Fibromyalgie et S.M.I. ou Médecine et Marketing
16 novembre 2007

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SAMAMA Éric
Billets



Nouvelle clinique

J’ai appris hier que les universitaires, je veux dire les scientifiques avaient enfin découvert quelque chose, les SMI.

Une découverte impensable, inouïe et pourtant si fréquente dans notre quotidien de thérapeute, une découverte au fondement de notre pratique soignante, que nous soyons médecin ou non, une évidence qui était là sous nos yeux, et qui nous aurait échappée, le SMI ou Syndrome Médicalement Inexpliqué.

Hier, je me moque, hier c’était en 1998, une publication dans l’EMC, les SMI. C’est drôle cette obstination de la science à vouloir que la médecine puisse expliquer tous les syndromes. Ceux qui résistent à l’explication sont des injures à notre science. Je pense, quant à moi, que la résistance fait la médecine.

En 98, le SMI, ça semblait encore assez drôle, un nouvel acronyme, un terme pour expliquer quelques-uns de nos échecs thérapeutiques, une perspective de travail, d’interrogation, de recherche, mais depuis, cet acronyme a fait des petits, des petits que j’ai vu surgir dans ma clinique, des petits qui en disent long de leur souffrance et de notre impuissance thérapeutique. Le SPID, ou Syndrome Poly-algique idiopathique Diffus peut avoir un pronostic redoutable, avec l’invalidité à la clé. Cela est décrit, cette évolution irait jusqu’à l’impotence. Le SPID est mieux connu sur le nom de fibromyalgie, et leur nombre ne cesse de s’accroître au point que ces nouveaux patients saturent les demandes de reconnaissance d’un handicap, handicap faisant privilège. Les médecins et les instances sont débordés par ce nouveau phénomène qui prend l’apparence du collectif, voire du commun. Il y aura bientôt, sans aucun doute des associations de fibromyalgiques, de SPID, associations qui exigeront un traitement radical.

L’apparition de nouvelles maladies, de nouveaux symptômes n’a rien de surprenant en soi, quoique que l’on puisse toujours se poser la question de savoir si cela existait tout de même avant qu’on puisse les nommer, les enserrer dans les petites lettres d’un acronyme. Ce qui ne s’écrit pas, ce qui ne se décrit pas, est-ce que cela existe pour la science ?

Devant la multiplication de ces plaintes auto-désignées de SPID ou de fibromyalgie, je veux dire la multiplication de patients qui viennent non pas demander un diagnostic mais demander confirmation d’un diagnostic " auto-porté " , via, internet peut être, et demander un traitement efficace, pointant par là notre relative impuissance à traiter, à expliquer ce qui ne s’explique pas et ce par définition, SMI, ce qui me surprend, c’est l’apparition prochaine, probablement pour septembre de cette année d’une molécule antidépresseur dont la spécificité serait entre autre le traitement de la douleur, douleur au centre du tableau clinique du SPID.

Nouvelle chimie

Cette molécule qui a un nom et un nom commercial que je ne citerai pas afin de ne pas être soupçonné de corruption laborantine, est commercialisée aux USA et dans de nombreux pays d’Europe depuis plusieurs années et on ne sait pas très bien avec quels succès qu’ils soient économiques ou thérapeutiques. Nous ne disposons que des études préalables à la mise sur la marché et non pas de l’expérience des cliniciens ayant prescrit cette molécule, de même, nous ne disposons d’aucune information sur le nombre de patients traités. Mais, nous, pauvres français à la traîne du fait, du fait de quoi, d’une culture de la méfiance ou d’une lourdeur administrative, ne disposerons de cette nouvelle, nouvelle molécule qu’en fin d’année. Et insidieusement, on nous y prépare, certains de mes patients se sont rendus en Angleterre pour se la faire prescrire.

