Il faut en finir avec les DSM comme référence clinique ! Quant à la suite…
14 octobre 2013

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CHASSAING Jean-Louis
Controverses


Les débats actuels depuis quelques mois, importants et intenses, sont focalisés sur la parution aux USA ce mercredi 13 ou 22 mai du DSM V, dont la traduction en français devrait émerger l’an prochain. Les avis divergent mais, enfin, un front non seulement français a vu le jour, contre, lançant des appels à réunions, à pétitions, parlant sur les ondes et écrivant dans les journaux, réalisant des conférences de presse etc. En France le collectif STOP DSM V regroupe un nombre important de praticiens et de théoriciens et monte au créneau de façon régulière. L’autre jour sur France Culture au cours d’un des nombreux débats actuels sur ce thème, l’historien de grande réputation Claude Quétel s’insurgeait à juste titre non seulement contre le DSM V, mais contre le mécanisme même DES DSM. Du DSM. C’est également la position d’Eric Laurent dans Lacan Quotidien.

La défense du DSM, ou la critique des critiques, est également intéressante. Par exemple sur une radio « intello » un psychiatre bon élève du « modernisme bioneuropsy » trouvait fabuleusement moderne que les DSM, notamment à partir de la 3eme version, « ne donnent que » les symptômes ou tout du moins les signes d’un « trouble », ceci en dehors de tout préjugé de pensée (revoilà encore, naïvement désormais ou aveuglément, la fameuse a-théorie !). Notre sympathique collègue démontait les « idées préconçues » – en fait la culture et la pensée – qui avaient présidé jadis aux grandes descriptions de la psychiatrie classique, et il encensait les DSM de ne faire « que » regarder le jeu des « symptômes » soi disant établis dans une grande pureté, et de jongler avec eux comme on joue au billard, construisant ainsi un disorder ou trouble pur. L’idéal qui sous tend cela est la parfaite neutralité du psychiatre, de l’homme donc, dénué de théorie voire de pensée, et qui va cocher ses cases et compter les points. Autant dire que l’idéal ici représenté avec succès est de ne pas établir de diagnostic, de se déprendre de toute « théorie », de ne pas exercer dans l’ordre d’un discours mais dans celui du jeu de lego (… !). D’ailleurs dans les suites des DSM n’est-il pas « prévu » de remplacer le psychiatre, par trop subjectif – « au pire » il pense ! – non plus par des items sans cesse plus nombreux – signe de la névrose obsessionnelle (obsessive compulsion disorder ? ) des chercheurs d’items, passée inaperçue dans nos sociétés formatées – mais par des références biologiques – résurgence moderne de la pink spot schizophrénique du LCR des années 1965- 66.

par conséquent, à ce genre ciblé de diagnostics, éventuellement, il est urgent et sage de poursuivre une clinique liée à des discours clairement admis, pensés, élaborés, et cela dans la confrontation aux paroles, ainsi qu’aux comportements des patients. Il est à noter que là aussi, dans son usage de classification internationale il doit être contesté, comme il l’est par l’excellente classification du regretté professeur Misès et co. pour l’enfant et l’adolescent (CFTMEA), qui double et le DSM et l’ICD. Une telle classification doit conserver des correspondances avec les réalités cliniques, celles de l’écoute et de l’observation des patients, et non d’une collection, d’une compilation de signes isolés de tout discours. Notre sympathique défenseur du DSM évoqué ci-dessus se lamentait de cela, les « impressions », liées, disons le, dans le transfert, aux corrélations « lamentablement » selon lui élaborées dans la clinique même ! Élaborer hors de la clinique, cela revient à quoi ? Qu’est ce à dire ?….

Il n’est qu’à écouter une conférence récente (16 avril 2013) de Thomas Insel, Directeur du célèbre et influent NIMH (National Institue for Mental Health – la Santé mentale… ! C’est quoi ?…). Les mots parlent d’eux-même, il les utilise c’est curieux ! A New Understanding of the Brain, c’est le titre. Une nouvelle compréhension du cerveau ; il sera question des maladies mentales. Elles sont d’ailleurs relativement réduites quantitativement, à l’inverse de la prolifération des signes du DSM (conflit politique ? De personnes ? De pouvoir ? D’argent ?), et l’on perçoit vite qu’il s’agit d’une, de la nouvelle orientation « clinique ». On ne sait d’ailleurs comment elles sont définies ! Schizophrenia ; Bipolar Disorders (ils y tiennent !) ; Dépression ; Post Trauma Stress Disorder (le fameux PTSD, toujours là !) ; Anxiety D. (anxiété n’est pas Angst, angoisse, concept, horreur !) ; Attention Deficit Hyperactivity D. (attention les enfants terribles !) ; Obsessive Compulsive D. ; Borderline Personality. Point.

