Il n’y a pas à tergiverser, nous devons nous en passer ! Même si une éventuelle substitution encore plus toxique est (l’)à venir !
Les débats actuels depuis quelques mois, importants et intenses, sont focalisés sur la parution aux USA ce mercredi 13 ou 22 mai du DSM V, dont la traduction en français devrait émerger l’an prochain. Les avis divergent mais, enfin, un front non seulement français a vu le jour, contre, lançant des appels à réunions, à pétitions, parlant sur les ondes et écrivant dans les journaux, réalisant des conférences de presse etc. En France le collectif STOP DSM V regroupe un nombre important de praticiens et de théoriciens et monte au créneau de façon régulière. L’autre jour sur France Culture au cours d’un des nombreux débats actuels sur ce thème, l’historien de grande réputation Claude Quétel s’insurgeait à juste titre non seulement contre le DSM V, mais contre le mécanisme même DES DSM. Du DSM. C’est également la position d’Eric Laurent dans Lacan Quotidien.
Les critiques minaudent sur des items ou des critères ajoutés, surchargeant quantitativement le pathos des citoyens, mais aussi perdant toute qualité discriminative cliniquement, ce qui n’est pas surprenant puisque l’aspect descriptif est privilégié dans cette méthodologie, et l’emporte sur une pensée, bien que décrire ne s’effectue pas sans arrières pensées, des « pensées de derrière la tête » comme dirait Pascal ! La critique est vive, laissant apparaître au grand jour une normativation sociale, fut-ce par « médicalisation à outrance » des comportements, ainsi que la puissance industrielle des laboratoires pharmaceutiques tout prêts à s’engouffrer « pour la traiter » dans la moindre « pathologie » déclarée.
La défense du DSM, ou la critique des critiques, est également intéressante. Par exemple sur une radio « intello » un psychiatre bon élève du « modernisme bioneuropsy » trouvait fabuleusement moderne que les DSM, notamment à partir de la 3eme version, « ne donnent que » les symptômes ou tout du moins les signes d’un « trouble », ceci en dehors de tout préjugé de pensée (revoilà encore, naïvement désormais ou aveuglément, la fameuse a-théorie !). Notre sympathique collègue démontait les « idées préconçues » – en fait la culture et la pensée – qui avaient présidé jadis aux grandes descriptions de la psychiatrie classique, et il encensait les DSM de ne faire « que » regarder le jeu des « symptômes » soi disant établis dans une grande pureté, et de jongler avec eux comme on joue au billard, construisant ainsi un disorder ou trouble pur. L’idéal qui sous tend cela est la parfaite neutralité du psychiatre, de l’homme donc, dénué de théorie voire de pensée, et qui va cocher ses cases et compter les points. Autant dire que l’idéal ici représenté avec succès est de ne pas établir de diagnostic, de se déprendre de toute « théorie », de ne pas exercer dans l’ordre d’un discours mais dans celui du jeu de lego (… !). D’ailleurs dans les suites des DSM n’est-il pas « prévu » de remplacer le psychiatre, par trop subjectif – « au pire » il pense ! – non plus par des items sans cesse plus nombreux – signe de la névrose obsessionnelle (obsessive compulsion disorder ? ) des chercheurs d’items, passée inaperçue dans nos sociétés formatées – mais par des références biologiques – résurgence moderne de la pink spot schizophrénique du LCR des années 1965- 66.