Alors, nous disposerions d’un traitement déjà présenté comme salvateur et que nous ne serions incapable de prescrire en raison de contraintes administratives ! On nous ferait presque croire, que nous, français, nous sommes à Cuba, alors qu’il s’agit simplement d’appliquer le principe de précaution. Attendre de voir, parfois cela peut être néfaste certes de trop attendre, mais parfois cela est nécessaire, d’attendre.

Nouvelle formation

Et certains laboratoires s’y emploient précisément, à nous faire croire à un archaïsme de notre système de soins pourtant identifié comme l’un des plus efficace et performant. Mais c’était autrefois, Pasteur et quelques autres. J’ai reçu hier, je dis ça pour rire, un laboratoire, qui comme tous les laboratoires, sont là pour nous renseigner sur les avancées de la science médicale, pour nous informer, pour nous éduquer sans beaucoup de respect pour notre pratique, notre formation, notre clinique considérée comme assez misérable au regard des multiples études qu’ils nous proposent, études multiples par le nombre faramineux de patients traités ( plus de 2 millions pour un nouveau neuroleptique) et par le nombre impressionnant de professeurs, d’universitaires, de chercheurs qui valident, les médiocres graphes imprimés sur un papier de qualité censé attesté de la qualité de son contenu.

Un laboratoire, donc, sans attention particulière à ma maigre expérience de médecin me remet une petite brochure, comme ça, l’air de rien, mais une brochure de quelques pages éditée par un grand de l’édition médicale et en papier glacé. Simple et pratique à manipuler, à lire, une vraie émission de télévision, de l’image bien structurée. Une brochure à l’allure de recommandation intitulée " La dépression fait mal ". Tiens donc ? Encore une nouveauté à diffuser aux médecins ignorants de la douleur de leur patient, une petite brochure qui pourtant commence bien et par une citation relativement poétique au regard de cette littérature embrochée, une citation de R.Damasio : " Toutes les émotions utilisent le corps comme théâtre ". Et tous les laboratoires utilisent les poètes comme argument. J’aurai bien aimé savoir à combien d’exemplaires cette brochure a été publiée mais paraît-il, il s’agit d’une publication confidentielle réservée aux plus fidèles médecins collaborateurs…

Ceci dit, elle est bien faite cette brochure, elle rappelle quelques évidences que nous serions censés avoir oubliées et comme ça n’est pas le cas, du coup on se sent vraiment savant voire intelligent. Ce qui est écrit est tellement évident, compréhensible que d’un coup, je me suis senti rassuré : la prévalence de l’état dépressif, le risque de chronicité, la gravité de l’Etat Dépressif Majeur et le risque suicidaire agrémenté de chiffres, la nécessité du dépistage et du traitement enfin toutes sortes de choses qui ne font que conforter le médecin dans son savoir que l’on ne lui suppose pourtant plus. On voudrait, en tout cas, lui en offrir une nouvelle formulation.

Glissement sémantique

Mais ce texte calqué sur le mode d’un texte qui ferait autorité, d’une recommandation argumentée d’une cinquantaine d’articles pour la plupart américains, va insinuer quelque chose qui semble paraître nouveau : " la dépression ça fait mal ", titre de la brochure. Cela serait nouveau parce qu’on ne savait pas, avant cette information du laboratoire, qu’un " déprimé " avait mal, on pensait naïvement qu’il souffrait. La distinction est subtile, indétectable, on glisse de ce que nous appelions douleur morale à douleur physique. Comme si cela pouvait se distinguer. Eh bien oui, en lisant cette brochure, j’ai compris que je n’avais pas d’attention à la douleur physique de mes patients et que, de plus, le physique, le corps, ça fait mal. Ça fait mal, ça va mal, et pour devancer un peu mon propos, ça fait pipi dans la culotte, ce que je n’ai jamais osé demander à mes patientes et qui est pourtant si important que l’on en fait des publicités télévisuelles. Je vous parle de l’incontinence urinaire parce que le laboratoire qui prétend dans sa grande générosité nous enseigner sur la douleur va commercialiser un antidépresseur actif sur l’incontinence urinaire de la femme, ce qui n’a rien de nouveau en soi puisque l’on sait de longue date que la Clomipramine, un des premiers antidépresseurs connus est parfois efficace à petites doses sur l’énurésie. De là à établir un rapport entre dépression et pipi…

Nouvelle mesure : Passage de la subjectivité de la souffrance à l’objectivité de la douleur.