L’ensemble est intitulé Disorder of the Human Connectome. Nous comprenons vite qu’il s’agit dans les maladies « neuromentales » de les définir par les Pourquoi pas dirons-nous ? Mais cela fait-il LA clinique. Nous devons contester non pas ces recherches tout à fait passionnantes et sans doute productrices d’innovations voire d’efficace (laquelle, toujours ?). Mais ce que nous devons, je le crois, contester c’est cette hégémonie à la fois nord américaine, celle-ci, et celle des scientistes, à faire de ces travaux dits fondamentalistes une pratique unique, LA pratique de la Psychiatrie (laquelle ici dérive ou retourne à la neurologie sous couvert de « neurosciences ou du cognitivisme »). Le fossé reste, quoi qu’en désirent farouchement certains, entre les sciences fondamentales et l’exercice clinique, l’art ou l’artisanat de la clinique. Et même pouvons-nous dire la psychanalyse a fait dès son origine des efforts importants pour approcher les sciences fondamentales dans sa conceptualisation (de l’Esquisse pour une psychologie scientifique de Freud aux formules de Lacan). Ce dernier avait raison, une fois de plus, en rappelant la bipartition des « sciences » à une époque (certes dévolue, passée dirons les modernistes !), entre les Arts libéraux et les Arts serviles et les Beaux Arts.

Ce retour du Mental au Cerveau, du Psychique au Neuro, ramènerait curieusement à la rétrogradation d’un Art libéral, celui du bien parler lié aux sciences en tant qu’étude structurée, le pouvoir de la langue et le pouvoir des nombres, lesquels « s’opposent » aujourd’hui, à un Art servile, celui de la matérialité. La psychanalyse aurait la prétention d’associer les deux Arts, la matérialité des mots ayant été énoncée par Freud et par Lacan, sans oublier dans sa pratique certains traits des Beaux arts !

Un autre schéma – tout est très clair – appuie le nouveau concept de la neuropsychiatrie du futur. Il est basé sur le fait que dans ce Developpemental Brain Model for Schizophrénia, The behavior is the last thing to change. Les symptômes ne doivent plus être pris en considération It’s to late ! C’est trop tard !! Tant pis pour ceux qui en sont malencontreusement arrivés là (« du fait » de la psychanalyse sans doute, comme dans l’autisme ! Quelle perte de temps !). Il faut agir AVANT. Au niveau de ce que nous montre l’imagerie médicale. Au niveau de sa Majesty The BRAIN ! Comme les deux seins d’Angelina Joly, il faut dépister et enlever la lésion à venir…. Nous avons ici le lien indéfectible entre science-prévention-santé publique-coût des maladies à traiter trop tardivement. Early detection

Et comme les vrais scientifiques-praticiens ne sont pas dénués d’humour, de culture et de poésie, Thomas Insel termine sa conférence par une citation, d’un américain célèbre of course, récemment décédé, prestigieux, sympathique, Bill Gates Jr. « We always overestimate the change that will occur in the next two years and underestimate the change that will occur in the next ten ». A dans dix ans dear Thomas !

Encore une fois c’est l’hégémonie appuyée de ces travaux qui est en cause, encore plus la falsification frauduleuse énoncée ci-dessus, et ses corolaires de désir forcené d’élimination de la psychanalyse ce qui en fait l’honore de représenter la part la plus fameuse – face aux fumeux scientistes – de la clinique.

Délaissons ce brillant à venir, en France comme sur le ChannelN Brain & Behavior Videos with Sandra Kiume, support de la conférence citée plus haut et sur lequel défile une série de neurobiologistes dignes de la Task’Force du DSM III, mais en rupture idéologique (et politique ?) si ce n’est théorique avec l’instrument du jour. Le DSM V.

Enfin Allen Frances reconnaît aussi les pressions sociales, sociétales, sur le champ des diagnostics, par exemple le combat acharné des lobbies gay et lesbiens de plus de trois ans afin de supprimer l’homosexualité des classifications, ce qui sera fait lors du Congrès des psychiatres américains en 1974. Quelle validation scientifique ! Pour un ouvrage qui se veut a-théorique. Certes !

