Pour la psychanalyse l’identité sexuelle relève plus de la logique
que du biologique. La logique des mathèmes de la sexuation, élaborée
par Lacan, est-elle l’écriture ultime du réel de la différence
sexuelle ?
Le texte de Freud sur l’homosexualité féminine (1) résume
bien les questions soulevées par la psychanalyse quant à l’identité
sexuelle. Loin de la représentation simple d’une âme féminine,
vouée à aimer les hommes, par malheur tombée dans un corps
masculin, ou d’une âme masculine « bannie dans un organisme féminin »,
il faut nous dit Freud considérer trois séries de caractères
: les caractères sexuels somatiques, les caractères sexuels psychiques
et le mode du choix d’objet. Ces trois séries » jusqu’à un
certain point varient indépendamment les unes des autres et sont susceptibles,
chez différents individus, de permutations diverses « . En outre,
les découvertes permises par la psychanalyse du lien particulièrement
fort des homosexuels masculins à leur mère, et la part toujours
existante d’homosexualité latente ou inconsciente à côté
de l’hétérosexualité manifeste, réfutent l’idée
d’un « troisième sexe ».
Freud ajoute que l’essence du masculin et du féminin ne peut être
élucider par la psychanalyse et se « volatilise » pour la masculinité
en activité, pour la féminité en passivité. Freud
laisse le reste à la recherche biologique, en particulier en ce qui concerne
l’influence de la première série de caractères sur les
deux autres. S’il reconnaît que la psychanalyse partage avec la biologie
« l’hypothèse d’une bisexualité originaire », il montre
dans son travail même comment la psychanalyse aborde la question d’une
façon entièrement indépendante.
Aujourd’hui les recherches biologiques sur le volume du noyau de la strie terminale
chez le transsexuel, ou sur le locus Xq28 de l’homosexuel masculin, n’empêchent
pas le psychanalyste de penser, à partir de son expérience, que
la sexualité humaine est loin d’être entièrement commandée
par le biologique. Le biologique ne concerne jamais que le champ du besoin et
de la satisfaction du besoin, or l’être humain parle et de ce fait, ce
champ du besoin est entièrement dénaturé, le désir
et l’amour fleurissent sur un autre champ, celui du langage.
Avant l’insistance mise par Lacan à démontrer la primauté
du symbolique, les remarques de Freud sur le rôle central du phallus,
sur le complexe de castration, sur l’unique libido masculine pour les deux sexes,
restaient en grande partie énigmatiques et injustifiables d’un point
de vue biologique.
C’était le cas également de l’identification2 que Freud avait
laissée à l’état d’ébauche, en distinguant une identification
primaire au père par incorporation, celle à un trait unique de
l’objet aimé ou du rival, et l’identification par le désir au
désir d’un autre. Par exemple, Freud parle dans la genèse de l’homosexualité
masculine d’une forte fixation à la mère comme objet, puis d’un
retournement à la puberté où la mère n’est pas abandonnée
au profit d’un autre objet sexuel féminin, mais où le jeune homme
s’identifie à elle et se met en quête d’objets qui puissent remplacer
son propre moi ; cela laisse en suspens la nature de cette identification à
la mère pour un sujet qui ne remet pas en question, fût-il un travesti,
son identité masculine. Et qu’en est-il pour le transsexuel ?
Il est utile ici de distinguer avec Lacan3, d’une part une identification à
l’image, celle du semblable ou du moi idéal, et d’autre part une identification
» de signifiant « , celle qu’il a su lire dans l’identification au
trait unique chez Freud, pour en faire le trait unaire, celui qui marque la
différence pure du signifiant. La lettre illustre cette opposition, en
effet une lettre est identique à une autre non pas parce qu’elles ont
la même image, mais parce qu’elles sont différentes de toutes les
autres lettres.
Pour Lacan l’identité sexuelle est plus liée à cette identification
de signifiant qu’à l’image. La preuve en est que chez l’homme la parade
virile paraisse féminine.
