration qui oriente. Le poème suspend ou plutôt relaie l’inconscient du lecteur (on parlerait de résonnance s’il n’y avait le risque de brouiller les images et la lettre).
Mais il déclenche parfois le miracle de l’amour, celui de la métaphore du séminaire Le transfert :
Pour finir, comment distinguer l’acte psychanalytique, et l’acte poétique ? Ce n’est pas simple, il faut bien distinguer la chaîne et l’objet.
Voilà, c’était une brève introduction.
[1] « Il y a des périodes où les poètes sont immergés dans une telle situation qu’ils ne peuvent pas [écrire sans tenir] compte de leur environnement social » disait son directeur, Henry Deluy.
[2] L’acte, leçon 11
[3] L’acte, leçon 10
[4] Il évoque l’objet, Bedeutung, mais laisse le Sinn qu’apporte le lecteur pour combler les trous (dans le langage de Frege
[5] Leçon 7 : Le seul fait que quelque chose se soit passé [et] subsiste dans l’inconscient d’une façon que l’on peut retrouver à condition d’en attraper un bout qui permette de reconstituer une séquence, est-ce qu’il y a une seule chose qui puisse arriver à un animal dont il soit imaginable que ça s’inscrive dans cet ordre ?
[6] Le roman « préforme » le lecteur, le film ou la série emporte le spectateur comme un train. Quant à la séquence de TikTok, on pourrait dire davantage, elle pré-fabrique son sujet