En hommage à notre collègue Cyril Veken tout récemment disparu, et à sa précieuse contribution aux travaux de l’ALI, nous vous proposons de relire quelques-uns de ses articles parus dans nos publications.
Le Bureau de l’ALI
- Notre ami Cyril VEKEN nous a quittés dimanche 11 juin 2017.
Enfant, à l’âge de deux ans, Cyril a été enfermé à Drancy avec sa mère et c’est le courage de cette dernière qui l’en a extrait. Il y a trois ans, l’histoire l’a rattrapé lors d’un documentaire sur la « Cité de la Muette », métamorphosée après-guerre en logement social et en appartements « thérapeutiques » pour des patients psychotiques. Il y fut interrogé en tant que psychanalyste sur la pertinence ou non de cette transformation. Sans détour, il sut faire entendre qu’on ne saurait bafouer la mémoire des familles de ceux qui de ce sinistre endroit partirent pour les camps de la mort. Il souligna aussi que ce lieu garde en mémoire ce Réel et peut s’inscrire dans celui qui traverse les patients psychotiques.
Cyril a été linguiste et traducteur de nombreux romans et d’essais linguistiques anglais comme« Phrase sans parole »… Ce dernier titre nous laisse sans voix et pourtant il fait entendre l’intérêt toujours vif de Cyril pour la psychose. De la linguistique à la linguisterie, de la traduction à l’interprétation, Cyril a noué ainsi son talent au discours de la psychanalyse.
Nous lui devons d’avoir aiguisé la pratique, depuis lors jamais désavouée à Sainte-Anne, du trait du cas. Cyril avait mis au point une façon de retranscrire au plus près les propos des patients psychotiques. En fin connaisseur de la ponctuation, il nous mettait ainsi en garde de ne pas ponctuer artificiellement leurs dires pour faire valoir l’espace subjectif radicalement autre où se déploie la psychose. Il parlait ainsi de « grammaire de la psychose ».
Cyril s’est également engagé pendant de nombreuses années dans les présentations de malades pour maintenir l’enseignement de la conduite de l’entretien et de la théorie psychanalytique dans les services hospitaliers.
Enfin, nous n’oublions pas l’ardeur jamais démentie de Cyril de diffuser l’enseignement de Jacques Lacan. Il n’a pas compté son temps pour transcrire, lire et relire, les séminaires dans le souci de les faire connaître au-delà du cercle des psychanalystes, dans la Cité. Nous lui avons rendu un dernier hommage mercredi 14 juin au cimetière de Bagneux où il reposera aux côtés de Rébecca Majster.
Corinne Tyszler
Tu avais participé à la création de La Célibataire. Tu aimais cette revue fondée par Charles Melman, et tu l’as honorée de nombreuses contributions. L’originalité de ta pensée faisait corps avec l’élégance de ton style. Le choix du mot juste n’hésitait pas à bousculer ce que le vocabulaire de notre discipline pouvait avoir de conventionnel. Tu avais en horreur les mots morts. Et ta grande culture te permettait de t’exprimer au vif de la langue, de saisir ses mouvements. La pensée des mots, je ne crois pas te trahir en disant qu’elle était ta demeure. Une demeure vivante et mobile, telle celle de Dante que tu citais, la comparant à « une panthère qui embaume partout et n’apparaît nulle part ». Un abîme pour toi dans les conditions tragiques auxquelles tu dois la vie. L’hommage gagne à se faire acte. La Célibataire sera heureuse de rassembler tes articles dans une prochaine parution. Marc Nacht Le 17 Juin 2017
J’ai fait la connaissance de Cyril Veken il y a près de vingt ans. Je venais faire mes premiers pas à l’ALI. Je n’étais pas tout à fait inexpérimenté mais encore relativement ignare de la portée de l’enseignement de Lacan, et de l’engagement de travail continu que cela impliquait. C’est, après Charles Melman, Cyril qui m’a accueilli, avec son épouse, Rebecca Majster. C’est ainsi que j’ai pu participer aux débuts du Collège qui venait alors de se mettre en place, une année auparavant. Et c’est avec deux des textes les plus difficiles de Lacan, la troisième et l’étourdit, que Cyril m’a fait entrer, avec quelques autres, dans les cordes de cet enseignement, les cordes, c’est à dire ce qui apparait de consistant sous la superficie de l’étoffe lorsqu’on la frotte et qu’elle s’use…. Ceux qui ont travaillé avec lui le savent. Vous pouviez travailler à sa demande sur un point de la théorie, ou sur une leçon du séminaire pendant plusieurs mois, accumuler la plus grande somme de savoir possible, et vous user à la frotter pour en extraire le sens supposé, Cyril avait ce talent de vous écouter très patiemment, et à la fin, à la fin seulement, le plus souvent, mais pas toujours, de faire une objection, une seule, qui venait rendre futile et vain toute cette souffrance et tout ce travail, et faire valoir la disjonction incontournable du savoir et de la vérité. C’est ainsi que Cyril nous enseignait, et que nous avancions grâce à lui, en nous ob-jectant, en nous projetant en avant avec lui, dans une ré-invention inlassable et laïque du pilpoul des maitres talmudistes du moyen-âge. Je ne saurais suffisamment insister sur la générosité, la disponibilité, et la patience incroyables dont lui et Rebecca ont fait preuve durant toutes ces années, de la grandeur de leur sens des responsabilités face à la passion d’ignorance qu’ils avaient repéré et qui nous animait alors, nous leurs élèves d’alors. Il est devenu d’usage, d’un usage convenu, dans les milieux juifs akhenazes que son ami Cyril Fleishman a si merveilleusement décrit dans ses nouvelles, de dire d’un homme qui vient de disparaitre qu’il était un Mensh, et cela quelqu’ait été sa vie et son engagement de son vivant par ailleurs.
Cyril n’était pas seulement un Mensh. C’était un Lord.