L’identité sexuelle découle directement de la position du sujet
par rapport à un signifiant, le signifiant phallique. Qu’il s’agisse
d’un signifiant et non de l’organe anatomique, explique pourquoi la possession
ou non de ce dernier est contingente par rapport à la structure déterminée
par le complexe de castration. Pour Freud, il n’y a qu’un complexe de castration,
la différence chez le garçon et chez la fille étant temporelle
pourrait-on dire, puisque pour le garçon au départ tout le monde
est pourvu d’un pénis, sa perception du sexe de la fille est déniée
dans un premier temps, et c’est la découverte de la castration qui clôt
pour lui l’oedipe. Au contraire, la fille voit tout de suite la différence
et vit la castration comme une privation, » un malheur individuel »
qu’elle attribue d’abord à une mère phallique. Chez la fille,
l’oedipe commence avec la castration. Mais Freud note aussitôt que
la petite fille peut très bien dénier le fait de sa castration
et se comporter comme si elle était un homme.4 Cela équivaut à
relativiser l’importance de la réalité de la présence ou
non du pénis et de sa perception. L’enfant ne voit que ce qu’il est déterminé
à voir, et cette détermination est symbolique.
C’est par la logique que Lacan aborde le complexe de castration. Mais à
l’époque du séminaire » Le désir et son interprétation5
» ou du texte » La signification du phallus6 « , il s’agit d’une
logique reposant sur des formules grammaticales, comme celle que Freud lui-même
utilise dans son étude de la pulsion ou du fantasme. Le signifiant phallique
est l’unique signifiant en jeu dans une dialectique de l’être et de l’avoir,
où la négation vient jouer subtilement, sans se priver du recours
à l’équivoque. Ainsi du Phallus, Lacan énonce que l’homme
n’est pas sans l’avoir, alors que la femme l’est sans l’avoir.
Ces formules résistent à un emploi univoque et logicien, ainsi
peut-on conclure que si l’homme est, alors il l’a ? Certainement pas, puisque
la phrase de Lacan critique implicitement l’emploi absolu de la copule »
être » en la dénonçant justement pour ce qu’elle est
: une copule, qui a affaire à la copulation, nommément sexuelle.
La formule est à entendre plutôt comme un vel, ou bien il l’est,
ou bien il l’a. Le névrosé, lui, utilise la formule de la façon
régressive, il s’affirme » ne pas l’avoir » pour l’être
inconsciemment. Quant au phallus en question, s’agit-il de l’objet imaginaire
ou du signifiant ? C’est qu’il faut sacrifier l’un pour accéder à
l’autre. Et qu’est-ce qu’être un signifiant ou avoir un signifiant ? C’est
aussi bien ne pas l’avoir tout à fait et ne pas l’être vraiment.
Quant à la femme dont il est dit qu’elle l’est sans l’avoir, Lacan nous
annonce par ailleurs que dans l’inconscient » elle l’est et elle l’a « ,
ce qui rapproche bizarrement sa formule de celle du pervers. Si la femme l’a
sur un certain plan, c’est comme un élément détaché.
Lacan reprend ici l’équivalence de l’enfant et de l’objet phallique.
Ces formules rendent déjà compte de bien des paradoxes freudiens,
elles permettent aussi à Lacan d’aborder la dialectique de l’amour et
du désir dans les deux sexes. En effet, l’amour est défini par
une autre formule, c’est le don de ce qu’on n’a pas. L’amour est inconditionnel
alors que le désir est conditionné par son objet. Il en résulte
une dissymétrie chez les deux partenaires : la femme entend être
aimée et désirée en même temps pour ce qu’elle n’est
pas, et elle trouve quant à son désir à elle, le signifiant
dans le corps de celui à qui elle adresse sa demande d’amour, l’organe
prend alors valeur de fétiche. Quant à l’homme s’il trouve à
satisfaire sa demande d’amour chez la femme qui justement lui donne ce qu’elle
n’a pas, son propre désir du phallus tend à le porter vers »
une autre femme » qui peut pour lui le signifier.
Remarquons que dès le texte » La signification du phallus « ,
Lacan signale ce dédoublement également chez la femme puisque
comment » l’Autre de l’Amour » en tant qu’il n’a pas ce qu’il donne
peut-il se substituer à l’homme dont elle chérit les attributs
?
Lacan retrouve ainsi les caractéristiques du ravalement de la vie amoureuse
pointées par Freud, mais il les retrouve comme les conséquences
structurales de la logique du signifiant phallique.
Les formules grammaticales jouant sur l’être et l’avoir mettent déjà
en place une logique qui s’oppose à la logique classique aristotélicienne.
Lacan a cherché pendant toute une époque à formaliser cette
logique sexuelle7. S’appuyant tour à tour sur Peirce, Boole, Russell,
Frege, le plus souvent en leur empruntant le formalisme pour le détourner,
Lacan aboutit à l’écriture des mathèmes de la sexuation.