Certes les critiques du DSM V sont-elles bienvenues, à point, avec la volonté de barrer la route à une nouvelle mouture, mais cette stratégie diplomatique – il le faut sans doute – ne peut masquer la déperdition extraordinaire subie par la clinique et par les cliniciens depuis au moins un quart de siècle, dans la Psychiatrie, du fait de l’usage dans la clinique de tout cet outil statistique, au diagnostic marchand universel. S’il doit servir aux statistiques internationales et par conséquent, par conséquent, à ce genre ciblé de diagnostics, éventuellement, il est urgent et sage de poursuivre une clinique liée à des discours clairement admis, pensés, élaborés, et cela dans la confrontation aux paroles, ainsi qu’aux comportements des patients. Il est à noter que là aussi, dans son usage de classification internationale il doit être contesté, comme il l’est par l’excellente classification du regretté professeur Misès et co. pour l’enfant et l’adolescent (CFTMEA), qui double et le DSM et l’ICD. Une telle classification doit conserver des correspondances avec les réalités cliniques, celles de l’écoute et de l’observation des patients, et non d’une collection, d’une compilation de signes isolés de tout discours. Notre sympathique défenseur du DSM évoqué ci-dessus se lamentait de cela, les « impressions », liées, disons le, dans le transfert, aux corrélations « lamentablement » selon lui élaborées dans la clinique même ! Élaborer hors de la clinique, cela revient à quoi ? Qu’est ce à dire ?….
C’est-à dire Cerveau !
Il n’est qu’à écouter une conférence récente (16 avril 2013) de Thomas Insel, Directeur du célèbre et influent NIMH (National Institue for Mental Health – la Santé mentale… ! C’est quoi ?…). Les mots parlent d’eux-même, il les utilise c’est curieux ! A New Understanding of the Brain, c’est le titre. Une nouvelle compréhension du cerveau ; il sera question des maladies mentales. Elles sont d’ailleurs relativement réduites quantitativement, à l’inverse de la prolifération des signes du DSM (conflit politique ? De personnes ? De pouvoir ? D’argent ?), et l’on perçoit vite qu’il s’agit d’une, de la nouvelle orientation « clinique ». On ne sait d’ailleurs comment elles sont définies ! Schizophrenia ; Bipolar Disorders (ils y tiennent !) ; Dépression ; Post Trauma Stress Disorder (le fameux PTSD, toujours là !) ; Anxiety D. (anxiété n’est pas Angst, angoisse, concept, horreur !) ; Attention Deficit Hyperactivity D. (attention les enfants terribles !) ; Obsessive Compulsive D. ; Borderline Personality. Point.
Notons aussi le qualificatif sous lequel fonctionne ce « discours » : DALYS : Distability Adjusted Life Years. C’est-à dire que le pilote de tout ceci est l’efficacité thérapeutique, évidemment définie par les chiffres, les statistiques (quels critères ??? Nous revoilà dans le qualificatif, silence !).
L’ensemble est intitulé Disorder of the Human Connectome. Nous comprenons vite qu’il s’agit dans les maladies « neuromentales » de les définir par les troubles des connections synaptiques. Gageons qu’une nouvelle classification est en cours, non plus selon des symptômes mais selon les anomalies chimiques et d’imageries médicales surtout.
Pourquoi pas dirons-nous ? Mais cela fait-il LA clinique. Nous devons contester non pas ces recherches tout à fait passionnantes et sans doute productrices d’innovations voire d’efficace (laquelle, toujours ?). Mais ce que nous devons, je le crois, contester c’est cette hégémonie à la fois nord américaine, celle-ci, et celle des scientistes, à faire de ces travaux dits fondamentalistes une pratique unique, LA pratique de la Psychiatrie (laquelle ici dérive ou retourne à la neurologie sous couvert de « neurosciences ou du cognitivisme »). Le fossé reste, quoi qu’en désirent farouchement certains, entre les sciences fondamentales et l’exercice clinique, l’art ou l’artisanat de la clinique. Et même pouvons-nous dire la psychanalyse a fait dès son origine des efforts importants pour approcher les sciences fondamentales dans sa conceptualisation (de l’Esquisse pour une psychologie scientifique de Freud aux formules de Lacan). Ce dernier avait raison, une fois de plus, en rappelant la bipartition des « sciences » à une époque (certes dévolue, passée dirons les modernistes !), entre les Arts libéraux et les Arts serviles et les Beaux Arts.