Tout d’abord le principe est né des statistiques recueillies dans les hôpitaux psychiatriques durant l’après seconde guerre mondiale, donnant lieu à un manuel diffusé par l’armée de terre des Etats-Unis. Parallèlement la psychologie, en puissance, se voulait « enfin scientifique » et la référence chiffrée allait donner la psychopathologie quantitative, née de la psychologie différentielle (la psychométrie de Galton), et de la psychologie expérimentale. Quant à la notion de « critères diagnostics » dans ce contexte, elle est liée aux écoles de Saint Louis (Missouri, avec Feignher, Robbins et coll.) et de New-York (Columbia, avec Spitzer, tiens !, Endicott et coll.).

Le DSM II paraît en 1968 ; la catégorie de psychose y est importante, fortement étudiée. Le DSM III paru en 1980 marque le pas. Il s’agit d’une véritable rupture dans la méthodologie d’approche des troubles mentaux. La notion de trouble de l’humeur apparait déjà très prégnante. Ce manuel est fortement apprécié par Allen Frances, lequel dans l’interview cité ci-dessus se moque : « Jusqu’alors le diagnostic était resté pour l’essentiel une affaire subjective. Une conversation typique entre psychiatres portait sur les rêves de la nuit précédente et leur interprétation psychanalytique » ! Horreur !. Donc le DSM IV paraît en 1994, pour calmer le jeu de l’inflation de critères diagnostics selon son auteur !

Il y a une interrogation, peut-être dépassée, avec la méthode des DSM. Un ouvrage paru en avril de cette année tente sérieusement de « faire le point », soit de « préciser la nature de la révolution épistémologique opérée par les DSM ». Steeves Damazeux, agrégé de philosophie et docteur en philosophie des sciences fait paraître cet important travail sous le titre « qu’est-ce que le DSM ? Génèse et transformations de la bible américaine de la psychiatrie (éditions Ithaque). »

Ainsi, que critiquer ? Pour quelles raisons ? A partir de quels points de vue ? Qu’esc-ce qui va suivre, un DSM V révisé, puis VI etc… ? Ou un RDoc et la classification des causes et non plus des symptômes. Des causes c’est à dire par la génétique et l’imagerie médicale (cf. l’article que m’a adréssé le Dr Sandrine Calmette « Psychiatry’s Guide Is Out of Touch With Science, Experts Say », article publié dans The New York Times en 2011, dans lequel il est fait mention de Thomas Insel et d’autres défenseurs d’une classification neurobiologique des maladies que l’on n’ose plus appeler « mentales » !).

Il est toutefois surprenant et intéressant de lire à la fin de cet entretien que cet auteur de DSM préconise l’abandon de cette méthodologie, l’abandon de l’usage des critères diagnostics pour « faire de la psychiatrie » !!! « Je crois que la procédure utilisée pour fixer les critères diagnostics a fait son temps ». Mais la suite n’est pas moins surprenante. Il rend compte du fait que l’APA (American Psychiatric Association) « n’est pas qualifiée pour évaluer tout le faisceau de conséquences médicales, économiques et sociales de la redéfinition d’un diagnostic. ». L’APA, dont le NIMH semble avoir fait déconnection pour mener sa « voie cérébrale ». Mais que propose alors Allen Frances ? Bien sûr, nord américain il associe psychiatrie et santé publique, économie et politique : « Il faudrait quelque chose comme une FDA (Food and Drug Administration) internationale. » Surprenant non ? Une administration pour remplacer une association psychiatrique. Internationale of course !

Je voudrais enfin marquer une différence entre

Les critiques à l’égard du DSM V sont loin de ne concerner que cette dernière version ! Il y a un combat sur le terrain où cela aurait du rester, les échelles internationales, avec des problèmes très spécifiques et des enjeux certains. Et il y a la clinique et son enseignement. Et là la psychiatrie française et européenne avec son Histoire et son sérieux, avec son respect pour les malades et donc pour les citoyens, est en avance. Le DSM c’est du passé ! Faisons fi des passéistes qui vont le regretter avec le Vème du nom. Et si les sciences fondamentales trouvent réellement et aident à ce que les patients psychiatriques aillent mieux, étudions ces sciences, utilisons les bien évidemment, y compris si nous exerçons la psychanalyse mais bien sûr en dehors de celle-ci, les deux pratiques ne se confondant pas, et là selon des modalités éthiquement et pratiquement valables, avec l’aide de collègues cliniciens et avertis.

<p style= » »text-align: » justify; »= » »>Mais…… est-il encore « utile » de battre campagne contre les DSM ? Ne doit-on pas plutôt imposer et « exporter » la clinique classique ? Jean-Louis Chassaing