Il s’agit d’un tableau (fig. 1) qui présente la situation masculine à
gauche et féminine à droite, mais l’organisation de ce tableau
dépend uniquement d’une fonction, la fonction phallique fx et des différentes
situations qu’elle autorise. Cette fonction phallique résume à
la fois la castration, l’accès au signifiant phallus, et à la
jouissance phallique que la castration permet.
Ce tableau retrouve les particularités de l’identification sexuelle
déjà rencontrées. Du côté imaginairement homme,
la castration est la loi universelle « xfx, pour tout x, x est soumis à
la castration. Seul échappe à la castration le Père qui
justement a pour fonction de l’appliquer à tous, , il en existe au
moins un qui n’est pas castré. Contrairement à la logique mathématique,
l’exception confirme la règle. Du côté homme nous retrouvons
le Phallus symbolique f et le sujet $ qui s’en autorise, c’est-à-dire
qui n’est pas sans l’avoir. Mais l’objet a est de l’autre côté
du côté femme.
Du côté femme, il n’y a pas d’universel, nous l’avons vu la castration
y est abordée de façon singulière, c’est pourquoi »
La femme n’existe pas « . « xfx, pour pas toutes x, fx, ce qui peut
se lire d’une part comme cette absence de fermeture de l’ensemble femme, et
d’autre part comme le fait que la jouissance, si elle est pour une part phallique,
c’est la signification de la flèche qui rejoint f de l’autre côté,
n’est pas-toute phallique, une autre flèche va vers S(A), il existe une
Autre jouissance proprement féminine qui concerne ce trou dans l’Autre.
Nous retrouvons peut-être là le dédoublement évoqué
par Lacan dans » La signification du phallus « , vers l’Autre de l’Amour.
Du côté Autre la négation de l’universel n’implique pas
d’exception à la castration , la castration se vérifie, mais
elle s’applique une par une.
Ces formules de la sexuation permettent une nouvelle lecture de la clinique
des névroses, des perversions et des psychoses. Par exemple, la mise
en suspens de la castration et du signifiant paternel a pour effet dans la névrose
de pousser le sujet du côté Autre. Si le tableau est organisé
par la castration comment y situer le psychotique ? C’est à la place
même de l’exception , forclose pour lui que le psychotique est convoqué
par le Réel, la métaphore délirante a pour fonction d’arrêter
la dissolution du monde symbolique dans le gouffre ainsi ouvert.
Mais les mathèmes de la sexuation permettent de déduire les conséquences
de la forclusion de cette exception qui fonde la loi commune, c’est-à-dire
de la forclusion du Nom-du-Père.
Remarquons que si les différentes formules du tableau paraissent contradictoires,
elles sont pourtant solidaires. A gauche il s’agit d’un ensemble fermé,
un tout, et l’application de la fonction à tout x nécessite l’existence
d’au moins un x qui la nie, c’est l’équivalent en topologie du point
fixe. A droite il s’agit d’un ensemble ouvert, les x ne pas un tout, et du même
coup il n’y a pas d’exception.
La nécessité de l’exception à gauche est solidaire du
tout, mais aussi du pas-tout et de l’impossibilité de l’exception à
droite. C’est-à-dire que le père de la castration est solidaire
de l’inexistence de La femme et de l’Autre de l’Autre qui s’inscrit A.
Lorsque cet x qui dit » non » à la fonction phallique à
gauche est forclos, il en résulte à droite un passage de l’inexistence
de l’exception, et du pas-tout au tout. C’est-à-dire que La femme existe
alors et représente toutes les femmes.
Chez le psychotique, il y a toujours cette pente pour venir occuper la place
de La femme, La femme de Dieu pour Schreber. C’est la place que revendique le
transsexuel8. Le transsexuel souhaite réaliser La femme en tant que toute,
et comme il veut se libérer de l’erreur commune qui est de confondre
l’organe avec le signifiant, il s’adresse au chirurgien pour forcer le passage
du Réel9.
Le névrosé peut le comprendre puisqu’en mettant en suspens le
Père, il y a pour lui équivalence entre Dieu et La femme rendue
toute. L’analyse révèle qu’il fait souvent de sa femme ce Dieu
intouchable, un grand Autre non barré. Quant au phallus il le trouve
dans le » La » de » La femme « , puisque c’est un signifiant
sans signifié.