Les arts serviles, menuiserie, poterie, avaient en commun la transformation d’une matière tangible. Par opposition, la matière sur laquelle portent les arts libéraux est intellectuelle et intangible. Les beaux-arts visent la contemplation du beau, la peinture, la danse par exemple, les arts libéraux visent la connaissance du vrai. Les sept arts libéraux étaient répartis en deux : le Trivium qui comprend grammaire, dialectique, rhétorique ; le Quadrivium qui comprend musique, arithmétique, géométrie, astronomie.
Ce retour du Mental au Cerveau, du Psychique au Neuro, ramènerait curieusement à la rétrogradation d’un Art libéral, celui du bien parler lié aux sciences en tant qu’étude structurée, le pouvoir de la langue et le pouvoir des nombres, lesquels « s’opposent » aujourd’hui, à un Art servile, celui de la matérialité. La psychanalyse aurait la prétention d’associer les deux Arts, la matérialité des mots ayant été énoncée par Freud et par Lacan, sans oublier dans sa pratique certains traits des Beaux arts !
Revenons à la conférence de Thomas Insel. Très clairement dans l’avancée de celle-ci il abat ses cartes. Un schéma passe du Mental Disorder au Behavior Disorder, formules du passé où Mental et Behavior sont barrés, puis à l’actuel, au Nouveau Schème de la Connaissance du Cerveau-Maladies encore dites « Mentales » : SA Majesty THE BRAIN !
Un autre schéma – tout est très clair – appuie le nouveau concept de la neuropsychiatrie du futur. Il est basé sur le fait que dans ce Developpemental Brain Model for Schizophrénia, The behavior is the last thing to change. Les symptômes ne doivent plus être pris en considération It’s to late ! C’est trop tard !! Tant pis pour ceux qui en sont malencontreusement arrivés là (« du fait » de la psychanalyse sans doute, comme dans l’autisme ! Quelle perte de temps !). Il faut agir AVANT. Au niveau de ce que nous montre l’imagerie médicale. Au niveau de sa Majesty The BRAIN ! Comme les deux seins d’Angelina Joly, il faut dépister et enlever la lésion à venir…. Nous avons ici le lien indéfectible entre science-prévention-santé publique-coût des maladies à traiter trop tardivement.
Early detection
Early intervention
Et comme les vrais scientifiques-praticiens ne sont pas dénués d’humour, de culture et de poésie, Thomas Insel termine sa conférence par une citation, d’un américain célèbre of course, récemment décédé, prestigieux, sympathique, Bill Gates Jr. « We always overestimate the change that will occur in the next two years and underestimate the change that will occur in the next ten ».
A dans dix ans dear Thomas !
Encore une fois il ne s’agit pas de négliger les intéressantes études des sciences fondamentales. Il n’y a aucune raison d’opposer cet intérêt là et la psychanalyse ; c’est idiot ! Aucune raison non plus de négliger les efforts effectués par certains, universitaires notamment, pour rapprocher ces travaux de la clinique, si ce n’est les « abus de sciences » (présenter comme scientifique les applications des neurosciences dans la clinique, ce dont se réclament le plus souvent les cognitivistes, en défaut de science sans doute !).
Encore une fois c’est l’hégémonie appuyée de ces travaux qui est en cause, encore plus la falsification frauduleuse énoncée ci-dessus, et ses corolaires de désir forcené d’élimination de la psychanalyse ce qui en fait l’honore de représenter la part la plus fameuse – face aux fumeux scientistes – de la clinique.