Subtil en effet de passer de la subjectivité de la souffrance à l’objectivité de la douleur. Vous n’êtes pas sans savoir qu’un des grands progrès humanitaires de la médecine est de mesurer la douleur. On a même inventé des règles pour la mesurer, des règles complexes, au lieu de dire, j’ai un peu mal, j’ai mal, j’ai très mal, je n’en peux plus, on vous donne une règle, un étalon, gradué de 1 à 5 et on vous demande de pointer, de pointer le chiffre de votre douleur. C’est objectif, ça, hier c’était 4, aujourd’hui, c’est 3 alors ça va mieux, ça ne se discute pas, c’est noté. Comme ça le médecin peut dormir tranquille, il sait qu’il soulage ses patients parce que 3 c’est mieux que 4. Parfois le patient aime bien faire plaisir à son médecin, c’est comme ça un patient, comme les enfants, faudrait pas qu’on lui fasse trop de mal, il ne faut pas rester récalcitrant au traitement, sinon le papa n’est pas content et alors prend garde à toi.

Patients, souffrants, douloureux, rassurez-vous nous avons des instruments pour vous évaluer et nous aurons bientôt des molécules pour vous traiter.

La mesure de la douleur c’est une sacrée invention, le problème, n’est peut être pas la douleur, selon le laboratoire qui défend son objectivité scientifique, c’est en fait, ce que nous n’avions pas entendu, perçu : la perception de la douleur.

Nouvelle idéologie ré-éducative

Une seconde subtilité qui annule toute contestation. Non la douleur, cela n’est pas objectif, mais objectivable, la douleur, c’est une question de perception de la douleur. Le déprimé perçoit mal. Il perçoit mal le mal parce son système neurologique est détraqué et que des choses qui ne doivent pas faire mal, lui font mal, il pense mal, il sent mal, comprenez , il perçoit de travers. On va redresser tout ça puisque ça vient d’un dérèglement neurologique, enzymatique, chimique, physiologique, voire psychologique ou je ne sais quoi. Ne vous inquiétez pas, on s’en occupe. Il s’agit tout de même de l’infiltration de la pratique médicale par une nouvelle idéologie, celle des thérapies cognitivo-comportementales. Il faut ré-éduquer le patient, lui apprendre à bien penser, à bien sentir.

L’antidépresseur qui se cache devant cette soi-disant nouvelle clinique, cette façon nouvelle de présenter la clinique au risque de la tordre, est déjà prêt, déjà sur les starting-blocks, déjà connu des médecins qui lisent un peu la presse étrangère, alors je ne le citerais pas.

Jusqu’à lors, les médecins présentaient leurs problèmes cliniques aux pharmacologues qui tentaient d’y répondre, aujourd’hui les pharmaciens présentent leurs produits testés à grande échelle, avec des efficacités observées sur certains symptômes et nous proposent de revoir, de découper notre clinique, en petits morceaux, en mille morceaux douloureux et éparpillés.

L’apparition concordante dans notre clinique de cette plainte étiquetée de SPID et d’une nième nouvelle molécule reste suspecte. Cette molécule sera probablement utile, peut être efficace, mais elle ne doit pas nous empêcher de penser à notre clinique, de rester attentif à la plainte et la nature de la demande qui ne saurait être télé guidée, télévisée.

Il ne peut être question de traquer, de dépister de nouveaux symptômes dont nos patients ne se plaignent pas encore, et même si " nous avons déjà des machines pour les révoquer ".