En 1872, invention de la phobie. Carl Wesphal publie Die Agoraphobie, eine neuropatische Erscheinung. Six ans plus tard, Henri Legrand du Saulle écrit La Peur des Espaces, agoraphobie des Allemands. Avec un sens clinique et un style magnifiques, le syndrome est déployé dans ses articulations les plus fines ; 1908, en contraste, Pierre Janet. Ces trois textes essentiels, dont la traduction inédite de l’article de Westphal, sont publiés par l’A.L.I. dans un volume intitulé simplement La Phobie.
On y trouvera aussi la réédition attendue d’un certain nombre d’articles de la revue Le Trimestre psychanalytique parue en 1989 après des journées sur la Phobie, numéro depuis bien longtemps épuisé. Nous republions aussi évidemment les trois articles écrits par Charles Melman dans le Trimestre, et un quatrième inédit.
Au lecteur d’évaluer les avancées et le décalage de la psychanalyse d’aujourd’hui, après Freud et Lacan, par rapport aux textes psychiatriques fondateurs.
J-P.B.
Ici c’est à l’avant-poste, bien avant de s’approcher du trou, de la béance réalisée dans l’intervalle où menace la présence réelle qu’un signe unique empêche le sujet de s’approcher. C’est pourquoi le rôle, le ressort et la raison de la phobie n’est pas, comme ce que croient ceux qui n’ont que le mot de peur à la bouche, un danger vital, ni même narcissique. C’est très précisément, au gré de certains développements privilégiés de la position du sujet par rapport au grand Autre (dans le cas du petit Hans, à sa mère) ce point où ce que le sujet redoute de rencontrer c’est une certaine sorte de désir de nature à faire rentrer dans le néant d’avant toute création tout le système signifiant.
Lacan, La Relation d’objet
L’Association lacanienne internationale décide aujourd’hui de publier des textes essentiels sur ce concept clinique et théorique travaillé par Freud, étudié par Lacan, issu de la psychiatrie classique.
Pourquoi parler encore de phobies ? On emploie aujourd’hui dans la psychiatrie actuelle des expressions, « phobie sociale », « phobies scolaires ». Et on déconditionne… Cependant le syndrome a perdu de sa précision, au point qu’il ne nous paraîtrait pas si inapproprié de parler d’anxiété comme le fait le dernier DSM IV. Les patients disent que l’anxiété est au premier plan de leurs préoccupations morbides, permanentes ou rythmées par « la peur d’avoir peur ». Affect pénible qui va entraîner l’évitement d’un objet ou d’une situation avec une crainte douloureuse de la rencontre.
Ne parler que d’anxiété à réduire comme d’un symptôme au sens médical, c’est perdre le fil d’une notion plus traditionnelle, ancrée dans la philosophie, celle d’angoisse, Angst. Freud, lui, situe la phobie comme peur et angoisse dans la confusion entre danger réel et danger pulsionnel qu’entretient le névrosé. En 1915, dans son article sur « l’Inconscient », il parle de l’hystérie d’angoisse en précisant pour finir que toute cette construction – qui témoigne de l’échec fondamental du refoulement – se produit d’une manière analogue dans les autres névroses et porte le nom de phobie.
Pourtant la phobie éclaire la structure de l’espace – essentielle dans la vie quotidienne, dans ses aspects visuels et langagiers. Les questions se multiplient : le regard, la perspective, l’espace “privé”, l’espace public, la notion de lieu, etc. Aussi le tableau classique de « la Peur des espaces » sera-t-il pour nous central
Nous relirons, avec émerveillement et grâce aux concepts psychanalytiques, toute une clinique inaccessible et à demi-oubliée, autrement plus précise et subtile que les résumés et simplifications qui ont suivi. Griesinger (1868), et surtout Westphal (1871), Legrand du Saulle (1878), auteurs fondamentaux que nous republions ici.
Le renouveau d’intérêt pour la phobie a suscité des travaux de collègues, curieusement tous psychanalystes. Voici un certain nombre de textes, devenus introuvables malgré leur actualité, déjà publiés dans Le Trimestre psychanalytique en 1988 à la suite de journées de l’Association lacanienne internationale – alors Association freudienne – consacrées aux phobies. Charles Melman, et Martine Lerude, Pascale Bélot-Fourcade, Jean-Claude Pénochet, Jean Bergès, Christiane Lacôte-Destribats, Bernard Vandermersch, Jean-Paul Hiltenbrand, Valentin Nusinovici, Catherine Ferron. La cohérence des ces études et l’intérêt qu’elles avaient suscité indique que quelque chose d’essentiel avait été serré.
Nous ajouterons deux textes, l’un de Colette Brini et l’autre de jeunes collègues praticiens de CHU, Olivier Bézy et Paul Claveirole
Et quatre articles de Charles Melman, dont trois figuraient déjà dans le recueil de 1988, des développements plus récents venant apporter de précieux éléments.
Henri Ey, en 1960 dans son classique Manuel de psychiatrie affirmait que la phobie était rare. Les temps ont changé, les phobies sont fréquentes, au premier plan de la pathologie pour les psychiatres. De jeunes collègues praticiens de C.H.U. ont bien voulu travailler pour ce volume et (nous) donner le devenir de la phobie dans le démembrement de la clinique classique.
« Plaque tournante », disait Lacan de la phobie.