Eric Laurent constate dans son excellent article du Lacan Quotidien « un certain silence du milieu universitaire ». C’est faux ! Tout d’abord, les universitaires ont planté le DSM dans le paysage enseignant. Et délaissé la clinique classique. Grave erreur. Et je mentionnais dans le numéro 3 / 2007 du Bulletin de l’Association lacanienne internationale le fait suivant. Le passage au cognitivisme au Collège de France, y compris dans la chaire européenne – Anthropologie cognitive – de Maurice Bloch, ne fut pas sans effet. S’appuyant sur une autre chaire prestigieuse, celle de la Psychologie cognitive expérimentale du professeur Stanislas Dehaene, une journée, le 1er juin 2007, réunit sous la houlette des professeurs Dehaene et Anne Fagot-Largeault l’INSERM, L’Assistance Publique des hôpitaux de Paris, et furent invités les chefs de service universitaires de psychiatrie des CHU nationaux. Il fut question déjà « d’approches innovantes pour redynamiser les équipes et les patients »… » du continuum entre troubles bipolaires et schizophrénie » par exemple, « ce qui impliquerait une révision de la classification des pathologies en jeu ». Il était également question de monter un réseau – lequel actuellement fonctionne bien parmi les universitaires – , le premier réseau national ( ?… International ?) thématique de recherche et de soins en santé mentale (décidément il y a des tenants d’une bonne santé mentale ; nous psychiatres, élevés et plongés dans le iatros du psychisme ne savons pas définir une bonne santé mentale, pauvres de nous !). Une Fondation. Ainsi est né « Fonda-Mental », réseau de recherche et de liens entre chercheurs (et praticiens ?…).
Délaissons ce brillant à venir, en France comme sur le ChannelN Brain & Behavior Videos with Sandra Kiume, support de la conférence citée plus haut et sur lequel défile une série de neurobiologistes dignes de la Task’Force du DSM III, mais en rupture idéologique (et politique ?) si ce n’est théorique avec l’instrument du jour. Le DSM V.
L’interview dans la revue Books d’un des grands opposants nord américains au DSM V est curieuse. Certains collègues se sont emballés de ce fait pour cet homme de science et de pouvoir ; il est prudent de rester plus mesuré. Allen Frances, il s’agit de lui, est psychiatre, professeur émérite à la Duke University ; il a dirigé l’équipe qui a réalisé le DSM IV. Cet homme influent critique la fascination des auteurs du DSM V envers la biologie pour la psychiatrie… Mais il ajoute «… alors que la psychiatrie, contrairement aux autres branches de la médecine, ne dispose pas de tests biologiques ». Il affirme – enfin, publiquement ! – l’importance énorme, l’engouffrement des firmes pharmaceutiques dans la psychiatrie, notamment du fait des critères du DSM IV, ce qu’il explique très bien. Mais il reconnaît avoir introduit « le trouble bipolaire de type 2 », sorte de « faux diabète » de la maladie mentale ! S’il dénonce également l’élargissement des critères du DSM V il reconnaît que « le DSM III avait marqué un tournant positif ». Il avoue que « le DSM est aussi un énorme business » ! Que « les données épidémiologiques sont structurellement ( !?…) gonflées ». Que « les essais de terrain ont été très mal conduits et finalement bâclés » ! Sa critique est argumentée et profonde. Mais ne nous y trompons pas, il est le père du DSM IV, et fait parti de ces psychiatres influents qui ont « voté » pour ce type de psychiatrie. Bien sûr un retour et des regrets sont toujours possibles. Mais s’agit-il de cela… ! Nous savons qu’il existe si ce ne sont des conflits d’intérêt, quoi que, tout du moins des conflits de personnes, de pouvoir. Pourrait-on penser également, comme certains l’évoquent déjà, qu’à tout prendre mieux vaudrait la petite clinique de signes des DSM que le grand projet RDoC du terrible Thomas Insel ?
Enfin Allen Frances reconnaît aussi les pressions sociales, sociétales, sur le champ des diagnostics, par exemple le combat acharné des lobbies gay et lesbiens de plus de trois ans afin de supprimer l’homosexualité des classifications, ce qui sera fait lors du Congrès des psychiatres américains en 1974. Quelle validation scientifique ! Pour un ouvrage qui se veut a-théorique. Certes !
