Hommage à Teresa Berganza, mezzo-soprano.
22 juin 2022

-

ROTHERMANN-LAMARQUE Aline
D'autres scènes
image_print

Hommage à Teresa Berganza, mezzo-soprano.

Teresa Berganza, cantatrice espagnole, nous a quittés le 13 mai dernier. Relayée par les media, sa disparition n’aura trouvé que quelques échos auprès d’un public d’initiés, exauçant ainsi le vœu posthume de la chanteuse : « Je ne veux pas d’annonce publique, ni veillée funèbre, rien. Je suis venue au monde sans que personne ne le sache, je veux qu’il en soit de même quand j’en partirai ». Cette annonce ne manquera pas de surprendre et de détonner dans le monde de ces divas, qui, comme Maria Callas ou Dalida, n’ont acquis pleinement leur gloire que de mourir sur scène, au seuil de l’âge mûr, dans l’impasse d’une vie qui ne s’envisage plus sans les lumières de la célébrité et de la vie publique.

D’où vient la retenue de la cantatrice espagnole, décédée à 89 ans, qui continua à dispenser des master classes de chant et d’interprétation jusqu’à un âge avancé avec une énergie stupéfiante ? La possession d’un registre « mezzo » peut-elle expliquer son rapport plus tempéré et plus joyeux à l’existence, son peu de goût pour la passion du drame ? Teresa Berganza a toujours défendu Maria Callas contre ses détracteurs, en rappelant que la diva s’était éclipsée, au soir d’une représentation de Médée à Dallas en 1957, pour la laisser recevoir, alors qu’elle était toute jeune chanteuse, les acclamations du public. Mais en dépit de son admiration pour l’artiste, elle s’est toujours déclarée méfiante quant à l’adulation suscitée par la diva. Son choix fut celui de l’humilité de l’interprète, désireuse de servir la musique, loin de s’abîmer dans les personnages de tragédiennes. Carmen de légende, Teresa Berganza ne chercha pas s’identifier à ce rôle, mais s’en inspira seulement, puisant dans l’interprétation du personnage la force de se libérer de son éducation religieuse et de son premier mariage malheureux.

Cette distance entre la femme et le rôle pourrait-elle venir alors de cette tessiture « mezzo » ? Nous pourrions faire l’hypothèse que le propre d’une voix moyenne est de ressentir sa limite, d’autant que la tension des aigus, à deux tons près de la tessiture de soprano, interdit à la chanteuse tout un territoire musical : celui du répertoire de soprano, habituée aux premiers rôles, incarnant des femmes puissantes dans leur confrontation ultime avec la mort. Face à l’idéal d’un répertoire qui lui échappe, la mezzo-soprano peut parier sur une maturation vocale qui la fera évoluer, peut-être, du côté d’un soprano dramatique. Faute d’évolution, il lui faudra, tout en interprétant les personnages de son répertoire, à savoir les travestis, révéler sa féminité d’interprète en disant sa plainte, ou mieux encore en la chantant dans l’auto-dérision, tout comme Susan Graham, mezzo-soprano américaine, a pu le faire dans l’air « Sexy lady » composé pour elle par Ben Moore.

Dans l’interprétation de ses rôles, la mezzo-soprano n’est donc pas dupe de son propre jeu. Son chant ne peut être « vériste ». Dans cette distance parfois contrariante entre l’expression de sa féminité et l’incarnation des rôles de son répertoire, elle peut ne rien avoir à envier à sa rivale soprano. C’est peutêtre dans cette distance qu’elle peut conquérir, comme aimait à le rappeler Teresa Berganza dans une de ses dernières master classes et dans la malice de ses 80 ans, la pratique d’un chant qui s’exécute au plus près de ce que préfèreraient les hommes selon elle, à savoir un visage illuminé par un sourire.