Les mathèmes de la sexuation déploient une écriture purifiée
qui tente de saisir le Réel du rapport sexuel. C’est une écriture
purifiée puisqu’elle n’utilise que des signes logiques « , $ et une seule
lettre f qui vient inscrire le seul signifiant imprononçable et sans
signifié, les x n’interviennent pas vraiment comme lettres mais comme
places pour d’éventuelles lettres. Cette écriture tranche avec
les formules grammaticales employées au début. En effet sur la
grammaire est calquée la logique d’Aristote, et il est vrai que la grammaire
engendre des mirages. C’est la difficulté rencontrée par exemple
avec la particulière qui suggère l’existence, lorsque vous dites
» quelque licorne est blanche « , cela fait plus exister la licorne
que l’universelle : » toute licorne est blanche » qui reste vraie
quand il n’y a pas de licorne, mais c’est un pur effet de langage. Quant à
la logique sexuelle, il est clair que la logique des classes ne peut en rendre
compte, on ne peut énoncer ni qu' » aucun homme n’est femme « ,
ni que » tout homme n’est pas femme « , ce serait exagérer dans
un sens comme dans l’autre.
Le mathème parviendrait à rendre compte du Réel de façon
plus pertinente, comme c’est le cas pour les mathématiques dans le discours
scientifique, en physique par exemple.
Mais ces mathèmes mettent en place une logique autre, il ne s’agit plus
avec les mathèmes de Lacan d’échapper aux ambiguïtés
et à l’imprécision du langage pour mettre en place une langue
parfaite et univoque, fantasme du logicien, mais d’écrire avec l’ambition
de toucher le Réel des formules qui rendent compte aussi de l’équivocité
du signifiant et de ses conséquences.
Il s’agit de pures écritures, c’est au niveau de la lecture, ou plutôt
des lectures qu’elles permettent que le signifiant et le sujet reprendraient
leurs droits.
L’écriture toucherait au Réel au point d’écrire l’impossible,
justement comme » ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire « ,
dans les mathèmes de la sexuation ce serait fx, ou encore La. Nous
avons déjà remarqué que s’il existait du côté
droit l’x en question, ce serait justement l’exception qui fonderait La femme
comme toute.
Le fait que ces mathèmes inscrivent le rapport au sexe uniquement comme
rapport au phallus, implique qu’il n’y a pas d’écriture du rapport sexuel
comme tel. Le rapport sexuel, de l’homme et de la femme, c’est » ce qui
ne cesse pas de ne pas s’écrire « .
Mais est-ce là, l’écriture définitive de ce Réel
? Pour Lacan, ce n’est pas le cas avec le passage au noeud borroméen.
Déjà dans le séminaire Encore10 (pp. 131-132) Lacan
amorce une question sur le » il n’y a pas de rapport sexuel « . Il
s’agit d’un passage où Lacan parle de l’amour comme se supportant »
d’un certain rapport entre deux savoirs inconscients « . Il n’y a pas de
rapport sexuel parce que la jouissance de l’Autre comme corps est inadéquate,
d’un côté l’Autre est réduite à l’objet a
et de l’autre côté la jouissance est énigmatique. Pour un
temps l’amour donne l’illusion que le rapport sexuel cesse de ne pas s’écrire.
Cet amour naît de la rencontre du savoir inconscient du partenaire, c’est-à-dire
au niveau de ses symptômes, de ce qui ne cesse pas de s’écrire.
Il y a un déplacement de la négation du nécessaire du symptôme
au contingent de l’amour, qui cesse de ne pas s’écrire, pour le faire
passer au ne cesse pas de s’écrire.
Mais Lacan dans le même temps s’interroge sur l’affirmation » il
n’y a pas de rapport sexuel « , si ce rapport sexuel ne cesse pas de ne
pas s’écrire, rien ne peut le dire. Or nous dit-il : » Est-il légitime
d’aucune façon de substituer une négation à l’appréhension
éprouvée de l’inexistence ? »
Quelques années plus tard à la fin du séminaire Le
sinthome11, Lacan reprend cette question annoncée, alors que déjà
le noeud borroméen a pris la place centrale dans son travail.