Les DSM ont toujours eu leur part d’influences de leur temps.
Tout d’abord le principe est né des statistiques recueillies dans les hôpitaux psychiatriques durant l’après seconde guerre mondiale, donnant lieu à un manuel diffusé par l’armée de terre des Etats-Unis. Parallèlement la psychologie, en puissance, se voulait « enfin scientifique » et la référence chiffrée allait donner la psychopathologie quantitative, née de la psychologie différentielle (la psychométrie de Galton), et de la psychologie expérimentale. Quant à la notion de « critères diagnostics » dans ce contexte, elle est liée aux écoles de Saint Louis (Missouri, avec Feignher, Robbins et coll.) et de New-York (Columbia, avec Spitzer, tiens !, Endicott et coll.).
Ainsi le DSM I parait en 1952. Il serait, selon les historiens et épistémologues, influencé notamment par les théories de Kurt Schneider (1897-1967), émigré ayant fuit le nazisme, et lui-même marqué par la psychanalyse. Elève de Jaspers il avait publié un ouvrage paru en 1950, « Psychopathologie clinique », ouvrage plutôt descriptif, ce qui en faisait un « retour » à Kraepelin, s’éloignant de la méthode de Bleuler. La notion de réaction menait la théorisation, avec la notion de symptômes de premier rang.
Le DSM II paraît en 1968 ; la catégorie de psychose y est importante, fortement étudiée.
Le DSM III paru en 1980 marque le pas. Il s’agit d’une véritable rupture dans la méthodologie d’approche des troubles mentaux. La notion de trouble de l’humeur apparait déjà très prégnante. Ce manuel est fortement apprécié par Allen Frances, lequel dans l’interview cité ci-dessus se moque : « Jusqu’alors le diagnostic était resté pour l’essentiel une affaire subjective. Une conversation typique entre psychiatres portait sur les rêves de la nuit précédente et leur interprétation psychanalytique » ! Horreur !. Donc le DSM IV paraît en 1994, pour calmer le jeu de l’inflation de critères diagnostics selon son auteur !
Il y a une interrogation, peut-être dépassée, avec la méthode des DSM. Un ouvrage paru en avril de cette année tente sérieusement de « faire le point », soit de « préciser la nature de la révolution épistémologique opérée par les DSM ». Steeves Damazeux, agrégé de philosophie et docteur en philosophie des sciences fait paraître cet important travail sous le titre « qu’est-ce que le DSM ? Génèse et transformations de la bible américaine de la psychiatrie (éditions Ithaque). »
Une critique « ancienne » nord américaine était parue, sans grand écho apparemment, traduite en 1998 et publiée par l’Institut Synthélabo « Les Empêcheurs de penser en rond ». Son titre, « Aimez-vous le DSM ? Le triomphe de la psychiatrie américaine » était en américain « The Selling of DSM. The Rhétoric of Science in Psychiatrie ». Le livre est du à deux auteurs, Stuart A Kirk, professeur de travail social à l’université de Columbia, et Herb Kutchins, professeur de travail social à l’Université d’Etat de Californie à Sacramento. Ce livre, de la part d’auteurs qui connaissent bien les méthodes diagnostiques et les classifications en psychiatrie, relate les enjeux des différents courants de la psychiatrie américaine et s’interroge sur la « bonne tenue scientifique » des DSM et de sa méthode. Il est paru en 1992 aux Etats-Unis, en 1998 en France.
Ainsi, que critiquer ? Pour quelles raisons ? A partir de quels points de vue ? Qu’esc-ce qui va suivre, un DSM V révisé, puis VI etc… ? Ou un RDoc et la classification des causes et non plus des symptômes. Des causes c’est à dire par la génétique et l’imagerie médicale (cf. l’article que m’a adréssé le Dr Sandrine Calmette « Psychiatry’s Guide Is Out of Touch With Science, Experts Say », article publié dans The New York Times en 2011, dans lequel il est fait mention de Thomas Insel et d’autres défenseurs d’une classification neurobiologique des maladies que l’on n’ose plus appeler « mentales » !).
