Hommage à Claus-Dieter RATH
12 janvier 2024

-

LERUDE Martine
Hommages
image_print

Claus-Dieter RATH

1949-2023

Martine Lerude

 

Notre collègue Claus-Dieter Rath, psychanalyste à Berlin, est décédé le 18 décembre 2023.

 

Claus Dieter Rath avait commencé par des études de sociologie à l’université de Heidelberg puis effectué des recherches pour son doctorat en Italie du sud sur la « Esskultur » (culture de « la bouffe » comme il disait). En 1972 il publia son premier livre : «Reste der Tafelrunde, Das Abenteuer der Esskultur ». Il se forma ensuite à la psychanalyse en Italie, à Rome, puis vint s’installer à Berlin au début des années 80 où il travailla dans le groupe de Norbert Haas qui a traduit en allemand Les Ecrits ( Lacan : « Introduction à l’édition allemande d’un premier volume des Ecrits » 1973) et des Séminaires de Lacan.  

C D Rath fut d’abord membre du premier groupe de psychanalystes lacaniens berlinois « Die Sigmund Freud Schule » fondée en 1978 qui se transforma et devint en 1988 « Die Zeit zu begreifen » (Le temps pour comprendre). En 1997 il fonda avec Jutta Prasse la « Freud Lacan Gesellschaft » (FLG) à laquelle je participais pendant ma présence berlinoise. A partir de 1993, il participa aussi à l’APF « Assoziation für die Freudsche Psychoanalyse » qui réunit des psychanalystes de langue allemande dont nombre d’entre eux étaient liés à Lucien Israël. 

En 2004, il cofonda un collège de formation des psychanalystes (avec des collègues germanophones de toute l’Europe) : le « Pychoanalitischen Kolleg » où furent régulièrement invité des collègues de l’ALI : Roland Chemama, Charles Melman, JP Lebrun, B Vandermersch, Johanna Vennemann moi-même aussi et bien d’autres venus d’autres groupes lacaniens.  

Membre de la Fondation Européenne pour la Psychanalyse (FEP) depuis sa création en 1991, il a participé très activement aux travaux de celle-ci pendant 32 ans jusqu’au colloque qui eut lieu en octobre 2023 à Paris. Il tenait particulièrement à la FEP dont la création par C Dumézil, G Pommier, C Melman, M Safouan répondait à la multiplication de groupes lacaniens (souvent ignorants les uns des autres) qui s’étaient fondés après la mort de Lacan. C D Rath appréciait que les analystes s’y engagent un par un, en leur nom propre, indépendamment de leur groupe d’appartenance. Il entretenait des échanges suivis avec ceux des psychanalystes lacaniens dont le travail l’intéressait quelle que fut leur référence transférentielle (L’Ecole de la cause en était exclue). Il tenait avant tout à l’Europe et aux échanges entre collègues de langues différentes. Comme Mustapha Safouan qu’il invita souvent à Berlin, C D Rath était un analyste qui, non seulement travaillait en plusieurs langues, mais qui pensait entre les langues. Formé en Italie, marié à une italienne, il naviguait avec subtilité et humour entre les langues : allemand, italien, français, anglais… Rigoureux, précis dans son usage de la langue et des concepts, l’humour surgissait des découpages qu’il appliquait à la langue elle-même. Il avait l’art de la coupure qui produit des effets de sens nouveaux ou de non-sens, l’art de la surprise du bon mot. Curieux du travail des autres, il ne craignait pas de poser des questions, ce genre de questions qui vous font sortir du confort des formules toutes faites, des ritournelles lacaniennes. C D Rath refusait le consensus mou de l’entre soi et nous conviait, avec curiosité et avec humour, à sortir du confort des énoncés.  

 Avec la FEP, il organisa plusieurs grands congrès à Berlin. 

Le premier en 1992   était pour lui emblématique du dialogue qu’il voulait instaurer. Le titre résume sa question singulière : « Lacan und das Deutsche »/La chose allemande, Die Ruckkehr der Psychoanalyse über den Rhein,  ( livre éponyme Kore  Verlag 1994). Ce retour de la psychanalyse de l’autre côté du Rhin était congruent avec la chute du mur et la ré unification de l’Allemagne ; il apparait aujourd’hui comme un moment fort d’espoir collectif. 

Un autre grand congrès organisé par C D Rath eut lieu en 1998 à Berlin avec pour thème : le symptôme. Nous avions alors expérimenté des modalités de fonctionnement particulièrement compliquées mais intéressantes : Les participants devaient fournir des textes très courts (une page), écrits et publiés à l’avance en quatre langues. Ces arguments étaient présentés, non par ceux qui les avaient écrits mais par ceux qui devaient les discuter. 

Avec l’association « Ferenczi après Lacan », il participa à l’organisation du colloque « Pratique psychanalytique et politique » qui eut lieu à Berlin en mai 2010. (Les actes en sont publiés en français Hermann Editeurs 2013). Claus Rath tenait à ces échanges qui mettent en jeu un déplacement qui n’est pas seulement déplacement dans l’espace mais déplacement dans le discours lui-même. 

Il menait à Berlin un travail de fonds, de longue haleine : un séminaire régulier dont le thème donnait lieu à un colloque bisannuel de la FLG. Le dernier colloque eut lieu en décembre 2023 ; il s’intitulait « Gehöre ich dazu? Gesellschaftliche und familiäre Bindungen heute“ (Est-ce que j’en suis ? relations sociales et familiales aujourd’hui). 

 J’ai insisté sur son travail institutionnel public (largement ignoré dans notre groupe) car Claus Rath psychanalyste était engagé dans le champ social collectif et dans la transmission de la psychanalyse. Son travail d’analyse théorique, concernait outre les grands thèmes proprement analytiques, la langue, les médias, les pratiques de la vie quotidienne, l’histoire de la psychanalyse, les sciences sociales, ce qu’il nommait « Die Kulturarbeit » (le travail de la culture).  Son champ de réflexion était ouvert aux discours contemporains et à la philosophie, en particulier Adorno et l’Ecole de Frankfort.  

Notre amitié était parcourue par ce fil commun qu’est la passion de la psychanalyse et par le travail des textes et de traduction que nous n’avons jamais cessé de poursuivre et d’échanger. Il traduisait mes textes en allemand et moi je revoyais les détails de style et les accents de ses versions en français. Le dialogue s’est poursuivi pendant plus de 30 ans et je tiens à citer les deux derniers livres qu’il a publiés car leurs titres expriment à la fois sa position d’analyste et son engagement dans le monde.

Der Rede Wert, Psychoanalyse als Kulturarbeit, Turia+Kant Wien-Berlin 2013

(ce titre est un jeu de mots entre la valeur de la parole et ce qui ne vaut pas la peine d’en parler. Le sous titre : la  psychanalyse comme travail de la culture) 

 

Sublimierung und Gewalt, Elemente einer Psychoanalyse der aktuellen Gesellschaft, Psychosozial Verlag, Giessen, 2019  

( Sublimation et violence, Eléments pour une psychanalyse de la société actuelle ).

 

Dans les revues de l’ALI

« Les frères et les sœurs de l’autre côté » Une analyse des relations entre allemands de l’est et de l’ouest depuis la chute du mur. In La Célibataire N°5 été-automne 2005 

« Les associations freudo-lacaniennes en Allemagne » in Le Bulletin N°1 de L’ALI avril 2007 

On trouvera nombre de ses interventions en français dans les actes des colloques de la Fondation européenne.