En évoquant ses mathèmes de la sexuation, il énonce que
» l’idéal de mathème est que tout se corresponde. C’est bien
en quoi le mathème, au Réel, en rajoute « . La pensée
brode autour du Réel, alors que le Réel » son stigmate, …
c’est de ne se relier à rien « . Ainsi, en ce qui concerne le rapport
sexuel, le » il n’y a pas » lui paraît déjà »
très suspect » d’être de la broderie, de ne pas être
» vraiment un bout de Réel « . La raison en est sans doute que
la considération du noeud borroméen a permis de saisir le
Réel comme une des consistances du noeud, ou comme le nouage lui-même,
ce Réel ne fait pas chaîne ni avec l’Imaginaire, ni avec le Symbolique,
il est sans lien avec aucun d’eux pris isolément. C’est pourquoi la négation
logique qui relève du symbolique en dit trop sur le Réel, il »
en rajoute « .
Or ces remarques interviennent alors que Lacan dans les deux précédentes
leçons du Sinthome traite précisément du couple sexué
grâce au noeud borroméen.
Il remarque d’abord qu’un noeud de trèfle avec une erreur de passage
dessus-dessous, réparé grâce à un sinthome, se trouve
faire couple avec ce sinthome de telle sorte que les deux éléments
ne soient pas interchangeables.
Il n’y a pas d’équivalence entre le noeud et le sinthome, de ce
fait il y a rapport. Lorsqu’il y a sinthome, il n’y a pas équivalence
sexuelle, c’est-à-dire qu’il y a rapport. Il y aurait donc rapport entre
l’homme et une femme qui serait son sinthome. L’homme pour une femme n’est pas
un sinthome puisqu’il n’y a pas équivalence, mais peut-être pire
» une affliction » ! Nous retrouvons là un écho de ce
que Lacan disait dans Encore sur la rencontre des symptômes dans
l’amour qui donne l’illusion que le rapport sexuel cesse de ne pas s’écrire,
mais le noeud comme nous le voyons permet de radicaliser cette idée.
Dans la leçon suivante du Sinthome, il est question du couple sexué,
sous la forme du noeud borroméen fait d’un couple de droites de couleurs
différentes et d’un cercle orienté. Il existe deux noeuds
différents de cette sorte (fig. 2). Si les deux droites sont celles du
Réel et l’Imaginaire, le rond orienté celui du Symbolique, il
y a deux noeuds lorsque les deux droites échangent leurs couleurs.
Ce qui fait dire à Lacan que la notion de couple coloré est là
pour suggérer que dans le sexe, il n’y a rien de plus que » l’être
de la couleur « . » Il peut y avoir femme couleur d’homme, ou homme
couleur de femme « . Les sexes sont ici opposés comme l’Imaginaire
et le Réel, ou comme » l’Idée et l’Impossible « . Quant
au sens donné au cercle du Symbolique, il s’agirait du temps.
Lacan nous laisse sur ces suggestions énigmatiques non sans remarquer
que si la couleur seule distingue les deux droites, cette couleur dépend-elle
de la vision ou du regard ?
Cette remarque qui semble dans un premier temps obscurcir le mystère,
nous conduit à proposer une explication : entre la vision et le regard
il y a toute la différence du Symbolique, en effet si la vision distingue
les couleurs, comment les identifier et les nommer sans passer par le Symbolique,
du même coup le rond intervient dans la distinction des deux droites.
C’est effectivement ce qui se passe dans le noeud, où le cercle orienté
distingue les deux droites. Cette utilisation du noeud n’est pas sans évoquer
les remarques de Freud sur la différence des sexes par rapport au complexe
de castration, cette différence est temporelle, chez la fille la rencontre
de la castration est première, elle voit et conclut aussitôt, chez
le garçon elle est dernière. N’est-ce pas ce que le noeud
coloré indique ? Si le symbolique est orienté dans le temps, il
n’est pas indifférent que la rencontre traumatique avec le Réel
soit première ou dernière, mais est-ce de l’ordre de la vision
ou du regard ?
Toute la question est là en effet, dans la distinction entre la vision
et le regard combinée au temps. Le regard suppose le désir et
son signifiant.
Si le petit garçon et la petite fille se distinguent très tôt,
du fait de la nature, ils peuvent être amenés à rejeter
cette distinction lorsque la petite différence aura pris toute son importance
dans le procès de la castration. Et la castration est déterminée
par le Symbolique. Mais, avant même qu’ils se distinguent, ils
sont pris dans le discours de l’Autre incarné par les parents. Discours
qui les distingue en anticipant, puisqu’il met sur le compte de la nature
ce qui vient en fait du langage, c’est-à-dire la castration.