L’interview d’Allen Frances parle beaucoup de chiffres. C’est une culture nord américaine.
Il est toutefois surprenant et intéressant de lire à la fin de cet entretien que cet auteur de DSM préconise l’abandon de cette méthodologie, l’abandon de l’usage des critères diagnostics pour « faire de la psychiatrie » !!! « Je crois que la procédure utilisée pour fixer les critères diagnostics a fait son temps ». Mais la suite n’est pas moins surprenante. Il rend compte du fait que l’APA (American Psychiatric Association) « n’est pas qualifiée pour évaluer tout le faisceau de conséquences médicales, économiques et sociales de la redéfinition d’un diagnostic. ». L’APA, dont le NIMH semble avoir fait déconnection pour mener sa « voie cérébrale ». Mais que propose alors Allen Frances ? Bien sûr, nord américain il associe psychiatrie et santé publique, économie et politique : « Il faudrait quelque chose comme une FDA (Food and Drug Administration) internationale. » Surprenant non ? Une administration pour remplacer une association psychiatrique. Internationale of course !
Je voudrais enfin marquer une différence entre cette psychiatrie américaine, et notre psychiatrie classique, fondée sur l’observation et l’écoute des patients, avec des théories. Le DSM V est critiqué car il y a extension des pathologies, aussi car il y a un souhait, légitime, de prévention et de dépistage précoce, quitte, c’est là la critique, à forcer le trait sur l’événement comportemental. Ce défaut est en partie lié justement aux critères a-théoriques. Ils ne sont pas pris dans un discours, syndromique par exemple, théorisé, ce qui leur donnerai un pouvoir différentiel et discriminatif pertinent. A l’heure où l’on reprend justement – récemment aux journées de Ville Evrard – la question des « phénomènes élémentaires » de la psychose, la qualité inquantifiable de la clinique européenne doit être à nouveau plus que jamais enseignée et promue dans le monde entier, comme clinique de l’observation et de la théorisation, clinique d’un discours cohérent et adéquat à la pratique avec les patients. Libre de l’adapter, de l’enrichir selon la pratique et non selon les projets extérieurs à elle pour déli(t)re de science !
Ainsi il faut cloisonner, au grand dam des formateurs mondiaux de tout poil. La Santé publique est la santé publique, et ne doit pas imposer outrageusement sa politique de chiffres. Les statistiques sont les statistiques, comptables, leur usage ne devenant pas l’addiction première. La recherche est la recherche avec sa noblesse et ses soucis d’application, sans extravagance, on a connu cela !, et sans arrogance pseudo scientifique, laquelle a tourné aujourd’hui à la malhonnêteté, intellectuelle et autres…
Les critiques à l’égard du DSM V sont loin de ne concerner que cette dernière version ! Il y a un combat sur le terrain où cela aurait du rester, les échelles internationales, avec des problèmes très spécifiques et des enjeux certains. Et il y a la clinique et son enseignement. Et là la psychiatrie française et européenne avec son Histoire et son sérieux, avec son respect pour les malades et donc pour les citoyens, est en avance. Le DSM c’est du passé ! Faisons fi des passéistes qui vont le regretter avec le Vème du nom. Et si les sciences fondamentales trouvent réellement et aident à ce que les patients psychiatriques aillent mieux, étudions ces sciences, utilisons les bien évidemment, y compris si nous exerçons la psychanalyse mais bien sûr en dehors de celle-ci, les deux pratiques ne se confondant pas, et là selon des modalités éthiquement et pratiquement valables, avec l’aide de collègues cliniciens et avertis.
Mais…… est-il encore « utile » de battre campagne contre les DSM ? Ne doit-on pas plutôt imposer et « exporter » la clinique classique ?